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Date : 20150206


Dossier : IMM-5959-14

Référence : 2015 CF 159

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 février 2015

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

TIANLE MA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur sollicite l’annulation de la décision rendue le 23 juillet 2014 par une agente de traitement des demandes de Citoyenneté et Immigration, qui a refusé de traiter une demande de résidence permanente présentée depuis le Canada au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait. Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est rejetée.

I.                   Les faits

[2]               Le demandeur, Tianle Ma, vit au Canada depuis qu’il y est entré, en novembre 2002, muni d’un visa d’étudiant. Comme il n’a pas quitté le Canada à la fin de ses études, une mesure d’exclusion a été prise contre lui. Toutefois, jamais cette mesure n’a été mise à exécution, ni aucune procédure de renvoi entreprise. Rien au dossier ne permet d’expliquer comment les événements ont pu s’enchaîner de manière aussi singulière.

[3]               Le 1er juillet 2013, le demandeur a épousé Yuxiang Zou, résidente permanente du Canada et citoyenne de Chine. Le demandeur affirme que le mariage est authentique. À l’automne 2013, le demandeur a présenté depuis l’étranger une demande de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial. Parallèlement, il a déposé au Canada une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait. Ces deux demandes sont à l’origine de la demande de contrôle judiciaire.

[4]               La demande de résidence permanente présentée depuis l’étranger au titre de la catégorie du regroupement familial a été reçue au Centre de traitement des demandes de Vegreville (le CTDV), en Alberta, le 1er novembre 2013 à 9 h 22. Cette demande était toutefois incomplète. Certains des formulaires nécessaires manquaient, en particulier le formulaire intitulé « Recours aux services d’un représentant », lequel n’a été déposé que le 16 décembre 2013, date à laquelle le CTDV a jugé que la demande était complète. Une version électronique de la demande a été créée le même jour dans le système de dossiers informatisés de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), et cette date a été considérée comme « date déterminante ».

[5]               La demande de résidence permanente présentée depuis le Canada au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait a été reçue au Centre de traitement des demandes de Mississauga (le CTDM), en Ontario, le 1er novembre 2013 à 10 h 52. Toutefois, cette demande était elle aussi incomplète et a donc été retournée au demandeur pour qu’il fournisse plus de renseignements. Ce n’est que le 31 décembre 2013 que le « Formulaire de demande générique pour le Canada » a été déposé. Une version électronique de la demande présentée depuis le Canada a été créée le même jour, et cette date a été considérée comme « date déterminante ».

[6]               Le 23 juillet 2014, une agente de traitement des demandes (l’agente) a découvert que deux demandes de parrainage avaient été présentées. Après avoir examiné les deux demandes, elle a décidé que la date déterminante de la demande présentée depuis l’étranger était le 16 décembre 2014, c’est‑à‑dire qu’elle précédait de quinze jours la date déterminante de la demande présentée depuis le Canada. L’agente a jugé que le dossier de cette dernière demande était complet à compter du 31 décembre.

[7]               Vu qu’il n’existe à CIC aucune politique consistant à communiquer avec le demandeur ou le répondant lorsque deux demandes de parrainage sont reçues et que la demande présentée depuis le Canada avait été reçue quinze jours après celle présentée depuis l’étranger, l’agente a conclu que la demande présentée depuis le Canada était une « demande multiple » déposée en violation du paragraphe 10(5) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Elle a donc annulé cette dernière demande le 23 juillet 2014. Toutefois, avant de procéder à l’annulation, l’agente a examiné les versions électronique et papier du dossier de demande à la recherche d’indices permettant de croire que la répondante ou le demandeur avaient voulu retirer la demande présentée depuis l’étranger, mais elle n’a rien trouvé à cet effet. Elle a ensuite informé la répondante de sa décision dans une lettre datée du 23 juillet 2014, renvoyé la demande présentée depuis le Canada et remboursé les droits afférents qui avaient été payés. Rien de ce qui figurait au dossier de la demande présentée depuis le Canada n’a été conservé au CTDM, à l’exception du reçu relatif au paiement des droits.

II.                Dispositions applicables

[8]               Suivant le paragraphe 13(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), un citoyen canadien ou un résident permanent peut parrainer un étranger, mais ce parrainage est toutefois assujetti aux règlements.

13. (1) Tout citoyen canadien, résident permanent ou groupe de citoyens canadiens ou de résidents permanents ou toute personne morale ou association de régime fédéral ou provincial — ou tout groupe de telles de ces personnes ou associations — peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger.

13. (1) A Canadian citizen or permanent resident, or a group of Canadian citizens or permanent residents, a corporation incorporated under a law of Canada or of a province or an unincorporated organization or association under federal or provincial law — or any combination of them — may sponsor a foreign national, subject to the regulations.

[9]               Suivant le paragraphe 10(4) du Règlement, la demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie du regroupement familial doit être accompagnée de la demande de parrainage visée à l’alinéa 130(1)c).

(4) La demande faite par l’étranger au titre de la catégorie du regroupement familial doit être précédée ou accompagnée de la demande de parrainage visée à l’alinéa 130(1)c).

10(4) An application made by a foreign national as a member of the family class must be preceded or accompanied by a sponsorship application referred to in paragraph 130(1)(c).

[10]           L’alinéa 130(1)c) du Règlement précise que pour pouvoir parrainer un étranger au titre de la catégorie du regroupement familial ou de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, le répondant doit déposer une demande de parrainage :

130. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), a qualité de répondant pour le parrainage d’un étranger qui présente une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial ou une demande de séjour au Canada au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada aux termes du paragraphe 13(1) de la Loi, le citoyen canadien ou résident permanent qui, à la fois :

130(1) Subject to subsections (2) and (3), a sponsor, for the purpose of sponsoring a foreign national who makes an application for a permanent resident visa as a member of the family class or an application to remain in Canada as a member of the spouse or common-law partner in Canada class under subsection 13(1) of the Act, must be a Canadian citizen or permanent resident who

a) est âgé d’au moins dix-huit ans;

(a) is at least 18 years of age;

b) réside au Canada;

(b) resides in Canada; and

c) a déposé une demande de parrainage pour le compte d’une personne appartenant à la catégorie du regroupement familial ou à celle des époux ou conjoints de fait au Canada conformément à l’article 10.

(c) has filed a sponsorship application in respect of a member of the family class or the spouse or common-law partner in Canada class in accordance with section 10.

[11]           Suivant le paragraphe 10(5) du Règlement, il est interdit de déposer plusieurs demandes de parrainage :

(5) Le répondant qui a déposé une demande de parrainage à l’égard d’une personne ne peut déposer une nouvelle demande concernant celle-ci tant qu’il n’a pas été statué en dernier ressort sur la demande initiale.

10(5) No sponsorship application may be filed by a sponsor in respect of a person if the sponsor has filed another sponsorship application in respect of that same person and a final decision has not been made in respect of that other application.

III.             Analyse

A.                Quelle demande a été déposée la première?

[12]           Il s’agit là d’une question de fait qui est régie par la norme de contrôle de la décision raisonnable. L’agente a conclu que le dossier complet de la demande présentée depuis le Canada a été reçu quinze jours après celui de la demande présentée depuis l’étranger. Même si la demande présentée depuis l’étranger a été reçue 30 minutes avant celle présentée depuis le Canada, elle n’était pas complète. Au vu du dossier dont elle disposait, c’était là la seule décision à laquelle l’agente pouvait arriver.

[13]           Les demandes présentées sous le régime de la LIPR doivent être complètes. La demande à laquelle il manque des éléments essentiels n’est pas une demande au sens de la LIPR et du Règlement. Si le terme est ainsi interprété, c’est pour que les agents se consacrent à l’examen de dossiers complets, ce qui permet une meilleure utilisation des ressources. Il importe de souligner que les demandeurs qui déposent une demande incomplète ne conserveront pas leur priorité de rang au détriment de ceux qui déposent leur demande à une date ultérieure, mais qui l’accompagnent d’un dossier complet.

[14]           En l’espèce, l’agent a rendu une décision raisonnable en concluant que le dossier présenté depuis le Canada était resté incomplet jusqu’au 31 décembre 2013.

[15]           L’article 10 du Règlement énonce les exigences minimales auxquelles doivent répondre les demandes. En particulier, l’alinéa 10(1)c) prévoit qu’une demande au titre du Règlement « comporte les renseignements et documents exigés par le présent règlement et est accompagnée des autres pièces justificatives exigées par la Loi ». Étant donné que la demande initialement présentée depuis le Canada le 1er novembre 2013 était incomplète, on lui a attribué comme date déterminante le 31 décembre 3013, puisque c’est à cette date qu’ont été reçus tous les renseignements nécessaires selon l’alinéa 10(1)c).

[16]           Pour en arriver à cette conclusion, l’agente s’est fondée à la fois sur la réglementation et sur une directive d’orientation. Le paragraphe 10(2) du Règlement fait état de certains renseignements de base qui doivent être fournis au sujet du demandeur et de son représentant. La directive d’orientation IP 2 – Traitement des demandes de parrainage – catégorie du regroupement familial énonce de manière plus détaillée certaines exigences minimales à respecter sur le plan de la documentation avant qu’une demande soit considérée comme suffisamment étoffée pour être acceptée et se voir attribuer une date déterminante. L’article 12 du Règlement vient compléter ce régime d’exigences opérationnelles en précisant que si les exigences minimales ne sont pas remplies, les documents fournis seront retournés au demandeur.

B.                 Le paragraphe 10(5) du Règlement s’applique aux demandes de parrainage d’un époux présentées depuis le Canada

[17]           Suivant le régime législatif établi par la LIPR et le Règlement, le dépôt d’une demande de parrainage relative à un époux est exigé tant pour les demandes présentées depuis l’étranger que pour celles présentées depuis le Canada. Le paragraphe 13(1) de la LIPR prévoit qu’un citoyen canadien ou un résident permanent peut parrainer un étranger, sous réserve du Règlement, dont le paragraphe 10(5).

[18]           En particulier, l’alinéa 130(1)c) du Règlement énonce que pour pouvoir parrainer une personne appartenant à la catégorie du regroupement familial ou à celle des époux ou conjoints de fait au Canada en vertu du paragraphe 13(1) de la LIPR, le répondant doit déposer une demande de parrainage « conformément à l’article 10 ». Cette disposition indique donc en termes explicites que l’article 10 du Règlement s’applique tant à la catégorie du regroupement familial qu’à celle des époux ou conjoints de fait.

[19]           Le demandeur soutient que pour qu’une demande de résidence permanente présentée par l’époux depuis le Canada soit considérée être parrainée, il faut essentiellement avoir conclu à l’authenticité de la relation entre le demandeur et le répondant, mais cet argument est erroné. Le paragraphe 10(5) du Règlement s’applique avant l’examen au fond de la demande.

C.                Le paragraphe 10(5) du Règlement est conforme à la LIPR

[20]           L’argument voulant que le paragraphe 10(5) du Règlement excède les pouvoirs conférés par la LIPR doit être rejeté. Le Règlement et son paragraphe 10(5) ont été pris par le gouverneur en conseil en vertu du large pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré au paragraphe 5(1) de la LIPR :

5. (1) Le gouverneur en conseil peut, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, prendre les règlements d’application de la présente loi et toute autre mesure d’ordre réglementaire qu’elle prévoit.

5. (1) Except as otherwise provided, the Governor in Council may make any regulation that is referred to in this Act or that prescribes any matter whose prescription is referred to in this Act.

[21]           Le demandeur soutient, plus particulièrement, que le paragraphe 10(5) va à l’encontre de l’alinéa 3(1)d) de la LIPR. L’alinéa 3(1)d) énonce que la LIPR a notamment pour objet de veiller à la réunification des familles au Canada. Or, il est difficile de voir en quoi le paragraphe 10(5) va à l’encontre de cet objet. Le paragraphe 10(5) vise à empêcher que l’on abuse du régime d’immigration en interdisant que soient déposées, concernant une même question, des demandes multiples qui risquent de se retrouver devant des décideurs différents. De plus, le paragraphe 10(5) favorise une utilisation efficace des ressources et par le fait même, l’application régulière de la LIPR.

[22]           Par ailleurs, ni l’absence d’un droit d’appel à la SAI dans la loi ni le fait que l’agente n’ait pas offert d’inclure une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire dans une demande présentée depuis le Canada n’engendrent de conflit entre le paragraphe 10(5) du Règlement et la Charte. Le demandeur aurait très bien pu opter pour la présentation d’une demande depuis le Canada, ce qui, en cas d’échec, lui aurait permis de présenter ensuite une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais en l’occurrence, il a choisi de ne pas limiter ses démarches à la présentation d’une demande depuis le Canada. Or, le défendeur n’est pas tenu de guider le demandeur dans le choix d’une catégorie d’immigration pour présenter sa demande.

[23]           Le demandeur invoque également un argument fondé sur l’équité procédurale : selon lui, l’agente n’aurait pas dû prendre la décision d’annuler la demande présentée depuis le Canada lorsqu’elle s’est aperçue de l’existence de deux demandes de parrainage. L’équité procédurale commande de communiquer avec le demandeur et de lui demander d’indiquer laquelle de ces deux demandes il souhaite poursuivre. L’avocate du demandeur a cité un certain nombre de conséquences guettant le demandeur qui se retrouve en pareille position en ce qui concerne le maintien de son statut d’immigration au Canada et les frais et les retards associés à la présentation d’une nouvelle demande depuis le Canada.

[24]           L’obligation d’équité procédurale varie en fonction de la nature des intérêts en jeu. En l’espèce, le demandeur n’était pas autorisé à déposer plusieurs demandes et il n’a acquis aucun droit à l’équité procédurale en agissant ainsi. Le traitement de sa demande présentée depuis l’étranger se poursuit, mais il peut la retirer à tout moment et envisager d’autres options.

[25]           L’agente n’était pas tenue de communiquer avec le demandeur et de l’informer des diverses voies qui s’offraient à lui en matière d’immigration. Ce n’est pas le rôle d’un décideur administratif. Il incombait plutôt au demandeur de choisir, sur les conseils de son avocate, la voie qu’il désirait suivre. En l’occurrence, le demandeur a choisi de présenter deux demandes dans une situation où le dépôt de demandes multiples est interdit par le Règlement.

[26]           Au vu de la restriction prévue au paragraphe 10(5) concernant les demandes multiples de parrainage, le défendeur n’avait pas l’obligation de se pencher sur le bien‑fondé de la demande présentée depuis le Canada, c’est‑à‑dire la deuxième demande reçue. L’agente s’est conformée à une disposition réglementaire valide en retournant au demandeur la demande qu’il avait présentée depuis Canada et il n’y a pas eu atteinte aux droits du demandeur en matière de procédure. Quoi qu’il en soit, l’agente a réservé au demandeur un traitement équitable en examinant la demande présentée depuis le Canada pour vérifier s’il s’y trouvait quelque indication de l’intention du demandeur de retirer la demande qu’il avait présentée depuis l’étranger.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

« Donald J. Rennie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5959-14

INTITULÉ :

TIANLE MA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JANVIER 2015

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

LE 6 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

Mary Lam

POUR LE DEMANDEUR

Nur Muhammed-Ally

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mary Lam

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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