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Date : 20150305


Dossier : IMM-2608-13

Référence : 2015 CF 274

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2015

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

SURAJ NAVARATNAM

ATHAPATHTHU DISANAYA NIMALI SHIRANI PERERA

ABHIMANYA SURAJ NAVARATHNAM

ADHITHYA SURAJ NAVARATNAM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile des demandeurs. Ceux-ci sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]               Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision défavorable et renvoyant l’affaire à un autre commissaire de la Commission pour nouvelle décision.

I.                   Le contexte

[3]               Les demandeurs sont des citoyens du Sri Lanka. Suraj Navaratnam, le demandeur principal, est tamoul, et son épouse est cinghalaise. Ils demandent l’asile pour deux raisons : 1) leur ethnicité tamoule; 2) leur mariage mixte.

[4]               En janvier et février 1996, avant que les demandeurs se marient, la collectivité a manifesté au couple une opposition à l’union qu’il projetait. Les policiers, les officiers de l’armée et les Cinghalais ainsi que les membres de leurs familles ont proféré des menaces de mort pour tenter d’empêcher le mariage.

[5]               Le 28 mars 1996, le demandeur principal et son épouse se sont mariés, mais ils ont vécu séparément afin que leur mariage demeure secret. En octobre 1997, un an et demi après leur mariage, ils ont commencé à vivre ensemble. En novembre 1997, l’oncle de l’épouse demanderesse leur a rendu visite et, après avoir appris l’existence de leur mariage, il a répandu la nouvelle. Les policiers, les officiers de l’armée et les Cinghalais ont renouvelé leurs menaces.

[6]               En janvier 1998, le demandeur principal a quitté le Sri Lanka. Il n’y est pas retourné au cours des 15 dernières années, sauf en visite. Son épouse est partie en 1999.

[7]               En octobre 2005, les parents de l’épouse du demandeur principal ont été menacés trois fois, et la mère de l’épouse a eu une crise cardiaque le lendemain.

II.                La décision faisant l’objet du présent contrôle

[8]               L’audience de la Commission a eu lieu le 25 mars 2013. La Commission a prononcé de vive voix les motifs de sa décision défavorable le jour même, et elle a ensuite rendu sa décision écrite le 15 avril 2013. Elle a conclu que le demandeur principal et les membres de sa famille n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni qualité de personnes à protéger.

[9]               La Commission a tout d’abord résumé sa conclusion quant à la crédibilité, en affirmant que la demande des demandeurs comportait une part d’exagération parce que 15 années s’étaient écoulées depuis le mariage mixte, de sorte que la Commission a exprimé des doutes quant à savoir si « la communauté cinghalaise n’accepte toujours pas [leur] mariage mixte ». Au soutien de sa position, la Commission a affirmé qu’elle n’avait pas pu trouver d’éléments de preuve dans aucun des rapports relatifs aux droits de la personne qui indiquaient que les mariages mixtes au Sri Lanka donnaient lieu à une série semblable de menaces et d’actes de persécution qui continuaient pendant 15 ans ou plus.

[10]           La Commission a ensuite résumé sa conclusion concernant la protection de l’État, en affirmant que les demandeurs n’avaient pas réussi à s’acquitter de leur fardeau de prouver qu’il n’y avait pas de protection de l’État. La Commission a affirmé que la question déterminante était la possibilité d’un refuge intérieur (PRI).

[11]           La Commission a d’abord expliqué ce qu’est une PRI, et elle a affirmé que, même si elle admettait la crainte subjective des demandeurs, elle devait encore être convaincue qu’il n’y avait aucun autre endroit où les demandeurs pourraient aller. Elle a proposé Colombo, une ville d’environ cinq millions d’habitants, comptant de nombreux résidents tamouls, ainsi que Trincomalee et Jaffna. La Commission a noté que le demandeur principal et son épouse étaient retournés au Sri Lanka à de nombreuses reprises entre 1998 et 2012; et, bien qu’ils n’aient fait que de brefs séjours à Colombo, ils avaient été en sécurité. La Commission a ajouté qu’elle estimait invraisemblable que la police de Battaramulla pourchasse les demandeurs aussi loin qu’à Trincomalee et à Jaffna.

[12]           Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur principal n’avait pas démontré que, si lui et sa famille retournaient au Sri Lanka, il y aurait plus qu’une simple possibilité qu’ils soient persécutés à cause de leur ethnicité ou de leur appartenance à un groupe social.

III.             Les questions en litige

[13]           Les demandeurs me proposent d’examiner les questions suivantes :

1.                  Une question préliminaire visant à joindre l’épouse et les deux enfants du demandeur principal à l’intitulé.

2.                  La Commission a omis de fournir des motifs adéquats, et sa décision manque d’assises dans la preuve.

3.                  Étant donné que les demandeurs se représentaient eux-mêmes à l’audience devant la Commission, le délai qui leur a été accordé pour préparer leur demande était insuffisant et constituait un manquement à l’équité procédurale.

[14]           Le défendeur est d’accord avec la question préliminaire des demandeurs et soutient qu’il y a seulement une autre question en litige : les demandeurs n’ont pas démontré qu’il y avait une erreur susceptible de contrôle qui pourrait justifier que leur demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

[15]           À mon avis, il y a quatre questions en litige :

A.       L’épouse et les deux enfants du demandeur principal devraient-ils être joints à l’intitulé?

B.       Quelle est la norme de contrôle?

C.       La Commission a-t-elle manqué à l’équité procédurale?

D.       La décision de la Commission était-elle raisonnable?

IV.             Les observations écrites des demandeurs

[16]           Les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle applicable à la question de l’appréciation que la Commission a faite de leurs allégations et de leur preuve est la norme de la décision raisonnable (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir); Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 45, 46 et 59 (Khosa)).

[17]           Les demandeurs demandent, à titre de question préliminaire, à ce que l’intitulé soit modifié de manière à ce que la demande de contrôle judiciaire du demandeur principal soit jointe à celles de son épouse et de leurs deux enfants.

[18]           Les demandeurs soutiennent ensuite que le délai d’un mois et demi entre la demande d’asile et l’audition de cette demande est trop court pour pouvoir se préparer à l’audience, et ils font valoir que les nouveaux délais de CIC qui exigent que la preuve à l’appui soit communiquée à la Commission vingt jours avant l’audience sont [TRADUCTION] « franchement injustes, déraisonnables et préjudiciables ».

[19]           Les demandeurs font ensuite valoir que la Commission a commis deux erreurs principales : 1) la Commission a manqué à l’équité procédurale; 2) sa décision concernant la protection de l’État et la PRI est déraisonnable.

[20]           En ce qui concerne la question de l’équité procédurale, les demandeurs soutiennent que la Commission a omis de veiller de plus près aux intérêts des demandeurs comme elle y était tenue du fait que ceux-ci se représentaient eux-mêmes (voir Nino c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 956, [2012] ACF no 1020 (Nino)). Bien que les demandeurs concèdent qu’ils avaient parfaitement le droit de comparaître en étant représentés par un avocat, ils s’appuient sur la notion du droit à une audition équitable (voir Austria c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 423, [2006] ACF no 597 (Austria); Mervilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1206, [2004] ACF no 1460 (Mervilus), au paragraphe 17; Siloch c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 10, 151 NR 76 (CAF) (Siloch); Nemeth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 590, [2003] ACF no 776 (Nemeth)).

[21]           Les demandeurs soutiennent qu’en l’espèce, la Commission a omis de faire quelque chose pour expliquer le processus aux demandeurs, aider les demandeurs à naviguer tout au long de l’instance, veiller à ce que les demandeurs comprennent la procédure et les inviter à faire une « déclaration » ou des observations finales au soutien de leur demande.

[22]           En ce qui concerne la question du caractère raisonnable de la décision, les demandeurs soutiennent que la Commission a commis des erreurs dans son analyse relative à la protection de l’État et à la PRI. Premièrement, les demandeurs font valoir que la question de la protection de l’État ne peut pas se poser parce qu’en l’espèce, les agents de persécution nommés sont ou comprennent des agents de sécurité de l’État comme des policiers et/ou des militaires (voir Zhuravlvev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 507, 187 FTR 110; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, [1992] ACF no 1189, 18 Imm LR (2d) 130 (CAF) (Villafranca); Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1376, 143 DLR (4th) 532). Les demandeurs soutiennent que la Commission a agi déraisonnablement lorsqu’elle a admis que la police sri‑lankaise avait agi comme agent de persécution, puis a rejeté la demande d’asile des demandeurs, au motif que les demandeurs avaient omis d’« épuiser » tous les recours possibles dans leur pays. De plus, les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a statué que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection adéquate de l’État, parce que la Commission n’a renvoyé à aucun élément de preuve objectif démontrant que, si les demandeurs tentaient d’obtenir la protection de l’État, une protection adéquate leur serait offerte (voir Hercegi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250, [2012] ACF no 273, aux paragraphes 5 à 7; Meza Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1364, [2011] ACF no 1663; Ralda Gomez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1041, [2010] ACF no 1346; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35).

[23]           Deuxièmement, les demandeurs font valoir que, si la Commission a admis que l’agent de persécution nommé à Battaramulla comprenait des agents de sécurité de l’État, alors elle a commis une erreur de droit lorsqu’elle a soulevé la question d’une PRI ailleurs au Sri Lanka, étant donné que la preuve objective confirme qu’il y a des agents de sécurité de l’État en fonction dans toutes les régions du pays, notamment dans les PRI proposées (voir Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Sharbdeen, [1994] ACF no 371, 23 Imm LR (2d) 300; Tripathi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 174, [2009] ACF no 219). De plus, les demandeurs affirment que la Commission a simplement formulé une conclusion et a omis d’effectuer quelque analyse ou examen que ce soit d’une PRI à Trincomalee ou à Jaffna (voir Miranda c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 437, 63 FTR 81).

[24]           Enfin, les demandeurs soutiennent que les motifs de la Commission sont brefs et ne comportent aucun renvoi à des éléments de preuve documentaire en particulier au soutien de ses conclusions quant à une protection adéquate de l’État et aux PRI. Les demandeurs soutiennent en outre que la Commission a omis de procéder correctement à l’analyse requise au titre de l’article 97 et qu’elle a omis de motiver sa conclusion à cet égard. Au soutien de ces prétentions, les demandeurs invoquent la décision Asu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1693, [2005] ACF no 2096 (Asu).

V.                Les observations écrites du défendeur

[25]           En ce qui concerne la question préliminaire, le défendeur convient avec les demandeurs que l’intitulé devrait être modifié de manière à inclure toutes les parties à la demande d’asile et, par conséquent, le défendeur les désigne ensuite collectivement comme les « demandeurs ».

[26]           Premièrement, le défendeur fait valoir que, bien que les demandeurs affirment que l’échéancier serré leur a causé un préjudice, ils disposaient d’une documentation pertinente au soutien de leur demande et ils ont omis de préciser qu’est-ce qu’ils avaient été incapables de présenter à la Commission. En outre, l’échéancier est là pour assurer qu’il est statué sur les demandes d’asile selon un processus qui se déroule en temps opportun et de manière équitable.

[27]           Deuxièmement, le défendeur fait valoir que l’audience satisfaisait aux exigences de l’équité procédurale et que les demandeurs y ont participé de manière utile et ont présenté leur cause dans des conditions équitables. En outre, le défendeur soutient que la manière dont la Commission a dirigé l’audience n’était pas irrégulière et qu’il n’y avait rien de problématique dans le fait de signaler que l’avocat formulerait des observations au sujet du droit à la fin de l’audience. La Commission ne faisait qu’expliquer le processus d’audience aux demandeurs qui se représentaient eux-mêmes.

[28]           Troisièmement, le défendeur soutient que les motifs de la Commission étaient adéquats. Il est satisfait à l’obligation de fournir des motifs adéquats lorsque le décideur expose ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels ces conclusions sont fondées (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Charles, 2007 CF 1146, [2007] ACF no 1493, au paragraphe 27; Ivanov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1055, [2006] ACF no 1339, au paragraphe 35). En l’espèce, la Commission a traité des principaux points en litige et des éléments de preuve pertinents. Ce processus de raisonnement traduit le fait que la Commission a pris en compte les facteurs pertinents. En outre, le critère relatif au caractère adéquat des motifs dépend des circonstances de chaque espèce, pourvu que les motifs permettent à la personne concernée de savoir pourquoi une conclusion donnée a été tirée (voir Townsend c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 371, [2003] ACF no 516 (Townsend)).

[29]           En l’espèce, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas fait toutes les démarches raisonnables pour tenter d’obtenir la protection de l’État. Elle a également considéré qu’il se pouvait que des policiers aient été complices à Battaramulla, mais le fait demeure qu’aucune protection n’a été recherchée ailleurs dans le pays. En outre, le critère relatif à la protection de l’État est le caractère adéquat, et non l’efficacité. Les demandeurs n’ont pas réussi à réfuter cette présomption (voir Hernandez Victoria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 388, [2009] ACF no 532, aux paragraphes 13 à 19; Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 49; Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1376, 143 DLR (4th) 532 (CAF), au paragraphe 5; Villafranca, au paragraphe 7; Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] ACF no 399 (Flores Carrillo) , aux paragraphes 18, 19 et 30; Ruiz Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1163, [2009] ACF no 1443). Les demandeurs ne peuvent pas se contenter de faire une affirmation subjective selon laquelle ils pensaient qu’ils ne pourraient pas obtenir la protection de l’État (voir Duran Mejia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 354, [2009] ACF no 438 (Mejia)).

[30]           Quatrièmement, dès lors que la question d’une PRI est soulevée, les demandeurs d’asile ont le fardeau de prouver qu’ils ne disposent pas d’une PRI (voir Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, [1991] ACF no 1256 (CAF) (Rasaratnam); Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, [1993] ACF no 1172 (CAF) (Thirunavukkarasu)). En l’espèce, les demandeurs n’ont pas réussi à faire cette preuve parce qu’ils avaient séjourné dans le pays en toute sécurité plus d’une demi-douzaine de fois au cours des quinze dernières années. De plus, le défendeur, tentant de clarifier l’observation des demandeurs, soutient que la Commission était sceptique parce que les demandeurs ne s’étaient pas plaints à la police ailleurs que dans le lieu de persécution.

VI.             Analyse et décision

A.                Première question en litige – L’épouse et les deux enfants du demandeur principal devraient-ils être joints à l’intitulé?

[31]           Le demandeur principal soutient que son épouse et ses deux enfants devraient être joints à l’intitulé. Le défendeur est d’accord. Je conviens qu’il est dans l’intérêt de la justice et de l’utilisation des ressources judiciaires de les joindre à l’intitulé.

B.                 Deuxième question en litige – Quelle est la norme de contrôle?

[32]           J’examinerai ci-après les observations des demandeurs concernant l’échéancier de la demande d’asile, le processus d’audience et le caractère adéquat des motifs, au regard des exigences de l’équité procédurale. Selon l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 (Khosa), au paragraphe 43, les questions d’équité procédurale sont des questions de droit, et elles sont contrôlées selon la norme de la décision correcte (voir également SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539, au paragraphe 100).

[33]           En ce qui concerne la question du caractère raisonnable de la décision de la Commission, je conviens que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable. Ici, la question faisant l’objet du présent contrôle est une question mixte de droit et de fait. Il a été établi dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 53, que la norme de la décision raisonnable s’applique « lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent être aisément dissociés » (voir également Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, 160 NR 315 (CAF), au paragraphe 4; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, [2012] ACF n369, aux paragraphes 22 à 40). En outre, la Cour d’appel fédérale a statué, dans l’arrêt Flores Carrillo, au paragraphe 36, que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à la question de la protection de l’État (voir également Mejia, au paragraphe 25). Cela signifie que je ne devrais pas intervenir si la décision est transparente, justifiable et intelligible et si elle appartient aux issues acceptables (voir Dunsmuir, au paragraphe 47; Khosa, au paragraphe 59). Comme la Cour suprême l’a affirmé dans l’arrêt Khosa, aux paragraphes 59 et 61, la cour qui procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne peut pas substituer l’issue qui serait à son avis préférable ni soupeser à nouveau les éléments de preuve.

C.                 Troisième question en litige – La Commission a-t-elle manqué à l’équité procédurale?

[34]           Je traiterai des prétentions des demandeurs concernant l’équité procédurale en trois temps : premièrement, l’échéancier de la demande d’asile, deuxièmement, le processus d’audience et, troisièmement, le caractère adéquat des motifs.

[35]           Premièrement, je conviens avec le défendeur que la procédure relative aux demandes d’asile ne cause pas de préjudice aux demandeurs. L’échéancier est là pour assurer qu’il est statué sur les demandes d’asile suivant un processus qui se déroule en temps opportun et de manière équitable. En l’espèce, les demandeurs ont présenté de la documentation pertinente au soutien de leur demande; ils n’ont formulé aucune observation dans le cadre du contrôle judiciaire quant à savoir en quoi l’échéancier leur aurait causé un préjudice au plan de la constitution de leur dossier pour les besoins de l’audience. Par conséquent, l’échéancier mis en œuvre ne porte pas atteinte à l’équité procédurale.

[36]           Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la Commission a manqué à son obligation de veiller de plus près aux intérêts des demandeurs lors de l’audition de leur demande d’asile, étant donné qu’ils se représentaient eux-mêmes. Au soutien de cette prétention, les demandeurs invoquent les jugements Nino, Austria, Mervilus, Siloch et Nemeth.

[37]           La Cour a statué de nombreuses fois dans des affaires d’immigration que le droit à l’avocat n’est pas absolu (Mervilus, aux paragraphes 17 à 25). Mme la juge Danièle Tremblay‑Lamer a affirmé, dans la décision Austria, au paragraphe 6, que « [c]e qui est absolu, toutefois, c’est le droit à une audience équitable. Pour qu’une audience se déroule équitablement, le demandeur doit être capable de "participer utilement" à l’instance » (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Fast, 2001 CFPI 1269, [2002] 3 CF 373, aux paragraphes 46 et 47).

[38]           Dans la décision Nino, bien que la Cour ait statué qu’un ajournement devrait être accordé, c’était parce que l’avocat de la demanderesse avait demandé un ajournement, mais la Commission avait procédé à la tenue de l’audience en l’absence de l’avocat. De même, dans l’affaire Mervilus, un ajournement avait été demandé en raison de la non-disponibilité de l’avocate, et la Commission avait commis une erreur en n’accordant pas l’ajournement demandé. Aussi, dans la décision Siloch, la Cour a statué que le rejet par la Commission de la demande d’ajournement du demandeur était déraisonnable, parce que la Commission avait commis une erreur lorsqu’elle avait pénalisé la demanderesse pour la conduite répréhensible antérieure de son avocat. Ces affaires peuvent être distinguées de la présente affaire au plan des faits parce qu’en l’espèce, il n’y a eu aucune demande d’ajournement.

[39]           En ce qui concerne la décision Austria, aux paragraphes 8 et 9, la Cour a statué que la Commission n’avait pas manqué à l’équité procédurale en permettant à un demandeur d’asile de procéder sans avocat après que la Commission eut confirmé que le demandeur d’asile était prêt et après lui avoir expliqué le processus d’audience. Cette décision n’étaye d’aucune façon les arguments des demandeurs.

[40]           Dans la décision Nemeth, la Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire et a expliqué, au paragraphe 10, que « [l]a Commission savait que les Nemeth avaient été représentés jusqu’à quelques jours avant l’audience », mais elle n’était pas « consciente de la possibilité que les revendicateurs fussent mal préparés pour présenter eux-mêmes leur cas ». M. le juge James O’Reilly a conclu qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale parce qu’« [e]u égard aux circonstances, la Commission avait l’obligation de s’assurer que les Nemeth comprenaient la procédure, qu’ils avaient une possibilité raisonnable de produire des preuves au soutien de leurs revendications et qu’ils avaient l’occasion de persuader la Commission que leurs revendications étaient fondées ».

[41]           En l’espèce, les demandeurs soutiennent que la Commission a manqué à l’équité procédurale : 1) la Commission n’a pas expliqué la procédure; 2) elle ne les a pas aidés à naviguer dans le processus; 3) elle n’a pas veillé à ce que les demandeurs comprennent toujours la procédure; 4) elle les a invités à formuler des observations finales; 5) elle n’a pas proposé un ajournement.

[42]           En l’espèce, je ne pense pas que la Commission ait dirigé l’audience d’une manière qui porte atteinte à l’équité procédurale. Premièrement, je suis convaincu que la Commission a effectivement expliqué le processus aux demandeurs. Le dossier démontre que la Commission a aidé les demandeurs à plusieurs occasions à naviguer au cours de l’audience, par exemple à la page 159, au début de l’audience, et à la page 201, vers la fin de l’audience. Deuxièmement, bien que la Commission ait prié les demandeurs de clarifier et d’expliquer leurs réponses à plusieurs reprises au cours de l’audience, l’audience prise dans son ensemble, tel qu’il appert du dossier, ne montre pas que les demandeurs n’ont pas compris la procédure. Troisièmement, j’estime que, lorsque la Commission a invité les demandeurs à formuler des observations finales au soutien de leur demande, la Commission tentait de guider les demandeurs dans le cadre du processus, et elle ne posait pas un acte inapproprié, comme les demandeurs l’ont allégué. Enfin, en l’absence d’une demande d’ajournement, la Commission n’est pas tenue d’offrir un ajournement chaque fois qu’elle se trouve devant un demandeur d’asile qui se représente lui-même. À mon avis, conclure le contraire imposerait un fardeau considérable à la Commission et au processus relatif aux demandes d’asile. En l’espèce, comme dans l’affaire Austria, la Commission s’est acquittée de son obligation en confirmant que les demandeurs étaient prêts à procéder sans avocat (dossier certifié du tribunal, à la page 158). Par conséquent, l’audience était équitable, et la conduite de la Commission n’a pas porté atteinte à l’équité procédurale.

[43]           Troisièmement, je conviens avec le défendeur que la Commission a fourni des motifs adéquats. Les demandeurs soutiennent que les motifs sont trop brefs et qu’il y manque une analyse au regard de l’article 97. Dans la décision Townsend, madame la juge Judith Snider a examiné la question du caractère adéquat des motifs au paragraphe 22 :

L’exposé de motifs a pour objet d’indiquer à l’intéressé pourquoi une conclusion donnée a été tirée. Les motifs permettent aux parties de constater que les points soulevés ont été minutieusement examinés et d’exercer leur droit d’appel ou de révision judiciaire (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817; VIA Rail, précité). Ce sont les circonstances de chaque cas qui diront si les motifs donnés sont adéquats (VIA Rail, précité). La nécessité d’exposer des motifs au regard du devoir d’équité est assez souple pour que diverses formes d’explications écrites de la décision répondent à cette exigence (Baker, précité, au paragraphe 40). [...]

[44]           En l’espèce, la Commission a bel et bien traité de points majeurs au regard de l’article 97, comme la protection de l’État et les PRI, et a fait référence au cartable national de documentation (voir la troisième page de la décision de la Commission). En l’espèce, la Commission a raisonné que les demandeurs n’avaient pas cherché à obtenir la protection de l’État, et, puisque les demandeurs étaient retournés au Sri Lanka de nombreuses fois et y avaient séjourné apparemment sans incident, la présomption de PRI n’avait pas été réfutée. Bien que la Commission ne fait référence à aucun document précis, les motifs me donnent bel et bien assez d’éléments pour que je puisse comprendre pourquoi la Commission a rendu une décision défavorable. Par conséquent, la Commission a effectivement fourni des motifs adéquats pour s’acquitter de son obligation d’équité.

D.                Quatrième question en litige – La décision de la Commission était-elle raisonnable?

[45]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a apprécié de manière déraisonnable les questions de la protection de l’État et de la PRI. En particulier, ils soutiennent, premièrement, que la Commission n’a cité aucun élément de preuve objectif démontrant que, si la protection de l’État était demandée, une protection adéquate serait offerte;, deuxièmement, lorsque l’État est impliqué comme agent de persécution, le fait de soulever la question d’une PRI constitue une erreur de droit. Le défendeur soutient que, bien que les policiers aient pu être complices à Battaramulla, les demandeurs n’ont pas cherché à obtenir la protection d’autres autorités au pays pour réfuter la présomption de protection de l’État; il incombe aux demandeurs de démontrer qu’il n’existe aucune PRI. Maintenant, j’analyserai d’abord la protection de l’État, puis la PRI.

[46]           Premièrement, en ce qui concerne le facteur de la protection de l’État, je suis convaincu que la Commission a apprécié la protection de l’État de manière raisonnable.

[47]           Dans la décision Majoros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 421, [2013] ACF no 447 (Majoros), monsieur le juge Russell Zinn a expliqué, au paragraphe 10, que faire des démarches pour obtenir la protection de l’État dans le contexte d’une demande d’asile répond à une exigence de fait, et non à une exigence légale. En l’espèce, la question principale est de savoir si les demandeurs seraient protégés davantage s’ils tentaient d’obtenir la protection de l’État.

[48]           La Commission a admis l’observation des demandeurs selon laquelle les policiers et le personnel de l’armée à Battaramulla avaient pris part à la persécution; toutefois, les demandeurs n’ont pas cherché à obtenir une protection en dehors de Battaramulla, et ils n’ont présenté aucun élément de preuve objectif pour démontrer que cette persécution par la police et le personnel de l’armée s’étendait à l’ensemble du pays, de sorte qu’aucune protection additionnelle ne serait fournie, même si la protection de l’État était demandée. Ainsi, les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection adéquate de l’État. Je conviens avec le défendeur que les demandeurs ne peuvent pas se contenter de s’appuyer sur une affirmation subjective selon laquelle ils pensaient qu’ils ne pourraient pas obtenir de protection de l’État (voir Mejia). Par conséquent, les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection adéquate de l’État.

[49]           Deuxièmement, en ce qui concerne le facteur de la PRI, je conviens avec le défendeur que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de démontrer qu’il n’existait aucune PRI.

[50]           Selon l’arrêt Rasaratnam, confirmé sur ce point par l’arrêt Thirunavukkarasu, lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe une PRI raisonnable, il est bien établi qu’un demandeur d’asile a le fardeau de prouver, 1) selon la prépondérance des probabilités, qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans tous le pays, y compris la partie dont il est allégué qu’elle offre une PRI; 2) les conditions à l’endroit où il y aurait PRI doivent être telles qu’il serait déraisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances, et notamment de la situation personnelle du demandeur, que le demandeur cherche refuge à cet endroit.

[51]           En l’espèce, bien que les demandeurs soutiennent que les policiers et le personnel de l’armée à Battaramulla ont été impliqués dans la persécution, ils n’ont pas présenté d’éléments de preuve objectifs pour démontrer que cette persécution s’étendait à tout le pays. Ainsi, il n’a pas été satisfait au premier volet du critère selon lequel il doit être démontré qu’il y a un risque sérieux de persécution dans tous le pays. Par conséquent, il était raisonnable que la Commission conclue qu’il existait des PRI.

[52]           Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[53]           Ni l’une ni l’autre des parties ne souhaitait me proposer une question grave et de portée générale en vue de la certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      L’intitulé de la cause est modifié par l’ajout de Athapaththu Disanaya Nimali Shirani Perera, Abhimanya Suraj Navarathnam et Adhithya Suraj Navaratnam comme demandeurs.

2.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 « John A. O’Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


ANNEXE

Les dispositions législatives applicables

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

[...]

...

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

  a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

  b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

  97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2608-13

 

INTITULÉ :

SURAJ NAVARATNAM,

ATHAPATHTHU DISANAYA NIMALI SHIRANI PERERA,

ABHIMANYA SURAJ NAVARATHNAM et

ADHITHYA SURAJ NAVARATNAM c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 SEPTEMBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

LE 5 MARS 2015

COMPARUTIONS :

Robert Israel Blanshay

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Suran Bhattacharyya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blanshay & Lewis

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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