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Date : 20150206


Dossier : IMM‑1241‑14

Référence : 2015 CF 150

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 6 février 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

MARKIS JULIEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               Le demandeur est citoyen des îles Turks et Caicos et âgé de 40 ans. Il a été déclaré coupable en août 1996 de tentative de meurtre au deuxième degré sans arme à feu et d’enlèvement avec arme à feu, dans l’État de la Floride, aux États‑Unis. En mai 2007, après avoir purgé sa peine, le demandeur a été expulsé vers les îles Turks et Caicos.

[2]               Environ un an plus tard, le demandeur est arrivé au Canada le 12 avril 2008. En août 2013, le demandeur s’est marié à une citoyenne canadienne, avec qui il avait eu un enfant, né en août 2009.

[3]               En août 2013, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente parrainée par sa femme pour considérations d’ordre humanitaire.

[4]               En septembre 2013, le demandeur présenté une demande de réadaptation et il a été interrogé par un agent d’immigration, qui a formulé par la suite une recommandation favorable.

[5]               En juillet 2013, un agent d’immigration a rédigé un rapport d’interdiction de territoire pour grande criminalité, conformément au paragraphe 44(1) et 44(2), et à l’alinéa 36(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], dans lequel il déférait l’affaire à la Section de l’immigration [SI] pour enquête.

[6]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la SI de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié l’a interdit de territoire pour motif de grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR.

II.                Décision contestée

[7]               Dans ses motifs, après l’examen des éléments de preuve, la SI conclut que le demandeur a été jugé coupable d’enlèvement en vertu de l’alinéa 787.01(1)a) des lois de l’État de la Floride de 1997 [lois de la Floride].

[8]               La SI examine ensuite si l’infraction d’enlèvement prévue par les lois de la Floride est l’équivalent de l’infraction d’enlèvement prévue au paragraphe 279(1) du Code criminel du Canada [Code]. Se fondant sur la jurisprudence, la SI a déterminé que l’infraction d’enlèvement prévue par le Code requiert que la victime soit transportée ou déplacée d’un endroit à un autre, précision qui est absente du libellé du paragraphe 787.01(1) des lois de la Floride.

[9]               La SI a donc conclu que l’infraction d’enlèvement prévue par les lois de la Floride correspondait à l’infraction de séquestration prévue au paragraphe 279(2) du Code.

[10]           Ainsi, après avoir noté que la séquestration est un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans ou d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de 18 mois, la SI a conclu que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité, conformément a l’alinéa 36(1)b) de la LIPR.

[11]           Conformément à l’alinéa 229(1)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [RIPR], la SI a pris une mesure d’expulsion contre le demandeur.

III.             Questions en litige

[12]           La Cour considère les questions suivantes comme étant déterminantes :

i)                    La SI a‑t‑elle failli à son devoir d’équité procédurale en refusant la demande d’ajournement du demandeur?

ii)                  La SI a‑t‑elle erré en concluant que le demandeur était interdit de territoire pour un motif autre que celui présenté dans le rapport d’interdiction de territoire?

IV.             Dispositions législatives

[13]           Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent en l’espèce :

Grande criminalité

Serious criminality

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

Enquête par la Section de l’immigration

Admissibility Hearing by the Immigration Division

Décision

Decision

45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l’immigration rend telle des décisions suivantes :

45. The Immigration Division, at the conclusion of an admissibility hearing, shall make one of the following decisions:

a) reconnaître le droit d’entrer au Canada au citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté, à la personne inscrite comme Indien au sens de la Loi sur les Indiens et au résident permanent;

(a) recognize the right to enter Canada of a Canadian citizen within the meaning of the Citizenship Act, a person registered as an Indian under the Indian Act or a permanent resident;

b) octroyer à l’étranger le statut de résident permanent ou temporaire sur preuve qu’il se conforme à la présente loi;

(b) grant permanent resident status or temporary resident status to a foreign national if it is satisfied that the foreign national meets the requirements of this Act;

c) autoriser le résident permanent ou l’étranger à entrer, avec ou sans conditions, au Canada pour contrôle complémentaire;

(c) authorize a permanent resident or a foreign national, with or without conditions, to enter Canada for further examination; or

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l’étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n’est pas prouvé qu’il n’est pas interdit de territoire, ou contre l’étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu’il est interdit de territoire.

(d) make the applicable removal order against a foreign national who has not been authorized to enter Canada, if it is not satisfied that the foreign national is not inadmissible, or against a foreign national who has been authorized to enter Canada or a permanent resident, if it is satisfied that the foreign national or the permanent resident is inadmissible.

Fonctionnement

Procedure

162 (2) Chacune des sections fonctionne, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité.

162 (2) Each Division shall deal with all proceedings before it as informally and quickly as the circumstances and the considerations of fairness and natural justice permit.

V.                Arguments du demandeur

[14]           Le demandeur soutient que la SI n’a pas respecté les principes de justice naturelle en refusant d’accorder l’ajournement de six mois demandé, jusqu’à ce que soient rendues les décisions portant sur ses demandes de réadaptation et de résidence permanente. Selon le demandeur, la SI n’a pas examiné la question de savoir « si le fait d’accueillir la demande [d’ajournement] ralentirait l’affaire de manière déraisonnable ou causerait vraisemblablement une injustice », conformément au paragraphe 43(2) du RIPR.

[15]           Le demandeur affirme également que la SI a commis l’erreur d’outrepasser sa compétence en déterminant que l’infraction d’enlèvement commise à l’étranger par le demandeur est équivalente à l’infraction de séquestration prévue par le Code. Le demandeur soutient que cette conclusion dépasse la teneur du rapport du ministre, déposé en vertu du paragraphe 44(1), soit que l’audience doit servir à déterminer l’équivalence de l’infraction d’enlèvement dans les deux territoires.

VI.             Analyse

A.                Non‑respect des principes de justice naturelle et d’équité procédurale

[16]           L’ajournement d’une audience relève des pouvoirs discrétionnaires de la SI. Les tribunaux administratifs, comme la SI, sont « maître chez eux » en ce qu’ils contrôlent leurs propres procédures, dans les limites de la loi, pourvu qu’ils respectent les règles d’équité et de justice naturelle (Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, au paragraphe 17; Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, au paragraphe 183).

[17]           Rien dans la loi n’exige que l’enquête soit ajournée en attendant la décision d’une demande de réadaptation ou de résidence permanente (Alabi c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 370, aux paragraphes 40 et 41). En d’autres mots, le fait que ces demandes soient en traitement n’interdit pas à la SI de rendre un jugement dans une affaire d’interdiction de territoire pour cause de criminalité.

[18]           Le demandeur s’est vu accorder le droit d’être entendu devant la SI, un décideur indépendant et impartial, ainsi que la possibilité de présenter des observations sur l’équivalence des infractions examinées par la SI, conformément aux principes de justice naturelle.

[19]           Après avoir examiné les motifs de la SI, les observations des parties et la preuve dans son ensemble, la Cour a conclu qu’il était raisonnable pour la SI de déterminer qu’un ajournement n’était pas justifié dans les circonstances de l’espèce. Le rejet de la demande était conforme à la compétence et aux pouvoirs discrétionnaires de la SI.

B.                 La conclusion d’interdiction de territoire de la SI

[20]           Le demandeur soutient que la SI n’avait pas à trancher de la question de l’équivalence de l’infraction de séquestration, le défendeur ayant seulement examiné dans son rapport, présenté conformément au paragraphe 44(1), la possibilité que « cette infraction, si elle avait été commise au Canada, constitu[e] une infraction d’enlèvement punissable par mise en accusation […] suivant le paragraphe 279[(1)] [...] du Code criminel […] ».

[21]           Selon la jurisprudence applicable, l’équivalence de deux infractions peut se déterminer par l’une ou l’autre de ces trois façons :

[…]  tout d’abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu, par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d’une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.

(Hill c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] ACF no 47.)

[22]           La SI a fourni une analyse approfondie des infractions en question. Elle a examiné le libellé des dispositions visées, l’interprétation qu’en fait la jurisprudence et les observations des parties.

[23]           Invoquant le paragraphe 162(2) et l’article 165 de la LIPR, et la partie 1 de la Loi sur les enquêtes, LRC (1985), c I‑11, le défendeur affirme que, à la lumière du caractère inquisitoire et informel du processus d’enquête, la SI peut prendre toute mesure nécessaire pour permettre l’instruction approfondie de l’affaire. La SI n’est donc pas visée par les arguments soulevés par les parties en l’espèce (R c Mian, 2014 CSC 54, au paragraphe 38). La Cour souscrit à la position du défendeur, qui est conforme au régime législatif de la LIPR et à la jurisprudence.

[24]           S’appuyant sur les alinéas 3(1)h) et i) de la LIPR, le défendeur soutient également, à raison, que le processus d’enquête met en œuvre les principaux objectifs de la LIPR visant à protéger la santé et la sécurité de la société canadienne et de « de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par […] l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité ».

[25]           La Cour conclut qu’il était loisible à la SI de se pencher sur les points d’équivalence qu’elle considérait plus appropriés, et qui étaient tirés de la preuve, dans son examen de l’admissibilité du demandeur au Canada.

VII.          Conclusion

[26]           La décision de la SI est raisonnable et l’ordonnance d’expulsion du demandeur est valide.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.             que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.             qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Daniel Bergeron, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1241‑14

 

INTITULÉ :

MARKIS JULIEN c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 FÉVRIER 2015

 

JUGEMENT et MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 février 2015

 

COMPARUTIONS :

Barbara J. Leiter

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ian Demers

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barbara J. Leiter

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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