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Date : 20150202


Dossier : IMM-6969-13

Référence : 2015 CF 124

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2015

En présence de monsieur le juge Hughes

ENTRE :

PEMA DOLKER

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 9 juillet 2013 par laquelle un commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile présentée par la demanderesse.

[2]               La demanderesse est née en Inde en janvier 1984. Elle est d’origine tibétaine. Ses parents sont nés au Tibet et ils ont  fui ce pays pour se réfugier en Inde en vue de s’y établir à l’époque où la Chine a pris contrôle du Tibet.

[3]               La demanderesse a quitté l’Inde; elle est allée aux États‑Unis et, par la suite en avril 2013, au Canada, où elle a présenté une demande d’asile. Un commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a tenu une audience et il a par la suite, dans la décision visée par la demande de contrôle judiciaire, rejeté la demande d’asile. Ce faisant, le commissaire a mentionné ce qui suit, au paragraphe 30 des motifs de la décision :

[30]      La demandeure d’asile s’est vu demander de dire ce qu’elle craignait si elle retournait en Inde. Elle a témoigné craindre d’être expulsée vers la Chine. La demandeure d’asile n’a allégué aucune persécution ou aucun préjudice de la part des autorités indiennes outre la crainte d’être expulsée vers la Chine du fait qu’elle n’est pas citoyenne indienne. Comme le tribunal a conclu que la demandeure d’asile est citoyenne indienne ou qu’elle a droit à la citoyenneté indienne, il ne se penchera pas sur sa crainte de retourner en Chine.

[4]               Le commissaire a résumé sa décision de la manière suivante, au paragraphe 4 de la décision :

[4]        Après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve, dont les observations et la jurisprudence, le tribunal estime que la demandeure d’asile n’a pas fourni des preuves crédibles suffisantes pour s’acquitter de son fardeau de preuve et établir que le seul pays de référence est la Chine. Le tribunal est d’avis que l’Inde doit aussi être un pays de référence et a conclu que la demandeure d’asile n’a qualité ni de réfugié au sens de la Convention au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ni de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Le tribunal conclut que la demandeure d’asile ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver qu’il existe une possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée pour l’un des motifs prévus dans la Convention ou, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle soit personnellement exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou encore au risque d’être soumise à la torture à son retour en Inde.

LES FAITS

[5]               Le commissaire a tiré certaines conclusions de fait qui ne sont pas contestées :

                La demanderesse est née en Inde en janvier 1984;

                La demanderesse est d’origine tibétaine et ses deux parents étaient Tibétains; ceux‑ci ont fui la Chine en direction de l’Inde après que la Chine eut pris contrôle du Tibet;

                La demanderesse détient un acte de naissance authentique de l’Inde délivré par le gouvernement de l’État du Karnataka. La demanderesse a présenté ce document aux autorités canadiennes lorsqu’elle a demandé l’entrée au Canada;

                La demanderesse a présenté un livre vert du Tibet aux autorités canadiennes lorsqu’elle a demandé l’entrée au Canada. Ce document n’a aucune valeur pour ce qui est de prouver ou d’établir la citoyenneté;

                La demanderesse a présenté un certificat d’inscription [CI] aux autorités canadiennes lorsqu’elle a demandé l’entrée au Canada. Un tel document est nécessaire pour les personnes d’origine tibétaine qui cherchent du travail, qui voyagent et qui restent en Inde. Le commissaire a douté de l’authenticité de ce document;

                La demanderesse est entrée au Canada en provenance des États‑Unis;

                La demanderesse a présenté un passeport indien à son entrée aux États‑Unis. La demanderesse n’avait plus ce passeport lorsqu’elle a demandé l’entrée au Canada. La demanderesse a allégué qu’il s’agissait d’un passeport frauduleux. Le commissaire a statué que ce n’était pas le cas;

                Bien que la demanderesse ne jouissait pas de l’ensemble des privilèges de la citoyenneté en Inde, qu’elle ne pouvait pas voter ni occuper certains postes au sein du gouvernement, il lui était possible de présenter une demande en vue d’obtenir une citoyenneté complète. Le degré de difficulté se rapportant à cette demande, ainsi qu’à la probabilité d’obtenir la citoyenneté, sont contestés;

                La demanderesse n’a pas tenté d’obtenir la citoyenneté indienne;

                Le commissaire ne s’est pas penché sur le risque quant à savoir si la demanderesse serait exposée à être expulsée en Chine par les autorités indiennes;

                La demanderesse a mentionné, dans les documents pertinents qu’elle a présentés aux autorités canadiennes, que le pays de référence à l’égard duquel elle craignait de retourner était le Tibet (Chine);

                Le commissaire n’a pas traité de la crainte de la demanderesse à retourner en Chine.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]               Après examen des documents produits et des arguments, excellents par ailleurs, présentés par les avocats lors de l’audience, et pour lesquels je les remercie, les questions en litige soulevées par la présente affaire sont les suivantes :

1.             Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.             Le commissaire a‑t‑il conclu que la demanderesse était une citoyenne indienne et, le cas échéant, s’agissait‑il d’une conclusion raisonnable?

3.             Le commissaire a‑t‑il conclu à juste titre que, dans l’éventualité où la demanderesse n’était pas une citoyenne de l’Inde, qu’elle aurait au moins dû faire un effort pour présenter une demande en vue d’acquérir la citoyenneté?

4.             Le commissaire aurait‑il dû examiner tout élément de preuve lui permettant d’établir si la demanderesse aurait été exposée à un renvoi en Chine à partir de l’Inde?

5.             Le commissaire aurait‑il dû examiner la crainte de la demanderesse d’être exposée à un risque en Chine?

DISCUSSION

1.             La norme de contrôle applicable

[7]               La norme de contrôle applicable à l’égard des conclusions de droit tirées par le commissaire dans sa décision est celle de la décision correcte. La norme de la raisonnabilité s’applique à l’égard des conclusions de fait qu’il y a tirées; il convient toutefois de faire preuve d’une certaine déférence en ce qui concerne les conclusions relatives à la crédibilité. L’application des conclusions de fait au droit, dans la mesure où le droit est bien énoncé, doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité.

2.             Le commissaire a‑t‑il conclu que la demanderesse était une citoyenne indienne et, le cas échéant, s’agissait‑il d’une conclusion raisonnable?

[8]               Les avocats ne s’entendent pas quant à savoir si le commissaire s’est prononcé quant à la question de la citoyenneté indienne de la demanderesse. Les motifs du commissaire contiennent les passages suivants, aux paragraphes 7 et 19 respectivement :

17.       [...] Pour les motifs qui suivent, le tribunal conclut que la demandeure d’asile est une citoyenne indienne.

19.       [...] Le tribunal est d’avis, d’après l’ensemble des éléments de preuve, que la demandeure d’asile est une citoyenne indienne et non une citoyenne chinoise.

[9]               Ces énoncés sont plutôt clairs. Cependant, du paragraphe 20 au paragraphe 30 de ses motifs, le commissaire s’est penché sur la question de savoir si la demanderesse pouvait acquérir la citoyenneté en Inde et, le cas échéant, sur le degré de difficulté de cette démarche et ses probabilités de réussite, ainsi que sur l’incidence du fait que la demanderesse n’avait jamais tenté d’obtenir la citoyenneté. Le commissaire a tiré la conclusion suivante au paragraphe 30 des motifs :

[...] Comme le tribunal a conclu que la demandeure d’asile est citoyenne indienne ou qu’elle a droit à la citoyenneté indienne, il ne se penchera pas sur sa crainte de retourner en Chine.

[10]           Il est évident que l’examen quant à la question de savoir si la demanderesse pouvait présenter une demande de citoyenneté a été effectué par le commissaire à titre subsidiaire à la conclusion selon laquelle la demanderesse avait bel et bien la citoyenneté indienne, en vue de traiter des observations présentées par le conseil. Au paragraphe 21 des motifs, le commissaire a écrit ce qui suit :

Subsidiairement, le tribunal a pris acte de l’observation de la conseil selon laquelle les Tibétains nés en Inde n’ont pas droit à la citoyenneté, qu’il serait coûteux d’obtenir la citoyenneté et qu’il faut surmonter des obstacles, tant sur le plan juridique que de la part de la CTA. [...]

[11]           Je suis convaincu que le commissaire a manifestement conclu que la demanderesse avait la citoyenneté indienne. La question devient donc de savoir si cette conclusion était raisonnable.

[12]           Il n’y a aucun doute que la demanderesse est née en Inde et qu’elle a résidé dans ce pays jusqu’à ce qu’elle vienne au Canada en provenance des États‑Unis. La demanderesse avait en sa possession un acte de naissance indien, dont l’authenticité n’est pas remise en question.

[13]           Le différend avait trait au passeport indien qui n’existe plus. La demanderesse avait le document lui permettant d’obtenir un visa aux États‑Unis et d’entrer dans ce pays. Elle ne l’avait pas en sa possession lors de son entrée au Canada. La demanderesse allègue que le passeport était un faux.

[14]           Les avocats des deux parties conviennent que la possession d’un passeport authentique crée une présomption simple selon laquelle son titulaire est citoyen du pays ayant délivré le passeport.

[15]           Le commissaire s’est livré à une analyse approfondie en ce qui concerne l’authenticité du passeport manquant aux paragraphes 12 à 15 des motifs. Le commissaire a conclu en mentionnant qu’il ne croyait pas les affirmations de la demanderesse selon lesquelles le passeport n’était pas authentique.

[16]           Je conclus que les conclusions du commissaire concernant l’authenticité du passeport sont raisonnables.

[17]           En outre, je conclus que compte tenu de l’ensemble de la preuve, y compris l’acte de naissance et le passeport, les conclusions du commissaire selon lesquelles la demanderesse était une citoyenne indienne étaient raisonnables.

3.             Le commissaire a‑t‑il conclu à juste titre que, dans l’éventualité où la demanderesse n’était pas une citoyenne de l’Inde, qu’elle aurait au moins dû faire un effort pour présenter une demande en vue d’acquérir la citoyenneté?

[18]           Comme je l’ai déclaré précédemment, le commissaire a examiné cette question à titre subsidiaire. Il a conclu, et à juste titre selon moi, que la demanderesse était une citoyenne de l’Inde. Puisque l’argument dont j’étais saisi, qui m’a été présenté autant de vive voix que par écrit, était étoffé quant à cette question, j’y répondrai. Cependant, mes commentaires ci‑dessous à cet égard constituent manifestement des remarques incidentes.

[19]           Toute discussion convenable quant au droit applicable à ce sujet doit commencer avec l’arrêt Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 126, de la Cour d’appel fédérale. Cette décision reprend, au paragraphe 19, les faits convenus entre les parties, soit qu’une personne n’obtiendra pas l’asile lorsqu’elle pourra se voir octroyer la citoyenneté dans un pays sûr au moyen de « simples formalités ». La question qui était soulevée à ce stade‑là était de savoir à quel degré de complexité ces formalités cessaient d’être « simples ». Le juge Décary de la Cour d’appel fédérale a adopté l’expression « pouvoir, faculté ou contrôle du demandeur » pour bien exprimer ce critère. Il a écrit ce qui suit au paragraphe 22 :

Je souscris entièrement aux motifs du juge Rothstein et en particulier au passage suivant, à la page 77 :

Le fait de ne pas avoir de nationalité ne doit pas relever du contrôle d'un [demandeur].

Le véritable critère est, selon moi, le suivant : s’il est en son pouvoir d’obtenir la citoyenneté d’un pays pour lequel il n’a aucune crainte fondée d’être persécuté, la qualité de réfugié sera refusée au demandeur. Bien que des expressions comme « acquisition de la citoyenneté de plein droit » ou « par l’accomplissement de simples formalités » aient été employés, il est préférable de formuler le critère en parlant de « pouvoir, faculté ou contrôle du demandeur », car cette expression englobe divers types de situations. De plus, ce critère dissuade les demandeurs d’asile de rechercher le pays le plus accommodant, une démarche qui est incompatible avec l’aspect « subsidiaire » de la protection internationale des réfugiés reconnue dans l’arrêt Ward et, contrairement à ce que l’avocat de l’intimé a laissé entendre, ce critère ne se limite pas à de simples formalités comme le serait le dépôt de documents appropriés. Le critère du « contrôle » exprime aussi une idée qui ressort de la définition du réfugié, en l’occurrence le fait que l’absence de « volonté » du demandeur à accomplir les démarches nécessaires pour obtenir la protection de l’État entraîne le rejet de sa demande d’asile à moins que cette absence s’explique par la crainte même de persécution. Le paragraphe 106 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié précise bien que « [c]haque fois qu'elle peut être réclamée, la protection nationale l'emporte sur la protection internationale ». Dans l’arrêt Ward, à la page 752, la Cour suprême du Canada fait observer, à la page 752, que « [l]orsqu'il est possible de l'obtenir, la protection de l'État d'origine est la seule solution qui s'offre à un demandeur ».

[20]           Des décisions subséquentes ont traité de ce qui pouvait ou non être du pouvoir, de la faculté ou du contrôle du demandeur. Le juge Lemieux de la Cour a écrit, au paragraphe 21 de la décision Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 583, que, lorsque les autorités n’étaient pas tenues d’accepter la demande de citoyenneté, cela constituait une circonstance hors du contrôle du demandeur :

L’erreur déterminante qu’a commise le tribunal a été de faire une incursion en territoire interdit lorsque, après avoir reconnu que les autorités guyaniennes n’étaient pas tenues d’accepter la demande de citoyenneté de Mme Khan, il s’est exprimé sur la manière dont le ministre guyanien pouvait exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui a été conféré. De telles circonstances sont hors du contrôle de la demanderesse. Mme Khan n’est pas obligée de demander la protection de la Guyana avant de demander celle du Canada.

[21]           Le même juge Lemieux, qui devait se pencher sur la question du recouvrement de la citoyenneté dans la décision Mai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 192, a conclu, au paragraphe 40 de ses motifs, qu’un recouvrement facile de la citoyenneté, qui n’a pas à être automatique, pouvait être suffisant pour entraîner le rejet d’une demande d’asile :

À mon avis, cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. En bref, le tribunal n’a pas été persuadé que les demandeurs s’étaient acquittés de leur obligation de prouver (si l’on suppose qu’ils avaient perdu leur statut, ce dont le tribunal doutait, un doute justifié par la RDI, qui indiquait que le statut était indéfini, sauf annulation pour des raisons qui n’intéressent pas la présente affaire) qu’ils ne pouvaient pas recouvrer leur statut en se pliant à des formalités administratives, recouvrement qui n’était sans doute pas automatique, mais qui ne les obligeait pas à retourner en Chine. Au vu de la preuve, le tribunal pouvait fort bien arriver à cette conclusion. En fait, appliquant le critère du contrôle exposé dans l’arrêt Williams, il a imposé un critère plus rigoureux que ce qu’exige la jurisprudence. Selon la jurisprudence, un demandeur d’asile qui a laissé expirer son statut de résident permanent doit uniquement expliquer, en donnant une raison valable, pourquoi il n’a pas empêché son statut d’expirer.

[22]           Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ma, 2009 CF 779, le juge Russell de la Cour a examiné la question de savoir si un demandeur avait une obligation de présenter une demande de citoyenneté. Il a statué que la Commission n’avait pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’avait pas une telle obligation. Il a écrit ce qui suit aux paragraphes 117 à 121 :

117.     La preuve dont a été saisie la Commission démontre que les défendeurs n’avaient pas le pouvoir d’obtenir la citoyenneté chinoise, soit le critère établi dans l’arrêt Williams. À eux seuls, les enfants seraient la source de divers problèmes et Shirley a déclaré dans son témoignage qu’elle serait probablement forcée de subir une stérilisation.

118.     Le demandeur fait en outre valoir que les défendeurs sont tenus de prouver qu’il était plus probable qu’improbable que leur demande de citoyenneté en Chine serait refusée. Lors de l’audience relative à la demande d’asile et dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur a en fait également allégué que les défendeurs étaient tenus de prouver qu’ils avaient fait une demande de citoyenneté en Chine et que cette demande avait été refusée.

119.     Selon moi, c’est à bon droit que la Commission a rejeté cet argument au motif qu’il était contraire à l’arrêt Williams. Cet argument démontre toutefois vers où le demandeur veut pousser l’examen de la question. À mon avis, étendre l’examen au‑delà de l’arrêt Williams afin de faire ce que le demandeur sollicite aurait pour effet d’imposer un fardeau intolérable à des personnes dans une situation telle que celle des défendeurs.

120.     Les défendeurs ont certainement le pouvoir de présenter une demande de citoyenneté en Chine, mais, selon la preuve, ceux‑ci n’avaient pas le pouvoir de l’obtenir et la Commission a constaté, au vu de la preuve, qu’ils ont éprouvé de grandes difficultés dans le cadre de ce processus.

121.     J’estime ainsi que la Commission a appliqué correctement l’arrêt Williams aux faits d’espèce. Je ne puis déceler aucune erreur de droit sur ce point, et la conclusion tirée en appliquant le droit aux faits appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[23]           Le juge Near (tel était alors son titre) de la Cour fédérale a conclu, dans la décision Ashby c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 277, qui traitait d’une rémigrante, qu’une citoyenneté perdue  pouvait être obtenue à nouveau, ce qui empêchait l’acceptation d’une demande d’asile. Il a écrit ce qui suit aux paragraphes 34 et 35 :

34.       Selon moi, les faits de la présente espèce appellent une distinction. Dans Khan, la Commission examinait si le mariage à un citoyen du Guyana permettait à la demanderesse d’obtenir la citoyenneté de ce pays; la demanderesse n’avait jamais eu la citoyenneté guyanienne de façon indépendante. En l’espèce, la demanderesse a la citoyenneté guyanienne par sa naissance, et elle ne l’a jamais officiellement répudiée. Même dans l’hypothèse où elle ne serait plus citoyenne du Guyana du fait qu’elle possède une autre citoyenneté, elle pourrait obtenir le statut de « rémigrante ». La Commission n’a donc pas formulé d’opinion concernant l’exercice par les autorités guyaniennes de leur pouvoir de refuser la citoyenneté à la demanderesse, contrairement à ce qui s’était produit dans Khan.

35.       Il y a lieu d’appliquer l’arrêt Williams, précité. Comme il est « en son pouvoir d’obtenir la citoyenneté d’un pays pour lequel [la demanderesse] n’a aucune crainte fondée d’être persécuté[e] », elle devrait se prévaloir de la protection de l’autre pays dont elle a la nationalité avant de demander celle du Canada. Par conséquent, la conclusion de la Commission n’est pas erronée.

[24]           Le juge O’Reilly de la Cour a dû examiner une affaire qui ressemblait fortement à la présente lorsqu’il a rendu la décision Wanchuk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 885. Les faits étaient similaires à ceux en l’espèce : une personne née en Inde, d’origine ethnique tibétaine, demandait l’asile au Canada. La question était de savoir si l’obtention de la citoyenneté indienne ne relevait pas de son contrôle. Le juge O’Reilly a écrit ce qui suit aux paragraphes 8 à 11 :

8.         Le ministre souligne que, sous le régime de l’article 3.1 du Indian Citizenship Act, une personne née en Inde entre le 26 janvier 1950 et le 1er juillet 1987 est citoyen de l’Inde. Cela a été reconnu par la haute cour de l’Inde dans l’arrêt Dolkar. Il s’ensuit que le ministre prétend que M. Wanchuk avait la capacité d’obtenir la citoyenneté indienne et que, par conséquent, la décision de la Commission n’était pas déraisonnable (citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Williams, 2005 CAF 126). En outre, même si M. Wanchuk avait à obtenir une lettre de [traduction] « non-opposition » de la part de l’ACT avant de présenter une demande de citoyenneté indienne, la preuve démontrait que l’ACT donnerait son approbation.

9.         Selon moi, la preuve documentaire démontre que M. Wanchuk n’avait aucun contrôle en ce qui concerne son obtention de la citoyenneté indienne :

•        L’arrêt Dolkar s’applique uniquement à New Delhi; il a une certaine autorité persuasive dans les autres régions de l’Inde, mais il ne s’y applique pas.

•        Aucun Tibétain ne s’est vu accorder la citoyenneté indienne dans les trois années suivant l’arrêt Dolkar.

•        La position officielle de l’ACT est qu’elle ne s’opposera pas aux Tibétains qui demandent la citoyenneté indienne. Cependant, en réalité, l’ACT est hésitante à donner son approbation, car elle croit que les Tibétains en Inde devraient y rester des réfugiés, de manière à s’assurer qu’ils reviennent un jour dans un Tibet indépendant.

10.       Selon moi, la preuve ne démontre qu’une simple possibilité que M. Wanchuk puisse obtenir la citoyenneté indienne. Cela nécessiterait, à tout le moins, que l’ACT exerce son pouvoir discrétionnaire de donner son approbation et que les autorités indiennes reconnaissent l’arrêt Dolkar comme étant un précédent contraignant. En fait, M. Wanchuk pourrait bien devoir porter sa cause devant les tribunaux. Je remarque que Mme Dolkar a consacré plusieurs années à des luttes administratives et juridiques en vue d’obtenir la citoyenneté indienne.

11.       Dans les circonstances, je juge que la conclusion de la Commission selon laquelle M. Wanchuk avait le contrôle quant à l’obtention de la citoyenneté indienne était déraisonnable.

[25]           Le juge O’Reilly n’a pas traité la question de savoir si le demandeur Wanchuk aurait à tout le moins  dû tenter d’obtenir la citoyenneté.

[26]           Dans la présente affaire, le commissaire a mentionné ce qui suit au paragraphe 27 de ses motifs :

Selon le tribunal, la demandeure d’asile doit s’acquitter du fardeau d’établir qu’une demande de citoyenneté a été présentée et qu’elle a été refusée par les autorités indiennes.

[27]           Je conviens avec l’avocat de la demanderesse que rien dans le droit canadien ne prévoit qu’un demandeur doit d’abord demander la citoyenneté, puis se la faire refuser, dans un pays sûr lorsqu’il a un droit de présenter une telle demande avant de se réclamer de la protection du Canada. En fait, le juge Russell, dans la décision Ma, précitée, a souscrit au rejet de cette thèse par la Commission, du fait qu’il s’agissait d’un « fardeau intolérable ».

[28]           Il est néanmoins troublant de constater que, dans un cas comme celui en l’espèce, où la demanderesse était née en Inde et y menait une existence paisible, qu’elle n’a pris absolument aucune mesure pour acquérir la citoyenneté indienne complète. Certes, si elle avait entrepris des démarches raisonnables et qu’elle n’avait pas réussi à obtenir la citoyenneté, cela aurait grandement renforcé sa demande d’asile au Canada.

[29]           Avec égards au juge Russell, il n’y a rien dans l’arrêt Williams qui appuie la thèse selon laquelle il n’est pas nécessaire qu’un demandeur ait présenté une demande de citoyenneté. Le paragraphe 22 de cet arrêt traite de la question de savoir s’il relève du pouvoir, de la faculté ou du contrôle d’une personne d’acquérir la citoyenneté. Il n’y a rien dans cette affaire qui encourage un demandeur à ne pas déployer des efforts raisonnables pour obtenir sa citoyenneté.

[30]           La négligence volontaire, ou même la négligence, de présenter une demande de citoyenneté dans le cas où une personne a le droit de présenter une telle demande ne devrait pas constituer une invitation pour cette personne à tenter sa chance au Canada. Cela serait un bon fondement pour une question certifiée, dans l’éventualité où la question n’était pas traitée dans le cadre d’une remarque incidente. Mais, puisque c’est le cas, du fait que j’ai jugé que la conclusion selon laquelle la demanderesse avait la citoyenneté indienne était raisonnable, je ne certifierai pas la question.

4.             Le commissaire aurait-il dû examiner tout élément de preuve lui permettant d’établir si la demanderesse aurait été exposée à un renvoi en Chine à partir de l’Inde?

- et -

5.             Le commissaire aurait-il dû examiner la crainte de la demanderesse d’être exposée à un risque en Chine?

[31]           Étant donné que le commissaire a conclu que la demanderesse avait la citoyenneté indienne, il n’était pas nécessaire de faire un examen quant à ces questions.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS :

LA COUR STATUE que :

1.                   La demande est rejetée;

2.                   Aucune question n’est certifiée;

3.                   Aucun dépens ne sont adjugés.

« Roger T. Hughes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6969-13

 

INTITULÉ :

PEMA DOLKER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 JANVIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HUGHES

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 2 FÉVRIER 2015

 

COMPARUTIONS :

D. Clifford Luyt

POUR LA DEMANDERESSE

 

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Toronto (ON)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (ON)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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