Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20150216


Dossier : IMM‑5356‑14

Référence : 2015 CF 194

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa, Ontario, le 16 février 2015

En présence de monsieur le juge  S. Noël

ENTRE :

JOVIS OSAS ABURIME

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR] en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision datée du 25 juin 2014 par laquelle A. Barker [l’agente] de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] a rejeté la demande de résidence permanente présentée par M. Jovis Osas Aburime [le demandeur] au titre de la catégorie des époux ou des conjoints de fait au Canada.

II.                Les faits

[2]               Le demandeur est un citoyen du Nigeria âgé de 24 ans.

[3]               Il a présenté une demande d’asile le 6 mai 2009. Le demandeur a par la suite été arrêté le 12 mai 2009 et détenu par l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC], parce qu’il était entré au Canada de façon irrégulière au moyen d’un passeport qui ne lui appartenait pas. Il a été remis en liberté le 14 mai 2009, sous certaines conditions.

[4]               Le demandeur a ensuite obtenu un permis de travail en vertu de l’article 206 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement]. Ce permis, qui était valide jusqu’au 6 mai 2011, a par la suite été prolongé jusqu’au 7 avril 2012.

[5]               Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou des conjoints de fait au Canada le 8 février 2011. Le dossier de cette demande a été clos conformément à l’article 126 du Règlement le 18 juillet 2011, parce que sa répondante à l’époque avait retiré sa demande de parrainage.

[6]               La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rendu une décision le 2 juin 2011, par laquelle elle statuait que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire déposée à la Cour a été accueillie le 25 novembre 2011. Le 9 janvier 2012, avec le consentement des parties, la demande de contrôle judiciaire a été accueillie; la décision de la SPR a été annulée et l’affaire a été renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvelle décision. Le 12 octobre 2012, la SPR a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision devant notre Cour, demande qui a été rejetée le 10 avril 2013.

[7]               Le 16 avril 2013, le permis de travail du demandeur a été prolongé jusqu’au 9 avril 2016.

[8]               Le demandeur a rencontré Furaha Kasemire [la répondante] le 3 janvier 2012. Ils se sont fiancés le 3 janvier 2013 et se sont épousés le 1er juin 2013 lors d’une cérémonie civile, puis, de nouveau, le 1er février 2014, dans le cadre d’une cérémonie chrétienne.

[9]               Le demandeur a présenté le 26 juin 2013 une nouvelle demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou des conjoints de fait au Canada [la demande], ainsi qu’une demande visant à obtenir un permis de travail ouvert.

[10]           Le demandeur et sa répondante ont été interrogés ensemble et séparément au sujet de la demande le 4 juin et le 17 juin 2014, par le truchement d’un interprète.

[11]           Le 25 juin 2014, l’agente a conclu que le demandeur n’avait ni démontré qu’il satisfaisait aux exigences de l’alinéa 124a) du Règlement ni qu’il était une personne visée à l’alinéa 4(1)a) du Règlement. La demande a par conséquent été rejetée. Il s’agit de la décision visée par la demande de contrôle judiciaire.

III.             La décision contestée

[12]           L’agente a examiné les documents présentés à l’appui du mariage contracté entre le demandeur et sa répondante, ainsi que les documents relatifs au parrainage lui‑même. L’agente a conclu que la répondante satisfaisait aux conditions d’admissibilité lui permettant de parrainer le demandeur en tant que membre de la catégorie du regroupement familial.

[13]           En ce qui concerne le mariage contracté entre le demandeur et sa répondante, l’agente a fait observer que leurs fiançailles avaient eu lieu après que la SPR eut déclaré qu’il n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, et que le mariage civil avait eu lieu après que la Cour eut rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. L’agente estimait qu’il y avait lieu de s’interroger au sujet de cette chronologie des faits. Il ressort toutefois de la preuve que le demandeur vit avec la répondante.

[14]           En ce qui concerne les aspects financiers de la demande, l’agente a conclu que le demandeur et sa répondante n’avaient pas mis en commun de façon importante leurs ressources financières. Ils n’avaient pas non plus mis en commun de façon significative leur vie sociale. Après appréciation des documents présentés par le demandeur à CIC, et compte tenu du manque d’authenticité des documents produits par le demandeur ainsi que des problèmes de crédibilité soulevés par les explications données par le demandeur au sujet des documents en question, l’agente a remis en question la crédibilité de la demande dans son ensemble et, par conséquent, les raisons qui l’avaient motivé à épouser sa répondante. Elle a également tenu compte des antécédents du demandeur en matière d’immigration.

[15]           L’agente a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le mariage du demandeur visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR et, plus précisément, l’acquisition du statut de résident permanent au Canada.

IV.             Les observations des parties

[16]           Le demandeur affirme que l’agente n’a pas tenu compte du fait que sa répondante et lui s’étaient fréquentés avant de se fiancer et de se marier et qu’elle a commis une erreur dans son évaluation de la situation financière du demandeur et de sa répondante, compte tenu de la preuve dont elle disposait. Le demandeur soutient également que l’agente a commis une erreur dans son appréciation de la vie sociale du demandeur et de la répondante en tant que couple et de leurs connaissances de la vie personnelle de chacun. Le demandeur estime également que l’agente a laissé transparaître ses opinions, ses « sentiments » et ses préjugés sur l’affaire. De plus, l’agente a tenté de façon répétée de discréditer le demandeur en mentionnant à de nombreuses reprises ses antécédents en matière d’immigration au Canada et la façon dont le demandeur était arrivé au Canada. La façon dont le demandeur est entré au Canada n’a aucune incidence sur le mariage contracté entre le demandeur et sa répondante.

[17]           Le défendeur rétorque aux arguments du demandeur en affirmant qu’il ne fait qu’exprimer son désaccord à l’égard de l’appréciation de la preuve effectuée par l’agente et que demander à la Cour de soupeser la preuve à nouveau. L’agente a relevé des incohérences et des invraisemblances dans la preuve présentée et elle a conclu que le demandeur n’était pas crédible. Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas démontré que son mariage n’avait pas été contracté à des fins d’immigration et que l’agente n’a pas commis d’erreur en tenant compte des antécédents du demandeur en matière d’immigration pour rendre sa décision.

V.                La question en litige

[18]           J’ai examiné le dossier des parties ainsi que leurs observations respectives, et j’estime qu’il n’y a qu’une seule question à trancher :

  1. L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le mariage avait été contracté principalement à des fins d’immigration?

VI.             La norme de contrôle

[19]           La question de savoir si l’agente a commis une erreur en concluant que le mariage avait été contracté principalement à des fins d’immigration est une conclusion de fait qui donne lieu à l’application de la norme de la raisonnabilité (Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 417, au paragraphe 14 [Kaur]; Mendoza Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1, au paragraphe 22 [Mendoza]). La Cour ne doit intervenir que si elle conclut que la décision est déraisonnable et qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VII.          Analyse

[20]           L’alinéa 124a) du Règlement explique que « fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes : a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada ». Le paragraphe 4(1) du Règlement précise toutefois les circonstances dans lesquelles un étranger n’est pas considéré comme un époux. Pour rendre une décision en vertu du paragraphe 4(1), l’agente doit déterminer si le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR ou s’il n’était pas authentique (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1077, au paragraphe 5 [Singh]; Dalumay c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1179, au paragraphe 25 [Dalumay]). L’agente peut donc rejeter la demande si elle convaincue que le mariage du demandeur n’était pas authentique ou qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR (Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1522, au paragraphe 29 [Gill]). Après avoir examiné le dossier des parties et leurs arguments respectifs, j’estime que la décision de l’agente était raisonnable.

[21]           Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en interprétant de façon erronée la preuve présentée au sujet de la relation qui existait entre le demandeur et sa répondante. Bien que je reconnaisse que le demandeur et sa répondante se sont rencontrés le 3 janvier 2012, avant que le demandeur ne soit débouté de sa demande d’asile, il était loisible à l’agente de tenir compte du fait que le demandeur et sa répondante s’étaient fiancés le 1er janvier 2013 et qu’ils s’étaient épousés le 1er juin 2013, après que la SPR eut rendu sa décision négative le 12 octobre 2012 (Khera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 632, au paragraphe 10 [Khera]; Keo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1456, au paragraphe 23 [Keo]). L’agente n’a pas commis d’erreur en déclarant qu’il y avait lieu de s’interroger sur la chronologie des fiançailles et du mariage. Il lui était loisible de tirer cette conclusion, comme nous le verrons plus loin. Le fait que le demandeur et la répondante se soient rencontrés le 1er janvier 2012 ne rend pas cette conclusion erronée.

[22]           Quant à la vie financière, sociale et affective du demandeur et de sa répondante, le demandeur demande essentiellement à la Cour d’apprécier la preuve de nouveau. Toutefois, au stade du contrôle judiciaire, le rôle de notre Cour n’est pas d’apprécier la preuve à nouveau et de substituer le raisonnement de l’agent à une conclusion qui serait préférable pour le demandeur (Valencia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 787, au paragraphe 33 [Valencia]). En l’espèce, l’agente a bien examiné l’ensemble de la preuve présentée et elle a formulé des observations sur chacun des documents et des renseignements produits pour en arriver à sa conclusion selon laquelle le demandeur et sa répondante n’avaient pas suffisamment mis en commun leur vie financière, sociale et affective. D’ailleurs, la preuve n’avait pas convaincu l’agente que le compte bancaire conjoint n’avait pas été ouvert principalement en vue d’étayer la demande présentée par le demandeur (dossier du demandeur [DD], page 10). L’agente a également fait observer que le demandeur avait produit une lettre non datée et non signée d’un ami pour appuyer sa demande, ce qui avait amené l’agente à conclure que cette lettre était une preuve intéressée (DD, page 11; dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 277). De plus, l’agente a également signalé qu’il ne s’agissait pas de la première demande présentée par le demandeur (DD, à la page 11) et que la répondante ignorait certains aspects des antécédents du demandeur (DD, à la page 12). Cela étant, certaines des conclusions qu’elle a tirées, notamment celles concernant le fait qu’ils n’ont pas de testament, les « égoportraits » du couple et l’assurance‑vie, ne sont pas des plus judicieuses, mais lorsque je lis les autres conclusions, qui sont appuyées sur des bases solides, j’en arrive à la conclusion qu’elles font en sorte que cette décision est dans l’ensemble raisonnable.

[23]           Enfin, l’argument du demandeur selon lequel l’agente a tenté constamment de le discréditer en rappelant ses antécédents en matière d’immigration ne tient pas. D’ailleurs, la Cour a jugé que l’agent peut tenir compte des antécédents du demandeur en matière d’immigration pour apprécier l’authenticité d’un mariage, en précisant toutefois qu’il ne s’agit pas d’un facteur déterminant (Enright c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 209, au paragraphe 46 [Enright]; Elahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 858, au paragraphe 18 [Elahi]; Thach c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 658, au paragraphe 26 [Thach]). Dans le cas qui nous occupe, l’agente a effectivement tenu compte des antécédents du demandeur en matière d’immigration, ainsi que de nombreux autres facteurs, pour conclure que le demandeur avait contracté ce mariage principalement en vue d’acquérir un statut. Non seulement l’agente a‑t‑elle tenu compte des facteurs susmentionnés, mais elle également évalué des documents qui avaient été présentés à CIC. L’agente a commenté tous les documents dont elle disposait et elle expliqué qu’elle soupçonnait que le l’acte de naissance du Nigeria daté du 11 novembre 2008 était un faux (DD, à la page 13) et que l’attestation de naissance du demandeur était une preuve intéressée (DD, à la page 14). De plus, lorsque le demandeur a été interrogé quant à savoir combien de fois il avait été marié, il avait répondu qu’il avait été marié à deux reprises, soit avec sa répondante actuelle, et, auparavant, avec sa réponde antérieure, qui avait retiré son parrainage. Toutefois, lorsque le demandeur avait exprimé son intention de demander l’asile en avril 2009, une recherche dans les dossiers de CIC avait permis de trouver un refus daté du 13 avril 2008, du bureau des visas de Lagos, en réponse à une demande de visa temporaire présentée par « Jovis Osas Aburime » (DTC, aux pages 34 à 38). Cette demande indique le même nom et la même date de naissance que ceux du demandeur, ainsi que la photographie du demandeur et le nom de ses parents. On trouve également dans cette demande le nom de l’épouse du demandeur (J. Aburime) et celui d’un enfant (L. Aburime). Le demandeur n’a pas été en mesure de donner une réponse satisfaisante à l’agente lorsqu’elle lui a posé des questions au sujet de cette demande. Cet élément de preuve démontre également que le demandeur a présenté, à l’insu de son épouse, une demande de passeport au Haut‑Commissariat du Nigeria lorsqu’il s’est rendu à Ottawa en mars 2014. Tous ces faits ne pouvaient qu’ébranler la crédibilité du demandeur.

[24]           Par conséquent, dans son ensemble, la décision est raisonnable. L’agente a correctement examiné tous les facteurs nécessaires et elle a donné une analyse détaillée de chaque élément d’information et document présenté. Certaines de ses conclusions sont faibles, mais pas au point de rendre sa décision déraisonnable. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

VIII.       Conclusion

[25]           La décision de l’agente est raisonnable dans son ensemble. Elle a conclu à bon droit que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le mariage ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR au sens du paragraphe 4(1) du Règlement. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[26]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCAT INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5356‑14

 

INTITULÉ :

JOVIS OSAS ABURIME c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 FÉVRIER 2015

 

jugement et motifs :

LE JUGE s. NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

Malvin J. Harding

 

pour le demandeur

 

Matt Huculak

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Malvin J. Harding

Avocat

Surrey (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.