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Date : 20150126

Dossier : T‑893‑14

Référence : 2015 CF 98

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

NANCY RENAE

demanderesse

et

CHAMP’S MUSHROOMS INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire en vue de faire annuler la décision de Paul D.K. Fraser, c.r. (l’arbitre) rejetant la plainte de congédiement injuste que la demanderesse avait déposée en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 (le Code). Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est rejetée.

II.                Les faits

[2]               La demanderesse est Nancy Renae, une conductrice de camion sur long parcours âgée de 53 ans. Elle a été employée par Champs Mushrooms Inc. (la défenderesse) pendant 3½ ans, de juillet 2009 jusqu’au 14 janvier 2013, date à laquelle elle allègue avoir été congédiée injustement.

[3]               La défenderesse est une société de culture et de distribution d’aliments dont l’établissement est situé à Aldergrove, une localité de la région des basses‑terres continentales de la Colombie‑Britannique. La société vend différentes variétés de champignons au Canada et aux États‑Unis. Le supérieur immédiat de la demanderesse était le directeur des services et de la logistique de transport, M. Tri Quach. M. Quach était responsable de l’établissement des horaires des conducteurs et de la tenue du livre de paie. M. Paul Crosby, le contrôleur de Champs, était en charge des ressources humaines. M. Crosby relevait du vice‑président de la société, Tony Vuu, et du président, Duke Tran.

[4]               La première année d’emploi de la demanderesse au service de la défenderesse s’est déroulée sans histoire; toutefois, au cours des années d’emploi qui ont suivi, la relation entre la demanderesse et M. Quach s’est détériorée. De ce fait, les parties ont pris part à de multiples procédures depuis août 2011 jusqu’à ce que la demanderesse dépose, le 30 juin 2013, la plainte visée par la demande dont la Cour est saisie. Étant donné qu’il a été question de ces événements dans le cadre d’autres recours, le résumé chronologique présente les faits nécessaires à la compréhension du contexte dans lequel le congédiement de la demanderesse s’est produit.

1)             15 août 2011 – La demanderesse a déposé une plainte auprès de RHDCC dans laquelle elle alléguait que la défenderesse avait omis de lui payer son salaire et d’autres montants [la plainte a fait l’objet d’une enquête et elle a été rejetée].

2)             18 août 2011 – La demanderesse a endommagé une caisse de champignons portobello. M. Quach a demandé de la rencontrer, et elle a refusé de le rencontrer sans qu’un témoin soit présent. Après l’échange de multiples messages textes, la demanderesse a envoyé un message texte à M. Quach le 22 août 2011, dans lequel elle écrivait : [traduction« svp ne communiquez plus avec moi durant mes heures de repos. Ceci est considéré comme du harcèlement et je vais appeler la GRC. »

3)             5 décembre 2011 – La demanderesse a déposé une plainte de congédiement déguisé auprès de RHDCC [il a été statué sur la plainte, qui a été rejetée].

4)             12 janvier 2012 – La demanderesse a porté plainte à la GRC contre M. Quach au motif que celui‑ci l’aurait menacée [après avoir eu des entretiens avec la demanderesse et M. Quach, la GRC a refusé d’enquêter au sujet des allégations].

5)             25 janvier 2012 – La demanderesse a déposé une plainte de congédiement déguisé auprès de RHDCC [il a été statué sur cette plainte en même temps que sur la plainte du 5 décembre 2012, et la plainte a été rejetée].

6)             Mai 2012 – La demanderesse s’est plainte à la Commission canadienne des droits de la personne qu’elle était [traduction« victime de discrimination et harcelée en raison de son sexe ».

7)             24 mai 2012 – La demanderesse a reçu un avertissement verbal pour défaut de porter un filet à cheveux sur le quai de chargement.

8)             Juin 2012 – La demanderesse a reçu une lettre de réprimande écrite pour défaut de porter un filet à cheveux sur le quai de chargement.

[5]               La demanderesse a été congédiée à cause de son refus de se conformer aux politiques de livraison de la défenderesse. La demanderesse était censée livrer des champignons d’Aldegrove, en Colombie‑Britannique, dans la région de Seattle, dans l’état de Washington, trois fois par semaine. Son camion était chargé pour elle et prêt à quitter Aldergrove vers 22 h 00, mais des retards dans le chargement reportaient parfois l’heure du départ jusqu’à minuit ou plus tard. Le temps de conduite pour aller jusqu’à Seattle et en revenir était estimé à environ 6½ heures, mais le trafic et le déchargement de la marchandise pouvaient prolonger considérablement la durée totale du trajet.

[6]               La marchandise était chargée à bord du camion dans l’ordre dans lequel elle devait être livrée aux clients le long du trajet de la demanderesse. Les livraisons étaient censées être faites selon un manifeste de chargement qui était produit par le service des ventes afin de respecter les heures de livraison demandées par différents clients. Le manifeste de chargement était également présenté aux douanes américaines, puisque la procédure d’inspection à l’entrée exige que la marchandise soit chargée exactement dans l’ordre de livraison. Le non‑respect de cette exigence peut donner lieu à l’imposition d’une amende, voire même à la révocation d’un permis de transport américain.

[7]               La demanderesse livrait des marchandises à un client de la région de Seattle connu sous le nom de « Restaurant Depot », qui avait un point de livraison à Seattle ainsi qu’un autre à Fife, dans l’état de Washington, à environ 15 à 30 minutes de Seattle. L’heure de livraison prévue au Restaurant Depot à Seattle était 6 h 00, tandis que la livraison à Fife était censée être faite à 9 h 00. Toutefois, au cours des mois de novembre et décembre 2012, la demanderesse a inversé l’ordre des livraisons à trois occasions, et effectué la livraison à Fife avant d’effectuer la livraison à Seattle.

[8]               Le 2 novembre 2012, après la modification de l’ordre des livraisons par la demanderesse, M. Quach lui a envoyé un message texte lui demandant de ne plus modifier l’ordre des livraisons. Il n’a pas reçu de réponse de la demanderesse.

[9]               Le 7 novembre 2012, après que la demanderesse a de nouveau modifié l’ordre des livraisons, la défenderesse lui a remis un avis écrit de sanction disciplinaire. Ce document était adressé à la demanderesse, et il énonçait que [traduction« [l]es trajets ne doivent jamais être modifiés sans la confirmation du directeur de la logistique » et indiquait « congédiement immédiat » comme unique conséquence du défaut de corriger sa conduite. M. Quach a tenté de remettre l’avertissement disciplinaire écrit à la demanderesse en mains propres, mais elle n’a pas accepté la lettre et est partie. La lettre a ensuite été envoyée chez la demanderesse par courrier recommandé, mais elle a été retournée avec la mention « non livrée ».

[10]           La dernière modification unilatérale que la demanderesse a apportée à l’ordre des livraisons a eu lieu le 7 décembre 2012. Elle a reçu en conséquence un autre avis de sanction disciplinaire, mais elle a refusé de l’accepter.

[11]           Le 12 décembre 2012, M. Quach a parlé à la demanderesse et lui a remis son chèque de paie. Il lui a dit de nouveau qu’elle devait arrêter de modifier l’ordre des livraisons. Le même jour, la demanderesse a reçu le manifeste de chargement, sur lequel figurait la note suivante en caractères d’imprimerie gras :

[traduction] *** NE MODIFIEZ PAS L’ORDRE DU MANIFESTE ***

[12]           La demanderesse a répondu à cette note en écrivant en majuscules sur le document :

[traduction] SI ÇA VEUT DIRE QUE JE NE SERAI PAS CAPABLE DE FAIRE CE TRAJET DANS LES 14 HEURES ALLOUÉES, IL SERA MODIFIÉ.

[13]           Pour justifier la rédaction de cette note, la demanderesse a affirmé qu’elle ne pouvait pas respecter l’ordre des livraisons parce qu’elle se trouverait alors à violer la [traduction] « règle 11/14 ». La « règle 11/14 » renvoie aux Hours‑of‑Service Regulations (règlement relatif aux heures de service) du Département américain des Transports, qui dispose que les conducteurs peuvent seulement conduire pendant 11 heures en tout au cours d’une période de travail d’une durée d’au plus 14 heures avant faire une pause de 10 heures.

[14]           Je note, incidemment, que l’arbitre ne disposait d’aucun élément de preuve qui étayait la préoccupation de Mme Renae. Celle‑ci avait fait le trajet Aldergrove‑Seattle de nombreuses fois sans que la durée du trajet s’approche même du maximum réglementaire. L’arbitre disposait également d’éléments de preuve allant dans le même sens, émanant d’autres conducteurs qui avaient effectué le trajet. Personne n’a fait valoir que des circonstances particulières justifiaient une modification de l’ordre des livraisons.

[15]           Pour récapituler, l’arbitre a conclu qu’en date du 11 décembre 2012, la demanderesse avait apporté trois modifications à l’ordre des livraisons au cours d’une période de cinq semaines, et elle avait déclaré son intention de le refaire si elle estimait que cela était nécessaire. La direction a tenté d’organiser une rencontre avec la demanderesse, mais, étant donné le temps de l’année, elle a eu de la difficulté à trouver un moment qui conviendrait à Mme Renae. L’arbitre a formulé les commentaires suivants :

[traduction] À mon avis, elle savait fort bien à quel point la direction de Champs considérait que son inconduite était grave. La meilleure preuve de sa compréhension de la situation a été révélée lorsqu’elle a affirmé dans son témoignage qu’elle se demandait pourquoi la haute direction l’avait seulement rencontrée 20 jours après l’incident du 7 décembre. Il ressort de la preuve dont je dispose que cette rencontre – comme à peu près toutes les rencontres que la direction de Champs a tenté d’organiser avec la demanderesse au cours de la période de 17 mois mentionnée au paragraphe 8 de la présente décision – a été difficile à organiser. Mais la rencontre n’a pas eu lieu le 27 décembre et cela a constitué un événement clé dans la décision, que l’employeur a finalement prise, de congédier la demanderesse.

[16]           Le 27 décembre 2012, M. Quach, M. Crosby et M. Vuu ont finalement rencontré la demanderesse. Lors de cette rencontre, de nombreuses questions ont été discutées, notamment la politique relative à la salubrité des aliments, la pratique consistant à exiger que les employés portent des filets à cheveux dans le secteur du quai de chargement, pour justifier les mesures disciplinaires prises à l’endroit de la demanderesse en mai et en juin 2012 pour défaut de porter un filet à cheveux, le défaut de la demanderesse de faire un rapport à la suite d’un incident lors duquel une palette de champignons avait été endommagée, et la question de savoir s’il y avait des circonstances particulières qui expliquaient pourquoi la demanderesse continuait de modifier unilatéralement les heures de livraison. La rencontre a pris fin sans qu’aucune décision disciplinaire finale n’ait été prise. La demanderesse a continué d’occuper son emploi.

[17]           Au début de janvier 2013, la demanderesse a fait deux fois le trajet jusqu’à Seattle sans incident. Toutefois, le 11 janvier 2013, Restaurant Depot a fait savoir qu’elle résiliait son contrat de 800 000 $ avec la défenderesse. Après avoir appris cette nouvelle, la défenderesse a pris la décision de mettre fin à l’emploi de la demanderesse. La lettre de congédiement du 14 janvier 2013 énumérait les trois motifs suivants pour justifier le congédiement :

[traduction]

1.        À plusieurs occasions, vous avez modifié l’ordre prévu des livraisons aux points de livraison de Restaurant Depot situés à Seattle et à Fife sans autorisation et sans en informer l’employeur. Vous avez clairement reçu instruction de cesser cette pratique. Vous avez tout de même continué à modifier délibérément l’ordre des livraisons, ce qui contrevenait directement à votre horaire de livraison.

2.        Par suite de vos actes, Champs a reçu des plaintes officielles et a encouru des pénalités et, finalement, le client, Restaurant Depot, a résilié ses contrats pour les deux établissements en invoquant comme raisons des livraisons tardives inacceptables.

3.        Cela représente une perte considérable d’activités commerciales pour l’employeur.

III.             La décision faisant l’objet du présent contrôle

[18]           Le 13 mars 2014, l’arbitre a rendu sa décision, aux termes de laquelle il rejetait la plainte de la demanderesse et concluait que son congédiement n’était pas injuste.

[19]           L’arbitre a examiné les faits avant d’examiner les dispositions pertinentes du Code et la jurisprudence relative aux congédiements injustes. L’arbitre a conclu que les politiques de la défenderesse concernant l’ordre des livraisons et la salubrité des aliments sur le quai de chargement répondaient aux critères de la clarté, de la notification et du caractère raisonnable : Wareham c United Grain Growers, [1985] CLAD no 88; Stein c British Columbia (Housing Management Commission), (1992) 41 CCEL 213 (CACB). L’arbitre a également conclu que la demanderesse avait été avisée qu’une inobservation de la politique pourrait entraîner un congédiement et que la demanderesse était la seule parmi les conducteurs à l’emploi de Champs qui ne respectait pas la politique, et qu’[traduction« il s’agissait d’une pratique que tous les conducteurs savaient fort bien être essentielle à la satisfaction des clients, surtout en ce qui concernait Restaurant Depot et son établissement de Seattle. »

[20]           En outre, l’arbitre a statué que la note que la demanderesse avait écrite sur le manifeste de chargement du 12 décembre 2013 avait constitué un [traduction« incident culminant » qui autorisait la défenderesse à imposer d’autres sanctions disciplinaires. Plus précisément, l’arbitre a affirmé que cet incident avait été un [traduction« geste final légitime d’inconduite délibérée ». L’arbitre a statué que la défenderesse n’avait pas toléré le comportement de la demanderesse et que le délai de quatre semaines qui s’était écoulé avant que la défenderesse réagisse et congédie la demanderesse était raisonnable dans les circonstances.

[21]           L’arbitre a conclu que la défenderesse avait adopté une approche contextuelle lorsqu’elle avait effectué son enquête relative à l’inconduite et lorsqu’elle avait déterminé quelle était la sanction indiquée; ainsi, une analyse contextuelle de l’inconduite de la demanderesse démontrait que le congédiement était une réponse proportionnée de la part de la défenderesse. En dernière analyse, l’arbitre a affirmé qu’à cause du comportement cumulatif de la demanderesse, la relation d’emploi n’était plus viable.

A.                La décision de l’arbitre était déraisonnable parce que celui‑ci s’est fondé sur des faits qui n’avaient pas été présentés en preuve ni plaidés par ni l’une ni l’autre des parties

[22]           La demanderesse soutient que la décision de l’arbitre était déraisonnable parce que l’arbitre s’est fondé sur des faits qui n’avaient pas été présentés en preuve ni plaidés par les parties et dont on ne pouvait raisonnablement inférer l’existence. Cet argument vise les conclusions que l’arbitre a tirées en rapport avec la rencontre du 27 novembre 2012, notamment en ce qui a trait à son objet.

[23]           La demanderesse soutient que la rencontre du 27 décembre 2012 entre la demanderesse et la direction avait pour objet de déterminer quelle serait une mesure disciplinaire corrective appropriée, et non, comme l’arbitre l’a conclu, de permettre à la défenderesse de continuer à délibérer au sujet de la forme indiquée de sanction disciplinaire à imposer à la demanderesse. Une mesure disciplinaire corrective était requise parce qu’à ce moment‑là, la défenderesse croyait erronément que la demanderesse avait continué à modifier l’ordre des livraisons après le 7 décembre 2012.

[24]           En outre, les deux membres de l’équipe de direction qui ont finalement pris la décision de congédier la demanderesse, soit M. Tran et M. Vuu, n’ont pas présenté d’éléments de preuve devant l’arbitre. En conséquence, il n’y a aucun élément de preuve émanant des décideurs qui contredisait l’inférence selon laquelle la mesure disciplinaire indiquée qui avait été convenue lors de la rencontre était d’assujettir Mme Renae à une évaluation continue de son rendement. La demanderesse soutient que la seule conclusion raisonnable que l’on puisse tirer des éléments de preuve est que la rencontre avait pour objet de donner à la demanderesse un avertissement et l’occasion de corriger sa conduite afin que la défenderesse n’ait pas à la congédier.

[25]           La demanderesse soutient que l’arbitre a rendu sa décision sans prendre en considération qu’au moment de la rencontre du 27 décembre 2012 et au moment du congédiement de la demanderesse, la défenderesse croyait erronément que la demanderesse continuait d’inverser l’ordre des livraisons. La défenderesse croyait donc que Restaurant Depot avait résilié son contrat parce que la demanderesse avait continué à inverser l’ordre de ses livraisons jusqu’en janvier 2013. La défenderesse a donc fondé sa décision de congédier la demanderesse sur des événements qui ne se sont pas produits.

[26]           Ces trois points gravitent autour de ce que visait la rencontre du 27 décembre. M. Quach a affirmé dans son témoignage que la rencontre avait pour objet de prendre une [traduction« mesure corrective » et qu’il voulait donner à Mme Renae l’occasion d’expliquer à la haute direction s’il y avait des circonstances particulières qui justifiaient les modifications qu’elle avait apportées à l’ordre des livraisons.

[27]           À mon avis, l’emploi du terme [traduction] « mesure corrective » par la direction ne rend pas déraisonnable la conclusion générale que l’arbitre a tirée quant à l’objet de la rencontre du 27 décembre. Les courriels que M. Quach a envoyés à la demanderesse le 19 décembre 2012 et le 21 décembre 2012 indiquent clairement l’objet de la rencontre envisagée et les conséquences qui pourraient en découler :

[traduction]

Votre présence est requise pour assister à une rencontre disciplinaire concernant plusieurs violations récentes sur les lieux de travail. […] Si vous ne vous présentez pas, vous pourriez être suspendue indéfiniment, de sorte que je vous exhorte à vous rendre disponible. [19 décembre 2012]

Il serait préférable de répondre à nos préoccupations, car nous ne voulons pas que Champs paraisse tolérer votre piètre rendement au travail et vous permettre de continuer à exercer vos fonctions sans posséder les compétences ou la formation appropriées. Je vous rappelle que votre présence est obligatoire, et je vous prie donc de vous rendre disponible. [19 décembre 2012]

[28]           Chose importante, après que les parties ont finalement convenu d’une date pour la rencontre, M. Quach a avisé Mme Renae que la rencontre était reportée au 27 décembre 2012, et il l’a informée qu’[traduction« [e]n attendant l’issue de [sa] rencontre disciplinaire », elle conservait son horaire régulier « pour le moment ».

[29]           Compte tenu du contexte, en commençant par les avertissements du 7 novembre, du 7 décembre et du 12 décembre, la conclusion de l’arbitre selon laquelle il se pouvait que la demanderesse soit congédiée à l’issue de la rencontre est inattaquable.

[30]           Le fait que la décision ait finalement été prise par M. Tran et M. Vuu, qui n’ont pas témoigné, ne mine pas le caractère raisonnable de la conclusion. L’arbitre disposait de suffisamment d’éléments de preuve documentaire et testimoniale pour pouvoir conclure que les parties ne s’étaient pas entendues sur la suite des événements lors de la rencontre, et que celle‑ci s’était conclue par la nécessité que la direction de Champs [traduction] « envisage les étapes suivantes ». L’arbitre a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve qui indiquait que les parties étaient parvenues à [traduction] « une entente pour résoudre différend ».

[31]           J’examinerai maintenant la troisième erreur factuelle, à savoir que l’arbitre a méconnu les éléments de preuve qui indiquaient que la direction croyait erronément que la demanderesse avait modifié l’ordre des livraisons en janvier 2013. Sur ce point, l’arbitre s’exprime clairement :

[traduction]

Au début de 2013, Mme Renae a effectué quelques voyages à Seattle, apparemment sans incident. Entre‑temps, l’équipe de direction de Champs continuait à s’interroger quant à savoir quelle sanction disciplinaire serait imposée à la suite de la rencontre qui avait eu lieu le 27 décembre. Puis, le 11 janvier, Restaurant Depot a appelé le service des ventes et a fait savoir qu’elle résiliait son contrat avec Champs et qu’elle « allait se trouver un autre vendeur ».

Lorsque la haute direction de Champs a appris cette nouvelle, la décision a été prise de mettre fin à l’emploi de Mme Renae.

[32]           Au soutien de son troisième argument, la demanderesse attache une importance considérable au libellé de la lettre de congédiement du 14 janvier 2013, qui énonce notamment :

[traduction]

Cette lettre constitue un avis officiel qu’il est mis fin à votre emploi au service de Champ’s Mushrooms Inc. avec effet immédiat le 14 janvier 2013 pour un motif valable, à savoir que :

•    À plusieurs occasions, vous avez modifié l’ordre prévu des livraisons aux points de livraison de Restaurant Depot situés à Seattle et à Fife sans autorisation et sans en informer l’employeur. Vous avez clairement reçu instruction de cesser cette pratique. Vous avez tout de même continué à modifier délibérément l’ordre des livraisons, ce qui contrevenait directement à notre horaire de livraison.

[33]           Je conviens que cette phrase se prête à deux interprétations, dont une qui donne à entendre que la demanderesse avait modifié l’ordre des livraisons lors des voyages qu’elle avait effectués à Seattle en janvier 2013, ce qu’elle n’a pas fait. Selon une autre interprétation, cette phrase fait allusion à la modification que la demanderesse avait apportée à l’ordre des livraisons en décembre 2012, après avoir été avisée par écrit que cela pourrait entraîner son congédiement. La phrase pourrait également concerner la déclaration écrite que la demanderesse avait inscrite sur le manifeste du 11 décembre 2012 selon laquelle elle modifierait l’ordre des livraisons si elle l’estimait indiqué.

[34]            La phrase combine, peut‑être, de façon quelque peu maladroite les deux idées, et son libellé est peut‑être malheureux, mais elle ne prouve pas que l’employeur croyait erronément que la demanderesse avait modifié l’ordre en janvier 2013. L’arbitre ne disposait d’aucune preuve de cela, et, compte tenu de la réponse de la direction et de la documentation considérable générée les autres fois où la demanderesse avait modifié l’ordre des livraisons auparavant, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’il y ait des preuves, d’une part, de modifications à l’ordre des livraisons en janvier, et d’autre part, de la connaissance que la direction avait de ces modifications. L’arbitre ne disposait d’aucune preuve d’un tel malentendu de la part de la direction.

B.                 La décision de l’arbitre était déraisonnable parce que celui‑ci s’est fondé sur un incident culminant que la défenderesse n’avait pas invoqué comme motif de congédiement

[35]           La demanderesse soutient que l’arbitre s’est fondé déraisonnablement sur la note que la demanderesse avait écrite sur le manifeste de chargement le 12 décembre 2012 à titre d’incident additionnel justifiant l’imposition d’une mesure disciplinaire et à titre d’[traduction« incident culminant qui justifiait d’examiner ses antécédents disciplinaires au cours de toute sa période d’emploi ». La demanderesse soutient que cela est particulièrement problématique étant donné que l’incident n’apparaît nulle part dans la lettre de congédiement de la défenderesse ni dans les réponses écrites à la plainte de congédiement injuste de la demanderesse. M. Crosby n’était pas au courant de cet incident, et il a affirmé expressément qu’il n’avait aucune connaissance d’actes posés par la demanderesse qui auraient justifié l’imposition d’une mesure disciplinaire après le 7 décembre 2012, hormis la résiliation du contrat avec Restaurant Depot.

[36]           La demanderesse soutient qu’en règle générale, un employeur aura de la difficulté à justifier une cessation d’emploi fondée sur des motifs qui n’ont pas été communiqués initialement à un employé : Defence Construction Canada Ltd. c Girard, [2005] ACF no 1468 (CF). C’est‑à‑dire qu’un employeur [traduction« doit justifier sa décision de congédier pour un motif valable en s’appuyant sur les mêmes motifs que ceux qu’il a invoqués à l’origine dans sa déclaration » : Gould c Aliant Telecom, [2002] CLAD no 498. L’employeur n’a pas invoqué expressément l’incident du 12 décembre 2012 dans ses motifs de congédiement, et la décision de l’arbitre était donc déraisonnable.

[37]           Comme il a été indiqué précédemment, la lettre est rédigée maladroitement, mais, dans le contexte des antécédents en matière d’emploi, l’interprétation que l’arbitre en a faite était raisonnable – la demanderesse avait manifesté une intention persistante de modifier l’ordre des livraisons en contravention d’une directive clairement communiquée de la direction.

[38]           Lorsqu’elle examine la question de savoir si un employeur a un motif valable de congédiement, la cour doit se demander si l’inconduite de l’employé « a eu pour effet de rompre la relation employeur‑employé » : McKinley c BC Tel, 2001 CSC 38. Les tribunaux doivent examiner les actes d’inconduite de l’employé cumulativement, comme l’exige une démarche contextuelle : McKinley; Poliquin c Devon Canada Corporation, 2009 ABCA 216. Il ne fait aucun doute que l’arbitre a appliqué le bon cadre juridique.

[39]           Deuxièmement, un employeur a le droit de déterminer comment il exploitera son entreprise, notamment en établissant des politiques et des procédures, pourvu que celles‑ci ne soient pas contraires à la loi et qu’elles soient compatibles avec les fonctions pour lesquelles un employé a été embauché. L’employé ne peut pas opiner sur l’opportunité de ces politiques et en faire fi si bon lui semble : Stein, à la page 217. Toutefois, avant qu’un employeur puisse invoquer l’inobservation d’une politique de l’entreprise comme motif valable de congédiement, il doit d’abord établir que : la politique a été communiquée aux employées; l’employé touché connaissait la politique; la politique n’est pas ambiguë et elle a été appliquée uniformément; les employés ont été avertis qu’ils seraient congédiés s’ils contrevenaient à la politique; la politique est raisonnable; et la violation est suffisamment grave pour justifier un congédiement : Roney c Knowlton Realty Ltd., 1995 CanLII 3132 (CSCB). L’arbitre a conclu qu’il avait été satisfait à ces critères.

[40]           L’arbitre a conclu que la demanderesse avait fait défaut à maintes reprises de se conformer à des politiques en vigueur dans le milieu de travail et à des instructions données par la direction. La demanderesse a choisi de faire preuve d’insubordination en recherchant la confrontation. La demanderesse a refusé de se présenter à des rencontres disciplinaires organisées par la direction. En outre, le manifeste de chargement, les instructions verbales, et les avis disciplinaires communiqués à la demanderesse étaient clairs et non équivoques, et la demanderesse a exprimé, par écrit, son intention de ne pas tenir compte des directives de la direction lorsqu’elle l’estimerait indiqué. Malgré qu’elle ait été avertie le 7 novembre que des modifications à l’ordre des livraisons pourraient entraîner un congédiement, elle en a modifié l’ordre après cette date.

[41]           Pour ce qui concerne la tolérance, l’employeur dispose d’un délai raisonnable pour enquêter sur l’inconduite et étudier les options qui s’offrent à lui : Tracey c Swansea Construction Co Ltd., [1965] 1 OR 203. Ce qui est « raisonnable » dépend des circonstances de chaque espèce. Dans ce cas‑ci, la durée de l’enquête – soit quatre semaines – était raisonnable étant donné les difficultés que la défenderesse avait éprouvées auparavant à rencontrer la demanderesse, et que l’enquête s’est en partie déroulée pendant la période des Fêtes. La conclusion de l’arbitre selon laquelle le maintien en emploi de la demanderesse du 12 décembre 2012 au 14 janvier 2013 ne constituait pas de la tolérance trouve de solides assises dans la preuve. L’arbitre a soigneusement relevé les efforts que la direction a déployés pour rencontrer rapidement Mme Renae et constaté la non‑disponibilité de cette dernière.

[42]           En somme, donner à entendre, comme l’a fait la demanderesse, que l’incident du 12 décembre 2012 n’a pas influé sur la décision de mettre fin à son emploi ne constitue pas une juste interprétation des éléments de preuve. Il a été expressément question dans le témoignage du fait que la demanderesse avait écrit sur le manifeste de chargement qu’elle ne suivrait pas les instructions de la direction. Voici certains des éléments de preuve pertinents dont l’arbitre disposait à cet égard, et dont il est fait mention dans les mémoires de la défenderesse :

[traduction]

M. Quach et M. Crosby ont toutefois tous deux présenté des éléments de preuve selon lesquels l’équipe de gestion, dont ils faisaient tous deux partie, avait examiné l’historique d’emploi de la demanderesse au sein de l’entreprise. M. Quach a affirmé qu’au cours des réunions de la direction concernant l’imposition de sanctions disciplinaires à la demanderesse, il avait fait remarquer qu’il estimait que la demanderesse « continuait de désobéir […] à l’ordre qui lui avait été donné ».

M. Quach a également affirmé que, lorsque l’équipe de gestion lui a demandé s’il pensait qu’ils devraient congédier la demanderesse, il avait répondu qu’il pensait que la demanderesse continuerait d’être une « employée rebelle » compte tenu de ses « antécédents [] et des problèmes constants que nous avons éprouvés et de l’impossibilité de communiquer ou de donner quelque type de formation que ce soit ou que soient apportés quelque correctif que ce soit à son comportement ». Il a ensuite affirmé que la décision de mettre fin à l’emploi de la demanderesse avait été prise « après mûre réflexion avec l’ensemble de l’équipe de gestion ».

[43]           Selon le témoignage de M. Quach, l’équipe de gestion a examiné l’historique d’emploi de la demanderesse au sein de l’entreprise au moment de décider s’il y avait lieu de mettre fin à son emploi. Ces antécédents comprenaient de multiples plaintes que la demanderesse avait déposées auprès de divers organismes, notamment RHDCC, la Commission canadienne des droits de la personne, la Worker’s Compensation Board (commission d’indemnisation des travailleurs) et la Gendarmerie royale du Canada. Ces antécédents comprenaient également la suspension antérieure de la demanderesse à la suite d’un incident relatif à la perte d’un produit. De nombreuses tentatives avaient été faites pour rencontrer la demanderesse après cet incident, et la demanderesse soit ne communiquait pas avec la défenderesse ou refusait de la rencontrer.

IV.             La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable

[44]           La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre ayant statué sur une plainte de congédiement injuste est la norme de la décision raisonnable : Payne c Banque de Montréal, 2013 CAF 33. Bien que la norme de la décision raisonnable soit une norme de contrôle déférente, la décision d’un arbitre n’est pas pour autant à l’abri d’un contrôle. La décision doit être justifiable, transparente et intelligible, et elle doit appartenir à « la gamme des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. Pour les motifs qui précèdent, la décision satisfait à cette norme.

[45]           Le contrôle d’une décision relative à un congédiement doit se faire l’intérieur du cadre élaboré par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt McKinley. Dans cet arrêt, au paragraphe 57, le juge Iacobucci a affirmé que la cour de révision doit employer « un cadre analytique qui traite chaque cas comme un cas d’espèce et qui tient compte de la nature et de la gravité de la malhonnêteté pour déterminer si elle est conciliable avec la relation employeur‑employé ».

[46]           L’arbitre a convenablement examiné la conduite de la demanderesse prise dans son ensemble. Cela est particulièrement important lorsque les événements en cause sont très rapprochés dans le temps et sont de natures très similaires. Les actes d’insubordination de la demanderesse, d’ailleurs grave, ont eu lieu à l’intérieur d’un court laps de temps. Comme l’arbitre l’a affirmé à juste titre, l’insubordination de la demanderesse était [traduction« devenue une attitude de défi ». De ce fait, la relation employeur‑employé n’était plus viable, et elle causait de sérieux torts à l’entreprise de la défenderesse.

[47]           Lorsqu’il évalue la proportionnalité de la réaction d’un employeur par rapport à l’inconduite d’un employé, l’arbitre peut prendre en compte l’effet cumulatif des antécédents de l’employé pour déterminer si son congédiement était justifié ou non : Poliquin, au paragraphe 73. En l’espèce, la demanderesse a fait défaut à maintes reprises de se conformer aux politiques en vigueur dans le milieu de travail concernant l’ordre des livraisons et aux instructions claires de ses supérieurs. La demanderesse soutient que ces politiques étaient des lignes directrices et n’étaient pas obligatoires; toutefois, il est clair que la direction n’était pas de cet avis et qu’elle avait avisé la demanderesse qu’une inobservation des politiques pourrait entraîner un congédiement immédiat.

V.                Conclusion

[48]           En somme, les conclusions de l’arbitre concernant la tolérance, les incidents cumulatifs et le caractère approprié de la réponse trouvent toutes des assises dans la preuve, et les conclusions et les inférences qu’il a tirées des éléments de preuve dont il disposait étaient raisonnables, et ne justifient pas une intervention.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

« Donald J. Rennie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T‑893‑14

INTITULÉ :

NANCY RENAE c CHAMP’S MUSHROOMS INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 NOVEMBRE 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

LE 26 JANVIER 2015

COMPARUTIONS :

Andres E. Barker

POUR la demanderesse

Trevor Hande

POUR la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kent Employment Law

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour la demanderesse

Hamilton Duncan Armstrong & Stewart

Avocats

Surrey (Colombie‑Britannique)

POUR la défenderesse

 

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