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Date : 20150126


Dossier : IMM‑5788‑13

Référence : 2015 CF 100

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 26 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

Abjinder Singh PANNU

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’égard d’une décision rendue le 6 août 2013 par laquelle l’agente de Citoyenneté et Immigration Canada, Susan Neufeld [agente de CIC], a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire) aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR.

II.                Faits

[2]               Le demandeur, né le 23 novembre 1986, est originaire de Ludhiana, en Inde. Il avait déjà visité le Canada à trois occasions dans le passé.

[3]               Il est arrivé au Canada le 22 février 2006 et a présenté une demande d’asile le 17 juillet 2006. La Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté sa demande d’asile le 28 août 2008. La Cour fédérale a rejeté sa demande de contrôle judiciaire de la décision en question le 18 décembre 2008.

[4]               Le demandeur a épousé sa femme, dont il est maintenant séparé, le 29 août 2009. Son fils canadien est né le 11 octobre 2010. On présume que son fils vit avec sa femme dont il est séparé.

[5]               Sa demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] a été rejetée le 3 septembre 2010.

[6]               Sa demande de résidence permanente au Canada, présentée au titre de la catégorie des époux au Canada, a été rejetée en mars 2012 parce que sa femme a retiré son engagement de parrainage en raison de l’effondrement de leur mariage.

[7]               Le demandeur a déposé une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 29 octobre 2012. Cette dernière a été rejetée le 6 août 2013. Il s’agit de la décision qui fait l’objet du présent contrôle.

III.             Décision contestée

[8]               Premièrement, l’agente de CIC a rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire après avoir conclu que le renvoi du demandeur du Canada ne lui occasionnerait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Dans sa décision, l’agente de CIC conclut d’abord qu’il ne ressort pas de la preuve dont elle dispose, ni de la documentation accessible au public, que le demandeur est personnellement et directement touché par la discrimination et les conditions défavorables en Inde ou qu’il n’a aucun recours à sa disposition dans ce pays.

[9]               Deuxièmement, au moment d’évaluer l’établissement du demandeur au Canada, l’agente de CIC a constaté des divergences entre le revenu de 12 500 $ déclaré par le demandeur à Revenu Canada pour l’année 2011 et les revenus de son entreprise, qui s’établissent à 12 000 $ par mois. Des divergences ont également été soulevées entre son revenu déclaré et la pension alimentaire mensuelle qu’il verse pour son enfant.

[10]           De plus, bien que la preuve présentée révèle que le demandeur fait du bénévolat au Canada et qu’il compte sur le soutien de divers amis, membres de la famille et représentants du gouvernement, les renseignements fournis n’indiquent pas que le renvoi du demandeur du Canada occasionnerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives à l’une ou l’autre des personnes en question. L’agente de CIC souligne également le fait que la mesure de renvoi visant le demandeur est entrée en vigueur quinze jours après le rejet de sa demande d’asile par la SPR en août 2008, qu’il est demeuré au Canada, qu’il s’est marié en 2009 et qu’il a présenté deux demandes de résidence permanente. L’établissement du demandeur au Canada a donc eu lieu pour des raisons qui n’étaient pas hors de son contrôle.

[11]           Troisièmement, au moment d’évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agente de CIC a reconnu que le demandeur avait fourni des photos de lui en compagnie de son fils, qu’il cherchait à obtenir la garde exclusive de son fils et qu’il avait investi, conjointement avec sa femme dont il est séparé, dans un régime d’épargne‑études pour aider à payer les frais de scolarité de son enfant. Toutefois, le demandeur n’a fourni aucune information quant à la garde ou à la résidence de son fils, ni aucune preuve qu’il communique régulièrement avec lui. L’agente de CIC a donc conclu que, bien qu’il soit dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’être élevé par sa mère et son père, il ne ressort pas de l’information fournie que l’éventuel retour du demandeur en Inde irait à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[12]           L’agente de CIC a affirmé que le demandeur n’aurait pas de difficultés à se réadapter à la société et à la culture indiennes et qu’il pouvait compter sur le soutien de membres de sa famille en Inde. L’agente de CIC a finalement conclu que le demandeur n’avait pas démontré que son renvoi du Canada lui occasionnerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

IV.             Observations des parties

[13]           Le demandeur soutient d’abord que l’agente de CIC n’a pas effectué une analyse adéquate de l’incidence de son renvoi sur son jeune fils, si bien que la décision est déraisonnable. Le défendeur réplique que le demandeur n’est tout simplement pas d’accord avec l’importance qu’a accordée l’agente de CIC à la preuve dont elle disposait et que c’est au demandeur qu’incombe le fardeau de fournir suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que son fils subirait des effets négatifs advenant le renvoi du demandeur du Canada.

[14]           Puis, le demandeur soutient que l’agente de CIC a fait abstraction d’éléments de preuve et a tiré des conclusions de fait erronées en ce qui a trait à sa famille au Canada et en Inde ainsi qu’à son établissement au Canada. L’agente de CIC a donc tiré des conclusions de fait déraisonnables à la lumière de la preuve. Le défendeur répond en reconnaissant d’abord le fait que l’agente de CIC semble avoir commis une erreur en affirmant que le demandeur [traduction« a ses parents ainsi que ses frères et sœurs en Inde » (alors que dans les faits, seuls ses parents vivent en Inde), mais soutient que cette erreur n’a aucune incidence sur l’issue finale de la décision. Le défendeur ajoute que l’erreur dans la date en ce qui concerne le parrainage entre époux du demandeur n’est qu’une simple erreur de frappe qui ne s’avère pas importante ou suffisante pour annuler la décision. Le défendeur ajoute finalement que l’agente de CIC a tenu compte comme il se doit des facteurs pertinents dans l’évaluation de l’établissement du demandeur au Canada. La décision est donc raisonnable.

V.                Questions à trancher

[15]           Les deux questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

  1. L’agente de CIC a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant?
  2. L’agente de CIC a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse du degré d’établissement du demandeur au Canada?

VI.             Norme de contrôle

[16]     Les questions susmentionnées soulèvent des questions mixtes de fait et de droit. La norme de contrôle applicable est donc celle de la raisonnabilité. « [O]n devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle [paragraphe 25(1) de la LIPR] d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi » (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, [1999] ACS no 39, au paragraphe 62). Cette norme a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2009] ACF no 713, au paragraphe 18, et plus récemment dans les arrêts Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113, [2014] ACF no 472, au paragraphe 32, et Lemus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 114, [2014] ACF no 439, au paragraphe 18.

VII.          Analyse

A.                L’agente de CIC a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant?

[17]           J’ai examiné le dossier certifié du tribunal, et je souscris à la conclusion de l’agente de CIC à savoir que, à la lumière des renseignements fournis, le renvoi du demandeur du Canada n’irait pas à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[18]           La Cour d’appel fédérale s’est prononcée ainsi au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’arrêt Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 5) :

« L’agent d’immigration qui examine une demande pour des raisons d’ordre humanitaire doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants, sur lesquels l’expulsion du père ou de la mère peut avoir des conséquences préjudiciables, et il ne doit pas « minimiser » cet intérêt : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75. Toutefois, l’obligation n’existe que lorsqu’il apparaît suffisamment clairement des documents qui ont été soumis au décideur, qu’une demande repose, du moins en partie, sur ce facteur. De surcroît, le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l’appui de son allégation, l’agent est en droit de conclure qu’elle n’est pas fondée ».

En l’espèce, la déclaration du demandeur qui, dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, se rapproche le plus d’une démonstration du rôle que joue son fils est celle où il explique que sa femme dont il est séparé l’a quitté et est partie avec leur fils, qu’il est misérable sans lui, qu’il veut faire partie de sa vie et qu’il a demandé le divorce ainsi que la garde de son fils. Le demandeur ajoute : [traduction« je connais le comportement de [ma femme dont je suis séparé] et de sa famille et je sais que l’environnement dans lequel se trouve mon enfant est empreint de violence, de cris et de mauvais langage. […] J’ai demandé la garde de mon enfant […] puisque je pense actuellement à l’intérêt supérieur de mon enfant » [dossier du demandeur, à la page 40].

[19]           Le demandeur n’a toutefois fourni aucun élément de preuve pour étayer son allégation concernant le comportement de sa femme dont il est séparé et de la famille de cette dernière. L’agente de CIC souligne ce qui suit dans sa décision :

       Il incombe au demandeur de démontrer l’intérêt supérieur de son enfant, lorsqu’une supposition est plaidée. Pour présenter l’allégation selon laquelle il serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant que ce dernier soit avec ses parents, le demandeur a renvoyé à la décision Bautista c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1008 [Bautista] que j’ai rendue récemment.

  • Or, il y a deux grandes distinctions à faire entre l’affaire en cause et l’affaire Bautista. Premièrement, j’ai présenté, en guise d’introduction à mes conclusions dans la décision Bautista, des éléments de preuve très convaincants qui ont été soumis parallèlement à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Deuxièmement, les deux enfants qui avaient vécu toute leur vie au Canada et avaient été élevés uniquement par leur mère monoparentale, Mme Bautista, se trouvaient dans une situation difficile complètement différente de celle du fils du demandeur en l’espèce.

[20]           En l’espèce, l’agente des visas a reçu peu d’éléments de preuve à l’appui du fait que le père était présent dans la vie de son fils, outre les allégations non étayées du demandeur contestant la capacité de son ex‑femme à s’occuper de leur fils, y compris l’allégation selon laquelle il a demandé la garde exclusive. Toutefois, cette allégation n’a aucunement été appuyée par des ordonnances de la Cour à titre d’éléments de preuve supplémentaires (outre les photos susmentionnées). En fait, les observations formulées dans le cadre de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire traitaient uniquement du point de vue du demandeur et des difficultés que subirait ce dernier plutôt que des conséquences sur son fils. L’agente de CIC a conclu qu’il n’y avait aucune preuve à l’appui de l’idée que le demandeur entretenait une relation soutenue sur une base régulière avec son fils. D’après les renseignements fournis, il s’agit là d’une conclusion raisonnable de la part de l’agente de CIC. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée à cet égard.

B.                 L’agente de CIC a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse du degré d’établissement du demandeur au Canada?

[21]           L’argument principal du demandeur est que l’agente de CIC a commis une erreur en analysant l’établissement du demandeur du fait qu’elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve dont elle avait été saisie en bonne et due forme et qu’elle a tiré des conclusions de fait déraisonnables à la lumière de la preuve. Je reconnais, et le défendeur en convient, que la décision de l’agente de CIC contient des erreurs au sujet i) de la date du parrainage entre époux du demandeur, ii) du lieu où se trouve sa sœur. Toutefois, ces erreurs ne constituent pas des erreurs susceptibles de contrôle (Paramanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 338, au paragraphe 46; Guerro Moreno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 841, aux paragraphes 10 à 15).

[22]           En ce qui concerne l’allégation du demandeur selon laquelle son établissement a, pour l’essentiel, eu lieu pendant qu’il attendait la décision finale concernant sa demande de résidence permanente à titre d’époux au Canada, conformément à une politique permissive de CIC, le fait est que le demandeur a passé la plus grande partie de son séjour au Canada à présenter d’autres demandes et à en attendre l’issue, y compris une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la SPR concernant une demande d’asile, des demandes d’ERAR et une demande de parrainage. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (et maintenant la demande de contrôle judiciaire de la décision à cet égard) ne représente qu’une petite partie des démarches du demandeur en matière d’immigration au Canada.

[23]           Comme le permet de comprendre la chronologie décrite précédemment, le demandeur et sa femme se sont séparés, et la femme a retiré son engagement de parrainage de son conjoint en février 2012. Ils n’habitent plus ensemble au Canada. Ce n’est que huit mois plus tard, soit en octobre 2012, que le demandeur a présenté sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Je suis donc d’avis que la directive IP 8 ne s’applique pas en l’espèce. Le demandeur s’est établi au Canada avant de déposer sa demande de parrainage entre époux. Une partie de son établissement est donc attribuable à son séjour au Canada après la prise d’une mesure de renvoi à son égard. Par conséquent, la conclusion de l’agente de CIC selon laquelle on ne saurait affirmer que les difficultés connexes étaient hors du contrôle du demandeur est raisonnable.

[24]           La dispense prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR est un processus qui est tout à fait discrétionnaire (Lalane c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 6, au paragraphe 11; Baker, précité, au paragraphe 51). En l’espèce, le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve de démontrer qu’il se heurterait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait présenter sa demande de résidence permanente depuis l’Inde. Le demandeur n’a pas démontré que l’intérêt supérieur de son enfant ou son établissement au Canada militent en faveur d’une décision favorable au regard de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cette dernière traite principalement des difficultés que le demandeur a subies au Canada relativement à sa relation conjugale. La décision de l’agente de CIC appartient certainement aux issues raisonnables.

VIII.       Conclusion

[25]           Bien qu’elle ne soit pas parfaite, la décision de l’agente de CIC faisant l’objet du contrôle est raisonnable. Elle appartient aux issues possibles et acceptables et doit donc être maintenue.

[26]           Les parties ont été invitées à soumettre des questions à certifier, mais aucune n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

  1. que la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agente de CIC datée du 6 août 2013 est rejetée;
  2. qu’aucune question n’est certifiée.

« Alan Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM‑5788‑13

INTITULÉ :

Abjinder Singh PANNU C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 DÉCEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Tara McElroy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Amina Riaz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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