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Date : 20141210


Dossier : IMM-4136-13

Référence : 2014 CF 1194

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 10 décembre 2014

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DINER

ENTRE :

MUHAMMAD IDREES

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]            Muhammad Idrees (le demandeur), est un citoyen du Pakistan qui sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés du Canada (la SPR de la Commission) a conclu qu’il n’avait qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger suivant les critères exposés aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), en raison de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) à Karachi. La demande a été présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi.

II.                Faits

[2]            Le demandeur craint d’être maltraité, enlevé ou tué par des extrémistes talibans s’il est forcé de retourner au Pakistan du fait qu’il est un jeune homme musulman de la région du Tirah, où les talibans ont cherché à recruter des combattants pour défendre leur cause, et il craint des représailles des talibans étant donné qu’il a refusé de se présenter au combat ou de les aider financièrement dans leur effort de guerre après que sa famille eut reçu une lettre de leur part.

[3]            En décembre 2010, alors que le demandeur étudiait à l’université de Peshawar, au Pakistan, la famille de son cousin a reçu une lettre de la part d’extrémistes talibans exigeant qu’elle verse une somme importante, ou qu’elle envoie le cousin pour qu’il se batte pour le compte des talibans en Afghanistan.

[4]            La famille de son cousin et la famille du demandeur vivaient dans un village situé près de la frontière pakistano-afghane dans la province de Khyber Pakhtunkhwa (anciennement la frontière du Nord-Ouest). La famille de son cousin n’a pas donné suite aux exigences de la lettre, mais elle a plutôt déposé un rapport auprès de la police. Peu après, les extrémistes talibans ont enlevé son cousin. La famille a alors payé une rançon, avec l’aide du père du demandeur, et le cousin du demandeur a été relâché.

[5]            Le 19 mars 2011, tandis que le demandeur se trouvait dans son village en congé de l’université, sa famille a reçu une lettre semblable, exigeant qu’il se joigne au combat pour le compte des talibans ou que sa famille verse une somme encore plus élevée que celle qui avait été demandée l’année précédente pour son cousin. Il a donc quitté le village le lendemain et est retourné à Peshawar, où son colocataire connaissait un homme qui était en mesure de lui procurer un visa pour venir au Canada.

[6]            Le 29 juillet 2011, le demandeur s’est envolé à destination de Toronto et a présenté une demande d’asile. Avant son audience devant la SPR, il a été avisé que l’une des questions à l’audience serait de savoir si Karachi constituerait pour lui une PRI.

[7]            L’audience du demandeur devant la SPR a eu lieu le 14 mai 2013. Le demandeur a confirmé, dans ses réponses aux questions du ministre que, dans la période de deux ans qui a suivi la réception de la lettre, sa famille n’a pas payé la somme exigée, n’a pas reçu autre chose des personnes qui réclamaient l’argent, n’a pas été sollicitée pour le paiement et ni été maltraitée. Selon le demandeur, le motif pour lequel sa famille n’avait subi aucune répercussion était qu’elle ne comptait actuellement aucun homme adulte membre de la famille au Pakistan : son père et son frère étaient en Arabie saoudite, et il était Canada.

[8]            Le demandeur a témoigné que, selon lui, les talibans s’intéresseraient encore à lui, et qu’il ne serait pas en sécurité contre eux à Karachi (la PRI proposée) parce qu’ils disposaient d’un réseau coordonné capable de le retrouver. En outre, même si les talibans ne s’intéressaient pas à lui, il a affirmé qu’il ne serait pas en sécurité à Karachi en raison de la violence qui sévit entre les Pachtounes et les Sindhis. Le demandeur est d’origine ethnique pachtoune.

[9]            Dans ses observations présentées à la SPR, l’avocat du demandeur a abordé la question de l’existence d’une PRI éventuelle à Karachi. D’abord, traitant du risque de se rendre à Karachi, l’avocat s’est fondé sur la preuve documentaire relative aux activités des talibans pour soutenir que les talibans disposent d’un réseau très coordonné au Pakistan, notamment un bastion à Karachi. Ensuite, traitant du caractère raisonnable pour le demandeur de chercher refuge à Karachi, l’avocat s’est appuyé sur la preuve documentaire pour soutenir que les assassinats ciblés sont répandus à Karachi et ont fortement augmenté et que, compte tenu de la très grave violence entre les Sindhis et les Pachtounes dans cette ville, l’origine ethnique pachtoune du demandeur créerait un nouvel élément de risque s’il s’y rendait.

[10]        Le 28 mai 2013, la SPR a rendu sa décision par laquelle elle a rejeté la demande du demandeur pour le motif qu’il disposait d’une PRI à Karachi.

III.             Question en litige

[11]        La présente affaire soulève la question en litige suivante :

1.                  La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur disposait d’une PRI à Karachi?

IV.             Décision

[12]        Le 28 mai 2013, la SPR a rendu sa décision dans laquelle elle a conclu que le demandeur n’avait qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi.

[13]        La commissaire de la Commission (la commissaire) a conclu que le demandeur disposait d’une PRI à Karachi, et que cette conclusion était déterminante quant à l’issue de sa demande. Elle a décrit le critère à deux volets applicable pour déterminer si une PRI viable existe, qui nécessitait de sa part qu’elle examine (1) la possibilité de persécution ou de risque dans le lieu de la PRI, et (2) le caractère raisonnable, vu l’ensemble des circonstances, pour le demandeur d’y chercher refuge.

[14]        Quant au premier volet du critère relatif à la PRI, la commissaire a conclu qu’il n’existait pas plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit pris pour cible par les membres des talibans à Karachi, et qu’il pouvait vivre en sécurité à Karachi sans crainte de faire l’objet de persécution ou d’autres traitements cruels et inusités. Elle a fondé sa conclusion sur les constatations suivantes :

a.                   Aucun élément de preuve crédible n’indiquait que les membres des talibans s’intéressaient encore à prendre pour cible le demandeur ou qu’ils chercheraient à le retrouver à Karachi. Par exemple, rien dans la preuve n’indiquait qu’ils avaient cherché à le retrouver avant son départ du Pakistan, ou qu’ils étaient entrés en contact avec ses deux frères cadets, qui vivaient toujours dans le village. En outre, le demandeur a témoigné que, même si elle n’a pas versé la somme exigée, sa famille n’avait pas été menacée ni maltraitée depuis qu’elle avait reçu la lettre.

b.                  Les activités criminelles qui sont généralement menées à Karachi ne peuvent être attribuées, dans une mesure importante, aux talibans. Les talibans sont principalement engagés dans des attaques contre les forces gouvernementales dans le Nord du Pakistan, surtout dans les régions rurales le long de la frontière avec l’Afghanistan. La violence à Karachi résulte essentiellement des rivalités ethniques et politiques qui surviennent principalement dans les quartiers pauvres de la ville.

c.                   Une preuve documentaire convaincante indiquait que les personnes comme le demandeur ne seraient pas prises pour cibles par les talibans à Karachi. Le profil du demandeur ne correspond pas à celui des personnes que les talibans ciblent d’office pour leur faire du mal.

[15]        Quant au deuxième volet du critère relatif à la PRI, la commissaire a conclu que le demandeur pouvait chercher refuge à Karachi puisqu’il ne serait pas trop difficile pour lui d’y résider. Ses motifs étaient les suivants :

a.                   Il serait plus facile pour le demandeur de s’adapter dans une région différente de son pays d’origine qu’au Canada, où il a été en mesure de s’adapter à une vie dans un nouveau pays dont la culture et la langue ne lui étaient pas familières.

b.                  Les antécédents professionnels et la scolarité du demandeur laissent entendre qu’il ne serait pas trop sévère de s’attendre à ce qu’il habite à Karachi, une ville qui compte environ 23 millions d’habitants.

c.                   Le demandeur parle couramment le pachto et l’urdu.

V.                Dispositions pertinentes

[16]        Les dispositions pertinentes des articles 96 et 97 de la Loi figurent dans l’annexe A.

VI.             Observations des parties

[17]        Le demandeur prétend que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il disposait d’une PRI à Karachi, étant donné que ses conclusions concernant les deux volets du critère relatif à la PRI étaient incompatibles avec la preuve documentaire.

[18]        Concernant le premier volet du critère, à l’égard duquel la commissaire a conclu qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté ou exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le lieu de la PRI proposée, le demandeur soutient que la commissaire a commis une erreur de fait en concluant que la criminalité à Karachi ne peut être attribuée aux talibans. Il prétend que la commissaire n’a pas compris que les activités terroristes des talibans dans les régions du Nord et les activités criminelles à Karachi sont interreliées, puisque les talibans engagent bon nombre des gangs qui commettent les assassinats ciblés et les contrôlent. Elle a plutôt conclu qu’il régnait une situation générale de criminalité à Karachi, affirmant que les actes de violence à Karachi « résultent essentiellement de rivalités politiques et ethniques et surviennent principalement dans les quartiers pauvres de la ville ». (Décision, dossier du demandeur, page 11, paragraphe 21).

[19]        Le demandeur soutient que la documentation sur le pays révèle que les talibans pakistanais se concentrent dorénavant moins sur la ceinture tribale et davantage sur les grandes villes, y compris Karachi. La documentation sur le pays indique que les talibans pakistanais sont financés par les activités criminelles qui sont menées à Karachi. Le demandeur allègue que, puisque la documentation indique clairement que les talibans sont actifs à Karachi, l’analyse du premier volet concernant la PRI est déraisonnable, parce que le contrôle des talibans s’étend bien au-delà des régions rurales et du Nord du Pakistan, comme la Commission l’a conclu. La preuve démontre plutôt que de nombreux groupes sont sous le contrôle des talibans (dossier du demandeur, aux pages 98‑99, 163‑164 et 200‑201). Le fait de ne pas tenir compte de cet élément de preuve a rendu la conclusion de la Commission déraisonnable quant aux risques que court le demandeur aux mains des talibans à Karachi.

[20]        Quant au deuxième volet du critère relatif à la PRI, à l’égard duquel la Commission a conclu que le demandeur pouvait raisonnablement chercher refuge à Karachi, le demandeur soutient que la Commission n’a pas tenu compte de sa situation particulière en tant que Pachtoune qui serait destiné à vivre à Karachi et qui a déjà été pris pour cible par les talibans. La commissaire a reconnu l’existence de violence d’origine ethnique et d’assassinats ciblés à Karachi, mais elle n’a pas tenu compte de l’incidence qu’aurait la violence sectaire vu la situation de cette personne en particulier, en tant que membre du groupe d’origine ethnique pachtoune. Comme pour le premier volet du critère relatif à la PRI, le demandeur a affirmé que la Commission a négligé des éléments de preuve importants, notamment pour ce qui est du degré de violence d’origine ethnique entre les Pachtounes et les Sindhis, qui a entraîné le départ des Pachtounes de Karachi, dans la Réponse de la Commission à la demande d’information sur la violence à Karachi. Le demandeur prétend que la Commission n’a pas accepté ni analysé cette preuve.

[21]        Plus précisément, les Pachtounes à Karachi vivent dans des enclaves ethniques qui sont protégées par les talibans et ses groupes affiliés. En raison de la situation particulière du demandeur, celui-ci ne peut pas vivre dans ces régions pachtounes, au risque de se retrouver face aux agents de persécution; ni vivre dans des régions non pachtounes, où il risque d’être pris pour cible en raison de son origine ethnique pachtoune et ne sera pas protégé par les talibans.

[22]        En revanche, le défendeur soutient que la conclusion de la SPR quant à la PRI était raisonnable. Il appartenait au demandeur d’établir que Karachi n’était pas une PRI viable pour lui, et il ne s’est pas acquitté de son fardeau juridique à cet égard. Les craintes du demandeur à Karachi sont généralisées et hypothétiques. Contrairement à ce que le demandeur prétend, la SPR a tenu compte de sa situation personnelle, reconnu le problème et conclu que la violence à Karachi ne pouvait être attribuée, dans une mesure importante, aux talibans.

[23]        Premièrement, le défendeur allègue qu’il était raisonnable que la commissaire conclue que le demandeur n’avait pas établi que les membres des talibans continuaient de s’intéresser à lui ou qu’ils chercheraient à le retrouver à Karachi. Pour arriver à cette conclusion, la SPR a estimé que, bien qu’elle n’ait pas versé la somme exigée, la famille du demandeur, dont ses deux frères, n’a jamais été sollicitée, menacée ou maltraitée par les talibans depuis le départ du demandeur du Pakistan en mai 2011.

[24]        En outre, la commissaire n’était pas persuadée que les problèmes à Karachi étaient attribuables, dans une mesure importante, aux talibans ou que le profil du demandeur correspondait à celui des personnes que les talibans ciblent d’office pour leur faire du mal. Le défendeur soutient que la commissaire a effectivement tenu compte de la preuve documentaire, mais qu’elle a conclu que les talibans sont principalement engagés dans des attaques contre les forces gouvernementales dans les régions rurales du Nord et que la violence à Karachi résulte essentiellement des rivalités ethniques et politiques qui surviennent principalement dans les quartiers pauvres de la ville.

[25]        Deuxièmement, le défendeur fait valoir que la barre est placée très haute lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui constitue une PRI déraisonnable; le critère requiert des éléments de preuve réels et concrets de l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur, et ce critère n’a pas été rempli dans la présente affaire. La criminalité généralisée et aveugle et la violence terroriste non liée à une allégation de crainte fondée de persécution sont insuffisantes pour écarter l’existence d’une PRI viable (Velasquez c MCI, 2011 CF 804; Velasquez c MCI, 2009 CF 109).

VII.          Analyse

[26]        Déterminer s’il existe une PRI est une question de fait qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51, 53; Velasquez, 2009, précité, au paragraphe 14).

[27]        Pour conclure à l’existence d’une PRI viable dans un lieu particulier, la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que les deux volets du critère énoncé plus haut sont remplis. C’est-à-dire, d’abord, qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans la région de la PRI, et ensuite, que compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris les circonstances particulières du demandeur, les conditions dans le lieu de la PRI sont telles qu’il est raisonnable que le demandeur y cherche refuge (Rasaratnam c Canada (MEI), [1992] 1 CF 706, au paragraphe 10 (CA); Thirunavukkarasu c Canada (MEI), [1994] 1 CF 589, aux paragraphes 12‑15 (CA)). Ultimement, il appartient au demandeur de démontrer à la Commission que Karachi n’est pas une PRI viable.

[28]        Je suis d’avis que la conclusion de la Commission quant au premier volet du critère relatif à la PRI, selon laquelle le demandeur ne serait pas persécuté par les talibans à Karachi, était raisonnable. Il était loisible à la Commission de conclure qu’il n’existait aucune preuve crédible établissant que les talibans s’intéressaient toujours au demandeur ou qu’ils chercheraient à le retrouver à Karachi. La Commission pouvait également conclure que la criminalité en ville n’était pas attribuable, dans une mesure importante, aux talibans. Comme l’a signalé l’avocat du demandeur à la Cour, la preuve documentaire laisse entendre que les talibans sont présents à Karachi et qu’ils sont associés aux activités criminelles dans cette ville. Cependant, on trouve également beaucoup de preuve d’actes de violence d’origine ethnique à Karachi, et insuffisamment d’éléments de preuve pour établir un lien entre la plupart des actes de violence d’origine ethnique, ou en fait, la majorité des autres actes de violence dans la ville, et les talibans en particulier. Même s’il avait été préférable que la commissaire reconnaisse les éléments de preuve établissant qu’il existe au moins certaines activités menées par les talibans à Karachi et que leurs réseaux s’étendent dans la province de Sindh, où se trouve Karachi, sa conclusion selon laquelle la criminalité à Karachi n’est pas liée dans une mesure importante aux talibans n’est pas contredite par la preuve.

[29]        Cependant, je ne suis pas convaincu que la Commission a examiné adéquatement le deuxième volet du critère relatif à la PRI, à savoir, compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris la situation particulière du demandeur, si les conditions à Karachi étaient telles qu’il était raisonnable que le demandeur y cherche refuge. Ma conclusion est similaire à celle adoptée dans l’arrêt Sabir c MCI, [1998] ACF No 1556, au paragraphe 12, où le juge Campbell a conclu que, puisque Karachi a été qualifiée par la Section du statut de réfugié (la SSR) de PRI éventuelle, et que le demandeur a invoqué la persécution d’origine ethnique à Karachi en réponse, la SSR a commis une erreur en ne tirant aucune conclusion sur ce point.

[30]        Dans la présente affaire, la Commission a considéré Karachi comme une PRI éventuelle et le demandeur a présenté d’importants éléments de preuve à la Commission de la perpétration d’actes de violence d’origine ethnique à Karachi, notamment contre des personnes d’ethnie pachtoune. Dans son analyse du premier volet du critère relatif à la PRI (s’il existe une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté à Karachi), la commissaire a reconnu l’existence de violence, mais l’a écartée au motif qu’elle ne pouvait être attribuée dans une mesure importante aux talibans.

[31]        À mon avis, la question de savoir si la violence à Karachi est perpétrée par les talibans n’est pertinente que pour le premier volet du critère puisqu’elle porte sur la présence et les activités des talibans dans la ville, et donc de la violence à Karachi. Bien qu’elle ait été écartée du premier volet du critère, elle devrait être examinée dans le cadre du deuxième volet. Pour déterminer s’il est raisonnable que le demandeur cherche refuge à Karachi exige la prise en considération de circonstances plus générales que celles de la persécution qui a amené le demandeur à fuir l’endroit où il se trouvait initialement. La commissaire l’a reconnu au début de sa décision, où elle affirme :

… S’il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs d’asile sont tenus de s’en prévaloir, à moins qu’ils puissent démontrer qu’il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire ou que cette exigence est trop sévère… [I]l ne peut être exigé du demandeur d’asile qu’il s’expose à un grand danger ou qu’il subisse des épreuves indues pour s’y rendre ou pour y demeurer. (Décision de la SPR, dossier du demandeur, page 8, paragraphe 10)

[32]        Cependant, la commissaire n’a pas tenu compte dans son analyse des circonstances plus générales, y compris de la situation personnelle du demandeur, pour déterminer si Karachi était une PRI viable pour lui. Dans son analyse du deuxième volet du critère relatif à la PRI (caractère raisonnable de Karachi à titre de PRI), la commissaire n’a pas tenu compte de la violence d’origine ethnique exercée contre les Pachtounes dans cette ville. Ainsi, en concluant qu’il était raisonnable que le demandeur, d’ethnie pachtoune, cherche refuge à Karachi, elle n’a pas examiné s’il pouvait y vivre en sécurité, même si cet aspect était clairement soulevé dans la preuve dont elle était saisie et les observations de l’avocat (dossier certifié du tribunal, aux pages 28, 207‑210, 589‑590, 605).

[33]        Je reconnais que la Cour a statué que la conclusion de la Commission, portant que Karachi est une PRI viable, était raisonnable dans les affaires suivantes : Abid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 483, au paragraphe 23; Gillani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 533, aux paragraphes 19, 35; Rana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 453, au paragraphe 44; Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 10, au paragraphe 65; Malik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 229, aux paragraphes 13, 18. Cependant, dans aucune de ces affaires, le demandeur n’a soumis à la Commission que la violence entre ethnies faisait de Karachi un endroit non sécuritaire pour lui. En outre, une seule affaire (Begum) mettait en cause une demanderesse qui avait indiqué à la Commission qu’elle ne pouvait vivre en sécurité à Karachi pour des motifs autres que la persécution qu’elle fuyait (c.‑à‑d., pour des motifs liés au deuxième volet du critère relatif à la PRI, plutôt qu’au premier). Contrairement à la présente affaire, il était clair dans l’affaire Begum que la Commission avait examiné, suivant le deuxième volet du critère relatif à la PRI, la préoccupation touchant la sécurité soulevée par la demanderesse pour déterminer qu’il était raisonnable qu’elle cherche refuge à Karachi (voir les paragraphes 54, 61‑64).

[34]        Le défendeur fait valoir que les antécédents personnels du demandeur et des membres de sa famille montrent que les talibans ne s’intéressent plus à prendre le demandeur pour cible. Bien que cela puisse être vrai, et que la persécution par les talibans est liée au premier volet du critère, il n’est pas tenu compte de l’omission de la Commission d’examiner la possibilité que le demandeur soit victime de violence ethnique pour déterminer s’il est raisonnable pour lui de chercher refuge à Karachi.

[35]        C’est peut-être parce que la Commission a finalement tranché à l’encontre du demandeur ou du deuxième volet de ce critère, mais il n’appartient pas à la Cour de mener cette analyse, qui relève entièrement du domaine de la Commission.

[36]        En l’absence d’une conclusion sur la question de savoir s’il était raisonnable selon le deuxième volet du critère que le demandeur cherche refuge à Karachi malgré la preuve de l’existence de violence d’origine ethnique dans cette ville, il était déraisonnable que la commissaire conclue que Karachi était une PRI viable pour le demandeur.

VIII.       Conclusions

[37]        J’estime que la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur disposait d’une PRI viable à Karachi, puisqu’elle n’a pas correctement examiné le deuxième volet du critère relatif à la PRI.

[38]        Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et aucune ne se pose.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle.

« Alan Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


ANNEXE A

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, ch 27) Articles 96 et 97

Immigration and Refugee Protection Act (SC 2001, c 27) Sections 96 and 97

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérentes à celles-ci ou occasionnées par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


INTITULÉ :

MUHAMMAD IDREES C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 novembrE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT :

LE 10 DÉCEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Aadil Mangalji

POUR LE DEMANDEUR

 

Laoura Christodoulides

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Long Mangalji LLP

Barristers and Solicitors

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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