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Date : 20150113


Dossier : IMM-4200-14

Référence : 2015 CF 39

Montréal (Québec), le 13 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Noël

ENTRE :

MARIE YANIQUE EXANTUS

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision rendue le 1er mai 2014 par M. Jean Pierre Beauquier de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR], Section de la protection des réfugiés [SPR], rejetant la demande d’asile de la demanderesse en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

II.                Faits

[2]               La demanderesse, Mme Marie Yanique Exantus, est citoyenne d’Haïti.

[3]               Elle est arrivée au Canada le 30 septembre 2009 dans le cadre d’un projet d’aide familiale.

[4]               Son permis de travail a expiré le 26 janvier 2012. Sa demande de permis de travail ouvert dans le cadre du programme d’aide familiale résidant a été refusée en septembre 2012. Elle a demandé l’asile le 2 novembre 2012.

[5]               Elle allègue avoir été persécutée par des chimères entre 2005 et 2009 sous forme de harcèlement, d’extorsion, de saccage de sa maison, de menaces, dont des menaces de mort et de viol.

[6]               Son ex-conjoint et la maîtresse de ce dernier auraient également persécuté la demanderesse sous forme de harcèlement, de menaces, dont des menaces de mort, de voies de fait et de saccage de sa maison.

III.             Décision contestée

[7]               L’identité de la demanderesse n’est pas contestée.

[8]               La SPR mentionne tout d’abord que la crédibilité de la demanderesse est minée par des omissions et des contradictions importantes allant au cœur même de sa demande d’asile. La SPR insiste également pour souligner que le témoignage de la demanderesse fut difficile lors de l’audience.

[9]               La SPR traite en premier lieu des omissions de la demanderesse. La demanderesse a omis de mentionner dans son récit écrit les menaces de mort que son mari aurait proférées à son égard ainsi que la plainte qu’elle aurait déposée à la police quant à cette situation. Questionnée quant à ces omissions, la demanderesse est incapable de répondre à la question de savoir pourquoi elle n’a pas écrit dans son récit que son mari l’aurait menacée. Quant à savoir pourquoi elle n’a pas écrit qu’elle avait porté plainte à la police, la demanderesse répond qu’elle n’a rien écrit, parce que la police lui a dit ne pouvoir rien faire pour elle. La SPR précise alors à la demanderesse qu’au tout début de l’audience, celle-ci a confirmé que son formulaire de renseignements personnels [FRP] était complet. La SPR mentionne également que le FRP comprend une mention que son exposé doit comprendre les évènements et raisons qui l’ont amené à demander l’asile au Canada et ce qu’elle a fait pour tenter d’obtenir la protection dans son pays.

[10]           La SPR demande ensuite à la demanderesse d’élaborer sur les trois évènements que celle-ci soulève dans son récit, soit lorsqu’elle aurait été victime d’extorsion en mars 2005 et une seconde fois en avril 2005, où sa maison aurait été saccagée et où elle aurait reçu des menaces de mort ainsi que lorsqu’elle aurait été victime de viol en décembre 2006. La demanderesse déclare alors qu’elle était attaquée presque tous les jours depuis 2005. La SPR l’interroge à savoir pourquoi elle n’avait pas fourni de détails sur ces évènements et elle répond qu’elle ne pensait pas que ce serait pertinent.

[11]           La SPR questionne ensuite la demanderesse sur son allégation que les chimères exigeaient qu’elle participe à des manifestations pro-Aristide. Elle a répondu en disant qu’on la forçait à participer à des réunions, ce qui n’est pas compris dans son récit écrit. Elle explique qu’elle pensait avoir mentionné ces réunions dans son récit, et après une question de son conseiller à ce sujet, elle répond que pour elle, manifestation et réunion, « c’est pareil ».

[12]           La SPR aborde ensuite les contradictions et les invraisemblances. La SPR note que la demanderesse explique dans son récit que son but premier était de faire une demande de statut de réfugié alors qu’elle mentionne à l’audience qu’elle voulait venir ici comme aide familiale. La SPR trouve aussi invraisemblables les déclarations de la demanderesse quant aux conseils que lui auraient fournis ses employeurs au Canada ainsi que de ceux de ses parents, qui ont eux-mêmes obtenu le statut de réfugié. La SPR trouve également l’explication de la demanderesse invraisemblable lors de l’audience à l’effet qu’elle ne voulait pas quitter définitivement son domicile en Haïti, mais seulement que les fins de semaine, parce que son mari la menaçait de mort si elle devait quitter le domicile de façon définitive.

[13]           En conclusion, la SPR ne croit pas en la demanderesse et par conséquent sa crainte alléguée. La SPR n’aborde donc pas la protection de l’État ni la possibilité de refuge intérieur. La SPR ne croit également pas la demanderesse lorsqu’elle dit que lors de son dernier appel avec son mari, en février 2009, que celui-ci l’a menacée et lui a demandé quand elle allait revenir en Haïti ni lorsqu’elle dit que des gens d’Haïti l’auraient appelé pour lui dire que les chimères la cherchaient toujours. Étant donné la non-crédibilité de la demanderesse, la SPR ne donne aucune valeur aux photos et au certificat de mariage soumis par la demanderesse. La demanderesse a un comportement incompatible avec sa crainte alléguée; un véritable réfugié aurait demandé la protection dès son arrivée au Canada. La SPR s’appuie sur la décision Niyonkuru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 174 [Niyonkuru] à cet effet.

[14]           La SPR mentionne finalement qu’elle a tenu compte des directives de la CISR portant sur les femmes victimes de persécution en raison de leur sexe, mais que celles-ci ne s’appliquent pas à la demanderesse pour les raisons susmentionnées.

[15]           En tenant compte du témoignage de la demanderesse et de la preuve au dossier, la demanderesse n’a pas qualité de réfugiée ni de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR. La demande d’asile est rejetée.

IV.             Prétentions des parties

[16]           La demanderesse allègue premièrement que la lecture du préambule du FRP exige que la demanderesse écrive ce qui l’a amenée à revendiquer la protection du Canada, et non pas ce que la SPR peut décider être des motifs de persécution. Le défendeur répond que les omissions majeures au FRP affectent la crédibilité de la demanderesse, car le préambule du FRP demande d’exposer « tous les événements importants et les raisons … » ce que la demanderesse n’a pas fait, tel que noté par la SPR.

[17]           La demanderesse soutient, quant aux évènements qui lui seraient arrivés en Haïti en 2005 et 2006, qu’elle s’est simplement trompée et que la question n’est pas de savoir si plus de précisions sont nécessaires, mais de savoir si la demanderesse a mal évalué ce qui devait être écrit et ce qui ne peut être que témoigné. Le défendeur répond que la SPR peut considérer des omissions qui portent sur des faits allant directement au fondement d’une demande d’asile.

[18]           La demanderesse argumente ensuite une erreur de traduction lors de l’audience, en ce qui a trait aux mots « manifestation » et « réunion ». Le défendeur est cependant de l’opinion que cet argument est sans fondement factuel et est spéculatif, car aucune allégation n’a été faite à l’encontre de l’interprétation lors de l’audience et aucune preuve linguistique ne fut déposée pour appuyer l’argument.

[19]           La demanderesse avance également que la contradiction que la SPR soulève quant à son objectif premier en arrivant au Canada, soit que son récit écrit dit qu’elle venait pour faire une demande de réfugiée, mais qu’elle a témoigné qu’elle venait au Canada en tant qu’aide familiale n’est pas une contradiction, parce que « façon de faire » et « raison de faire » sont deux choses distinctes. Selon le défendeur, la contradiction à ce sujet démontre une absence de crainte subjective de la part de la demanderesse. Le défendeur ajoute que la demanderesse a attendu trois années avant de demander l’asile et que la Cour a déjà conclu que la SPR peut tenir compte du délai entre l’arrivée au Canada et le moment de la demande d’asile pour évaluer la crédibilité d’un demandeur d’asile, même si ce n’est pas un facteur déterminant en soi.

[20]           La demanderesse soutient également qu’il n’est pas clair à savoir où la SPR voulait en venir lorsqu’elle a conclu que les déclarations de la demanderesse sont invraisemblables en ce qui a trait aux conseils qu’elle aurait reçus de la part de ses employeurs et de ses parents. Le défendeur réplique que la demanderesse ne précise pas en quoi les conclusions de la SPR à cet effet sont déraisonnables, mais ne fait qu’exprimer son désaccord, ce qui n’est pas un motif de révision judiciaire.

[21]           La demanderesse allègue que la détermination de la SPR, soit qu’il est invraisemblable qu’elle n’ait pas quitté son mari en définitive alors qu’il la menaçait de la tuer si elle le quittait pour de bon et qu’elle ne faisait que se réfugier chez des amis la fin de semaine, n’est pas une détermination adéquate.

[22]           Le défendeur avance finalement que la SPR peut utiliser le comportement des personnes pour évaluer la crédibilité de leurs allégations de plainte et que l’absence de crainte subjective peut en soi être suffisante pour rejeter une demande d’asile.

V.                Réplique de la partie demanderesse

[23]           Dans sa réplique, la demanderesse cite de la jurisprudence et une référence à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F-7 pour soutenir l’argument, en ce qui a trait aux omissions alléguées par la SPR, que les allégations de la demanderesse ne sont pas si improbables qu’il permet de conclure qu’elle ment et elle répond également aux arguments du défendeur quant à l’effet du délai de sa demande de réfugiée en précisant qu’un délai peut être pertinent, mais ne l’est pas nécessairement, le tout dépend des circonstances. Elle termine en ajoutant que la crainte subjective n’est pas un facteur à considérer lorsque la revendication est évaluée sous l’article 97.

VI.             Question en litige

[24]           Après avoir révisé les prétentions des parties et la question en litige soumise par le défendeur, je formule la question en litige comme suit :

  • La SPR a-t-elle conclu que la demanderesse n’était pas crédible en s’appuyant sur des conclusions de fait abusives et arbitraires?

VII.          Norme de révision

[25]           En l’espèce, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, car la question en litige repose sur les conclusions de la SPR en matière de vraisemblance et de crédibilité de la demande d’asile de la demanderesse, qui repose essentiellement sur l’appréciation des faits (V.V., G.H. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 FC 1097 au para 30). Cette Cour n’interviendra donc que si la décision est déraisonnable, soit qu’elle tombe en dehors « des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).

VIII.       Analyse

[26]           Après avoir révisé le dossier de la demanderesse ainsi que la transcription de l’audience du 6 mars 2014 de la demanderesse devant la SPR, je conclus que la décision de la SPR est raisonnable. La SPR n’est pas arrivée à des conclusions de faits arbitraires ni abusives. Elle a expliqué dans sa décision pourquoi elle avait formulé une conclusion défavorable à l’égard de la demanderesse en soulignant les omissions, les contradictions et les invraisemblances allant au cœur même de la demande d’asile de la demanderesse.

[27]           L’évaluation de la crédibilité de la demanderesse relève de la compétence de la SPR. La SPR possède une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité ainsi que la crainte subjective de la demanderesse (Zirou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 617, [2003] ACF no 829 aux para 40 et 41; Irshad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1205 au para 52). La Cour a également déjà statué que des omissions majeures au FRP affectent la crédibilité d’un demandeur (Tekin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 357 au para 12; Lopez Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 889 aux para 14 et 15).

[28]           En l’espèce, basé sur la lecture du récit de la demanderesse et des explications fournies par celle-ci lors de l’audience, il était raisonnable pour la SPR de conclure que les omissions, les contradictions et les invraisemblances dans le récit de la demanderesse affectent sa crédibilité. Premièrement, les omissions de la demanderesse, qui portent sur l’inaction de la police face à la plainte que la demanderesse aurait portée concernant les menaces de mort que son mari lui aurait proférées, les attaques que la demanderesse aurait subies par les chimères presque chaque jour dans des endroits publics ainsi que ces « réunions » pro-Aristide auxquelles elle aurait été forcée de participer, vont au fondement même de la demande de réfugiée de la demanderesse. La demanderesse n’a pu expliquer ces omissions à la SPR de façon satisfaisante lors de l’audience. Il était donc raisonnable pour la SPR d’en arriver à une conclusion négative quant à ses omissions de faits pertinents à la demande d’asile de la demanderesse.

[29]           La SPR soulève également deux contradictions importantes, premièrement en ce qui a trait à la raison qui a poussé la demanderesse à venir au Canada et deuxièmement sur le long délai avant le dépôt de sa demande de réfugiée. En l’espèce, le récit de la demanderesse précise qu’elle cherchait d’abord à venir au Canada afin de faire une demande de réfugiée, alors que lors de l’audience, la demanderesse a déclaré vouloir venir au Canada comme aide familiale. La demanderesse n’a donc pas demandé l’asile lors de son arrivée au Canada en septembre 2009, mais que le 2 novembre 2012 (copie certifiée du tribunal page 30 au para 70). Cette Cour a déjà conclu qu’un délai dans le dépôt d’une demande de réfugiée alors que la personne détenait un visa et possédait un statut légal au Canada était un élément qui peut être tenu compte dans l’évaluation de la crédibilité de la personne, bien que cela ne soit pas nécessairement déterminant (Niyonkuru supra aux para 22 et 23; Peti c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 82 au para 82). De plus, la demanderesse n’a formulé une demande de réfugiée que lorsqu’elle a reçu une lettre l’informant que sa demande de permis de travail ouvert dans le cadre du programme d’aide familiale était refusée, en septembre 2012, soit trois ans après être arrivée au Canada. Le délai à demander la protection au Canada par la demanderesse fait partie de l’évaluation de la crainte subjective que doit exercer la SPR lors d’une demande de statut de réfugié (Sainnéus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 249 au para 12). Donc, sur la base de la contradiction entre la raison de la venue au Canada de la demanderesse et le délai entre son arrivée au Canada et sa demande de réfugiée, il était raisonnable pour la SPR de conclure que celle-ci n’avait pas l’attitude d’une personne craignant retourner en Haïti.

[30]           La conclusion de la SPR quant au manque de crédibilité de la demanderesse est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire doit échouer. Aucune question pour certification ne fut suggérée par les parties.

IX.             Conclusion

[31]           La détermination de la non-crédibilité de la SPR était raisonnable. Aucune intervention de cette Cour n’est justifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4200-14

 

INTITULÉ :

MARIE YANIQUE EXANTUS c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 janvier 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 janvier 2015

 

COMPARUTIONS :

Jean-François Bertrand

 

pour lA demanderESSE

 

Patricia Nobl

 

pour le défendeUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocats Inc.

Montréal (Québec)

 

pour lA demandeRESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

pour le défendeur

 

 

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