Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150216


Dossier : IMM-8157-13

Référence : 2015 CF 176

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 février 2015

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

DENG, WEI MING

CHEN, DONG YANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision du 18 novembre 2013 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a conclu qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.                   Faits

[2]               Les demandeurs, Wei Ming Deng et son épouse, Dong Yang Chen, sont citoyens de la Chine. Leurs demandes ont été entendues conjointement, mais seule Dong Chen a témoigné.

[3]               La demanderesse, Dong Chen, a reçu un diplôme avec majeure en droit de l’Université de Guangzhou en 2006. Le demandeur travaillait comme commis-vendeur à Guangzhou. Les demandeurs se sont mariés le 1er octobre 2009 et sont arrivés au Canada le 3 avril 2011. Ils ont présenté une demande d’asile fondée sur des motifs politiques le 7 avril 2011.

[4]               En octobre 2010, l’administration municipale a envoyé un avis aux demandeurs, les informant qu’ils devaient quitter leur demeure avant le 10 décembre 2010 pour permettre à la ville de construire une ceinture verte. Environ cinquante habitations étaient visées par la mesure. Les propriétaires jugeaient que l’indemnité proposée était déraisonnable et certains, dont les demandeurs, ont décidé de négocier avec l’administration municipale.

[5]               Selon la demanderesse, la proposition de négociation est restée sans réponse, si bien que le 10 décembre 2010, des ouvriers sont arrivés à bord de bouteurs et de camions pour entreprendre la démolition des habitations. Une centaine de résidents s’étaient rassemblés afin de faire obstacle aux ouvriers et empêcher la démolition, ce qui leur a valu la visite du Bureau de la sécurité publique (BSP). Les demandeurs ont pris la fuite lorsque le BSP a commencé à arrêter des résidents. Ils se sont réfugiés chez un ami. Une tante leur a dit que le PSB était venu chez elle pour s’enquérir d’eux, les accusant d’avoir participé à un rassemblement illégal, d’avoir troublé l’ordre public et d’avoir nui au travail de représentants de l’administration.

[6]               Les demandeurs ont embauché un passeur, qui a pris les arrangements nécessaires afin qu’ils puissent s’enfuir au Canada, munis de faux passeports de Hong Kong.

II.                Décision

[7]               La Commission a conclu que le différend réel opposant les demandeurs à l’administration municipale concernait la somme de l’indemnité proposée, ce qui ne constituait pas un motif de persécution énoncé dans la Convention. La demande n’était pas fondée sur les actions prises par l’administration municipale pour mener l’expropriation, et aucun élément de preuve ne permet de penser qu’un motif de persécution énoncé dans la Convention avait pu motiver ou régir la prise des mesures d’expropriation par les autorités. La Commission, soutenant qu’il n’y avait pas de lien avec un motif énoncé dans la Convention, s’est appuyée sur l’affaire You c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 100, pour faire valoir qu’un différend financier ne peut être considéré comme un différend politique simplement parce que le différend en question se rapporte à une décision gouvernementale. Par conséquent, la demande présentée en vertu de l’article 96 de la LIPR a été rejetée. La Commission a ensuite analysée la demande fondée sur l’article 97.

[8]               La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas déposé une preuve crédible. En particulier, le témoignage de la demanderesse concernant la façon dont elle et son mari s’étaient enfui de la scène du rassemblement était vague et manquait de précision; son témoignage concernant l’arrivée du BSP et les arrestations des manifestants était évasif et imprécis et contredisait parfois les renseignements fournis dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP), et son témoignage de la façon dont les demandeurs avaient réussi à fuir le BSP était vague. La Commission a conclu que les éléments de preuve déposés pour établir que les demandeurs ont continué d’avoir des contacts directs avec les membres de leur famille pendant qu’ils étaient en fuite, malgré le fait que le BSP les cherchait jusque chez leurs proches, n’étaient pas crédibles.

[9]               Enfin, la Commission a expliqué que même s’il avait été conclu que les demandeurs étaient crédibles, et même si le BSP avait été à leur recherche, leur situation aurait été considérée comme un cas de poursuite en vertu d’une loi d’application générale, et non comme un cas de persécution.

III.             Analyse

[10]           Le ministre n’a pas cherché à confirmer la décision fondée sur l’absence de lien avec un motif prévu dans la Convention. Ainsi, la seule question à trancher dans le cas de la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la conclusion de la Commission concernant la crédibilité peut être maintenue.

[11]           La demanderesse fait valoir qu’en ce qui a trait à la crédibilité, la Commission a fait un examen à la loupe, parfois conjectural, sans tenir compte de la preuve. La Commission a exprimé des réserves au sujet des réponses vagues, manquant de précisions, données par la demanderesse, soulignant qu’il s’agissait pour les demandeurs d’un événement traumatique dont ils auraient dû garder un souvenir clair. Toutefois, la Commission n’est pas une experte de la mémoire, et si certaines personnes sont aptes à témoigner avec force détails, il se peut que d’autres n’arrivent pas à se souvenir d’événements traumatiques. De plus, au sujet des incohérences dans son FRP, la demanderesse a expliqué qu’il avait pu s’y glisser des erreurs de traduction. Les commentaires de la Commission concernant les visites du BSP au domicile des membres de la famille relevaient en outre de la conjecture. Les demandeurs admettent avoir pris un risque en rendant visite à des membres de leur famille, et la Commission a conclu que ce risque était déraisonnable compte tenu du fait que le BSP, à la lumière de la preuve déposée par la demanderesse, les cherchait activement.

[12]           Selon moi, les conclusions de la Commission concernant la crédibilité étaient raisonnables. Elles reposent sur la preuve au dossier. La Commission a tiré des conclusions défavorables au sujet de la capacité de la demanderesse de se souvenir de faits précis, et bien que la demanderesse ait fait valoir que cela était possible, parce qu’elle avait des trous de mémoire en raison du caractère traumatique de l’évènement, aucun élément de preuve n’a été déposé à cet égard. Il incombait à la demanderesse d’établir les faits relatifs à sa demande. Il est loisible au Commissaire, dans le cours normal de l’appréciation des faits, de tirer des conclusions de l’absence de précisions ou détails particuliers lorsqu’il serait raisonnable de sa part de s’attendre à des précisions ou détails particuliers. L’avocat fait valoir que les événements liés à la manifestation étaient flous et confus, mais je ne suis pas d’avis que la Commission avait des attentes déraisonnables quant aux détails que devait fournir la demanderesse.

[13]           La Commission s’est penchée sur les explications fournies par la demanderesse pour justifier les incohérences entre les éléments de preuve et l’exposé circonstancié du FRP, et elle a souligné que la demanderesse avait signé une déclaration attestant que le contenu de l’exposé était complet et exact. La demanderesse a modifié le FRP avant l’audience, mais ce n’est qu’à l’audience qu’elle a rectifié les déclarations qui soulevaient des doutes. La Commission a conclu que les explications fournies pour justifier les incohérences concernant un élément de preuve important étaient non convaincantes, et rien ne permet que la Cour intervienne à cet égard.

[14]           La demanderesse a également omis de fournir une explication satisfaisante pour justifier le fait que les membres de la famille des demandeurs avaient pu rendre visite aux demandeurs alors que ceux‑ci se cachaient et alors que le BSP continuait de se rendre régulièrement au domicile de leur plus proche parente, une tante. La Commission a souligné qu’en dépit du fait qu’il a effectué dix visites au domicile de la tante, le BSP n’a jamais laissé d’avis ou d’assignation. La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas pourchassés par le BSP, et il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion.

[15]           J’accepte l’argument de la demanderesse selon lequel tous les écarts ou incohérences dans la preuve n’étaient peut-être pas significatifs ou déterminants. Toutefois, globalement, le dossier offrait au commissaire un fondement objectif pour conclure que la demanderesse ne se souvenait pas d’événements qu’elle avait elle‑même vécus. La Commission a exprimé un certain nombre de réserves, notamment concernant la façon dont la demanderesse a réussi à quitter la manifestation sans être arrêtée, sa description de l’arrivée du BSP à la manifestation, le nombre d’agents qui étaient présents, et la question de savoir si elle avait vu le BSP arrêter des manifestants ou si elle se fondait sur ce qu’on lui avait rapporté par la suite. En somme, la Commission a fait une appréciation juste et raisonnable de la preuve déposée par les demandeurs, et elle l’a rejetée. Rien ne justifie l’intervention de la Cour.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Donald J. Rennie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8157-13

INTITULÉ :

WEI MING DENG ET AL. C LE MINISTRE de la citoyenneté et de l’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 JANVIER 2015

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

LE 16 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

M. Matthew Oh

POUR LES DEMANDEURS

M. Manuel Mendelzon

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto, Ontario

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.