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Date : 20150218


Dossier : T-1466-13

Référence : 2015 CF 204

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 février 2015

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

BERNARD CONRAD LEWIS

demandeur

et

NATION GITXAALA, ELMER MOODY, JAMES BOLTON ET WENDY NELSON

défendeurs

et

TRIBUNAL DE JUSTICE DE LA NATION GITXAALA

intervenant

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, datée du 30 août 2013, présentée pour le compte du demandeur, Bernard Conrad Lewis, relativement à une décision du Tribunal de justice de la Nation Gitxaala (le Tribunal) rendue le 26 juillet 2013 conformément au Gitxaala Nation Custom Election Code (le Code électoral). Le demandeur a été déclaré vainqueur de l’élection visant à nommer un conseiller en chef du conseil de gestion de la Nation Gitxaala. Selon les résultats officiels, le demandeur a gagné par treize (13) voix, cependant, dans les 30 jours suivant l’élection, comme le prévoit le Code électoral, cinq électeurs ont interjeté appel.

[2]               Le Tribunal a accueilli l’appel concernant les résultats de l’élection du 15 avril 2013 et a ordonné la tenue d’une nouvelle élection pour le poste de conseiller en chef de la Nation Gitxaala.

[3]               Le demandeur exige l’obtention de la réparation suivante :

a.       une ordonnance d’annulation de la décision du Tribunal de justice de la Nation Gitxaala rendue le 26 juillet 2013;

b.      une déclaration selon laquelle Bernard Conrad Lewis est le conseiller en chef de la Nation Gitxaala;

c.       une injonction provisoire empêchant la Nation Gitxaala de tenir une élection complémentaire pour le poste de conseiller en chef de la Nation Gitxaala avant la prochaine élection régulière du conseil de gestion, ou jusqu’à ce qu’il y ait un poste à pourvoir, comme le prévoit le Code électoral;

d.      une ordonnance de mandamus forçant la Nation Gitxaala à verser le salaire de conseiller en chef au demandeur pour le mois d’août 2013 et jusqu’à la date du jugement; ainsi qu’à continuer de rémunérer le demandeur aussi longtemps qu’il demeurera légalement en fonction;

e.       toute autre réparation que la Cour peut juger bon d’accorder;

f.       les dépens.

[4]               Après l’élection, différents membres de la bande ont contesté les résultats devant le Tribunal pour motifs d’irrégularités. Les trois irrégularités sur lesquelles le Tribunal a enquêté sont les suivantes :

a.       le traitement inapproprié de bulletins de vote par correspondance : trois bulletins de vote ont été trouvés non consultés dans le bureau du conseil de bande après l’élection;

b.      le nom d’une candidate qui avait retiré sa candidature apparaissait sur les bulletins de vote : six électeurs ont voté pour cette candidate;

c.       l’omission de mettre à jour l’adresse d’électeurs : quatre électeurs ont demandé de recevoir un bulletin de vote par correspondance et n’ont pas reçu la trousse de vote postal.

[5]               Le Code électoral actuel est en vigueur depuis le 15 décembre 2009. Les rôles et les responsabilités du Tribunal de justice de la Nation Gitxaala sont énoncés de l’article 6.22 à l’article 6.26 du Code électoral et les procédures d’appel sont décrites à l’article 11. Un des rôles du Tribunal est décrit à l’alinéa 6.26a) :

[traduction]

Gérer tous les appels liés aux postes à pourvoir au sein du conseil de gestion conformément aux dispositions du présent Code.

[6]               L’article 11.1 en particulier expose les circonstances dans lesquelles il est possible d’interjeter appel et la nature des erreurs qui sont examinées :

[traduction]

Tout électeur, y compris les candidats, peut, dans les trente (30) jours suivant la tenue de l’élection, interjeter appel du résultat de l’élection, en tout ou en partie, s’il a des raisons de croire qu’une erreur a été commise selon le présent Code ou qu’il y a eu violation du Code pendant le processus électoral, et que cela peut avoir influé sur le résultat de l’élection. [Non souligné dans l’original.]

[7]               À la suite de l’enquête, le Tribunal a conclu ce qui suit :

[traduction]

[...] des erreurs ont été commises et il y a eu violation du Code lors de la tenue de l’élection, et les erreurs commises ainsi que la violation du Code ont influé sur le résultat de l’élection pour le poste de conseiller en chef. Par conséquent, le Tribunal accueille les appels conformément à l’alinéa 11.8b) du Code. En outre, le Tribunal exige que le conseil de gestion de la Nation Gitxaala adopte une résolution déclenchant une élection complémentaire et que cette élection complémentaire soit tenue le plus rapidement possible, conformément aux dispositions du Code.

[8]               Le Tribunal a jugé que 13 bulletins de vote comportaient des erreurs qui auraient pu influer sur le résultat de l’élection. Comme le demandeur a gagné par 13 voix, le Tribunal a accueilli l’appel et ordonné une élection complémentaire pour le poste de conseiller en chef.

I.                   Norme de contrôle

[9]               Le demandeur fait valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, étant donné que le Tribunal est composé de membres de la collectivité qui ne possèdent aucune expertise confirmée dans l’interprétation du Code électoral.

[10]           Le demandeur affirme que, selon la norme de la décision correcte, l’élection devrait être confirmée et non renvoyée au Tribunal pour qu’une nouvelle décision soit rendue. De plus, le demandeur soutient qu’il a droit à une indemnité pour perte de revenu à titre de conseiller en chef.

[11]           Les défendeurs font valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte si le Tribunal interprète le Code électoral, étant donné qu’il s’agit d’une pure question de droit sur laquelle le Tribunal n’a aucune expertise. Toutefois, ils affirment aussi que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable en ce qui a trait à l’examen des méthodes d’enquête choisies par le Tribunal et que la procédure était déraisonnable parce qu’elle était incomplète.

[12]           En revanche, l’intervenant soutient que la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnable, car la décision du Tribunal est une question mixte de fait et de droit concernant le pouvoir discrétionnaire. À titre de juge des faits et lorsqu’il y a une preuve orale, le Tribunal affirme qu’il faut faire preuve de retenue.

[13]           La Cour d’appel fédérale a statué que la norme de la décision raisonnable devrait s’appliquer dans des situations semblables (Première Nation de Fort McKay c Orr, 2012 CAF 269, aux paragraphes 10 et 11 (Orr); D’Or c St Germain, 2014 CAF 28, aux paragraphes 5 et 6 (St Germain); Bande indienne de Lower Nicola c York, 2013 CAF 26, au paragraphe 6).

[14]           Je souligne qu’à l’article 11.11,  le Code électoral précise [traduction] qu’« une décision du Tribunal de justice de la Nation Gitxaala est définitive ». Cet article n’a pas été cité par le demandeur ni par les défendeurs. Toutefois, l’intervenant laisse entendre qu’il devrait être considéré comme une disposition privative et qu’il faudrait donc faire preuve d’une certaine retenue à l’égard de la décision du Tribunal.

[15]           Je juge que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, puisqu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit. Dans d’autres affaires où les résultats de l’élection d’une bande étaient contestés et où il était question d’un code coutumier, d’autres membres de la Cour et moi-même (dans la décision Chef Gayle Strikes With a Gun c Conseil de la Première Nation des Piikani, 2014 CF 908) avons procédé au contrôle judiciaire de décisions en fonction de la norme de la décision raisonnable, comme l’exige la Cour d’appel fédérale. La question de savoir si les enquêtes relevaient de la compétence du Tribunal n’est pas contestée par les parties et, par conséquent, il est donc possible de faire une distinction d’avec la décision Felix c Sturgeon Lake First Nation, 2011 CF 1139, citée par le demandeur. Dans cette affaire, la norme de contrôle était celle de la décision correcte, étant donné que la compétence du tribunal d’appel faisait l’objet d’un examen. Ce n’est pas le cas ici.

[16]           Selon la norme de la décision raisonnable, il faut se soucier de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que de l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12).

II.                Analyse

[17]           Le demandeur soutient que la décision doit être renvoyée afin qu’une nouvelle décision soit rendue pour les motifs suivants :

         le Tribunal n’a pas consulté les trois bulletins de vote par correspondance pour établir s’ils influaient sur le résultat de l’élection. Selon le demandeur, si les votes sur les bulletins n’étaient pas pour le candidat ayant terminé au deuxième rang, ils n’auraient pas influé sur le résultat de l’élection;

         le Tribunal a commis une erreur en acceptant la preuve selon laquelle il y avait six bulletins pour la candidate qui s’était désistée plutôt que cinq. Subsidiairement, le demandeur affirme que le Tribunal aurait dû suivre une procédure différente pour déterminer les conséquences de la présence du nom de la candidate qui s’était désistée sur le bulletin de vote;

         le Tribunal a jugé à tort que les adresses n’étaient pas à jour pour quatre électeurs qui avaient demandé de voter par correspondance et qui n’avaient donc pas reçu la trousse de vote postal. Le demandeur soutient que le Tribunal a commis une erreur, étant donné que certains des électeurs concernés ne résidaient pas habituellement sur les terres de la Nation Gitxaala ou dans la municipalité de Prince Rupert et qu’ils n’étaient donc pas visés par l’article 8.7 du Code électoral, mais plutôt par l’article 8.6. Aucune disposition ne prévoit que les électeurs qui ne résident pas habituellement sur les terres de la Nation Gitxaala ou dans la municipalité de Prince Rupert peuvent demander une trousse de vote postal. À titre subsidiaire, le demandeur soutient que, pour au moins un électeur, celui‑ci était le seul responsable du problème lié au courrier. Finalement, le demandeur affirme que le Tribunal aurait dû mener une enquête plus approfondie pour s’assurer qu’aucun des électeurs souhaitant voter par correspondance n’avait voté en personne.

[18]           Les défendeurs reprennent généralement les critiques du demandeur quant aux procédures d’enquête du Tribunal.

[19]           Les défendeurs affirment qu’une enquête plus serrée aurait permis d’établir si les13 bulletins de vote avaient influé sur le résultat de l’élection. Les défendeurs soutiennent que, puisque le nombre de votes séparant le candidat victorieux du candidat ayant terminé au deuxième rang correspondait au nombre de bulletins concernés, le Tribunal aurait dû examiner minutieusement les circonstances entourant le désistement de la candidate et aurait dû ouvrir les trois bulletins de vote par correspondance. Les défendeurs affirment que l’affaire doit être renvoyée au Tribunal avec des instructions procédurales précises de la Cour.

[20]           Je conclus que la décision est raisonnable pour les raisons suivantes.

[21]           Le Code électoral accorde au Tribunal la capacité d’enquêter et d’établir ses propres règles en ce qui concerne les appels :

[traduction]

11.6 Le Tribunal de justice de la Nation Gitxaala doit par ailleurs établir ses propres règles de procédure au besoin et il peut, à sa discrétion, obtenir des conseils juridiques et entendre des témoignages, y compris des témoins, dans le cadre de son examen d’un appel.

11.7 Il est entendu que le Tribunal de justice de la Nation Gitxaala peut réaliser ou autoriser une enquête plus approfondie sur les faits allégués dans le cadre de l’appel s’il le juge approprié et nécessaire.

[22]           De plus, tout organisme administratif est maître de sa propre procédure et est autorisé à élaborer un système souple, adapté à ses besoins et équitable (Knight c Indian Head School division No 19, [1990] 1 RCS 653).

[23]           Le Tribunal a établi ses propres règles concernant le présent appel. Il a décidé de la façon dont se dérouleraient l’enquête et l’appel.

[24]           La décision décrit exactement à quelles questions le Tribunal doit répondre, la norme de preuve requise et les étapes à suivre selon les réponses précédentes.

[25]           La procédure suivie pour recueillir les éléments de preuve a été décrite dans la décision et était cohérente et transparente.

[26]           Le Tribunal était principalement constitué d’aînés de la Première Nation Gitxaala et, au cours de l’enquête, ils ont examiné des éléments de preuve orale et documentaire.

[27]           Le Tribunal s’est vu attribuer le droit d’établir ses propres règles relativement à l’enquête. Ses membres ont interrogé des gens qui possédaient des éléments de preuve directs concernant l’élection, notamment dans le cadre de l’enquête sur les bulletins de vote non consultés, les trousses de vote postal non reçues et la candidate s’étant désistée.

[28]           Le demandeur est d’avis qu’il aurait dû être interrogé ou qu’il aurait dû participer à l’appel, mais je ne considère pas qu’il soit injuste sur le plan procédural qu’il n’ait pas pris part à l’enquête. J’estime qu’il était raisonnable pour le Tribunal de ne pas interroger le demandeur, étant donné qu’il n’avait rien à voir avec les bulletins de vote non consultés, l’envoi des trousses de vote postal ou le fait que le nom d’une candidate s’étant désistée figurait sur le bulletin de vote. Comme le demandeur n’avait pas d’éléments de preuve à fournir en ce qui a trait aux erreurs dont il est question dans l’appel, le questionnement du demandeur n’aurait pas aidé le Tribunal dans son enquête ou sa décision.

A.                Bulletins de vote non consultés

[29]           Le demandeur soutient que le Tribunal a eu tort de ne pas consulter les bulletins de vote non consultés ayant été trouvés après l’élection. Le demandeur affirme que, si le Tribunal avait consulté les bulletins de vote et qu’il avait constaté que le demandeur avait tout de même obtenu un nombre de votes supérieur, il n’aurait pas été nécessaire de procéder à une nouvelle élection. Le demandeur affirme qu’il sait que les trois bulletins non consultés proviennent de gens qui ont voté pour lui.

[30]           Le Tribunal a accepté le témoignage des membres du comité électoral, qui ont confirmé que les trois bulletins de vote non consultés avaient été trouvés au bureau du conseil de bande à Lach Klan après l’élection, même si la date estampillée confirme que les bulletins de vote ont été transmis au bureau du conseil de bande avant l’élection. Le paquet comprenait trois bulletins de vote postaux, donc le vote de trois électeurs n’a pas été pris en compte pendant l’élection. Le Tribunal a jugé que cette pratique constituait une violation de l’article 9.16 du Code électoral, puisque les bulletins avaient été reçus par le bureau du conseil avant l’élection, mais n’avaient pas été comptabilisés dans le calcul des résultats de l’élection. Le Tribunal a seulement conclu que les bulletins de vote postaux n’avaient pas été consultés ni comptabilisés.

[31]           Je trouve raisonnable que le Tribunal n’ait pas consulté les bulletins de vote pour savoir si le demandeur aurait tout de même été victorieux.

[32]           Il est raisonnable d’accepter le fait que le droit des électeurs de voter a été compromis parce que leur vote n’a pas été comptabilisé. Aucune disposition du Code électoral ne demande de consulter les bulletins de vote et de procéder à un nouveau dépouillement. Le Tribunal n’a aucunement l’obligation de consulter les bulletins de vote et, par conséquent, sa décision de ne pas le faire relevait de son pouvoir discrétionnaire. Effectuer le dépouillement des votes équivaut à « remédier » aux irrégularités liées aux bulletins, ce que le Tribunal ne peut pas faire.

[33]           Comme je l’ai souligné au paragraphe 6, selon l’article 11.1 du Code électoral, pour qu’il y ait une erreur selon le Code, il faut qu’il s’agisse d’une erreur [traduction] « qui peut avoir influé sur le résultat de l’élection ». Le nom du candidat effectivement inscrit dans les trois bulletins de vote non consultés n’est pas pertinent lorsque la norme est de savoir si les votes concernés peuvent avoir influé sur le résultat.

[34]           Le Code électoral n’exige pas que le Tribunal détermine quel candidat a été touché par une irrégularité donnée; il était raisonnable pour le Tribunal de juger qu’il suffisait qu’il y ait eu une irrégularité. Le demandeur soutient qu’il faut assurément établir s’il y a eu une incidence sur le résultat de l’élection. Toutefois, le Code électoral n’exige pas que le Tribunal agisse de la sorte. Dans l’arrêt Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55, au paragraphe 44, la Cour suprême du Canada traite de « valeurs interreliées et parfois contradictoires » dans son examen de la Loi électorale du Canada, LC 2000, c 9, relativement aux irrégularités électorales. Une des valeurs que privilégie la Cour suprême du Canada est l’anonymat de l’électeur. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une élection régie par la Loi électorale du Canada, je crois qu’il s’agit d’une valeur importante prise en compte dans l’élection visée.

[35]           La décision est juste et équitable, en particulier parce que les bulletins de vote non consultés n’étaient pas les seuls votes compromis. La façon dont le Tribunal a déterminé combien d’électeurs avaient vu leur droit de vote compromis était raisonnable et il aurait été inapproprié pour le Tribunal de déterminer combien d’électeurs auraient voté ou non.

[36]           La décision du Tribunal de conclure qu’il y avait eu une incidence sur le vote de trois électeurs était raisonnable et fondée sur les éléments de preuve dont il disposait.

B.                 Nom d’une candidate s’étant désistée figurant toujours sur le bulletin de vote

[37]           Le Tribunal a interrogé des membres du comité électoral et a déterminé que le nom de Linda Innes était demeuré sur les bulletins de vote même si elle avait retiré sa candidature. Le Tribunal a accepté le fait que les votes pour cette candidate avaient été annulés. Le Tribunal a conclu que six bulletins de vote avaient été annulés par les électeurs ayant voté pour Linda Innes.

[38]           Le Tribunal a obtenu des éléments de preuve contradictoires concernant le nombre de votes pour Linda Innes. La fonctionnaire électorale, Eva Spencer, a affirmé que six bulletins de vote avaient été annulés à Lach Klan parce que les électeurs avaient voté pour Linda Innes, et la directrice générale des élections, Wendy Nelson, a déclaré que cinq bulletins de vote avaient été annulés. Comme Eva Spencer se trouvait à Lach Klan le jour de l’élection, le Tribunal a préféré tenir compte de son témoignage plutôt que de celui de Wendy Nelson, étant donné que cette dernière n’était pas à Lach Klan. Le Tribunal a conclu que six électeurs avaient été touchés par cette erreur. Il a tiré cette conclusion quant à la preuve après avoir interrogé Eva Spencer et Wendy Nelson pendant l’enquête.

[39]           L’article 8.3 du Code électoral énonce ce qui suit : [traduction] « En tout temps avant l’impression des bulletins de vote, un candidat peut se désister en présentant au directeur général des élections un formulaire de retrait de candidature rempli, dont une copie est jointe au présent Code, à l’annexe 7. » Le Tribunal a conclu qu’il n’existait pas de preuve concluante quant au moment du désistement et de l’impression des bulletins de vote.

[40]           Il ressort de la preuve présentée au Tribunal que les fonctionnaires électoraux et les assistants avaient informé les électeurs se présentant aux bureaux de vote de Prince Rupert et de Lach Klan que Linda Innes s’était désistée en affichant un avis en anglais, mais que les électeurs par correspondance n’avaient pas reçu cet avis.

[41]           Le demandeur a affirmé que la candidate n’avait pas vraiment retiré sa candidature. Cet argument doit être rejeté, car il ressort de la preuve que le personnel électoral avait informé certains électeurs à leur arrivée au bureau de vote que la candidate ne devrait pas figurer sur le bulletin de vote en raison de son désistement. Il ressort aussi de la preuve qu’un avis de désistement avait été affiché dans les bureaux de vote. Rien ne prouvait que Linda Innes n’avait pas retiré sa candidature, mais la preuve révélait qu’elle s’était désistée à un certain moment pendant la semaine du 11 mars 2013.

[42]           Ce qui est clair, c’est que Linda Innes s’est désistée et que son nom est demeuré sur le bulletin de vote. La preuve établit que des affiches avaient été posées et que, lorsque les électeurs s’étaient présentés aux bureaux de vote, certains avaient été prévenus qu’elle s’était désistée. Aucun élément preuve n’a été présenté au Tribunal concernant la question de savoir si tous les électeurs savaient qu’elle avait retiré sa candidature, mais les éléments de preuve présentés révèlent qu’en fin de compte, six électeurs ont voté pour la candidate qui s’était désistée et dont le nom figurait toujours sur le bulletin de vote.

[43]           Le dossier certifié du Tribunal ne mentionne pas exactement quand les bulletins de vote ont été imprimés, mais il ne fait aucun doute que Linda Innes a retiré sa candidature, que son désistement a été accepté et qu’au moins un certain nombre d’électeurs en ont été informés. Ce sont toutes des conclusions factuelles faites par le Tribunal qui respectent les limites de son pouvoir discrétionnaire et qui sont raisonnables d’après l’examen des éléments de preuve qui lui ont été présentés.

[44]           Finalement, il est sans importance de savoir si la candidate s’est légitimement désistée de l’élection ou non. La question à trancher consiste à savoir si la décision du Tribunal d’accepter la preuve qu’il y avait six bulletins de vote pour Linda Innes plutôt que cinq est une conclusion factuelle du Tribunal. Ce dernier a préféré le témoignage de la fonctionnaire électorale, qui était présente à l’endroit où les bulletins de vote ont été comptabilisés. La Cour fait preuve d’une grande retenue à l’égard de cette conclusion factuelle.

[45]           Il était raisonnable pour le Tribunal de conclure que six votes pour la candidate qui s’était désistée l’avaient amené à croire que six électeurs pouvaient avoir vu leur droit de vote compromis.

C.                 Trousse de vote postal non reçue par des électeurs

[46]           Les articles 8.6 à 8.12 du Code électoral traitent du processus de vote par correspondance.

[47]           Le Tribunal a conclu que quatre électeurs résidant à l’extérieur des terres de la Nation Gitxaala et de Prince Rupert avaient demandé une trousse de vote postal plus de 30 jours avant l’élection, comme l’exige l’article 8.6 du Code électoral, mais qu’ils ne l’avaient pas reçue pour un certain nombre de raisons. Rien ne prouve que l’une ou l’autre des personnes n’ayant pas reçu leur trousse de vote postal ait plutôt voté en personne, ce dont il est question à l’article 8.12 du Code électoral.

[48]           Le Tribunal disposait d’éléments de preuve selon lesquels les quatre électeurs qui avaient mis leur adresse à jour n’avaient pas reçu leur trousse de vote. Il a conclu que les électeurs avaient correctement mis à jour leur adresse, comme l’exigent les articles 6.14 et 6.15 du Code électoral, et qu’il aurait donc fallu leur envoyer un bulletin de vote par correspondance conformément à l’article 8.6 du Code.

[49]           Le Code prévoit que c’est la tâche du directeur général des élections, conformément à l’article 8.6, d’envoyer par la poste à chaque électeur qui ne réside pas habituellement sur les terres de la Nation Gitxaala ou dans la municipalité de Prince Rupert, la trousse de vote par correspondance 30 jours avant l’élection. Le fait que le directeur général des élections n’envoie pas un bulletin de vote à l’adresse fournie constitue une infraction. Si l’électeur est un électeur aux termes de l’article 8.7 qui vit sur les terres de la Nation Gitxaala ou dans la municipalité de Prince Rupert, il doit demander que la trousse de vote lui soit transmise.

[50]           Le Tribunal a jugé que le fait que des électeurs résidant habituellement sur les terres de la Nation Gitxaala ou à Prince Rupert et se conformant à l’article 8.7 du Code électoral n’aient pas reçu leur trousse de vote postal constituait une violation de l’article 8.8.

[51]           Le demandeur soutient qu’au moins un certain nombre d’électeurs concernés par les conclusions du Tribunal étaient des électeurs aux termes de l’article 8.6 et non de l’article 8.7, comme il est décrit dans la décision du Tribunal.

[52]           Son argument repose sur le fait qu’une enquête additionnelle était nécessaire pour déterminer quel article du Code électoral régissait les électeurs et qu’il était erroné de dire que les électeurs qui n’avaient pas reçu leur trousse de vote par correspondance étaient des électeurs aux termes de l’article 8.7. En outre, le demandeur affirme que les éléments de preuve recueillis révèlent qu’une électrice n’a pas reçu son bulletin de vote postal en raison de problèmes avec Postes Canada et non en raison d’une erreur de la fonctionnaire électorale ou de l’utilisation d’une mauvaise adresse.

[53]           Le Tribunal a le pouvoir de déterminer sa propre méthode d’enquête selon les circonstances. Le demandeur suggère maintenant, à l’étape du contrôle judiciaire, que le Tribunal aurait dû mettre en œuvre un autre type d’enquête concernant les électeurs n’ayant pas reçu leur bulletin de vote par la poste, mais ce n’est pas la procédure que le Tribunal a jugée nécessaire. Les articles 11.6 et 11.7 accordent au Tribunal la capacité de déterminer l’outil d’enquête particulier à utiliser. Un examen du dossier certifié du tribunal (le DCT) m’assure que le niveau d’enquête du Tribunal était équitable et raisonnable à ce moment, tout comme les éléments présentés comme fondement de l’appel.

[54]           À la fin de l’examen du dossier, le Tribunal a fait une erreur administrative et aurait dû citer l’article 8.6 dans sa décision plutôt que l’article 8.7 ou aurait possiblement pu affirmer qu’il y avait eu violation des deux articles. Essentiellement, il importe peu de savoir si les bulletins de vote par correspondance devaient être postés automatiquement (article 8.6) ou sur demande au titre de l’article 8.7. Dans ce cas, certains électeurs admissibles au titre de l’article 8.6 avaient aussi fait une demande de bulletin de vote par correspondance même si ce n’était pas nécessaire. Les trousses de vote postal pour les électeurs assujettis aux articles 8.6 et 8.7 sont identiques, alors il n’est pas important de déterminer l’article exact régissant les quatre électeurs. Cela n’a pas d’importance, puisqu’aucun des quatre électeurs n’a reçu sa trousse de vote postal.

[55]           L’article 6.14 prévoit que l’électeur a la responsabilité de s’assurer que son nom figure sur la liste électorale avant l’envoi de la trousse de vote postal. Le Tribunal a relevé des éléments de preuve selon lesquels les quatre électeurs avaient correctement communiqué une adresse à jour.

[56]           L’erreur commise par le Tribunal était mineure et n’a pas eu d’incidence sur la décision même de quelque façon que ce soit. Cette erreur ne rend pas la décision déraisonnable ni susceptible de contrôle.

[57]           Un des arguments avancés est que le Tribunal a eu tort de ne pas mener une enquête approfondie. Le Tribunal a reçu un certain nombre de noms de personnes qui n’avaient pas reçu la trousse de vote par correspondance et n’a enquêté que sur quatre électeurs plutôt que sur toutes les personnes mentionnées.

[58]           Dans le cadre de son enquête, le Tribunal a reçu un courriel d’Eva Spencer (fonctionnaire électorale) daté du 3 juin 2013, énumérant un grand nombre de noms de membres qui avaient demandé un bulletin de vote postal et ne l’avaient pas reçu. Une personne qui a interjeté appel a aussi nommé un certain nombre d’électeurs qui n’avaient pas reçu leur bulletin de vote par correspondance.

[59]           Le DCT ne comprenait des éléments de preuve que pour quatre électeurs et le Tribunal n’a tiré une conclusion qu’en ce qui a trait aux quatre électeurs touchés. Lorsque je compare le DCT avec la liste donnée par la fonctionnaire électorale, les quatre électeurs en question sont sur la liste.

[60]           Je considère que la décision du Tribunal de ne pas enquêter sur tous les électeurs n’ayant pas reçu la trousse de vote postal est une décision raisonnable. Il aurait peut-être été plus prudent d’enquêter sur plus de membres dont le nom figurait sur la liste fournie par la fonctionnaire électorale ou par les parties à l’appel. Avec le recul, il est facile de critiquer ce que le Tribunal a choisi d’examiner et pourquoi il a fait un tel choix, mais ce n’est pas la norme de contrôle de la Cour. Le Tribunal disposait des éléments de preuve concernant au moins quatre électeurs qui n’avaient pas reçu leur bulletin de vote par correspondance. Il semble que le Tribunal n’ait pas enquêté sur les autres électeurs après avoir atteint le nombre d’électeurs touchés équivalant à la marge de victoire.

[61]           Par conséquent, le Tribunal a jugé que, selon la preuve, quatre électeurs avaient été touchés par les infractions au Code électoral parce qu’ils n’avaient pas reçu leur bulletin de vote par correspondance.

III.             Conclusion

[62]           Le Tribunal a comparé le nombre d’électeurs touchés et la marge de victoire. La marge de victoire était de 13 votes, et, comme le nombre d’électeurs touchés s’élevait à 13 (3 électeurs (ci‑dessus au paragraphe 36) + 6 électeurs (ci‑dessus au paragraphe 45) + 4 électeurs (ci‑dessus au paragraphe 61), une élection complémentaire devait être organisée pour le poste de conseiller en chef.

[63]           Le Tribunal possédait les éléments de preuve nécessaires pour appuyer ses conclusions et n’a pas fait abstraction d’un élément de preuve important.

[64]           En résumé, je ne puis conclure que la décision est déraisonnable. Le Tribunal a examiné tous les éléments de preuve et les arguments des parties concernées et a rendu une décision appartenant « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Il n’y a pas d’erreur susceptible de contrôle.

IV.             Dépens

[65]           Le demandeur et les défendeurs ont tous deux sollicité les dépens, mais souhaitaient que la décision soit annulée, ce qui n’a pas été le cas. Le demandeur devra payer sans délai des dépens de 500 $ à l’intervenant.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  la demande est rejetée;

2.                  des dépens de 500 $ payables immédiatement sont adjugés à l’intervenant

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

M.-C. Gervais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-1466-13

INTITULÉ :

Lewis c Nation Gitxaala et al

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 18 février 2015

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Donald G. Crane

POUR LE DEMANDEUR

David M. Robbins

POUR LA DÉFENDERESSE,

NATION GITXAALA

Elmer Moody

POUR LE DÉFENDEUR,

POUR SON PROPRE COMPTE

Mark G. Underhill

POUR L’INTERVENANT,

LE TRIBUNAL DE JUSTICE DE LA NATION GITXAALA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RUSH CRANE GUENTHER

AVOCATS

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

WOODWARD & CO. LAWYERS LLP

Victoria (Colombie‑Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE,

NATION GITXAALA

ELMER MOODY

POUR LE DÉFENDEUR,

POUR SON PROPRE COMPTE

 

UNDERHILL, BOIES PARKER

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR L’INTERVENANT,

LE TRIBUNAL DE JUSTICE DE LA NATION GITXAALA

 

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