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Date : 20140502


Dossier : IMM-6686-13

Référence : 2014 CF 626

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 2 mai 2014

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

ISTVAN DUDU, EDIT TORZSOK ET EMILIA MARIA DUDU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT

VU LA DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision du 19 septembre 2013 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la SPR] a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR];

ET APRÈS avoir lu les documents déposés et entendu les observations présentées par les avocats des parties;

ET APRÈS avoir conclu que la demande devait être rejetée pour les motifs suivants :

Les demandeurs sont citoyens de la Hongrie. Le demandeur principal, Istvan Dudu, est d’origine ethnique rom. Les autres demandeurs sont sa femme, Edit Torzsok, et leur fille, Emilia Maria Dudu. Ils affirment avoir été persécutés en raison de la race du demandeur principal, de leur mariage mixte rom et hongrois, et de leur patrimoine racial mixte.

LA SPR a rejeté les demandes présentées par les demandeurs au titre des articles 96 et 97 pour des raisons de crédibilité. Les demandeurs ne contestent pas la conclusion sur la crédibilité, mais affirment que la SPR a appliqué le mauvais critère juridique à leur demande d’asile (Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF no 454 (CA) (QL) [Salibian]). Les demandeurs soutiennent que la SPR n’a fait référence à aucun des éléments de preuve documentaire sur les conditions au pays montrant la discrimination généralisée et systémique grave exercée contre les Roms en Hongrie, des gens qui sont dans la même situation qu’eux. La SPR a eu tort d’examiner surtout si les demandeurs avaient établi qu’ils avaient été persécutés dans le passé, plutôt que de faire une analyse prospective (Fi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1125 [Fi]; Piel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 562 [Piel]). Quand ils ont présenté leurs observations à la Cour, les demandeurs ont mis l’accent sur la demanderesse mineure, affirmant que sa demande d’asile n’avait pas été analysée.

Le défendeur soutient que la conclusion de manque de crédibilité tirée par la SPR était déterminante pour l’issue des demandes d’asile. Les demandeurs n’avaient pas satisfait au critère applicable à l’article 96 de la LIPR parce qu’ils n’avaient pas établi qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés ni n’avaient réfuté la présomption de protection de l’État. La SPR a expressément mentionné les documents sur les conditions au pays et les éléments de preuve concernant la demanderesse mineure. Le fait que certains éléments de preuve documentaire montrent que la situation dans un pays peut poser problème ne signifie pas nécessairement qu’une personne en particulier est exposée à un risque.

Dans sa décision, la SPR a explicitement reconnu que les documents sur les conditions au pays établissaient l’existence de discrimination contre les Roms en Hongrie, laquelle pouvait, dans certains cas, équivaloir à de la persécution. Toutefois, a conclu la SPR, les demandeurs n’avaient pas établi que la discrimination à laquelle ils pouvaient avoir été exposés atteignait ce niveau, parce qu’ils n’avaient pas fourni de description claire et convaincante des événements essentiels sur lesquels reposait leur demande d’asile. En raison de ces problèmes de crédibilité, les demandeurs n’avaient pas établi que leur origine ethnique et leur mariage mixte les avaient empêchés de garder un emploi ou un logement à un point qui constituait de la persécution. Ils n’avaient pas non plus établi que le demandeur principal ou sa femme avaient déjà été attaqués à cause de leur mariage mixte et n’avaient pas produit d’éléments de preuve crédibles montrant qu’ils avaient tenté d’obtenir la protection de l’État en Hongrie.

La SPR doit appliquer les bons critères au titre de l’article 96. Le choix du critère fait par la SPR et la compréhension qu’elle a de ce critère constituent une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Mohammed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 768, au paragraphe 36; Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, aux paragraphes 20 à 22). Toutefois, l’application du critère aux faits de l’espèce est une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, précité, au paragraphe 53; Ruszo, précitée, au paragraphe 21; Leshiba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 442, au paragraphe 11).

Dans sa décision, la SPR n’a pas mal énoncé le critère de l’article 96 ni n’a fait le mauvais choix de critère. Pour avoir qualité de réfugié au sens de la Convention, les demandeurs devaient établir que, craignant avec raison d’être persécutés du fait de leur race ou de leur appartenance à un groupe social, ils ne pouvaient ou, du fait de cette crainte, ne voulaient se réclamer de la protection de l’État en Hongrie. Selon la SPR, les demandeurs d’asile n’avaient pas établi qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés.

Pour établir la crainte de persécution, le demandeur doit éprouver une crainte subjective de persécution et cette crainte doit avoir un fondement objectif (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 723 [Ward]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Elbarnes, 2005 CF 70, au paragraphe 19; Fi, précitée, au paragraphe 13; Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1156, au paragraphe 20). Lorsqu’un demandeur est crédible, le volet subjectif du critère est rempli (Ward, précité, au paragraphe 723). Toutefois, ce n’est pas le cas en l’espèce, les demandeurs ayant été jugés non crédibles.

Selon la jurisprudence à cet égard, lorsque la SPR détermine qu’un demandeur manque de crédibilité, sa demande d’asile peut être rejetée en raison de l’absence de crainte subjective de persécution (Han c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 978, au paragraphe 22; Cruz Herrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 979, aux paragraphes 23 et 25; Garcia Arreaga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 977, au paragraphe 39). Dans le présent cas, la SPR a clairement conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et qu’il s’agissait là de la question déterminante. Sur ce seul fondement, il était loisible à la SPR de conclure que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention aux termes de l’article 96.

Même si la SPR avait conclu autrement, les demandeurs avaient le fardeau de réfuter la présomption de protection de l’État à l’aide d’éléments de preuve clairs et convaincants, et d’établir que la protection de l’État était inadéquate (Ward, précité, aux pages 724 et 725; Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 95, aux paragraphes 17 à 19 et 25, [2008] 4 RCF 636, 2007 CF 320, aux paragraphes 18 et 19 [Flores Carrillo]). S’il est vrai que les motifs de la SPR, à part ceux qui concernaient la conclusion sur la crédibilité, étaient brefs, la SPR a bien reconnu que les documents sur les conditions au pays confirmaient l’existence de discrimination contre les Roms en Hongrie, laquelle pouvait constituer, dans certains cas, de la persécution. La SPR a néanmoins conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que la discrimination à leur égard atteignait ce niveau, et qu’ils n’avaient pas produit d’éléments de preuve crédibles pour montrer qu’ils avaient cherché à obtenir la protection de l’État. La brève mention des documents sur les conditions au pays faite par la SPR est compréhensible, vu les conclusions sur la crédibilité qu’elle avait tirées. Le fait que la SPR n’a pas mentionné chacun de ces documents ne signifie pas qu’ils n’ont pas été pris en considération. La SPR est présumée avoir apprécié et pris en considération tous les éléments de preuve, à moins que le contraire ne soit établi (Flores Carillo, précitée, au paragraphe 2).

Cette présomption peut être réfutée lorsque la SPR omet de mentionner des éléments de preuve sérieux qui vont à l’encontre de ses conclusions (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (1re inst.), aux paragraphes 15 à 17 (QL), 157 FTR 35; Bustos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 114, aux paragraphes 35 à 39). Toutefois, en l’espèce, tous les éléments de preuve documentaire mentionnés par les demandeurs cadrent essentiellement avec la conclusion de la Commission, en ce sens qu’ils montrent l’existence d’une grave discrimination pouvant constituer de la persécution en Hongrie. Ils n’établissent pas que la discrimination exercée contre les Roms en Hongrie constitue bel et bien de la persécution dans le cas de chaque Rom.

Les demandeurs d’asile ne doivent pas établir qu’ils seront probablement persécutés, mais seulement qu’ils sont exposés à une possibilité sérieuse de persécution (Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, au paragraphe 120; Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680, aux pages 682 et 683). Étant donné la conclusion sur la crédibilité tirée par la SPR, il peut être inféré raisonnablement que la SPR n’était pas convaincue que les demandeurs faisaient partie des Roms exposés à une possibilité sérieuse de persécution, et que la conclusion sur la crédibilité permettait de trancher cette question (Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238, au paragraphe 8 (CA).

Il existe, je le reconnais, des précédents qui appuient la proposition selon laquelle la persécution peut être établie par l’examen du traitement réservé aux personnes se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur, et que le demandeur ne doit pas nécessairement prouver qu’il a été persécuté dans le passé ou qu’il serait persécuté à l’avenir. De plus, si des personnes comme le demandeur risquent de subir de la persécution dont l’État est responsable, le demandeur n’est alors pas tenu d’établir que sa crainte de persécution est personnalisée (Salibian, précité; Mohammed, précitée, au paragraphe 69; Fi, précitée, aux paragraphes 14 à 16; Piel, précitée, au paragraphe 25). Toutefois, la situation est différente en l’espèce en raison de la conclusion sur la crédibilité tirée par la SPR, et parce que la SPR n’a pas mal énoncé le critère.

Enfin, bien que la SPR ait mentionné seulement de manière brève le témoignage de la demanderesse mineure, il ne faut pas oublier que celle‑ci avait cinq ans lorsque la famille a quitté la Hongrie, qu’elle n’avait pas commencé l’école là‑bas et qu’elle ne se souvenait pas d’avoir été à la garderie. Selon la transcription de son témoignage devant la Commission, elle ne se souvenait d’aucun incident précis de discrimination. Elle a essentiellement témoigné qu’elle aimait le Canada, que les gens étaient plus gentils ici qu’en Hongrie, qu’elle avait plus d’amis ici qu’en Hongrie, qu’il fallait toujours jouer à ce que les gens voulaient jouer en Hongrie, mais que, pour des raisons non précisées, ils ne la laissaient pas jouer.

Bien que la SPR n’ait pas, à juste titre, remis en question la crédibilité du témoignage de la demanderesse mineure de sept ans, je conclus que ce témoignage ne l’emporte pas sur le manque de crédibilité des parents au point de valider leurs revendications. Il n’établit pas non plus le risque de persécution. Étant donné le fond de ce témoignage, il n’est pas surprenant que la SPR lui ait accordé peu de poids.

En conclusion, la décision ne corrobore pas la thèse des demandeurs selon laquelle la SPR a appliqué le mauvais critère ni qu’elle a commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés en Hongrie. La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier aux termes de l’article 74 de la LIPR, et la présente affaire n’en soulève aucune.

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée;

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.

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