Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150106


Dossier : IMM-1280-14

Référence : 2015 CF 9

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

VIKTORIA CSANYANE NOVAK

 

NORBERT CSANYA

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Défendeur

 

ORDONNANCE ET MOTIFS

VU la demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision, datée du 23 janvier 2014, par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile des demandeurs, présentée au titre des articles 96 et 97 de la Loi;

APRÈS examen des observations écrites et des plaidoiries des parties ainsi que du dossier certifié de la SPR;

ET APRÈS avoir tenu compte du fait que les demandeurs étaient la mère (Mme Novak) et le fils (Norbert) et étaient des citoyens de la Hongrie;

ET APRÈS avoir tenu compte du fait que les demandeurs avaient présenté une demande d’asile le 18 novembre 2011, en même temps que celle de M. Norbert Csanya (M. Csanya), l’ex‑mari de Mme Novak et le père de Norbert, dans laquelle ils alléguaient qu’ils étaient victimes de discrimination fondée sur les origines ethniques roms de M. Csanya;

ET APRÈS avoir tenu compte du fait que M. Csanya s’était désisté de sa demande d’asile en juin 2012, à la suite de sa séparation d’avec la demanderesse, et qu’il était retourné en Hongrie, et du fait que Mme Novak avait alors modifié sa demande d’asile pour alléguer qu’elle craignait pour sa vie et pour celle de Norbert s’ils devaient retourner en Hongrie, aux mains de M. Csanya, en raison de la violence familiale et des sévices dont ils avaient été victimes de la part de M. Csanya;

ET APRÈS avoir tenu compte du fait que le 23 janvier 2014, la SPR avait rejeté la demande d’asile des demandeurs en raison du manque de crédibilité de Mme Novak et du fait qu’elle n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État en Hongrie;

ET APRÈS avoir tenu compte du fait que la question soulevée par la présente demande est de savoir si la SPR, en concluant comme elle l’avait fait, avait commis une erreur susceptible de contrôle au sens du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7;

ET APRÈS avoir conclu que, même si je devais juger que la SPR s’était montrée déraisonnable dans son appréciation de la crédibilité de Mme Novak, le défaut des demandeurs de réfuter la présomption de protection de l’État portait un coup fatal à leur demande d’asile et que, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire devait être rejetée pour les motifs suivants :

[1]               Les questions relatives à la protection de l’État sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable, étant donné qu’il s’agit de questions mixtes de fait et de droit qui, compte tenu des connaissances spécialisées de la SPR en la matière, commandent la déférence (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 51 (Dunsmuir); Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 44 et 59; Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Flores Carrillo, 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636, au paragraphe 36; Romero Davila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1116, au paragraphe 26; Gulyas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 254, 429 FTR 22, au paragraphe 38).

[2]               Les demandeurs maintiennent que la SPR n’a pas appliqué le bon critère pour examiner la question de savoir s’ils pouvaient se prévaloir de la protection de l’État et que la SPR a concentré son analyse sur les efforts déployés pour protéger les victimes de violence conjugale plutôt que sur l’efficacité de la protection offerte par la Hongrie.

[3]               Toutefois, comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, l’asile est une forme de protection auxiliaire qui ne doit être invoquée que dans les cas où le demandeur d’asile a sollicité sans succès la protection de son État d’origine (Ward, au paragraphe 18). Il s’ensuit qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur d’asile et que, pour réfuter cette présomption, celui‑ci doit démontrer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer une protection adéquate, sans être nécessairement parfaite (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, aux paragraphes 43 et 44; Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 CFR 636, au paragraphe 19; Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 29; Salamon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 582, au paragraphe 5; Ward, précité, au paragraphe 52).

[4]               En l’espèce, les présumés actes de violence dont Mme Novak aurait été l’objet se seraient produits tant avant son départ de la Hongrie pour le Canada que pendant qu’elle vivait avec son ex‑mari, M. Csanya, au Canada. Suivant la preuve, Mme Novak n’a pas tenté de solliciter la protection de l’État contre son ex‑mari en Hongrie, car elle croyait que la violence conjugale n’était pas un problème qui était pris au sérieux dans ce pays. Il était toutefois nécessaire que la preuve présentée fournisse des explications directes, pertinentes et convaincantes démontrant pourquoi elle n’avait pas entrepris la moindre démarche pour chercher à obtenir la protection de la police. De plus, elle devait démontrer qu’il était objectivement déraisonnable qu’elle sollicite la protection de l’État parce qu’elle craignait d’être persécutée (Ruszo, précitée).

[5]               Bien qu’il soit vrai, comme la SPR l’a reconnu, que la jurisprudence et les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe prévoient que les femmes victimes de violence conjugale puissent être réticentes à solliciter la protection de leur pays d’origine, elles demeurent légalement tenues de le faire, et les demandeurs devaient établir et prouver cette crainte pour expliquer leur peu d’empressement à faire intervenir l’État (Mares c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 297, au paragraphe 43; Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 930, 416 FTR 110, aux paragraphes 25 et 83). De plus, comme la SPR avait, d’une façon raisonnable, conclu que Mme Novak n’avait pas pris toutes les mesures raisonnablement objectives pour se prévaloir de la protection de l’État, l’erreur que comportait la formulation du critère de la protection de l’État, en supposant qu’il s’agissait d’une erreur, n’était pas suffisamment grave pour justifier l’infirmation de sa décision par la Cour. Ainsi que le juge en chef de la Cour l’a déclaré dans la décision Ruszo, précitée, au paragraphe 28 :

Néanmoins, la mauvaise compréhension ou la mauvaise application du critère de la « protection adéquate de l’État » n’est pas nécessairement fatale dans les cas où, comme en l’espèce, la SPR a conclu de façon raisonnable, pour d’autres motifs, que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de protection adéquate de l’État au moyen d’« éléments de preuve clairs et convaincants de l’incapacité de l’État à les protéger ». En l’espèce, ces motifs étaient le défaut des demandeurs de démontrer qu’ils avaient pris toutes les mesures objectivement raisonnables en vue de se prévaloir de la protection de l’État et de fournir une preuve convaincante pour expliquer le défaut de faire plus que d’essayer une seule fois d’obtenir la protection de la police. Comme nous le verrons, il ressort de toute évidence de diverses parties de la décision qu’il s’agissait de considérations très importantes pour la SPR et que, en fait, elles constituaient un autre fondement de sa décision. Eu égard aux conclusions de la SPR sur ces points, sa décision n’était pas déraisonnable.

[6]               En l’espèce, la SPR a clairement exprimé ses réserves en expliquant que la preuve soumise par les demandeurs établissait uniquement de façon subjective, et non de façon objective, leur réticence à solliciter la protection de l’État (décision de la SPR, au paragraphe 27). De fait, il ressort à l’évidence de divers passages de la décision que c’est le défaut des demandeurs de soumettre des éléments de preuve démontrant leur réticence à solliciter la protection de l’État qui a porté un coup fatal à leur demande d’asile, non pas, comme le prétendent les demandeurs, l’application du mauvais critère juridique. En fait, la façon dont la SPR a abordé l’analyse relative à la protection de l’État s’accorde parfaitement avec le principe susmentionné suivant lequel l’asile se veut une forme de protection auxiliaire (Ward, précité, au paragraphe 18).

[7]               Les demandeurs soutiennent également que la SPR s’est fondée de façon sélective sur la preuve documentaire, en s’attachant exclusivement aux efforts déployés par la Hongrie et en faisant fi des éléments de preuve tendant à démontrer que ces efforts étaient inefficaces dans le cas des victimes de violence conjugale.

[8]               Cet argument ne peut être retenu. La SPR a apprécié la preuve sur la violence conjugale en Hongrie et s’y est référée abondamment dans sa décision. La SPR a expressément reconnu les contradictions que recelait la preuve documentaire qui lui avait été soumise. Il ressort toutefois de ses motifs que la SPR a conclu, en se fondant sur l’ensemble du dossier dont elle disposait, y compris les éléments de preuve contradictoires qui lui avaient été soumis et cités par les demandeurs, que la Hongrie serait à la fois disposée à offrir sa protection et qu'elle serait en mesure de le faire. Ainsi que le défendeur le souligne, la SPR a signalé les mesures prises par la Hongrie pour s'attaquer au problème des victimes de violence conjugale dans ce pays, de sorte qu’il aurait été raisonnable de la part de Mme Novak, qui est d’origine ethnique hongroise, d’essayer à tout le moins de solliciter la protection de l’État. Suivant la preuve soumise à la SPR, elle n’a pas fait aucune tentative de cet ordre. Il était donc raisonnablement loisible de la SPR, à mon avis, de conclure que les éléments de preuve portant sur l’inefficacité de la protection de l’État dans le cas des victimes de violence conjugale en Hongrie n’étaient pas convaincants et que Mme Novak n’avait pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l’État, en ce qu’elle n’avait fait aucune tentative pour chercher à obtenir cette protection et qu’elle n’avait fourni aucune explication raisonnable pour justifier son omission de le faire.

[9]               Il est de jurisprudence constante qu’il n’appartient pas à la Cour de modifier les conclusions de fait tirées par la SPR ou de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve dont elle disposait (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2003 CF 1225, [2004] 3 RCF 523, au paragraphe 102; Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 872, 256 FTR 53, au paragraphe 38; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, au paragraphe 59). Dès lors que ces conclusions appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la Cour ne doit pas les modifier (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708; Dunsmuir, précité).

[10]           Pour ces motifs, je juge que la conclusion tirée par la SPR au sujet de la protection de l’État et son appréciation de la preuve sur cette question appartiennent aux issues possibles acceptables. Comme ces conclusions portent un coup fatal à la thèse des demandeurs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[11]           Aucune partie n’a proposé de question de portée générale. Aucune question ne sera donc certifiée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.                  qu'aucune question ne soit certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1280-14

INTITULÉ :

VIKTORIA CSANYANE NOVAK et NORBERT CSANYA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (OntariO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 DÉCEMBRE 2014

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 6 JANVIER 2015

COMPARUTIONS :

Adela Crossley

POUR LES demandeurs

Alexis Singer

PoUR le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Office of Adela Crossley

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LES demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

PoUR LE défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.