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Date: 20141208


Dossier : T-1028-14

Référence : 2014 CF 1177

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

BRUNO MAKOUNDI

demandeur

and

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.                Nature de l'affaire

[1]               Notre Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Le demandeur, M. Bruno Makoundi, attaque une décision du Tribunal de la dotation de la fonction publique [TDFP] rejetant sa plainte dirigée contre le sous-ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités. M. Makoundi demande que cette décision soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à un autre membre du TDFP pour réexamen. Par les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.             Faits et procédures

[2]            Les faits suivants sont tirés de la décision du TDFP et des extraits du dossier certifié du tribunal [DCT] qui étaient inclus dans les dossiers des parties relatifs à la présente procédure. L'affidavit de M. Makoundi n'a servi qu'à introduire des éléments de preuve documentaires à titre de pièces. Il n'a relaté dans son affidavit aucun des faits auxquels se rapporte la décision, mais le fond de sa plainte datée du 5 novembre 2012 et actualisée le 18 février 2013 est mentionné dans la décision du TDFP. Le DCT ne figurait pas en annexe aux affidavits déposés par les deux parties.

[3]            M. Makoundi était antérieurement au service d'Infrastructure Canada. Il obtint le poste de  Agent principal d’évaluation en 2008. M. Makoundi est diplômé en économie politique. Avant d'entrer au service d'Infrastructure Canada, il avait été au service d'autres organismes gouvernementaux et de plusieurs organismes non-gouvernementaux.

[4]            Le 27 juin 2012, on a informé M. Makoundi qu'il pourrait être sélectionné aux fins de mise en disponibilité aux termes du processus de sélection aux fins de maintien en poste ou de mise en disponibilité processus [SMPMD]. Ce processus était justifié par un manque de travail à la suite de la clôture de plusieurs programmes d'infrastructure et de compressions ayant touché le budget d'opération de l'employeur. Il était présumé que tous les employés visés par une SMPMD répondaient aux critères de mérite de leurs postes au moment de leur entrée en fonction. L'objectif de la SMPMD visait à désigner les employés devant conserver leur poste et les employés devant être mis en disponibilité. On a dit au demandeur qu'il était l'un des deux employés qui seraient visés par la SMPMD  spécifique en question. L'autre employée touchée était Mme Candice Bazinet.

[5]         On avait recensé à l'avance quatorze qualifications essentielles appelées à être évaluées lors de la SMPMD:

1.      Être titulaire d'un diplôme d'une université reconnue avec une spécialisation acceptable en économie politique, sociologie ou statistique;

2.      Une expérience en planification et en évaluations, études ou examens de programmes, politiques ou projets fédéraux;

3.      Une expérience en préparation d'évaluations ou d'examen de rapports;

4.      Une expérience en prestation de conseils et de préparation de résumés, notes ou exposés aux gestionnaires de haut niveau […];

5.      Connaissance des politiques, des directives et lignes directrices du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada en matière de stratégies de stratégies de mesure du rendement et de cadres d'évaluation des programmes;

6.      Connaissance des méthodes qualitatives ou quantitatives utiles en matière d'évaluation;

7.      Capacité d'analyser et de synthétiser les informations et les questions complexes et de produire des recommandations;

8.      Une bonne communication à l'écrit;

9.      Une bonne communication verbale;

10.  Capacité d'encadrement d'une équipe;

11.  Entregent;

12.  Sens de l'initiative;

13.  Fiabilité;

14.  Un jugement sûr.

[6]               On a évalué la première qualification par des preuves d'éducation. Quant aux autres, l'employé a dû faire soit une rédaction, subir un examen écrit ou une vérification de référence. Pour être maintenu à son poste, l’employé il devait obtenir une note de passage pour chaque qualification, et obtenir la plus haute note globale pour les qualifications 5 à 10 et 13.

[7]               M. Raymond Kunze, le dirigeant principal de la vérification et de l’évaluation du Ministère, a présidé le comité d'évaluation de la SMPMD [le comité]. M. Kunze n'avait été nommé à ce poste que récemment. Il est devenu le supérieur de M. Makoundi en août 2012. Faisaient aussi parti du comité M. Richard Larue et Mme Carole Thériault; aucun de ceux-ci ne connaissaient les deux participants.

[8]               Au cours du processus de SMPMD, des questions se sont manifestées au sujet de messages envoyés par le demandeur à d'autres employés du Ministère. M. Makoundi avait auparavant allégué qu'on l'avait harcelé au travail entre 2008 et 2010, essentiellement sur le fondement de sa race et de son origine nationale. Le demandeur est de race noire et il est né au Congo. Il avait déposé une plainte en harcèlement contre un autre employé de son Ministère et l'enquête relative à la plainte a été menée par un organisme externe. Par le recours au programme d'accès à l'information, M. Makoundi avait demandé et reçu les noms des personnes qui avaient témoigné au cours de l'enquête. Le 24 septembre 2012, il a envoyé par courriel un message à un groupe d'employés dont il ressortait qu'il engagerait une action contre eux devant la Cour fédérale.

[9]               Le 27 septembre 2012, M. Kunze, accompagné par l'agent de sécurité du Ministère, a rencontré M. Makoundi au sujet de son courriel adressé aux autres employés. M. Kunze a expliqué que les destinataires avaient trouvé le ton de M. Makoundi menaçant et intimidant. Il lui a demandé de cesser de communiquer avec les témoins par courriel, lui recommandant plutôt de contacter l'avocat du ministère de la Justice chargé des procédures relatives à sa plainte en harcèlement. Après que le ministère de la Justice eut décliné d'intervenir avant l'engagement concret de recours contre les autres employés, le demandeur a envoyé un deuxième courriel aux témoins le 1er octobre 2012. Là encore, il menaçait les destinataires de les traduire devant la justice, mais cette fois, devant la Cour supérieure de Justice de l'Ontario, en diffamation. Le demandeur invitait les destinataires à porter plainte en harcèlement devant la police d'Ottawa s'ils estimaient son ton menaçant.

[10]           Le 3 octobre, au matin, le demandeur a complété la partie écrite de la SMPMD. L'après-midi, M. Kunze a tenu une deuxième réunion avec le demandeur en présence de l'agent de sécurité du Ministèrer. M. Kunze a remis au demandeur une lettre concernant ses courriels envoyés le 24 septembre et le 1er octobre. Cette lettre rappelait à nouveau que M. Makoundi devait cesser de communiquer avec les témoins et qu'il pouvait communiquer avec l'avocat du l'avocat du ministère de la Justice. Au cours des jours suivants, le demandeur a envoyé des messages par courriel à cet avocat et à M. Kunze. Puis, il a envoyé un troisième courriel à deux témoins le 12 octobre. Le 17 octobre, une audience disciplinaire fut tenue au sujet des courriels du demandeur.

[11]           Le 22 octobre, le comité a complété la fiche de note globale concernant la SMPMD . Le demandeur a eu une note d'échec pour la qualification 5. Sa note fut 18 sur 42, alors que la note de passage était 24 sur 42 (60%). Mme Bazinet a obtenu une note de passage pour chaque qualification. En outre, la note globale pondérée du demandeur était 73 sur 115, tandis que Mme Bazinet obtint une note globale supérieure, à savoir 94 sur 115.

[12]           Le 24 octobre, le demandeur a reçu une lettre l'informant qu'il était sélectionné aux fins de mise en disponibilité. Le 30 octobre, le comité lui a expliqué cette décision au cours d'une réunion informelle. Le jour suivant, M. Kunze a remis au demandeur une lettre de réprimande relative à l'audience disciplinaire du 17 octobre.

[13]           M. Makoundi a présenté une plainte au TDFP aux termes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22 [LEFP], alléguant que le défendeur avait commis un abus de pouvoir en prononçant sa mise en disponibilité. Il a aussi notifié la la Commission canadienne des droits de la personne [CCDP] qu'il avait l'intention de soulever une question concernant l'interprétation ou l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [LCDP]. La CCDP a décliné de produire des observations dans l'affaire.

[14]           Par sa décision en date du 26 mars 2014, le TDFP a rejeté la plainte du demandeur.

III.          Décision attaquée

[15]           Le 26 mars 2014, le TDFP a rendu la décision Makoundi c Sous-ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités, 2014 TDFP 5, rejetant la plainte du demandeur. Voici les questions qui furent tranchées :

1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’évaluation des qualifications du plaignant dans ce processus de SMPMD?

2. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’évaluation de la personne retenue et a-t-il fait preuve de favoritisme personnel à son endroit?

3. La race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur du plaignant ont‑elles influé sur la décision de le sélectionner aux fins de mise en disponibilité?

[16]           Le paragraphe 65(1) de la LEFP prévoit un recours dans les cas de mise en disponibilité lorsqu'il y a eu « abus de pouvoir ». Les mots « abus de pouvoir » ne sont pas définis dans la loi mais, selon le paragraphe 2(4), ils visent notamment la mauvaise foi et le favoritisme personnel : voir  Tran c le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, 2012 TDFP 0033. Selon le TDFP : « Le fait qu’une erreur constitue ou non un abus de pouvoir dépend de la nature et de la gravité de l’erreur. L’abus de pouvoir peut également comprendre la conduite irrégulière ou les omissions. » : par. 22.

[17]           Par sa plainte et, ultérieurement, sa plainte révisée, le demandeur alléguait que Mme Bazinet avait bénéficié de plus de souplesse vu la formulation de la version anglaise en ce qui concerne la 2e qualification. Le TDFP a conclu que Mme Bazinet n'avait pas été avantagée par la version anglaise qu'elle avait utilisée et que M. Makoundi n'avait pas été pénalisé en utilisant la version française. Les différences étaient sans conséquence vu qu'il avait réussi à montrer qu'il répondait à la qualification.

[18]           Seule la version française fut modifiée pour la qualification 3 afin que soit corrigée une erreur de traduction. En ce qui concerne la qualification 4, une modification mineure fut apportée à la version anglaise du texte afin qu'il soit clarifié (on a ajouté le mot « notes »), et l'on a aussi corrigé la version française en raison d'une erreur de traduction.

[19]           On avait informé les participants que la qualification 5 servirait à vérifier ceci : « [k]nowledge of Treasury Board of Canada Secretariat’s policies, directives and guidelines related to performance measurement strategies and frameworks and program evaluation ». En voici la version française : “[c]onnaissance des politiques, des directives et des lignes directrices du Sécrétariat du Conseil du Trésor du Canada relié [sic] aux stratégies de mesures du rendement, des cadres et de l’évaluation des programmes”.

[20]           L'examen portant sur la qualification 5 comportait deux questions. Voici la première :

Décrivez les trois éléments énoncés dans les exigences de la Politique sur la structure de gestion, des ressources et des résultats (SGRR) du Conseil du Trésor, et expliquez pourquoi ils sont importants au regard des évaluations.

[21]           Voici la deuxième question :

Veuillez décrire les questions fondamentales à prendre en considération dans une évaluation, conformément à la Politique sur l’évaluation du Conseil du Trésor (2009).

Quelles difficultés peuvent se présenter dans leur mise en œuvre?

[22]           Le plaignant n'a pas donné une réponse adéquate à la première question parce qu'il n'avait pas révisé la Politique sur la SGRR. Il a expliqué qu'il ne se servait pas régulièrement de cette politique dans le cadre de ses fonctions. Il a soutenu qu'il n'était pas approprié de poser une question au relative à cette politique puisque l'énoncé relatif à la qualification 5 ne la mentionnait pas. En outre, elle ne se rapporte pas au travail d'évaluation. Elle sert plutôt à s’assurer que les résultats des programmes vont contribuer à l’atteinte des objectifs de l’organisation.

[23]           M. Larue and M. Kunze ont expliqué que la politique sur la SGRR est pertinente quant à divers aspects du travail d'évaluation. Selon eux, l’agent principal d’évaluation doit connaître cette politique qui est directement mentionnée dans différentes directives et lignes directrices. Le TDFP a conclu que la politique sur la SGRR était pertinente en matière d'évaluation; il était donc légitime qu'elle figure dans l'énoncé relatif à la qualification 5.

[24]           Le comité a d'abord demandé deux références de chacun des participants. Une troisième référence fut demandée ultérieurement, mais le comité, par la suite, a fait marche arrière et s'en est tenue à deux références. Les répondants devaient avoir été des superviseurs des participants au cours des trois derrières années et, si possible, l'un d'eux devait avoir collaboré avec le participant chez Infrastructure Canada. Le comité n'a obtenu qu'une seule référence pour le plaignant et deux pour Mme Bazinet. Selon le plaignant, il y a avait là iniquité et abus de pouvoir.

[25]           Le comité a expliqué qu'il n'avait pris en compte que les renseignements fournis par l'un des répondants du plaignant afin de préserver l'impartialité du processus de SMPMD. Des répondants désignés par M. Makoundi, le premier a fourni une référence favorable. La deuxième répondante a expliqué qu'elle ne connaissait par le plaignant suffisamment pour donner une référence. Le comité n'a pas contacté le troisième répondant à la demande expresse du plaignant. D'ailleurs, le plaignant avait dit à M. Kunze que ce répondant l'avait harcelé par le passé.

[26]           M. Kunze and Mme Thériault ont expliqué qu'ils avaient trouvé les réponses du premier répondant suffisantes pour évaluer les qualifications du plaignant. Ce dernier a reçu la note de 4 sur 5 pour les qualifications 8, 11 et 14, qui furent évaluées en fonction des références. Il a aussi obtenu la note de « rencontre » pour les qualifications 12 et 13. Le comité ne lui a pas donné une note plus faible au motif qu'il n'avait qu'une seule référence.

[27]           Le TDFP a conclu qu'il n'y avait eu nul abus de pouvoir. Le comité a exercé son pouvoir discrétionnaire et opté d'évaluer le plaignant sur la base de son unique référence, même si elle en avait obtenu deux pour Mme Bazinet, afin d'éviter de le pénaliser. Cette décision n'a pas eu d'effet défavorable sur le plaignant, qui a obtenu de bonnes notes en ce qui concerne les qualifications pertinentes. Même s'il avait pu obtenir des notes parfaites pour les qualifications qui furent évaluées au moyen des références, il aurait eu droit à 3 points supplémentaires, ce qui n'aurait pas suffi à changer le résultat final. Il a obtenu la note globale de 73 sur 115, alors que l'employée retenue a obtenu la note de 94 sur 115.

[28]           Au final, le TDFP a conclu que nulle des erreurs alléguées par le demandeur ne constituaient un abus de pouvoir. Le favoritisme n'a pas non plus été un facteur dans le choix de Mme Bazinet. Le TDFP a aussi conclu que la race, la couleur, ou l'origine ethnique ou nationale du demandeur n'a eu aucune incidence sur la décision de le sélectionner aux fins de mise en disponibilité.

IV.          Questions en litige

[29]           Dans leurs écritures et lors des débats à l'audience, l'avocat du demandeur a formulé un certain nombre d'allégations de grande portée : il y aurait eu préjugé racial, racisme et complot de la part du comité et il a remis en cause l'intégrité du décisionnaire. La Cour est d'avis que que nul élément du dossier ne va dans le sens de ces allégations. Le demandeur n'a produit aucun affidavit à l'appui de ses allégations qui aurait pu faire l'objet d'un contre-interrogatoire; il a plutôt relaté les faits allégués dans ses écritures. En outre, en substance, les arguments produits semblent constituer une tentative d'amener la Cour à soupeser à nouveau les éléments de preuve dont disposait le TDFP. Il a fallu rappeler à l'avocat du demandeur à plusieurs reprises au cours de l'audience qu'il s'agissait d'une procédure en contrôle judiciaire, pas d'un appel. Il a eu du mal à s'en tenir aux questions pertinentes qui avaient été déférées à la Cour.

[30]           Selon une jurisprudence constante, nul tribunal n'est tenu de recenser et de discuter chaque élément de preuve et chaque argument invoqué par le demandeur : Jia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 422 au par. 20. Le dossier des procédures devant le TDFP est volumineux. Le tribunal est tenu d'examiner les éléments de preuve et de raisonnablement fonder des conclusions sur les éléments dont il dispose : Kakurova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 929 au par. 18. Un bon nombre des éléments de preuve produits par le demandeur devant le TDFP et discutés devant notre Cour était sans pertinence. Je conclus que, par sa décision, le TDFP a discuté toutes les questions en litiges pertinentes dont elle avait été saisie au terme des audiences. Dans les présents motifs, je n'ai pas l'intention de me pencher à nouveau sur tous les motifs soulevés par M. Makoundi à l'appui de sa plainte qui ont été discutés par le TDFP et repris dans son argumentaire à l'appui de la présente demande.

[31]           À mon avis, la présente demande soulève les questions suivantes :

1.      Le TDFP a-t-il fait erreur en concluant que le défendeur n'a pas abusé de son pouvoir en sélectionnant le demandeur aux fins de mise en disponibilité?

2.      Le TDFP a-t-il manqué à son obligation d'équité à l'égard du demandeur?

V.             Norme de contrôle

[32]           Il n'est pas controversé entre les parties, et j'abonde dans leur sens, que la première question appelle la norme de la décision raisonnable. C'est une question mélangée de fait et de droit mettant en jeu l'application, par le TDFP, de sa loi habilitante, à l'égard de laquelle elle dispose d'une expertise particulière : Dunsmuir v Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au par. 54 [Dunsmuir].

[33]            Traditionnellement, en ce qui concerne la norme applicable à le deuxième question, on parle de celle de la décision correcte. Par ses motifs concordants, le juge Binnie, à l'occasion de l'affaire Dunsmuir, citée plus haut, a observé, au par. 129, que le juge doit se pencher sur la question d'équité procédurale sous l'angle de la décision correcte. La Cour suprême a confirmé cela à l'occasion de l'affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) v Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43, et plus récemment par la jurisprudence Établissement de Mission v Khela, 2014 CSC 24, au par. 79.

[34]           Je relève que, dans l'arrêt Khela, précité, au par. 89, la Cour suprême a insisté sur ceci : il faut faire preuve d’une « certaine déférence » à l'égard des choix procéduraux du décisionnaire. La Cour d'appel fédérale a récemment qualifié cela de norme de « la décision correcte avec un certain degré de retenue à l’égard du choix de procédure de l’Office » : Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office nationale de l'énergie), 2014 CAF, au par. 70.

[35]           À mon sens, la bonne approche consiste à rechercher si l'on a observé les exigences d'équité procédurale et de justice naturelle dans les circonstances. La question n'est pas de savoir si la décision était « correcte », mais plutôt si la procédure suivie était équitable. Voir par exemple :  Ontario Provincial Police c MacDonald, 2009 ONCA 805, au par. 37, et Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 141 c Bowater Mersey Paper Co Ltd, 2010 NSCA 19, aux par. 30-32.

A.                Analyse

(1)               Le TDFP a-t-il fait erreur en concluant que le défendeur n'a pas abusé de son pouvoir en sélectionnant le demandeur aux fins de mise en disponibilité?

[36]           Je conclus que le demandeur n'a pas prouvé que la décision du TDFP ne répond pas à la norme de la décision raisonnable consacrée par la jurisprudence Dunsmuir, précité, au par. 47:

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit

[Non souligné dans l'original]

[37]           La décision appartenait aux issues possibles acceptables et les motifs formulés sont transparents et intelligibles. A mon avis, il n'est pas nécessaire de discuter chaque élément de la décision attaquée par le demandeur. Cette décision, dans son ensemble, est raisonnable et je retiens l'analyse du tribunal sur chaque point que je ne discute pas.

[38]           À l'occasion de l'affaire Tran, précitée, le TDFP a expliqué, au par. 13,  le sens des mots of “abuse of authority” dans le cadre d'une plainte présentée en vertu du paragraphe 65(1) de la LEFP:

La LEFP ne définit pas l’abus de pouvoir; toutefois, l’article 2(4) stipule ce qui suit : « Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel. » Dans la LEFP, rien ne donne à penser qu’une plainte d’abus de pouvoir au titre de l’article 65(1) devrait être interprétée différemment d’une plainte déposée en vertu de l’article 77. Dans de nombreuses décisions, à commencer par la décision Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8 (CanLII), 2006 TDFP 0008, paras. 56 à 74, le Tribunal a examiné ce qui constitue un abus de pouvoir au sens de la LEFP. En outre, le Tribunal a établi que la norme civile constitue la norme de preuve à appliquer. Voir la décision Tibbs, paras. 49 à 55.

[Non souligné dans l'origina]

[39]           Par la jurisprudence Chiasson c Sous-ministre de Patrimoine canadien et al., 2008 TDFP 27, au par. 36, le TDFP a avalisé une de ses jurisprudences antérieures consacrant cinq catégories d'abus de pouvoir. Voici ces catégories :

1.      Lorsqu’un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime (incluant dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes).

2.      Lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants (incluant lorsqu'il ne dispose d'aucun élément de preuve ou qu'il ne tient pas compte d'éléments pertinents).

3.      Lorsque le résultat est inéquitable (incluant lorsque des mesures déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives ont été prises).

4.      Lorsque le délégué commet une erreur de droit dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

5.      Lorsqu’un délégué refuse d'exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d'examiner des cas individuels avec un esprit ouvert.

[40]           La mauvaise foi, dans la première catégorie, n'exige pas un élément intentionnel. Le plaignant qui établit que la conduite du défendeur est assimilable à « la négligence ou l’insouciance grave » aura établi la mauvaise foi : Chiasson, précitée, au par. 38. Le TDFP pouvait légitimement conclure que M. Makoundi n'avait pas établi la mauvaise foi ou le favoritisme personne au sens de la LEFP selon la norme de preuve au civil de la prépondérance des probabilités.

[41]           Le demandeur soutient que le TDFP a approuvé le mauvais exercice de leur pouvoir discrétionnaire par les membres du comité en appliquant deux différents ensembles de critères d'évaluation. Il soutient que le respect de ce critère ne signifie pas que la solution retenue ait été équitable. Il soutient que Mme Bazinet n'aurait pas répondu aux critères si le libellé n'avait pas été modifié et qu'il aurait été conclu qu'elle n'était pas qualifiée pour le poste; il aurait donc été le seul candidat qualifié. Il soutient donc que cette modification lui a nui. Vu tous les problèmes de partialité, de harcèlement et de discrimination qu'il soutient avoir subis au Ministère, il y a eu mauvaise foi. Là encore, je relève que nul affidavit n'a été produit devant la Cour à l'appui de ces allégations. Le demandeur dit aussi qu'on l'a induit en erreur au sujet du contenu de l'examen.

[42]           À mon avis, la décision du TDFP faisait état d'explications adéquates concernant le rejet  de diverses erreurs que M. Makouni a attribué au processus de SMPMD. A cet égard, sa décision est raisonnable.

[43]           Les qualifications 2, 3 and 4 ont fait l'objet d'une évaluation narrative. Un formulaire d'évaluation a été envoyé aux participants tôt le matin du 26 septembre 2012. Vers 10h30, Mme Bazinet a informé le comité que les versions anglaise et française des qualifications ne correspondaient pas. Les questions avaient été rédigées en anglais à l'origine et traduites en français.

[44]           Le comité a modifié le libellé des deux versions et un courriel a été envoyé aux deux participants les instruisant de ne pas tenir compte de la version précédente et d'utiliser celle qui était jointe au message. Après que la SMPMD  eut été complétée, on a découvert que l'ancien formulaire avait été envoyé à M. Makoundi une deuxième fois et la nouvelle version, corrigée, avait été envoyée à Mme Bazinet. Les réponses des deux participants furent évaluées sans que le l'on trouve d'erreurs. Tous deux ont reçu une note indiquant qu'ils répondaient aux trois qualifications, qui n'ont pas fait l'objet d'une note numérique.

[45]           Le TDFP a conclu qu'il fallait faire un distinguo entre cette erreur et celle constatée dans l'affaire Chiasson, précitée, où une modification de la longueur maximum des réponses de l'examen, qui n'avait pas été communiquée au plaignant, avait donné lieu à une issue inéquitable. Dans l'affaire Chiasson, le sous-ministre de Patrimoine canadien avait évalué les candidats à un poste par un examen à distance. Selon les instructions initiales envoyées par courriel aux participants, ils devaient limiter chaque réponse à deux pages au maximum. Ultérieurement, le défendeur a envoyé par courriel de nouvelles instructions selon lesquelles les participants n'étaient soumis à nulle limite quant au nombre de pages et il leur était demandé d'envoyer un accusé de réception. La plaignante n'a pas vu les instructions additionnelles avant de remettre sa copie et n'a jamais envoyé la réponse demandée. Le défendeur n'a pas fait de suivi afin de s’assurer que la plaignante avait reçu les instructions actualisées.

[46]           En l'espèce, le TDFP a conclu que les modifications du libellé des qualifications 2, 3 et  4 n'ont pas abouti à une résultat inéquitable, même si les participants ont été évalués selon des critères dont la formulation était différente. Le TDFP a conclu que nul participant n'avait été avantagé ou désavantagé dans l'évaluation de ces qualifications. Tous deux répondaient aux exigences. Les différences entre les deux versions n'ont donc eu aucune incidence sur l’issue. Si l'on garde à l'esprit que M. Makoundi s'est référé à la version française en rédigeant ses réponses, alors que Mme Bazinet s'est référée à la version anglaise, la conclusion du TDFP était raisonnable.

[47]           Les modifications de la version anglaise des qualifications 2, 3 et 5 n'ont eu aucune incidence réelle sur leur sens. Pour Mme Bazinet, c'est comme s'il n'y avait eu aucune modification. Les modifications de la version française de la qualification 2 en a manifestement modifié le sens, et il en allait possiblement de même pour les qualifications 3 et 5. Cependant, M. Makoundi – qui s'est fondé sur la version française du texte – a pu satisfaire à ces trois qualifications. Même s'il n'a pas reçu la version actualisée, nul préjudice n'en a résulté.

[48]           L'erreur alléguée la plus significative est celle qui se rapporte à la qualification 5. Ainsi qu'il a été signalé plus haut, les participants avaient été informés que la qualification 5 porterait sur les connaissances des politiques, directives et lignes directrices du Conseil du Trésor relatives aux cadres et stratégies de mesure de rendement et d'évaluation de programmes. Le demandeur n'a pas donné de réponse adéquate parce qu'il n'avait pas révisé la politique sur la SGRR. Il avait été produit devant le TDFP des éléments de preuve portant que les membres du comité estimaient la politique pertinente quant à divers aspects du travail d'évaluation. Le TDFP a retenu ces éléments de preuve et conclu que ces allégations ne confirmaient pas la réalité d'un abus de pouvoir. Le TDFP pouvait légitimement tirer cette conclusion.

[49]           Le défendeur disposait d'un large pouvoir discrétionnaire en matière de sélection des qualifications essentielles et des méthodes d'évaluation de celles-ci aux termes du paragraphe 30(2) et de l'article 36 de la LEFP. Il n'était possible de conclure à l'abus de pouvoir que si le demandeur établissait que les qualifications essentielles ne se rapportaient pas aux fonctions du poste et, dans le cas des méthodes, qu'elles ne permettaient pas la bonne évaluation de ces qualifications ou qu'elles n'étaient pas pertinentes ou discriminatoires : Bédard c Le sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 15, aux par. 46-50.

[50]           La conclusion du tribunal portant que le demandeur ne s'était pas acquitté de la charge de la preuve était raisonnable. En outre, la thèse du demandeur portant que le comité avait averti Mme Bazinet à l'avance qu'une telle question serait posée, tout en le laissant dans l'ignorance, ne repose que sur des soupçons et injustifiée au regard des éléments de preuve versés aux débats.

[51]           Le demandeur n'a pas opposé d'arguments convaincants à la conclusion du TDFP portant que l'on ne pouvait raisonnablement pas attribuer au comité une attitude de partialité. Le critère, défini par le juge de Grandpré à l'occasion de l'affaire Committe for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, fut ainsi adapté par le TDFP à l'occasion de l'affaire Gignac c le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, au par. 74 :

Si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’une ou plusieurs personnes chargées de l’évaluation, le Tribunal pourra conclure qu’il y a abus de pouvoir.

[52]           Je relève  que le demandeur n'a jamais demandé à M. Kunze de se retirer de la SMPMD pour des motifs de partialité. Une allégation de partialité doit être soulevée à la première occasion. Il incombait au demandeur de demander que M. Kunze cesse sa participation à la SMPMD s'il avait des doutes quant à l'impartialité de son superviseur. Il ne suffit pas de soutenir, comme le fait maintenant le demandeur, que M. Kunze aurait dû se retirer volontairement du processus parce que les discussions au sujet des courriels que le demandeur avait envoyés aux autres employés se seraient déroulées dans un environnement chargé d'émotion.

[53]           À titre de gestionnaire, M. Kunze devait intervenir au sujet de l'incident des courriels du plaignant, qui constituait un problème pressant dans le lieu de travail. M. Kunze n'était entré au service du Ministère que quelques mois auparavant. Nul des éléments versés au dossier ne tend à établir qu'il n'a pas rempli ses fonctions de gestionnaire de service public de manière purement professionnelle. Il ne ressort d'aucun élément que cette intervention a eu une incidence sur l'évaluation du plaignant lors de la SMPMD . Les autres membres du comité, M. Larue et Mme Thériault, ont confirmé qu'ils n'étaient pas au courant des problèmes disciplinaires du plaignant. M. Kunze ne leur en avait rien dit et n'a pris aucune autre mesure susceptible de mettre en péril les chances de succès du demandeur lors de la SMPMD.

[54]           Rien n'appelle notre Cour à remettre en question la réponse du TDFP à la question de la partialité reprochée au comité. Les éléments de preuve ne tendent pas à établir l'allégation du demandeur suivant laquelle les membres du comité étaient animés par des motifs répréhensibles.

[55]           Le TDFP a raisonnablement conclu qu'il n'y avait pas eu abus de pouvoir lorsque le comité a décidé de s'en tenir à une unique référence. Cela n'a pas pénalisé le plaignant, qui a obtenu de bonnes notes en ce qui concerne les qualifications pertinentes. Même s'il avait reçu les notes maximales pour ces qualifications, il aurait eu droit à 3 points supplémentaires et cela n'aurait pas suffi à changer le résultat définitif.

[56]           Le demandeur a aussi avancé un certain nombre de thèses devant la Cour qu'il n'avait pas soulevées devant le TDFP. Par exemple, il soutient qu'il y a eu violation des droits linguistiques qu'il tire de la Charte, car il croit que le comité ne s'est servi que d'une feuille de notation en anglais afin d'évaluer ses réponses.

[57]           En matière de recours en contrôle judiciaire, la règle générale est que le juge ne peut se prononcer sur le fondement d'éléments de preuve ou de thèses qui n'ont pas été invoqués devant le décisionnaire. Lorsque joue la norme de la décision raisonnable – comme en l'occurrence – le juge n'annule une décision que si elle est d'avis que le décisionnaire a appliqué le droit aux faits d'une manière qui ne pouvait être justifiée. Le juge n'est pas appelé à faire table rase et à prendre une nouvelle décision en analysant des arguments qui n'ont jamais été défendus devant l'organisme administratif. Voir par exemple : Gitxsan Treaty Society c Hospital Employees' Union, [2000] 1 RCF 135 (CAF), au par. 15; Zakka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1434, au par. 13; Zolotareva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1274, au par. 36.

(2)               Le TDFP a-t-il manqué à l'obligation d'équité procédurale due au demandeur?

[58]           Dans ses observations, le demandeur formule de sérieuses accusations contre le membre du TDFP qui s'est prononcé sur son affaire. Il soutient qu'elle lui fut hostile et injurieuse au cours d'une conférence de règlement et qu'elle l'interrompait sans cesse pendant l'audience. Le demandeur soutient qu'on l'a empêché de questionner Mme Bazinet sur son parcours professionnel, de contre-interroger un témoin (Mme Lauzon) et de produire en preuve une politique du Conseil du Trésor. Il soutient que, tout au long de la partie de l'audience où il n'était pas représenté par un avocat, le membre du TDFP et l'avocat de la partie adverse ont injustement profité de son manque de connaissances en matière de procédure. Il déclare qu'il a demandé au membre de se récuser et qu'elle a refusé de la faire, sans faire état de motifs.

[59]           Comme on l'a relevé plus haut, le demandeur n'a formulé aucune de ces allégations d'iniquité contre le TDFP dans son affidavit. Elles figurent plutôt dans son mémoire des faits et du droit, ce qui les a soustraites à tout examen et toute contestation par contre-interrogatoire.

[60]           À l'occasion de l'affaire IBM Canada Ltd v Canada (Deputy Minister of National Revenue, Customs and Excise – MNR), [1992] 1 FC 663 (FCA) – une autre affaire où un demandeur mettait en cause l'intégrité des décisionnaires – la Cour d'appel fédérale a insisté sur le fait que des éléments de preuve doivent être produits à l'appui de telles allégations, aux par. 18-19:

Je suis bien conscient que lorsque l'on a affaire à l'intégrité du processus décisionnel, les tribunaux qui examinent ce processus dans une affaire donnée serviraient bien mal leurs intérêts s'ils tentaient d'éviter de faire face au problème en invoquant des motifs techniques. Par contre, précisément parce que l'on a affaire à un processus qui va au coeur de nos institutions démocratiques et qui est particulièrement vulnérable à des allégations injustes et fallacieuses, les tribunaux se tromperaient tout aussi gravement s'ils se satisfaisaient d'insinuations dont les fondements ne peuvent être vérifiés convenablement. La règle voulant que les éléments de preuve soient fournis par affidavit n'est pas une simple question d'ordre technique: elle permet de s'assurer que nul n'est blessé par des allégations qu'il n'a pas la chance de pouvoir contester.

 

[…] Aucun affidavit n'étaye l'explication, et la véracité de cette dernière ne peut donc être vérifiée. La Cour ne peut tout simplement pas tenir pour acquises des affirmations que la Commission ne peut contester de la manière habituelle, c'est-à-dire en contre-interrogeant l'auteur de l'allégation. L'appelante voudrait que la Cour renverse le fardeau de la preuve et oblige l'intimé à répondre à une attaque qui ne s'appuie sur rien. Aucun précédent ne nous a été cité, et je n'en ai trouvé aucun, qui permette d'assouplir les règles régissant les affidavits de la façon que propose l'appelante. Au contraire, des affidavits ont été produits dans des causes où l'on contestait d'une manière assez semblable la compétence d'une commission ou d'un tribunal21. J'appliquerais à la majorité du tribunal les propos suivants du juge en chef Dickson au sujet des juges, dans l'affaire Société des Acadiens22:

 

                    En l'absence d'une preuve manifeste à l'appui des allégations d'incompétence formulées par les appelantes, je ne crois pas que nous puissions statuer en leur faveur. À mon avis, il nous faut, dans des cas comme celui-ci, présumer que les juges ont agi de bonne foi.

 [Non souligné dans l'original]

[61]           Vu que nul des éléments versés au dossier ne vont dans le sens des allégations du demandeur et qu'il n'a produit aucun élément de preuve susceptible d'être discuté par le défendeur et apprécié par la Cour, ce motif de contrôle doit aussi être rejeté.

VI.          Dépens

[62]           Le défendeur a demandé les dépens. A titre de partie victorieuse, il a droit aux dépens selon l'échelle normale applicable à la préparation et l'audition de la demande de contrôle judiciaire et la préparation des observations postérieures à l'audience. Le demandeur a demandé à la Cour, aux termes de son pouvoir discrétionnaire, de ne pas accorder les dépens contre lui vu sa situation financière.

[63]           Notre Cour reconnaît que la situation du demandeur est sans doute difficile puisqu'il n'est plus employé par la fonction publique. Cependant, notre Cour n'a pas d'information tendant à établir qu'il est sans ressources et incapable d'assumer les dépens. Cela dit, notre Cour envisage d'ordonner à l'avocat du demandeur, Me Fuhgeh, de payer les dépens du défendeur ou de refuser d’accorder les dépens entre l’avocat et son client, comme le prévoit le paragraphe 404(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[64]           Les observations écrites et verbales produites au nom du demandeur par Me Fuhgeh consistaient largement en des allégations de harcèlement, de discrimination, de partialité, de corruption et d'abus de pouvoir qui ne s'appuyaient sur aucun élément de preuve. Le mémoire des faits et du droit n'est qu'une diatribe colérique contre les fonctionnaires participant au comité de SMPMD et les procédures du TDFP; il n'y avait pas l'exposé concis des faits et du droit exigé par l'article 70 des Règles. Entre autres choses, Me Fuhgeh accuse trois avocats du ministère de la Justice de collusion avec les anciens collègues de M. Makoundi afin de neutraliser les ordonnances de notre Cour; c'est sans produire aucun élément de preuve qu'il s'en prend à l'intégrité de ses confrères du barreau.

[65]           Au lieu de faire état d'arguments raisonnés fondés sur les éléments de preuve, Me Fuhgeh lance des accusations de manière très générale, comme celle-ci au paragraphe 45 de son mémoire : [TRADUCTION] « la partialité, l'abus de pouvoir, le favoritisme personnel, tout cela parle tellement de lui-même que plaider le contraire, surtout de la part du TDFP, constitue une insulte à l'intelligence de n'importe quelle personne raisonnable ». Une bonne partie de ses observations écrites consistait en une contestation des qualifications de Mme Bazinet relatives au poste qu'elle occupait lorsque le processus de SMPMD fut engagé; elles n'avaient rien à voir avec les questions déférées à notre Cour.

[66]           Manifestement, il ressortait des observations verbales de Me Fuhgeh qu'il ne comprenait pas la nature de la procédure et qu'il était incapable de répondre aux questions de la Cour. L'audience a été retardée à plusieurs reprises lorsque Me Fuhge recherchait des éléments de preuve dans le dossier. En substance, il demandait à la Cour d'apprécier à nouveau les éléments de preuve produits devant le TDFP et de tirer des conclusions de fait différentes. Comme il est signalé plus haut, nul élément de preuve n'allait dans le sens de ces arguments – y compris les allégations formulées contre le comité et le tribunal.

[67]           Parmi les allégations soulevées devant la Cour mais non-confirmées par quelque affidavit que ce soit, il était notamment soutenu que le membre du TDFP a refusé d'envisager la récusation demandée par le demandeur lorsqu'il s'est plaint de partialité et sans produire les motifs de ce refus. Cette allégation figure au paragraphe 131 du mémoire du demandeur. Au cours de l'audience, Me Fuhgeh a été incapable d'attirer l'attention de la Cour sur un élément du dossier dont elle dispose dont il ressort qu'une demande de récusation avait été faite. Il n'a pas non plus été capable de trouver des références dans le dossier appuyant plusieurs autres arguments qu'il a avancés.

[68]           Vu que la Cour n'a pas été en mesure de dire, à l'audience, si étaient vérifiées les allégations visant le tribunal, notamment en ce qui concerne la demande de récusation, elle a permis aux parties de présenter des observations postérieures à l'audience par écrit et de verser au dossier de la demande des documents additionnels du DCT.

[69]           Par une observation datée du 10 novembre 2014, Me Fuhgeh a produit la copie d'un courriel envoyée par M. Makoundi au directeur exécutif du TDFP le 15 juillet 2013, par lequel il demandait la récusation du membre du TDFP au motif de partialité au profit du défendeur et ses témoins, qui aurait été démontrée au cours du premier jour d'audience devant le TDFP. M. Makoundi n'était pas représenté par un avocat à l'époque, mais il en a embauché un lors d'une suspension de l'instance.

[70]           L'avocat du défendeur attire l'attention de notre Cour sur la correspondance de l'avocat de M. Makoundi à l'époque (qui n'était pas Me Fuhgeh) datée du 29 juillet 2013 par laquelle il informait le tribunal qu'il n'avait été embauché que récemment et demandait un report afin d'étudier la question, y compris la demande de récusation. Le 6 août 2013, l'avocat informait le tribunal par lettre que l'on renonçait à la demande récusation et que l'on demandait la reprise de l'audience.

[71]           Par conséquent, il était trompeur de la part de Me Fuhgeh de soutenir devant notre Cour que le membre du TDFP n'avait pas étudié la demande de récusation sans nous informer aussi qu'il y avait eu renonciation expresse de cette demande de la part de l'avocat de M. Makoundi avant la fin des audiences devant le TDFP.

[72]           Parmi les obligations de l'avocat envers son client et notre Cour, il était tenu d'examiner en détail le dossier de l'instance devant le TDFP avant l'audition de la présente procédure. Il était évident, tout au long de l'audience, que Me Fuhgeh ne l'avait pas fait. Me Fuhgeh aurait dû être au courant de la correspondance entre l'ex-avocat de son client et le TDFP au sujet de la question de la récusation et la porter à l'attention de notre Cour dans ses écritures et ses observations verbales. Il était malséant de sa part de soulever la question sans communiquer intégralement les faits à la Cour. Cette erreur a été empirée lorsque Me Fuhgeh a produit le courriel du 15 juillet 2013 sans y joindre la correspondance ultérieure de l'ex-avocat de son client signalant que la demande de récusation avait été retirée.

[73]           Le paragraphe 404(1) des Règles permet à la Cour d'enjoindre l'avocat à payer lui-même les dépens en cas d'« inconduite ou manquement ». Toutefois, une telle ordonnance ne peut être rendue que s'il a eu la possibilité de se faire entendre.

[74]           A mon avis, la présente affaire constitue l'un des rares cas où il peut être indiqué d'enjoindre à l’avocat de payer lui-même les dépens. Je réserverai ma décision sur cette question et donnerai à Me Fuhgeh la possibilité de présenter des observations écrites portant exclusivement sur la question des dépens dans les 15 jours suivant le présent jugement. Ces observations ne pourront dépasser 10 pages. Me Fuhgeh pourra demander par ses observations écrites la possibilité de faire des observations verbales avant que soit rendue contre lui une ordonnance relative aux dépens.

[75]           Si Me Fuhgeh ne présente pas ses observations dans le délai imparti, je lui ordonnerai de payer lui-même les dépens, selon l'échelle normale. J'ai aussi l'intention de donner avis d'une telle ordonnance à M. Makoundi, aux termes du par. 404(3) des Règles.


JUGEMENT

LA COUR :

1.      rejette la demande de contrôle judiciaire;

2.      réserve son jugement en ce qui concerne la question des dépens;

3.      ordonne au défendeur de signifier et de déposer un mémoire de dépens dans les dix (10) jours suivant la date du présent jugement;

4.      permet à Me Fuhgeh, avocat du demandeur, de déposer des observations écrites d'un maximum de dix (10) pages sur la question des dépens et d’informer la Cour s'il désire avoir la possibilité de présenter des observations verbales dans les quinze (15) jours de la date du présent jugement. 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER:

T-1028-14

INTITULÉ :

BRUNO MAKOUNDI c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 NOVEMBRE 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY.

DATE DES MOTIFS :

LE 8 DÉcembRE 2014

COMPARUTIONS :

William Fuhgeh

POUR le demandeur

Adrian Bieniasiewicz

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fuhgeh Law Office

Ottawa (Ontario)

POUR le demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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