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Date : 20150309


Dossier : IMM-4954-13

Référence : 2015 CF 293

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

SONA BEDNARIKOVA

FILIP BEDNARIK

TOMAS BEDNARIK

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]      La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), visant la décision datée du 26 juin 2013 (la décision) rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) qui a reconnu la qualité réfugiés au sens de la Convention aux défendeurs, au titre de l’article 96 de la Loi.

II.                CONTEXTE

[2]      Les défendeurs, des citoyens de la République tchèque, sont une mère (la défenderesse principale ou Mme Bednarikova), son fils de huit ans et son fils de quinze ans. Le 20 septembre 2008, ils sont arrivés au Canada avec l’ex‑époux de Mme Bednarikova. Ils ont présenté une demande d’asile fondée sur leur crainte d’être persécutés par des skinheads en raison de leur origine ethnique rom.

[3]      Le 2 août 2011, la Commission a fait droit à la requête des défendeurs de séparer leurs demandes de celle de l’ex-époux de Mme Bednarikova. C’est l’ex-époux qui était l’âme dirigeante de la demande d’asile de la famille. Bien que Mme Bednarikova déclare que la description faite par son ex-époux de la persécution subie par la famille en raison de son origine ethnique rom est vraie, elle dit que la description du fondement de la demande donne une idée incomplète de la persécution et des préjudices auxquels Mme Bednarikova a été personnellement exposée.

[4]      Mme Bednarikova déclare qu’elle a été forcée, quand elle avait dix-sept ans, à épouser son ex‑époux. Elle dit qu’elle n’avait pas le droit de sortir de leur maison sans l’autorisation de celui‑ci. Elle a été battue de façon répétée, et elle a eu besoin de soins médicaux en raison des coups. Elle se souvient précisément d’une fois où elle a été battue en public. Personne n’est venu à son secours.

[5]      Mme Bednarikova dit qu’en 1999 elle s’est adressée à la police pour obtenir une protection contre les violences de son mari. Les policiers lui ont répondu qu’il s’agit d’une affaire privée et ils ont refusé d’intervenir. Quand Mme Bednarikova a insisté et déclaré qu’elle craignait que son mari la tue, le policier a tenu des propos racistes relativement à son origine ethnique rom. Elle n’a obtenu aucune aide.

[6]      Mme Bednarikova ajoute que sa famille a également été persécutée en raison de son origine ethnique rom. Elle dit que son ex‑époux, son ex-beau-frère et son ex-beau-père ont tous été battus, à différentes occasions, en raison de leur origine ethnique rom. Elle a été obligée de renoncer à ses études collégiales à la suite d’agressions de ses camarades de classe. Des enfants ont battu son fils aîné à l’école, et Mme Bednarikova dit qu’il a commencé à en souffrir psychologiquement. La famille a quitté la République tchèque en raison de la persécution à laquelle elle était exposée, et, en particulier, des conséquences de celle-ci sur leur fils.

[7]      Mme Bednarikova dit que la violence conjugale a continué au Canada. En mars 2009, après que son mari l’eut battue, elle a fait une fausse couche. Sa capacité de sortir de la maison demeurait circonscrite.

[8]      En juin 2009, elle est allée chercher son fils à l’école. Pendant qu’elle attendait à l’école, son ex‑époux l’a agressée par l’arrière. Un passant a appelé la police. Son ex-époux a été détenu et accusé de différentes infractions criminelles. Lorsqu’il a été mis en liberté sous caution en août 2009, il s’est rendu chez elle et a menacé de la tuer. Mme Bednarikova a appelé la police et son ex-époux a été de nouveau arrêté. Il a depuis plaidé coupable à deux chefs de voies de fait. En 2012, il y avait des accusations criminelles en cours contre l’ex-époux de Mme Bednarikova parce qu’il avait proféré des menaces de mort contre elle.

[9]      Mme Bednarikova a comparu à cinq reprises à des audiences relatives à sa demande d’asile entre mai 2012 et juin 2013. Les quatre premières n’ont pas eu lieu parce que l’état psychologique de Mme Bednarikova ne lui permettait pas de témoigner. Le 13 juin 2013, son conjoint de fait a été nommé représentant désigné des défendeurs, et leur demande d’asile a été entendue.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[10]  Le 26 juin 2013, la Commission a statué que les défendeurs étaient des réfugiés au sens de la Convention. La Commission a conclu que Mme Bednarikova ne serait pas en mesure de se prévaloir de la protection de l’État si elle retournait en République tchèque. Il s’ensuit que la présomption de la protection de l’État a été réfutée.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[11]  Le demandeur soulève deux questions en litige en l’espèce :

1.      La Commission a-t-elle appliqué le critère approprié quant à la protection de l’État?

2.      La Commission a-t-elle omis des éléments de preuve quand elle a conclu que la demanderesse ne serait pas en mesure de se prévaloir de la protection en République tchèque?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[12]  Dans l’arrêt Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a décidé qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence passée, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette première démarche se révèle infructueuse ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour chargée du contrôle doit entreprendre l’examen des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[13]  Le demandeur affirme que la question de savoir si la Commission a appliqué le critère approprié en matière de protection de l’État devrait être soumis au contrôle selon la norme de la décision correcte : voir Cosgun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 400, au paragraphe 30; Koky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1407, au paragraphe 19. Le demandeur fait valoir que la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions mixtes de fait et de droit de la Commission est celle de la décision raisonnable : Dunsmuir, précité, au paragraphe 53; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 52 à 62 (Khosa).

[14]  La première question en litige soulève la question de savoir si la Commission a appliqué un critère juridique approprié. La Cour a affirmé que lorsque la jurisprudence a établi un critère juridique clair, il n’est pas loisible à la Commission d’appliquer un critère différent. Voir en particulier l’analyse du juge en chef Paul Crampton relativement aux définitions de la persécution et de la protection de l’État, aux paragraphes 20 à 22 de la décision Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004 (Ruszo). J’ai fait mienne cette analyse en ce qui a trait au critère de la protection de l’État, aux paragraphes 16 à 18 de la décision Buri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 45 (Buri). L’application du critère par la Commission aux faits qui lui ont été présentés demeure susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, puisqu’elle concerne une question mixte de fait et de droit : voir Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 420, au paragraphe 199, confirmé par le paragraphe 38 de l’arrêt 2007 CAF 171; Ruszo, précitée; Buri, précitée; Rusznyak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 255, au paragraphe 23; Bari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 862, au paragraphe 19.

[15]  La deuxième question consiste à savoir si la Commission a oui ou non omis de tenir compte des éléments de preuve. Il s’agit en l’espèce d’un examen des faits, soumis au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable : voir Malveda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 447, au paragraphe 19; Flores c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 359, au paragraphe 26; De Jesus Aleman Aguilar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 809, au paragraphe 19.

[16]  Dans le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attachera, dans son analyse, « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGALES

[17]  Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themselves of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themselves of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VII.          ARGUMENTS

A.                Le demandeur

[18]  Le demandeur affirme que le critère de la protection de l’État exige une analyse en deux volets. Le demandeur d’asile doit établir qu’il craint avec raison d’être persécuté, ou qu’il ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de l’État : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, aux pages 712 et 723 (Ward). Le demandeur déclare qu’à l’audience, la Commission a indiqué le critère approprié de la protection de l’État (dossier certifié du Tribunal (DCT), à la page 675). Toutefois, la décision montre que la Commission a omis d’examiner le deuxième volet du critère, et est arrivée à sa conclusion fondée uniquement sur l’état psychologique de la défenderesse principale. La Cour fédérale a statué que l’état psychologique d’un demandeur n’intervient pas dans une analyse du fondement de la crainte objective d’un demandeur : voir Johnson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 311, au paragraphe 17; Gallo Farias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 578, au paragraphe 15; Contreras Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 343, au paragraphe 16; Varga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 617, au paragraphe 30.

[19]  Le demandeur déclare que si la crainte d’un demandeur est importante quant à savoir si ladite crainte avec raison est objective, la Commission est arrivée à ses conclusions sans égard aux éléments de fait contradictoires. La Commission a conclu que l’état psychologique de la défenderesse principale s’était gravement détérioré, au point où il lui serait impossible de se prévaloir de la protection de l’État en République tchèque. Toutefois, la Commission a omis d’expliquer comment elle était arrivée à cette conclusion, compte tenu du fait que la défenderesse principale avait appelé la police à la suite de la plus récente agression qu’elle a subie. Le fait que la défenderesse principale veuille appeler la police au Canada et qu’elle soit en mesure de le faire est important quant à la question de savoir si elle peut, et voudrait le faire en République tchèque. Le demandeur soutient qu’il s’agit là d’un fondement suffisant pour accueillir la demande.

[20]  Le demandeur soutient aussi que la Commission a omis de prendre en compte la preuve documentaire objective et les efforts déployés par la défenderesse principale pour se prévaloir de la protection de l’État en République tchèque. Il ne suffit pas que des éléments de preuve aient été soumis à la Commission pour prouver que la Commission les a en fait pris en compte. Le demandeur dit que les défendeurs ont omis de faire référence à quelque élément que ce soit dans la décision, à l’appui de leur allégation que la Commission a pris en compte à la fois le témoignage de la défenderesse principale et la preuve documentaire objective.

B.                 Les défendeurs

[21]  Les défendeurs affirment que la décision démontre que la Commission a examiné à la fois les éléments subjectifs et objectifs de la crainte de persécution des défendeurs.

[22]  La Commission est présumée avoir pesé et considéré toute la preuve dont elle est saisie : voir Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CA)(QL); Oritz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1163, [2002] ACF n1558, au paragraphe 7 (QL). Les éléments de preuve de la défenderesse principale, que la Commission a acceptés, montrent que la défenderesse était victime de violence conjugale aussi bien en République tchèque qu’au Canada. Ces éléments de preuve incluaient des dossiers de l’hôpital, des rapports de police et le dossier des déclarations de culpabilité de l’ex-époux pour voies de fait. Les défendeurs soutiennent que la preuve objective a démontré clairement à la fois quel était l’agent de persécution et le caractère continu de la persécution.

[23]  La Commission a aussi pris en compte les éléments de preuve de la défenderesse principale établissant qu’elle avait sollicité, en vain, la protection de l’État en République tchèque. La Commission n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité et les éléments de preuve de la défenderesse principale font partie du dossier dont la Commission était saisie : Precectaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 485. Les éléments de preuve de la défenderesse principale sont corroborés par la preuve documentaire de la Commission, qui démontre que les victimes de violence conjugale ne reçoivent pas de protection de l’État adéquate en République tchèque.

[24]  En outre, les défendeurs soutiennent que l’état psychologique de Mme Bednarikova est un facteur important pour déterminer jusqu’à quel point elle aurait dû pousser ses recherches pour solliciter la protection de l’État : Simpson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 970, au paragraphe 36; Taterski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 660. Les défendeurs prétendent que le demandeur interprète erronément la jurisprudence de la Cour portant sur l’importance à accorder à l’état psychologique d’un demandeur. Trois des quatre décisions citées par le demandeur s’appuient sur le paragraphe 18 de la décision Chinchilla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 534, (Chincilla). Dans la décision Chincilla, la juge Layden-Stevenson a déclaré que le rapport psychologique en cause traitait uniquement de la crainte subjective des demandeurs, mais n’aidait aucunement à l’analyse de la question objective de la protection de l’État. Les défendeurs soutiennent que l’espèce se distingue de la décision Chinchilla parce qu’il ressort du rapport psychologique que la défenderesse principale est incapable, au vu de son état psychologique, de se prévaloir de la protection de l’État.

[25]  Les défendeurs contestent en outre l’argument du demandeur qu’il serait possible à la défenderesse principale de se prévaloir de la protection de l’État en République tchèque, puisqu’elle a appelé la police après sa plus récente agression au Canada. Une telle conclusion ne peut pas être tirée sur la foi de la preuve documentaire.

VIII.       ANALYSE

[26]  Le demandeur soulève deux questions dans la présente instance. En premier lieu, le demandeur déclare que la Commission n’a pas appliqué le critère approprié relativement à la protection de l’État.

[27]  Les motifs de la décision sont très succincts, mais aujourd’hui l’insuffisance des motifs ne constitue pas à elle seule un motif suffisant de contrôle. La Cour suprême du Canada a statué que la cour de révision doit essayer de comprendre une décision, et que la Cour est en droit d’examiner l’ensemble du dossier dont la Commission était saisie : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 15 et 16 (Newfoundland Nurses).

[28]  La Commission semble tenir pour acquis la persécution et le risque. Lorsque la Cour examine le dossier en l’espèce, il est évident que de solides arguments peuvent être avancés en faveur de la demande d’asile. L’ex-époux de la défenderesse principale lui causerait vraisemblablement un grave préjudice en République tchèque, et les éléments de preuve présentés donnent à penser que les femmes ne jouissent pas d’une protection adéquate dans ce pays. Il ressort aussi clairement de la preuve relative à l’état psychologique que la défenderesse principale est dans un état extrêmement fragile. À l’audience, le commissaire a établi ce qu’il devait trancher (DCT, à la page 686) et a accepté la situation de violence conjugale à laquelle était exposée la défenderesse principale (DCT, à la page 671), de sorte que les [traduction] « seules questions qu’[il se] pose sont de savoir si elle bénéficierait d’une protection de l’État si elle était renvoyée dans son pays d’origine ». La Commission établit le lien entre la protection de l’État et l’état psychologique de la défenderesse principale de la manière suivante (DCT, à la page 675) :

[traduction]

[...] nous devons examiner la question au vu de son état d’esprit psychologique actuel, peut-elle [...] serait-elle en mesure [...] serait-elle en mesure de se prévaloir de la protection de l’État en République tchèque. Deuxièmement, existe-t-il une protection de l’État pour elle, en raison de ses antécédents roms et de la violence conjugale?

[29]  Les observations du conseil à la Commission visent à signaler que [traduction] « les policiers ne réagissent pas de la même façon à la violence conjugale chez les personnes d’origine ethnique rom que chez les personnes d’origine ethnique tchèque ». Ainsi, le point de vue de la défenderesse principale n’était pas simplement que son état psychologique la mettait en position désavantageuse quand elle solliciterait la protection de l’État, mais aussi ses contacts précédents avec la police, et la documentation sur le pays, révélaient que la police ne protégeait pas adéquatement les femmes roms qui vivaient des situations de violence conjugale.

[30]  La raison pour laquelle la Commission déclare que la défenderesse principale [traduction] « ne serait pas en mesure de se prévaloir de la protection de l’État » en République tchèque ne ressort pas clairement de la décision. Il se peut, comme le soutient le demandeur, que la Commission ait conclu que l’état psychologique subjectif de la défenderesse principale l’en empêche, ou encore, comme le soutiennent les défendeurs, que la République tchèque n’accorde pas sa protection aux femmes roms vulnérables qui sont victimes de violence conjugale.

[31]  Pour trancher cette ambigüité, le DCT donne à penser que la Commission était pleinement consciente qu’elle devait traiter de l’existence objective de la protection, et pas uniquement de la capacité subjective de la défenderesse principale de se prévaloir d’une protection (voir le DCT, aux pages 675 et 686, lignes 29 et 30). Tel est le critère approprié de la protection de l’État. La Commission aurait certainement pu mieux expliquer, dans les motifs, son application du critère juridique, mais la Cour n’est pas convaincue, sur la foi de l’ensemble du dossier, qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise.

[32]  De plus, la Cour n’est pas convaincue que la Commission a omis quelque élément de preuve que ce soit lorsqu’elle a tiré sa conclusion. Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en omettant d’expliquer comment elle a traité la preuve selon laquelle la défenderesse principale a appelé la police à la suite de la plus récente des agressions qu’elle avait subies au Canada. Selon le demandeur, c’est la preuve que la défenderesse principale est capable de se prévaloir de la protection de l’État en République tchèque, et il aurait fallu en débattre.

[33]  Il ressort clairement de la jurisprudence que la Commission est présumée avoir pris en considération l’ensemble de la preuve dont elle est saisie : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35. De plus, comme il en a été débattu ci-dessus, la Cour suprême du Canada a statué qu’il se peut que les motifs ne soient pas complets et qu’ils « ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » (Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 16).

[34]  La Cour ne voit aucune raison de s’attendre à ce que la Commission concilie l’appel de la défenderesse principale à la police avec la conclusion de la Commission que la défenderesse ne serait pas en mesure de se prévaloir de la protection de l’État en République tchèque. La défenderesse principale a appelé la police lorsque son ex-époux était à l’extérieur de son appartement et menaçait de la tuer. Ce fait s’est produit quatre mois après qu’elle eut reçu l’aide de la police, lorsqu’un passant a appelé cette dernière, parce que son ex-époux la frappait et menaçait de la tuer à l’extérieur de l’école de son fils. Son ex-époux a été mis en liberté sous condition, et la police était en contact avec la défenderesse principale concernant des procédures criminelles liées à l’agression. La Cour ne voit pas comment la volonté de la défenderesse principale à appeler la police dans de telles circonstances pourrait donner lieu à des conclusions concernant sa capacité d’appeler la police en République tchèque, alors que selon sa preuve non contestée, elle n’a pas obtenu l’aide de la police dans ce pays quand elle l’a sollicitée.

[35]  Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est rejetée.

2.      Il n’y a pas de question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4954-13

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c SONA BEDNARIKOVA, FILIP BEDNARIK, TOMAS BEDNARIK

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 18 Décembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 9 MARS 2015

COMPARUTIONS :

Daniel Engel

 

PoUr Le demandeur

 

Howard C. Gilbert

 

PoUr Les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

PoUr Le demandeur

 

Howard C. Gilbert

Avocat

Toronto (Ontario)

 

PoUr Les défendeurs

 

 

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