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Date : 20141210


Dossier : IMM-5114-13

Référence : 2015 CF 90

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 10 décembre 2014

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

VLS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Modifiés par une ordonnance datée du 7 janvier 2015)

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration rejetant la demande présentée au titre de l’article 71 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27, en vue de faire rouvrir l’appel interjeté par le demandeur en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi à l’égard d’une mesure de renvoi prise contre lui.

[2]               Voici les motifs de la conclusion énoncée à la fin des arguments, soit que la demande doit être accueillie.

[3]               VLS est arrivé au Canada à l’âge de 12 ans avec ses parents. Il a une fille avec une conjointe de fait. Il a été déclaré coupable d’agression sexuelle sur sa fille quand celle-ci était mineure et condamné à une peine d’emprisonnement de 18 mois moins 12 jours pour temps passé en détention avant le procès.

[4]               Le 30 avril 2012, une enquête concernant son admissibilité a eu lieu pendant son incarcération, et une mesure de renvoi a été prononcée contre lui. Le demandeur a déposé un avis d’appel en mai 2012, soit quelque cinq mois avant sa mise en liberté. L’audience avait été fixée au 5 février 2013.

[5]               À l’audience, le demandeur n’était pas représenté. Il a demandé un ajournement. Il a affirmé qu’il avait récemment parlé à un avocat (qu’il a nommé). Le demandeur a déclaré ce qui suit au sujet de cette conversation : [traduction« Il m’a demandé d’obtenir un ajournement, de demander un ajournement, de sorte qu’il ait suffisamment de temps pour se préparer. Il a dit qu’il lui faut au moins un mois pour se préparer comme il faut de sorte que je devais me présenter et demander un ajournement, puis le rappeler et lui dire si j’avais obtenu l’ajournement pour qu’il puisse m’aider ». Le demandeur a précisé que l’avocat ne s’était pas engagé à le représenter tant qu’il ne lui avait pas fait savoir s’il avait obtenu l’ajournement.

[6]               VLS a affirmé qu’il avait tenté [traduction« désespérément » d’obtenir les services d’un avocat à la suite de sa mise en liberté à la fin d’octobre 2012, mais en vain – les avocats lui répondaient qu’ils n’acceptaient pas de dossiers d’aide juridique, qu’ils n’étaient pas libres ou qu’ils étaient en vacances.

[7]               Le commissaire a demandé au conseil du ministre de faire part de sa position sur la situation. Celui‑ci a répondu qu’il était ambivalent. Il a signalé que, si le demandeur s’apprêtait à demander une mesure spéciale fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le ministre n’avait reçu aucune divulgation de sa part. Il a également précisé que, dès le début de l’audience, le ministre avait remis au demandeur copie des motifs pour la sentence et que c’était [traduction« très important pour la preuve du ministre ». De plus, il a signalé que l’appel constituait [traduction« une affaire assez importante » et que le demandeur [traduction« devrait probablement demander l’aide d’un avocat », mais qu’il s’opposait à la demande d’ajournement parce qu’il était prêt.

[8]               Le commissaire a rejeté la demande d’ajournement et s’est exprimé en ces termes à l’audience [traduction] : « Je ne suis pas convaincu que vous avez tout mis en œuvre pour vous trouver un avocat. Vous avez eu jusqu’au mois de mai 2012 pour ce faire, et je ne crois pas que tous les avocats que vous avez contactés n’aient pas pu vous représenter aujourd’hui ou à une autre date et auraient obtenu pour vous un ajournement. Donc, je rejette votre demande d’ajournement, et la cause sera instruite ».

[9]               Le commissaire a explicité dans ses motifs écrits les raisons pour rejeter l’appel :

Depuis qu’il a interjeté appel, l’appelant n’a pratiquement rien fait afin d’être représenté par un conseil jusqu’à la semaine précédant la présente audience, et il semblerait que cet effort ait été nettement insuffisant. L’appelant a proposé la remise de l’audience à une date indéterminée, mais il était clair qu’il ne serait pas en mesure de retenir les services d’un conseil sans le soutien financier de sa belle-mère et des enfants de celle-ci, soutien qui ne s’était toujours pas manifesté. Aucun des membres de la famille n’était présent à l’audience, même si l’appelant a déclaré qu’ils étaient au courant de sa tenue. Il a dit qu’il s’est fait refuser des prestations d’assurance-emploi et d’aide sociale et qu’il a perdu les deux appels qu’il avait interjetés contre ces refus. En l’espèce, l’appelant doit assumer le défaut de n’avoir pas retenu les services d’un conseil, et j’étais d’avis que la remise de la présente audience concernant une mesure de renvoi fondée sur une déclaration de culpabilité pour une infraction grave équivaudrait à un retard inutile.

[10]           Les éléments de preuve dont disposait le tribunal pour la demande de réouverture révélaient que le demandeur avait obtenu un certificat d’aide juridique en avril 2012; par conséquent, il n’avait pas besoin de l’aide financière de sa famille. Ils révélaient aussi que sa belle‑mère avait tenté d’obtenir pour lui les services d’un conseil pendant son incarcération et faisaient ressortir les efforts déployés par celui‑ci après sa mise en liberté.

[11]           Le tribunal a refusé la demande de réouverture par ces brefs motifs :

Il n’existe en l’occurrence qu’un seul motif de réouverture : la conviction qu’aurait le présent tribunal que la SAI a manqué à un principe de justice naturelle en février 2013. La SAI a pris acte de la demande de remise présentée de vive voix par l’appelant, l’a rejetée et a énoncé les motifs du rejet dans les motifs écrits de sa décision de rejeter l’appel. Ayant examiné les documents relatifs à la demande, le tribunal conclut que l’appelant n’a pas fourni de preuve convaincante suffisante pour démontrer que la SAI a manqué à un principe de justice naturelle.

[12]           La Cour a affirmé maintes fois que le défaut de prendre en compte tous les facteurs énoncés au paragraphe 48(4) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002‑230, constitue un manquement à l’équité procédurale : Voir, par exemple, Sandy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1468, Modeste c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1027, et Vazquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 385.

[13]           Le paragraphe 48(4) prévoit ce qui suit :

48. (4) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

a) dans le cas où elle a fixé la date et l’heure de la procédure après avoir consulté ou tenté de consulter la partie, toute circonstance exceptionnelle qui justifie le changement;

b) le moment auquel la demande a été faite;

c) le temps dont la partie a disposé pour se préparer;

d) les efforts qu’elle a faits pour être prête à commencer ou à poursuivre la procédure;

e) dans le cas où la partie a besoin d’un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, la possibilité d’aller de l’avant en l’absence de ces renseignements sans causer une injustice;

f) dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l’expérience de son conseil;

g) tout report antérieur et sa justification;

h) si la date et l’heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;

i) si le fait d’accueillir la demande ralentirait l’affaire de manière déraisonnable;

j) la nature et la complexité de l’affaire.

48. (4) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

(a) in the case of a date and time that was fixed after the Division consulted or tried to consult the party, any exceptional circumstances for allowing the application;

(b) when the party made the application;

(c) the time the party has had to prepare for the proceeding;

(d) the efforts made by the party to be ready to start or continue the proceeding;

(e) in the case of a party who wants more time to obtain information in support of the party’s arguments, the ability of the Division to proceed in the absence of that information without causing an injustice;

(f) the knowledge and experience of any counsel who represents the party;

(g) any previous delays and the reasons for them;

(h) whether the time and date fixed for the proceeding were peremptory;

(i) whether allowing the application would unreasonably delay the proceedings; and

(j) the nature and complexity of the matter to be heard.

[14]           Je conviens avec le demandeur que rien ne prouve que le commissaire a pris en compte au moins deux des facteurs devant être pris en compte énumérés dans la disposition : La « nature et complexité de l’affaire » (qui sont des éléments importants étant donné l’incidence de la décision sur le demandeur, soit son renvoi du Canada) et « tout report antérieur » (il n’y en a eu aucun). De plus, le commissaire a clairement commis une erreur en supposant que le demandeur aurait besoin de l’aide financière de sa famille pour obtenir les services d’un avocat, étant donné qu’il avait déjà obtenu un certificat d’aide juridique. Il a aussi commis une erreur en déclarant que le demandeur demandait un ajournement à une date indéterminée. Ce n’était pas le cas. Il était loisible au commissaire d’accorder un ajournement à une date donnée, péremptoire pour le demandeur.

[15]           La décision du tribunal de refuser la demande en réouverture de l’appel était déraisonnable. Elle n’a pas pris en compte le paragraphe 48(4) ou la jurisprudence à son sujet et n’a pas examiné la question de savoir si le commissaire ayant refusé l’ajournement avait bien examiné ces deux éléments. En toute franchise, la déclaration du tribunal, selon qui le demandeur « n’a pas fourni de preuve convaincante suffisante pour démontrer que la SAI a manqué à un principe de justice naturelle » me rend perplexe. J’estime que le défaut est manifeste à la lecture de la décision.

[16]           Dans les circonstances comme celles‑ci, lorsqu’un demandeur se présente devant la Commission sans conseil pour demander un ajournement, le commissaire serait bien avisé de poser des questions pointues sur chacun des facteurs devant être pris en compte énoncés au paragraphe 48 et puis, si la demande doit être rejetée, fournir des motifs qui mentionnent que les réponses aux facteurs obligatoires ont été obtenues, prises en compte et évaluées.

[17]           La demande doit être accueillie. La décision de rejeter la demande de réouverture est déraisonnable parce que la décision rejetant l’ajournement de l’audition de l’appel constitue un manquement au droit du demandeur à la justice naturelle et à une audience équitable étant donné que le commissaire n’a pas pris en compte et examiné tous les facteurs devant être pris en compte énoncés au paragraphe 48(4).

[18]           Il n’y a pas de question à certifier.

[19]           Le dossier certifié du tribunal contient les motifs invoqués par madame la juge Kiteley à l’appui de la peine qui ont été présentés par l’avocat du ministre à la première audience de la Commission. Ces motifs font l’objet d’une ordonnance de non‑publication pour protéger les intérêts de l’enfant mineur. Par conséquent, la Cour ordonnera que le dossier certifié du tribunal produit à l’égard de la présente demande soit scellé et traité comme étant confidentiel sans autre ordonnance expresse de la Cour.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie; la décision de la Section d’appel de l’immigration rejetant la demande en réouverture de l’appel du demandeur est annulée et doit être entendue par un tribunal différemment constitué conformément aux présents motifs; aucune question n’est certifiée, et le dossier certifié du tribunal est scellé et traité comme étant confidentiel.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5114-13

 

INTITULÉ :

VLS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 DÉcembRe 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 10 DÉCEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Aadil Mangalji

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicholas Dodokin

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aadil Mangalji

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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