Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150128


Dossiers : IMM-7800-14

IMM-7801-14

Référence : 2015 CF 111

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Roy

Dossier : IMM-7800-14

ENTRE :

FNU KAMUANYA MUBENGA

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

partie défenderesse

 

Dossier : IMM-7801-14

ET ENTRE :

FNU KAMUANYA MUBENGA

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

partie défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Le défendeur, en l’espèce, le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, présente à la Cour deux requêtes faites par écrit qui ont un même objet. Dans les deux cas, on demande à la Cour de « radier péremptoirement la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la demanderesse. »

[2]               Dans le dossier IMM-7800-14, la demanderesse fait valoir qu’une décision verbale rendue le 7 janvier 2004 par un « Refugee Protection Officer » devrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Cette demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dite en mandamus a été présentée le 24 novembre 2014. Pour une raison qui n’est pas présentée, le défendeur traite dans ses prétentions écrites d’une décision du 19 février 2004 comme étant celle au sujet de laquelle la demande de contrôle judiciaire est faite. Or, à sa face même, la demande de contrôle judiciaire ne traite en aucune manière de ce qui se serait passé le 19 février 2004.

[3]               Une courte explication pourra peut-être éclairer le débat. À la suite d’une demande d’asile faite par la demanderesse lors de son arrivée au Canada en 2003, la procédure d’alors prévoyait que la demanderesse pouvait être convoquée en entrevue. Ce fut le cas en l’espèce. À cette entrevue, la personne désignée comme le « Refugee Protection Officer » était habileté à faire une recommandation. Ici, le dossier tend à démontrer qu’une recommandation d’accepter la demande d’asile sans audience a été faite. Cependant, cette recommandation doit être entérinée par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés. Cela ne semble pas avoir été le cas puisque nous avons au dossier une note écrite, en date du 19 février 2004, qui à sa face même rejette la recommandation et indique « I remit this claim for determination at a hearing. » De fait, une décision a été rendue par la Section de la protection des réfugiés le 25 août 2004. C’est cette décision qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire dans le dossier IMM-7801-14.

[4]               Alors que le défendeur fait porter sa requête sur la décision du 19 février 2004, aucune telle mention n’est faite dans la demande de contrôle judiciaire. C’est bien de la recommandation, favorable à la demanderesse, dont il y est question.

[5]               Les deux requêtes sont entendues sans avoir les prétentions de la demanderesse puisque les délais pour répondre aux deux requêtes du défendeur sont déjà expirés. Malgré cette absence d’intervention de la part de la demanderesse, la Cour se doit d’examiner les prétentions du défendeur pour en déterminer le mérite. Cet examen fait, la Cour fera droit à la demande dans le dossier IMM-7800-14, mais rejette la requête dans le dossier IMM-7801-14. Mes brefs motifs suivent.

[6]               Dans le dossier IMM-7800-14, on comprend mal comment la demanderesse peut vouloir contester une « décision » qui lui aurait été favorable. La recommandation faite était : « I recommend that this claim be accepted without a hearing. » On peut comprendre que le défendeur ait inféré que la décision qu’on voulait attaquer aurait dû être celle du 19 février. Mais cela n’a pas été fait. Il apparaît donc que la demande de contrôle judiciaire au sujet de la décision du 7 janvier 2004 est, par définition, vouée à l’échec. Si la demanderesse voulait contester le rejet de la recommandation, elle devait le faire en bonne et due forme.

[7]               Mais la Cour a-t-elle juridiction pour faire droit à la requête? Le Ministre cherche à prendre appui pour sa requête sur la Règle 4 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Ce texte se lit de la façon suivante :

Cas non prévus

Matters not provided for

4. En cas de silence des présentes règles ou des lois fédérales, la Cour peut, sur requête, déterminer la procédure applicable par analogie avec les présentes règles ou par renvoi à la pratique de la cour supérieure de la province qui est la plus pertinente en l’espèce.

4. On motion, the Court may provide for any procedural matter not provided for in these Rules or in an Act of Parliament by analogy to these Rules or by reference to the practice of the superior court of the province to which the subject-matter of the proceeding most closely relates.

La demanderesse étant résidente de la province de Québec, le défendeur n’a fait aucun renvoi à la pratique de la Cour supérieure du Québec. Il n’a pas davantage fait une analogie avec les présentes règles. Je ne suis pas convaincu, sans plus, que la Règle 4 trouve facilement application en l’espèce.

[8]               Il semble que la juridiction invoquée par le défendeur en l’espèce procède du passage suivant tiré de l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 RCF 588  [David Bull Laboratories]:

Nous n’affirmons pas que la Cour n’a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d’autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli. [Page 600]

Quant à moi, ce serait plutôt une compétence inhérente qui devrait être invoquée. La forme négative adoptée par le Juge Strayer dans David Bull Laboratories provenait du fait que la Cour avait refusé une requête en radiation faite dans le cadre d’un contrôle judiciaire. On peut lire, à la page 597 :

Par conséquent, le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d’instance qu’elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l’audition de la requête même. La présente cause illustre bien le gaspillage de ressources et de temps qu’entraîne l’examen additionnel d’une requête interlocutoire en radiation dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire qui devrait être sommaire.

La Cour a rejeté dans David Bull Laboratories la requête en radiation de l’avis de requête introductive d’instance en prohibition. La Cour d’appel fédérale aura voulu conserver la possibilité que des requêtes puissent être entendues lorsque l’avis de requête en contrôle judiciaire est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli. Cependant, je considère suspect de s’en remettre à la Règle 4 puisque, dans et depuis David Bull Laboratories, la Cour d’appel fédérale s’est prononcée sur la portée de la Règle 4. Ainsi, on lit à Sellathurai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 223, [2012] 2 RCF 243 :

[30]      La raison d’être de la règle 4 est de veiller à ce qu’il n’existe pas de lacunes sur le plan de la procédure. Ainsi, dans les affaires comme Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1310, [2007] 4 R.C.F. 300, la règle 4 a été appliquée pour combler une lacune dans les Règles en ce qui concerne le traitement des renseignements sensibles. Toutefois, dans ces affaires, il était manifeste que l’instance avait été correctement introduite devant la Cour fédérale et que celle-ci avait compétence (voir Mohammed aux paragraphes 18 à 20). Ce qui manquait, c’était un mécanisme procédural permettant de protéger les renseignements sensibles dans le cadre de l’instance. Toutefois, lorsque, comme en l’espèce, la compétence de la Cour fédérale est mise en doute, il est impossible de se fonder sur la règle 4 pour lui attribuer une compétence matérielle.

[9]               À mon avis, la demande de contrôle judiciaire dans le dossier IMM-7800-14 est tellement informe qu’elle n’a aucune chance de succès (Leahy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 509, para 12). La demanderesse veut le contrôle judiciaire d’une « décision » qui lui a été complètement favorable. Elle aura peut-être voulu se plaindre de la décision de ne pas suivre la recommandation faite. Mais ce n’est pas ce qu’elle a fait.

[10]           La conclusion à laquelle j’en arrive dans le dossier IMM-7801-14 est différente. La demande de contrôle judiciaire faite par la demanderesse n’est pas informe. Bien qu’elle y demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue il y a déjà plus de 10 ans, elle demande la prorogation des délais et y invoque des motifs dont il n’est pas nécessaire d’examiner la teneur. Le passage de l’arrêt David Bull Laboratories déjà cité plus haut me semble parfaitement pertinent. La Cour ne devrait pas encourager « le gaspillage de ressources et de temps qu’entraîne l’examen additionnel d’une requête interlocutoire en radiation dans le cadre d’une procédure de contrôle judicaire qui devrait être sommaire ». Si l’on peut prétendre à une juridiction inhérente, celle-ci, me semble-t-il, doit être limitée au cas où l’avis de requête est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli. Ce que le défendeur cherche à faire ici, c’est d’examiner la valeur de la requête en contrôle judiciaire qui est présentée.

[11]           Ainsi il prétend qu’il n’y a aucun motif valable pour octroyer une prorogation de délais. Avec égard, cette façon de faire me semble prématurée. Ce sera à la demanderesse de faire valoir les motifs qui justifient, non seulement que sa demande d’autorisation soit accordée parce qu’elle remplit le critère de l’arrêt Bains c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 CF 487, mais aussi qu’une période de 10 ans avant de faire valoir son recours est justifiable en vertu de la Loi. En retour, le défendeur pourra faire valoir ses arguments pour que la demande d’autorisation soit rejetée du fait d’un tel retard.

[12]           À mon sens, c’est de bonne politique judiciaire que d’éviter en matière de contrôle judiciaire la multiplicité des instances (David Bull Laboratories, précité). Qui plus est, la caveat présenté par la Cour d’appel fédérale dans David Bull Laboratories après avoir indiqué la possibilité d’une compétence inhérente dans les cas où l’avis de requête est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance de succès mérite d’être cité au texte : « Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête. »

[13]           Je conclus donc que la requête en radiation dans le dossier IMM-7800-14 est un de ces cas exceptionnels et elle est donc accordée. Quant à la requête en radiation dans le dossier IMM-7801-14, elle est rejetée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête en radiation dans le dossier IMM-7800-14 est accordée, et la requête en radiation dans le dossier IMM-7801-14 est rejetée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

IMM-7800-14 ET IMM-7801-14

 

DOSSIER :

IMM-7800-14

 

INTITULÉ :

FNU KAMUANYA MUBENGA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-7801-14

 

INTITULÉ :

FNU KAMUANYA MUBENGA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

 

REQUÊTE ÉCRITE CONSIDÉRÉE À OTTAWA, ONTARIO SUITE À LA RÈGLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 janvier 2015

 

COMPARUTIONS :

Fnu Kamuanya Mubenga

 

Pour la partie demanderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Émilie Tremblay

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fnu Kamuanya Mubenga

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.