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Date : 20150204


Dossier : IMM‑4550‑13

Référence : 2015 CF 141

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 février 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

SEHO SONG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, à l’égard d’une décision rendue le 29 mai 2013 [décision] par laquelle un agent des visas [agent] a rejeté la demande de résidence permanente au Canada déposée par le demandeur au titre de la catégorie de l’expérience canadienne.

II.                CONTEXTE

[2]               Le demandeur a présenté sa demande de résidence permanente en septembre 2012. Il a fait sa demande au titre du code 0621 (directeur – commerce de détail et de gros) de la Classification nationale des professions [CNP] et du code 3219 de la CNP (technicien en pharmacie).

[3]               Le demandeur affirme qu’au moment où il a déposé sa demande, il travaillait en tant que directeur de magasin depuis plus d’un an dans une pharmacie à Toronto. Il déclare également avoir occupé le poste de technicien en pharmacie d’octobre 2009 à décembre 2010 dans cette même pharmacie.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[4]               Une lettre datée du 29 mai 2013 révèle que la demande de résidence permanente du demandeur a été rejetée.

[5]               L’agent a déclaré qu’au titre de la catégorie de l’expérience canadienne, un demandeur doit, selon le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], démontrer qu’il possède une connaissance de l’anglais ou du français, une expérience de travail qualifié au Canada et un diplôme canadien (pour les demandes au titre du volet des diplômés). L’agent a conclu que le demandeur ne répondait pas à l’exigence concernant l’expérience de travail qualifié. Il a déclaré ne pas avoir été convaincu par la lettre d’emploi du demandeur, laquelle décrivait en détail les responsabilités de ce dernier dans le cadre de son poste de directeur de magasin, que le demandeur avait exercé les fonctions énumérées sous le code 0621 de la CNP. Par conséquent, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait [traduction« accumulé douze mois d’expérience de travail qualifié à temps plein au Canada dans une profession appartenant au genre de compétence 0 ou au niveau de compétence A ou B de la Classification nationale des professions au cours des vingt‑quatre mois précédant la date de la présentation de [sa] demande et après avoir obtenu [son] diplôme canadien » (Dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 34).

[6]               Les notes du Système mondial de gestion des cas [SMGC] datées du 29 mai 2013 expliquent plus en détail la décision de l’agent (DCT, à la page 36) :

[traduction] Travail : Période de référence : 2/10/2010‑2/10/2012. Selon la demande, le demandeur principal a occupé le poste de directeur de magasin (CNP 0621) à la pharmacie Bloor Park de janvier 2011 à aujourd’hui. La lettre confirme l’emploi et le salaire et dresse la liste des tâches, lesquelles ne correspondent pas à celles du code 0621 de la CNP. Plus précisément, d’après la lettre, le demandeur principal n’accomplit pas les tâches suivantes : planifier, organiser, diriger, gérer et évaluer les activités d’un établissement de vente en gros et au détail ou d’un rayon d’un tel établissement; examiner les études de marché et les tendances de consommation pour déterminer la demande, le chiffre d’affaires possible et l’incidence de la concurrence sur les ventes; établir les prix et les politiques de crédit; planifier les budgets et autoriser les dépenses. Comme l’expérience du demandeur principal n’inclut pas les tâches susmentionnées, cette expérience ne peut compter. Le demandeur principal a également demandé l’évaluation du poste de technicien en pharmacie (CNP 3219) qu’il a occupé chez le même employeur d’octobre 2009 à décembre 2010. Toutefois, l’expérience de travail n’a pas été acquise durant la période de référence, à l’exception de deux mois. Je ne crois pas que le demandeur possède 12 mois d’expérience de travail qualifié à temps plein. Recevabilité – Échoué.

IV.             QUESTIONS À TRANCHER

[7]               Le demandeur soulève trois questions dans la présente demande :

1.      L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que le demandeur ne répondait pas aux exigences du code 0621 de la CNP?

2.      L’agent a‑t‑il commis une erreur en calculant la période de référence de l’expérience de travail du demandeur?

3.      L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[8]               Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour chargée du contrôle est saisie est établie avec satisfaction par la jurisprudence, il est loisible à la cour de l’adopter. Ce n’est que lorsque la démarche se révèle infructueuse, ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour chargée du contrôle entreprend l’examen des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[9]               Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable dans le cas des décisions faisant intervenir l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et concernant des questions mixtes de fait et de droit est celle du caractère raisonnable : Kastrati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1141, aux paragraphes 9 et 10. La norme de contrôle qui s’applique aux questions de droit et de justice naturelle est celle de la décision correcte : Restrepo Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, au paragraphe 44.

[10]           Le défendeur affirme que les agents des visas sont des experts en matière d’évaluation des demandes de résidence permanente, et la Cour a déclaré que l’expertise des agents des visas commande la retenue : Onyeka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 336, au paragraphe 17; Pacheco Silva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 733, au paragraphe 6; Kniazeva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 268; Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283 [Hassani].

[11]           La Cour fédérale a déclaré que la décision rendue par un agent à l’égard d’une demande au titre de la catégorie de l’expérience canadienne fait intervenir des questions mixtes de fait et de droit et fait l’objet d’un contrôle selon la norme du caractère raisonnable : Anabtawi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 856, au paragraphe 28. Il ressort clairement de la jurisprudence que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Exeter v Canada (Attorney General), 2014 FCA 251, au paragraphe 31.

[12]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[13]           Les dispositions suivantes du Règlement étaient en vigueur au moment où la demande du demandeur a été évaluée et s’appliquent en l’espèce :

Catégorie de l’expérience canadienne

Canadian Experience Class

Catégorie

Class

87.1 (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie de l’expérience canadienne est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur expérience au Canada et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

87.1 (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the Canadian experience class is prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their experience in Canada and who intend to reside in a province other than the Province of Quebec.

Qualité

Member of the class

(2) Fait partie de la catégorie de l’expérience canadienne l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

(2) A foreign national is a member of the Canadian experience class if

a)  l’étranger, selon le cas :

(a) they

(i) a accumulé au Canada au moins douze mois d’expérience de travail à temps plein ou l’équivalent s’il travaille à temps partiel dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions au cours des vingt‑quatre mois précédant la date de la présentation de sa demande de résidence permanente et, antérieurement à cette expérience de travail, a obtenu au Canada, selon le cas :

(i) have acquired in Canada within the 24 months before the day on which their application for permanent residence is made at least 12 months of full‑time work experience, or the equivalent in part‑time work experience, in one or more occupations that are listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix, and have acquired that work experience after having obtained

(A) un diplôme, certificat de compétence ou certificat d’apprentissage après avoir réussi un programme d’études ou un cours de formation nécessitant au moins deux ans d’études à temps plein et offert par un établissement d’enseignement ou de formation postsecondaire public reconnu par une province,

(A) a diploma, degree or trade or apprenticeship credential issued on the completion of a program of full‑time study or training of at least two years’ duration at a public, provincially recognized post‑secondary educational or training institution in Canada,

(B) un diplôme, certificat de compétence ou certificat d’apprentissage après avoir réussi un programme d’études ou un cours de formation nécessitant au moins deux ans d’études à temps plein et offert par un établissement d’enseignement postsecondaire privé au Québec qui est régi par les mêmes règles et règlements que les établissements d’enseignement publics et dont les activités sont financées, pour au moins 50 %, par le gouvernement notamment, au moyen de subventions,

(B) a diploma or trade or apprenticeship credential issued on the completion of a program of full‑time study or training of at least two years’ duration at a private, Quebec post‑secondary institution that operates under the same rules and regulations as public Quebec post‑secondary institutions and that receives at least 50 per cent of its financing for its overall operations from government grants, subsidies or other assistance,

(C) un diplôme universitaire après avoir réussi un programme d’études nécessitant au moins deux ans d’études à temps plein et offert par un établissement d’enseignement postsecondaire privé reconnu par une province,

(C) a degree from a private, provincially recognized post‑secondary educational institution in Canada issued on the completion of a program of full‑time study of at least two years’ duration, or

(D) un diplôme d’études supérieures après avoir réussi un programme d’études à temps plein d’une durée d’au moins un an, offert par un établissement d’enseignement postsecondaire reconnu par une province, au plus tard deux ans après avoir obtenu un diplôme d’un établissement visé aux divisions (A) ou (C),

(D) a graduate degree from a provincially recognized post‑secondary educational institution in Canada issued on the completion of a program of full‑time study of at least one year’s duration and within two years after obtaining a degree or diploma from an institution referred to in clause (A) or (C), or

(ii) a accumulé au Canada au moins vingt‑quatre mois d’expérience de travail à temps plein ou l’équivalent s’il travaille à temps partiel dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions au cours des trente‑six mois précédant la date de la présentation de sa demande de résidence permanente;

(ii) have acquired in Canada within the 36 months before the day on which their application for permanent residence is made at least 24 months of full‑time work experience, or the equivalent in part‑time work experience, in one or more occupations that are listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix; and

[…]

[…]

VII.          ARGUMENTS

A.                Demandeur

(1)               Caractère raisonnable

[14]           Le demandeur soutient avoir accompagné sa demande d’une lettre d’emploi soulignant qu’il avait exercé les fonctions prévues sous le code 0621 de la CNP. La lettre fait état des fonctions du demandeur en tant que directeur de magasin (dossier du demandeur, pages 82 à 84) :

[traduction]

    établir les produits (en vente libre) et les services à vendre;

     assurer les remboursements et les échanges;

    gérer le personnel et assigner les tâches (et former le nouveau personnel);

     régler les plaintes des clients;

    organiser et repérer les marchandises pour favoriser les ventes de deux façons :

°   repérer et choisir les marchandises destinées à la revente,

°    organiser des promotions spéciales, des présentoirs et des activités (en faisant appel à des stratégies de marketing);

    choisir les produits à vendre en fonction des demandes des consommateurs, ce qui implique l’analyse et l’interprétation des tendances pour faciliter la planification prospective de certains produits;

    établir les besoins en matière de personnel et embaucher ou superviser l’embauche du personnel affecté au rayon de la vente au détail;

    gérer l’équipe en vue d’accroître les ventes et d’assurer l’efficacité;

    travailler en collaboration avec le pharmacien et les techniciens pour établir les niveaux des stocks et prendre des décisions relatives au contrôle des stocks;

    visiter le rayon des ventes régulièrement, parler aux collègues et aux clients et cibler ou régler les questions urgentes.

[15]           Le demandeur soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle il n’a pas accompli toutes les fonctions est déraisonnable à la lumière de la comparaison des fonctions énumérées dans la lettre d’emploi à celles qui sont décrites sous le code 0621 de la CNP. Aux termes du code 0621 de la CNP, le directeur d’un commerce de détail exerce certaines ou l’ensemble des fonctions principales suivantes : (DCT, aux pages 26 et 27) :

    planifier, diriger et évaluer les activités d’un établissement de vente en gros et au détail ou d’un rayon d’un tel établissement;

     gérer le personnel et assigner les tâches;

    examiner les études de marché et les tendances de consommation pour déterminer la demande, le chiffre d’affaires possible et l’incidence de la concurrence sur les ventes;

    déterminer les produits et les services à vendre et établir les prix et les politiques de crédit;

    repérer, choisir et se procurer de la marchandise qui sera revendue;

    élaborer et mettre en œuvre des stratégies de commercialisation;

     planifier les budgets et autoriser les dépenses;

     régler les plaintes des clients;

    déterminer les besoins en personnel et embaucher ou voir à l’embauche du personnel.

[16]           Le demandeur affirme que les fonctions énumérées dans la lettre d’emploi sont propres à un emploi en pharmacie et correspondent aux énoncés généraux formulés par l’agent relativement aux exigences associées au code 0621 de la CNP. Le demandeur a déclaré ce qui suit : [traduction« soit l’agent a commis une erreur de droit en interprétant mal la preuve ou en ne tenant pas compte de celle‑ci, soit les motifs tels qu’ils sont énoncés sont insuffisants pour remplir les exigences en matière d’équité » (dossier du demandeur, à la page 129).

[17]           Le demandeur ajoute que l’agent a commis une erreur dans son calcul de la période de référence en ce qui concerne l’expérience du demandeur au titre du code 3219 de la CNP. Le demandeur affirme que sa demande décrit en détail son expérience à titre de technicien en pharmacie au cours de la période d’octobre 2009 à décembre 2010. Selon le site Web de Citoyenneté et Immigration Canada, un demandeur doit posséder au moins 12 mois d’expérience de travail qualifié à temps plein au Canada au cours de la période de trois ans précédant la présentation de la demande pour être admissible. Le demandeur affirme que sa demande a été soumise en septembre 2012. Par conséquent, tous les emplois à temps plein remontant jusqu’en septembre 2009 devraient être inclus. L’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de son expérience à titre de technicien en pharmacie.

[18]           Le demandeur ajoute que les motifs sont insuffisants parce que la raison pour laquelle le code 3219 de la CNP n’a pas été pris en compte ne lui a pas été communiquée. La présentation de motifs déficients constitue un manquement à l’obligation d’équité : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323, aux paragraphes 17 à 22.

(2)               Équité procédurale

[19]           Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale du fait qu’il ne lui a pas donné l’occasion de répondre à ses préoccupations. Le demandeur affirme que les agents des visas sont tenus de ne pas examiner les renseignements superflus et pourraient avoir l’obligation d’aviser les demandeurs de certaines préoccupations particulières : Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, au paragraphe 22 [Rukmangathan].

[20]           Le demandeur convient que l’obligation n’exige pas que soit fourni au demandeur un « bilan » des lacunes : Rukmangathan, précitée. Toutefois, le demandeur doit se voir accorder la possibilité de répondre à la préoccupation de l’agent des visas lorsque celle‑ci concerne « la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur » : Hassani, précitée, au paragraphe 24. Dans la décision Gedeon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1245, aux paragraphes 101 et 102, la Cour a déclaré qu’un agent des visas qui ne fournit pas les motifs qui l’ont mené à rejeter la preuve relative à l’expérience de travail du demandeur et qui ne donne pas l’occasion à ce dernier de répondre à ses préoccupations commet une erreur susceptible de contrôle.

[21]           Le demandeur affirme qu’il ne s’agit pas d’un cas où le demandeur a omis de produire une preuve quelconque pour étayer les faits. Le demandeur a présenté des éléments de preuve à l’égard desquels l’agent a eu des doutes. Le demandeur aurait dû avoir l’occasion d’y répondre : Liao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1926, aux paragraphes 15 et 17 (1re inst.) (QL); Kuhathasan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 457, aux paragraphes 39 à 41; Singh Sekhon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 700, aux paragraphes 12 à 14.

B.                 Défendeur

[22]           Le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement conclu que la preuve du demandeur était insuffisante pour établir que ce dernier possédait l’expérience requise au titre du code 0621 de la CNP. Cette appréciation de la preuve relève de la compétence de l’agent : Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1298, au paragraphe 13 [Wang].

[23]           Le défendeur reconnaît que, selon le Règlement actuel, l’expérience de travail admissible doit avoir été acquise au cours des trois années précédant la date de la demande. Cependant, aux termes du Règlement en vigueur au moment où le demandeur a présenté sa demande, l’expérience de travail admissible devait avoir été acquise dans les vingt‑quatre mois qui précédaient la date de la demande. Par conséquent, l’agent a bien calculé la période de référence, laquelle s’étend d’octobre 2010 à octobre 2012. Le demandeur n’a acquis que deux mois d’expérience de travail en tant que technicien en pharmacie au cours de cette période.

[24]           Le défendeur affirme que les motifs exposent de façon détaillée les lacunes relevées dans la preuve du demandeur et font état de la bonne période. Les motifs de l’agent sont étayés par le dossier et le Règlement. L’argument du demandeur selon lequel les motifs sont insuffisants est dénué de fondement : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 à 17.

[25]           Le défendeur ajoute que la Cour s’est déjà penchée sur la faible obligation d’équité procédurale prévue à l’égard des demandeurs de visas : Malik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1283, aux paragraphes 26 et 29. Un agent n’est pas tenu d’aviser un demandeur des doutes que soulèvent les exigences législatives ou la preuve du demandeur : Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 614, au paragraphe 30; Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1025, au paragraphe 16; Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 FCT 815, au paragraphe 7. La question de savoir si le demandeur possédait l’expérience requise est directement liée aux exigences réglementaires. Il incombe au demandeur de soumettre tous les renseignements nécessaires. Ce n’est pas à l’agent qu’incombe le fardeau d’obtenir de plus amples renseignements : voir Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 212, au paragraphe 11; Arango c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 424, au paragraphe 15.

VIII.       ANALYSE

[26]           Le demandeur reconnaît maintenant que l’agent n’a pas commis d’erreur en calculant la période de référence au titre du code 3219 de la CNP. Ainsi, il ne reste plus à la Cour qu’à trancher la question du caractère déraisonnable et celle du manquement à l’équité procédurale relativement à la décision portant sur le code 0621 de la CNP – directeur de magasin. Il ne sera pas nécessaire d’examiner les questions d’équité procédurale soulevées, étant donné que je conclus que la décision est déraisonnable au regard de la demande présentée par le demandeur au titre du code 0621 de la CNP.

[27]           Je tire cette conclusion parce qu’après avoir comparé les fonctions énoncées par Ressources humaines et Développement des compétences Canada sous le code 0621 de la CNP et celles dont fait état la lettre de l’employeur accompagnant la demande, laquelle décrit en détail les tâches accomplies par le demandeur à titre de directeur de magasin à la pharmacie Mary Gergis Pharmacy Inc s/n Bloor Park Pharmacy, je n’ai aucun doute que les fonctions du demandeur satisfont aux exigences de l’énoncé principal du code 0621 de la CNP et correspondent en tous points ou presque aux fonctions principales énumérées sous le code 0621 de la CNP. La seule fonction où je ne peux dire que la correspondance est d’emblée apparente est celle qui concerne la « concurrence », au troisième point des Fonctions principales :

    examiner les études de marché et les tendances de consommation pour déterminer la demande, le chiffre d’affaires possible et l’incidence de la concurrence sur les ventes

La lettre de l’employeur traite de tous les autres points.

[28]           Je conviens avec le défendeur que l’agent dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour évaluer la preuve soumise en vue de rendre une décision et que la Cour doit hésiter fortement à intervenir à l’égard de ce pouvoir discrétionnaire : voir Wang, précitée, au paragraphe 13. Or, en l’espèce, il est nécessaire d’intervenir puisque la preuve dont je dispose montre que la décision est tout simplement incompréhensible.

[29]           Il est évident que les fonctions énumérées dans la lettre de l’employeur ne sont pas formulées de la même façon que dans la CNP, sous le code 0621. Cette situation est inévitable puisque des demandes ont été rejetées parce que l’employeur ne faisait que reprendre le libellé d’un code de la CNP. Les employeurs sont donc tenus de décrire dans leurs propres mots les fonctions exactes des demandeurs. Ainsi, les agents doivent examiner attentivement les demandes et ne doivent pas les rejeter parce que leur formulation diffère.

[30]           En l’espèce, le défendeur a reconnu devant la Cour qu’il n’aurait pas été déraisonnable pour l’agent de conclure, compte tenu des détails contenus dans la lettre de l’employeur, que le demandeur répondait aux exigences du code 0621 de la CNP. Le défendeur souligne, à juste titre, qu’une décision défavorable n’est pas nécessairement déraisonnable tout simplement parce qu’une décision favorable aurait été raisonnable. Or, à mon avis, aucun motif ne permettait à l’agent de conclure que le demandeur en l’espèce ne remplissait pas les exigences du code 0621 de la CNP. Autrement dit, la décision présente des lacunes sur le plan de la justification et de l’intelligibilité et n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. Par conséquent, la décision doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen, conformément aux présents motifs.

[31]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent en vue d’un nouvel examen, conformément à mes motifs;

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4550‑13

 

INTITULÉ :

SEHO SONG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 NOVEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 FÉVRIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Sherif R. Ashamalla

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Veronica Cham

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sherif R. Ashamalla

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le DÉFENDEUR

 

 

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