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Date : 20150213

Dossier : IMM‑6066‑13

Référence : 2015 CF 175

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 février 2015

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

Juliana Desmarien Hoyte

Demanderesse

et

LE ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 5 septembre 2013 par laquelle une agente d’immigration supérieure de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agente) a refusé la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse, Juliana Desmarien Hoyte, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]               Après avoir examiné les documents déposés et entendu les observations des avocats des deux parties, j’ai conclu qu’il devait être fait droit à la présente demande pour les motifs qui suivent.

Contexte

[3]               La demanderesse est à la fois citoyenne d’Antigua‑et‑Barbuda (Antigua) et de Saint‑Vincent‑et‑les‑Grenadines (Saint‑Vincent). Elle affirme qu’elle a été maltraitée et négligée par ses parents lorsqu’elle était enfant, qu’elle a été victime de sévices sexuels de la part d’un homme qui vivait chez eux, violemment attaquée par son frère à plusieurs reprises, et enfin victime d’un hold‑up alors qu’elle travaillait dans la boulangerie de ses parents. Durant un séjour au Canada en 1995, elle a rencontré son futur mari, qu’elle a épousé au Canada le 2 juin 1996. Il y a eu échec du mariage, et son époux a retiré sa demande de parrainage. Son fils, Durrael, est né au Canada le 24 décembre 2011. Né prématurément, il a dû être réanimé à l’accouchement et la demanderesse prétend qu’il souffre de ce fait de problèmes de santé constants. Elle craint que son fils ne puisse bénéficier de soins de santé et d’une éducation appropriés si elle devait retourner à Antigua ou à Saint‑Vincent; elle redoute aussi de ne pas être en mesure d’y trouver un emploi pour subvenir à ses besoins et à ceux de son fils compte tenu du ralentissement économique, et que son fils et elle soient menacés à leur retour par son frère.

Décision faisant l’objet du contrôle

[4]               Ayant examiné les difficultés auxquelles la demanderesse se heurterait à son retour à Antigua ou à Saint‑Vincent, celles que lui causerait la rupture de liens personnels, son établissement au Canada, ainsi que l’intérêt supérieur de son enfant, l’agente a néanmoins conclu que la preuve n’établissait pas que les difficultés liées à son retour étaient démesurées.

Analyse

[5]               Les observations de la demanderesse sont longues, nombreuses et contestent plusieurs points. En résumé, elle fait valoir que la décision de l’agente était à la fois inéquitable du point de vue procédural et déraisonnable. L’agente a manqué à l’obligation d’équité procédurale parce qu’elle s’est appuyée sur des éléments extrinsèques et parce que le dossier certifié du tribunal (DCT) ne contenait aucune preuve concernant l’intérêt supérieur de l’enfant. Par ailleurs, l’agente a appliqué le mauvais critère, et a écarté et mal interprété des éléments de preuve dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Enfin, l’analyse ayant trait aux difficultés était déraisonnable compte tenu de la situation de la demanderesse, notamment des antécédents de mauvais traitements et de l’absence de soutien dans son pays de nationalité.

[6]               Ayant examiné les observations des parties, le dossier et la décision, il convient d’aborder une question préliminaire, à savoir l’observation de la demanderesse selon laquelle Durrael présente ou pourrait présenter des problèmes de santé et des besoins scolaires particuliers du fait de sa naissance prématurée, et plus spécifiquement, que [traduction« le risque qu’il présente de multiples problèmes de santé et retards de développement est plus élevé ». La demanderesse s’appuie largement sur cette prémisse pour contester à plusieurs égards la décision de l’agente dans ses observations. Cependant, ayant examiné le dossier, j’estime que sa position n’est pas étayée par la preuve et que l’agente n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle à ce chapitre.

[7]               Comme l’a noté l’agente, la demanderesse a soumis le rapport de congé de l’hôpital de Durrael. Celui‑ci indique qu’il est né le 24 décembre 2011 à 32 semaines et 3/7 de gestation et qu’il a reçu son congé le 20 janvier 2012. Une échographie de la tête effectuée le 30 décembre 2011 ne signalait [traduction« rien de particulier » et confirmait un résultat d’[traduction]« examen neurologique normal ». Un rendez‑vous de suivi en neurologie était prévu le 7 juin 2012, mais aucune preuve ne s’y rapportant n’a été présentée. Le rapport de congé ne faisait état d’aucune préoccupation significative concernant la santé de Durrael. Même s’il a initialement reçu des antibiotiques, le traitement a rapidement été interrompu. Son état [traduction« clinique [est demeuré] satisfaisant » à l’hôpital, et les seuls médicaments qui lui ont été prescrits au moment du congé étaient du fer élémentaire et de la vitamine D.

[8]               La seule autre preuve médicale est une note figurant sur une ordonnance du Dr Caulford de la Community Volunteer Clinic, datée du 23 mai 2013 et décrivant Durrael comme un [traduction« garçon de 17 mois pesant 8,26 kg, qui continue d’être allaité. La mère a de la difficulté à le sevrer. Veuillez prévoir une consultation pour vérifier les habitudes alimentaires de cet enfant agréable ». Cette note orientait Durrael vers le programme Healthy Babies Healthy Children (HBHC) du Bureau de santé publique de Toronto. Le rapport du HBHC, daté du 27 mai 2013, précisait que Durrael avait été allaité pendant les onze premiers mois de sa vie, que sa consommation d’aliments en purée était toujours limitée, qu’il ne tolérait pas bien les aliments texturés et que sa mère le considérait comme un [traduction« mangeur difficile ». La demanderesse était présentée comme une nouvelle mère désireuse d’accroître ses connaissances en matière parentale, notamment en ce qui touchait à l’alimentation de son bébé. Les visites hebdomadaires d’une agente du HBHC, ainsi que d’autres visites toutes les six à huit semaines de la part d’une autre préposée, étaient indiquées pour accroître ses aptitudes parentales relativement à la croissance, au développement et à l’alimentation de son bébé.

[9]               Voilà tout le contenu du dossier en ce qui intéresse la santé et les besoins de Durrael. Comme l’a indiqué l’agente, la demanderesse n’a fourni ni informations ni documents additionnels concernant des affections diagnostiquées ou des retards de développement.

[10]           Ainsi, même si la demanderesse affirme que Durrael a un retard d’élocution et qu’il continue d’être à risque parce que son poids est inférieur à celui de 99 % des enfants dans sa tranche d’âge, le dossier ne le confirme pas. De même, bien qu’elle ait soumis un rapport intitulé « Behaviour Difficulties and Cognitive Function in Children Born Very Prematurely » [Difficultés de comportement et fonctions cognitives chez les enfants nés très prématurément], cet article précise qu’il se rapporte aux enfants nés avant 32 semaines de gestation. D’après la preuve médicale concernant Durrael, celui‑ci ne satisfait pas à cette définition et rien n’établit non plus qu’il est susceptible de présenter de tels problèmes.

Utilisation d’une preuve extrinsèque

[11]           Il est bien établi que les atteintes à l’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62; Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79), et que celle‑ci s’applique aux affaires dans lesquelles le demandeur n’a pas bénéficié d’une occasion valable de répondre aux recherches indépendantes effectuées par un agent (Begum c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 824, au paragraphe 20 (Begum); Noh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 529, au paragraphe 20).

[12]           En l’espèce, l’agente a déclaré avoir lu et examiné l’entièreté de la demande et des observations de la demanderesse, ainsi que des éléments de preuve documentaire issus d’une recherche indépendante, qu’elle a énumérés :

        Département d’État des États‑Unis, Country Reports on Human Rights Practices (US DOS) 2012 (US DOS);

        Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) du Canada, Réponse à la demande d’information, VCT 42844.FE (RDI), consultée à l’adresse http://www.refworld.org/docid/41501c701c.html;

        Education Database : Antigua and Barbuda Education System, consultée à l’adresse http://www.classbase.com/countries/antigua‑and‑baubuda/education‑system;

        Commonwealth Health Online : Health in Antigua and Barbuda (Commonwealth Health), consulté à l’adresse http://www.commonwealthhealth.org/health/Americas/Antigua_and_barbuda/;

        Government of Saint Vincent and Grenadines, Ministry of Health, Wellness & The Environment, Early Child Health Outreach (Outreach), consulté à l’adresse http:/www.health.gov.vc/index.php?option+com_content&view+article&id+130&itemid+122.

[13]           Les deux premiers documents de cette liste peuvent être consultés dans les cartables nationaux de documentation (CND) se rapportant à ces pays. L’agente a obtenu le reste de sa propre initiative.

[14]           Comme l’ont noté les parties, j’ai déjà évoqué l’utilisation de renseignements provenant d’Internet dans le cadre d’une analyse des motifs d’ordre humanitaire. Dans la décision Begum, précitée, j’ai indiqué que je ne souscrivais pas à la position du défendeur dans cette affaire, selon laquelle ce type de renseignements ne constituaient pas une preuve extrinsèque parce qu’ils sont publics sur ce médium. J’ai estimé plutôt que la preuve extrinsèque, dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, correspondait à des éléments qui ne font pas partie des observations du demandeur, du dossier d’immigration du défendeur le concernant, ou du dossier du tribunal divulgué, lequel inclut les CND en ligne. En outre, lorsqu’un agent s’appuie sur de tels renseignements, il est tenu de divulguer les nouveaux éléments de preuve importants qui affectent la décision (voir aussi : Radji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 835, au paragraphe 15; Bailey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 315, aux paragraphes 70 et 71; Begum, précitée, au paragraphe 20). Je suis toujours de cet avis. Par conséquent, bien que les deux premiers documents susmentionnés ne constituent pas une preuve extrinsèque, c’est le cas des quatre suivants.

[15]           La question devient alors de savoir si des faits importants, essentiels ou potentiellement cruciaux au regard de la décision ont servi à l’étayer sans que la partie concernée n’ait eu la possibilité de répondre à ces faits ou de les commenter (Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 20, au paragraphe 17; Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461 (CAF), au paragraphe 22; Lopez Arteaga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 778, au paragraphe 24). Autrement dit, la décision de l’agente a‑t‑elle été affectée par des éléments de preuve nouveaux et importants?

[16]           La demanderesse fait valoir que l’agente s’est appuyée sur une source non divulguée pour répondre à ses observations voulant que l’éducation à Saint‑Vincent et à Antigua soit sous‑développée. Se fiant à la base de données relative à l’éducation concernant Antigua, l’agente a déclaré que l’éducation est gratuite et obligatoire pour tous les enfants âgés de cinq à seize ans. Cette source indique aussi que [traduction« [m]ême le transport, l’infrastructure et les fournitures scolaires sont pris en charge au moyen d’un prélèvement sur les salaires de base. L’école primaire commence à cinq ans et dure sept ans ». La demanderesse fait remarquer que le site Web ne précise ni la source ni la date de publication de cette information, et que le prélèvement mentionné ne figure dans aucun des documents soumis par le défendeur. De plus, les renseignements présentés par la demanderesse d’après lesquels les enfants interrompent souvent leurs études à cause de la pauvreté viennent en miner la pertinence. De même, une autre source extrinsèque, l’Enclopaedia of Nations – St. Vincent and the Grenadines, décrit les établissements scolaires de Saint‑Vincent en 1994 et indique que l’École pour enfants ayant des besoins spéciaux, subventionnée par le gouvernement, accueille des enfants handicapés. La demanderesse soutient que l’agente s’est servie de ces seuls documents pour étayer ses conclusions concernant les opportunités scolaires offertes à Durrael à Saint‑Vincent et à Antigua.

[17]           Il est vrai que ces documents constituaient une preuve extrinsèque. Cependant, l’agente a également déclaré qu’elle avait aussi examiné l’ensemble des observations de la demanderesse, qui confirment généralement que l’éducation est offerte dans les deux pays. Par exemple, le Rapport des Nations Unies sur le développement des Caraïbes indique à la page 37 (DCT, page 102) :

[traduction] La sous‑région des Caraïbes a également obtenu des scores favorables relativement à de nombreux objectifs du millénaire pour le développement des Nations Unies, et notamment l’alphabétisme, l’éducation primaire, la représentation des sexes et l’accès amélioré aux infrastructures essentielles. Les taux d’alphabétisme étaient généralement élevés et la plupart des pays de la CARICOM étaient en bonne voie de remplir l’objectif de l’inscription universelle au primaire [...].

(Voir également la page 55.)

[18]           De même, la « Structural Analysis of Children and their Families in the Eastern Caribbean » [Analyse structurelle des enfants et de leurs familles dans l’est des Caraïbes] de l’UNICEF indique que les données de la Banque mondiale de 2009 démontrent une inscription à l’école primaire de 88,3 % à Antigua et de 91,5 % à Saint‑Vincent. Le taux d’entrée à l’école secondaire était de 88 % à Antigua en 2009 et de 90,3 % à Saint‑Vincent en 2008. Cependant, les taux de réussite à ce niveau étaient médiocres, seuls 21 % des élèves ayant réussi au moins cinq matières.

[19]           En ce qui concerne les soins de santé, l’agente a cité la RDI d’après laquelle les soins de santé sont gratuits pour les enfants à Saint‑Vincent. Le Poverty Assessment Report [rapport d’évaluation de la pauvreté] indique que Saint‑Vincent [traduction« est doté d’un système de soins de santé primaires robuste et fiable » (DCT, page 484). De plus, le rapport de l’UNICEF intitulé « A Study of Child Vulnerability in Barbados, St. Lucia and St Vincent and The Grenadines » [Étude concernant la vulnérabilité des enfants à la Barbade, à Sainte‑Lucie et à Saint‑Vincent‑et‑les‑Grenadines] confirmait que les soins médicaux sont gratuits à Saint‑Vincent pour les enfants âgés de seize ans et moins (DCT, page 507).

[20]           Pour ce qui est d’Antigua, l’agente s’est appuyée sur le document non divulgué du Commonwealth qui décrit les services de soins de santé offerts. La demanderesse conteste ce document à la fois comme pièce extrinsèque et parce qu’il contient d’après elle une preuve contradictoire. Elle affirme que le même document indique que le gouvernement est confronté à des difficultés. Cependant, la citation complète est la suivante :

[traduction] L’avenir des petites îles en voie de développement comme Antigua et la Barbade réserve de nombreux défis, notamment des ressources financières réduites, les effets défavorables de la mondialisation et des ressources humaines limitées. Cependant, mon gouvernement croit que d’accorder la priorité aux obstacles sociaux liés à la santé, à une volonté politique forte et au renforcement continu du système de soins de santé, est le moyen d’assurer des soins de santé équitables et de qualité pour les citoyens et les résidents, qui garantiront à leur tour un développement durable.

À mon avis, il n’y a là rien de contradictoire.

[21]           La demanderesse soutient également que l’agente ne renvoie à aucune de ses observations concernant l’absence de services de soutien pour les élèves ayant des besoins spéciaux, le recours aux châtiments corporels ou les barrières économiques qui font à son avis obstacle à l’éducation. Même si l’agente n’était pas tenue de mentionner chaque élément de preuve soumis par la demanderesse (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16), l’obligation d’aborder des informations contradictoires s’accroît proportionnellement à leur pertinence au regard de l’affaire (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 157 FTR 35, au paragraphe 17; Weng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 778, au paragraphe 27). Cependant, je ne suis pas convaincue que la preuve extrinsèque concernant l’éducation et les soins de santé à laquelle l’agente a fait référence était nouvelle et importante, et qu’elle ait affecté l’issue de sa décision. La preuve documentaire de la demanderesse étaye largement les conclusions de l’agente. Pour la même raison, je ne crois pas non plus que l’agente a commis une erreur en ne mentionnant pas ces renseignements.

[22]           Quant au document extrinsèque concernant Outreach, l’agente a décrit le programme comme un programme conçu pour miser à la fois sur le développement de la petite enfance et sur les services des soins de santé pour les familles ayant des enfants à risque. La citation rapportée indique que [traduction« Le programme ECHO emploie les méthodes‑types d’un programme informel de visites à domicile pour les enfants (de zéro à trois ans) venant en aide aux parents issus de collectivités ayant un accès limité à ces services, afin que les premiers bénéficient d’une stimulation précoce et les seconds d’informations sur l’éducation des enfants ». Il n’est pas certain que les services fournis par ECHO sont comparables à ceux que la demanderesse reçoit actuellement depuis qu’elle a été orientée vers le HBHC au Canada, et l’agente aurait donc dû lui permettre d’expliquer les disparités de services entre les programmes, d’autant plus que le plan de services du HBHC a été soumis le 18 juillet 2013, mais qu’il n’apparaît pas dans le DCT. Cependant, il ne s’agissait pas là, à mon avis, d’une preuve nouvelle ou importante de nature à affecter l’issue. La preuve ne donne pas à penser que les difficultés de sevrage de Durrael représentent un risque pour sa santé. Ainsi, même s’ils ne sont pas exactement comparables aux services du programme HBHC, des services de ce genre existent pour aider à sevrer Durrael et accroître les connaissances de sa mère. En outre, même si le DCT ne contenait pas le rapport du HBHC, l’agente a examiné la question (Yadav c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 140, au paragraphe 36; Varadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 407, aux paragraphes 6 à 8; Aryaie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 469, au paragraphe 27).

[23]           Dans les circonstances, le fait que l’agente n’ait pas divulgué la preuve extrinsèque concernant le programme ECHO et qu’elle n’ait pas offert à la demanderesse la possibilité de répondre adéquatement ne constitue pas une atteinte au devoir d’équité procédurale.

Autres questions

[24]           La demanderesse soutient en outre que l’agente n’a pas dûment tenu compte de la nature des difficultés auxquelles elle se heurterait à son retour à Antigua ou à Saint‑Vincent. Cependant, la décision aborde ses aptitudes professionnelles transférables, le système d’application de la loi et les services de soutien gouvernementaux offerts aux victimes de violence familiale à Antigua et à Saint‑Vincent, ainsi que son intégration au sein de la collectivité. L’octroi de mesures spéciales pour des raisons d’ordre humanitaire est une mesure exceptionnelle (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 40), et les motifs montrent que l’agente s’est penchée sur ces questions. Je ne vois aucune raison de revenir sur ses conclusions en cette matière.

Intérêt supérieur de l’enfant

[25]           La demanderesse soutient aussi que la décision est déraisonnable, car l’agente n’a pas démontré qu’elle a été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de Durrael, et elle n’a pas accordé un poids substantiel à ce facteur dans son analyse. À cet égard, je suis encline à souscrire à cette observation.

[26]           La manière dont l’agente a envisagé les dangers auxquels Durrael s’exposait à cause de son oncle Tony, qui vit à Saint‑Vincent, est un exemple de son incompréhension de l’intérêt supérieur de l’enfant. La demanderesse déclare que Tony a des antécédents de violence et qu’il a à plusieurs reprises menacé et blessé la demanderesse ainsi que d’autres membres de sa famille, notamment en faisant ce qui suit :

    en chauffant un couteau sur une flamme et en brûlant l’avant‑bras de la demanderesse lorsqu’elle avait 15 ans;

    en attaquant la demanderesse avec un coutelas en 2005;

    en envoyant à la demanderesse un message texte en 2010 déclarant [traduction] « Attends que tu reviennes ici, je vais t’avoir »;

    en cassant une bouteille et en la jetant sur la sœur de la demanderesse, qui a dû recevoir des points de suture;

    en agressant et en étouffant le père de la demanderesse en 2011.

[27]           La sœur de la demanderesse et son père ont tous deux confirmé ces incidents dans des lettres dont disposait la Commission.

[28]           Cependant, l’agente n’aborde pas cette question, et se contente de déclarer que :

[traduction] Le fait que la pauvreté et la violence coexistent peut nuire à l’intégration de l’enfant dans la société; cependant, cela ne nuit pas de manière significative à son intérêt supérieur. Aucun pays, pas même le Canada, qui est bâti sur des valeurs de bonne gouvernance, ne peut garantir que la vie d’un enfant sera à l’abri de la pauvreté et d’incidents blessants, criminels ou préjudiciables.

[29]           Il est vrai que l’intérêt supérieur de l’enfant n’est qu’un facteur parmi d’autres et qu’il ne dicte pas l’issue d’une affaire donnée (Habtenkiel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 180, au paragraphe 46). Il est vrai aussi qu’aucun pays, pas même le Canada, ne peut garantir aux enfants une vie sans blessures. Cependant, le fait de limiter l’analyse concernant l’intérêt supérieur de l’enfant à un tel aphorisme ne répond pas aux questions à traiter : à quel degré probable de difficultés l’enfant se heurtera‑t‑il et comment faut‑il apprécier ces difficultés au regard des autres facteurs qui militent pour ou contre le renvoi du parent? (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475, au paragraphe 6).

[30]           En l’espèce, l’agente n’a pas véritablement examiné le risque de violence auquel Durrael pourrait être exposé ni expliqué pourquoi les préoccupations de la demanderesse devaient être écartées ou ne mériter que peu de poids, et elle n’a donc pas dûment considéré son intérêt supérieur. Il s’agit là d’une erreur susceptible de contrôle.

[31]           Je noterais aussi que, bien que l’agente ait déclaré que la cousine de la demanderesse résidait au Canada et que cette dernière [traduction« devra décider de lui confier ou non Durrael en cas de retour », rien dans le dossier n’indique que la cousine de la demanderesse soit en fait disposée à s’occuper de Durrael ou capable de le faire.

[32]           Quant aux nouveaux arguments de la demanderesse concernant la question de savoir si le paragraphe 25(1.3) de la LIPR s’appliquerait à Durrael compte tenu de son statut de citoyen canadien, il n’est pas nécessaire que j’aborde cette question compte tenu de l’erreur susmentionnée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      Il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire. La décision de CIC est infirmée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il la réexamine;

2.      Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale et aucune ne se pose;

3.      Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

S. Tasset


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6066‑13

 

INTITULÉ :

JULIANA DESMARIEN HOYTE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 novembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 FÉVRIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Rathika Vasavithasan

 

POUR LA demanderesse

 

Catherine Vasilaros

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barbra Schlifer Commemorative Clinic

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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