Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150311


Dossier : IMM-8316-13

Référence : 2015 CF 308

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 11 mars 2015

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

PATIENCE THULIE MATSENJWA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto, en Ontario, le 10 mars 2015)

[1]               Patience Thulie Matsenjwa (la demanderesse) a présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 5 novembre 2013 par laquelle une agente principale d’immigration (l’agente) a rejeté sa demande de résidence permanente présentée pour des motifs d’ordre humanitaire depuis le Canada (la décision). La demande est présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Swaziland âgée de 26 ans. Elle est arrivée pour la première fois au Canada le 28 novembre 2009 et a présenté une demande d’asile à ce moment‑là. Dans sa demande, elle a affirmé craindre d’être persécutée par sa propre famille parce qu’elle avait refusé d’épouser le mari de sa tante âgé de 47 ans. La demande de la demanderesse a été entendue par la Section de la protection des réfugiés le 27 juin 2011. Cette dernière a rejeté sa demande le 21 avril 2011 au motif que la demanderesse n’était pas un témoin crédible.

[3]               Le 6 avril 2012, la demanderesse a donné naissance à un fils en tant que mère célibataire. Son fils, Brandon, qui est maintenant âgé de trois ans, est un citoyen canadien.

I.                   Questions à trancher

[4]               Il y a deux questions à trancher :

1.                  La décision de l’agente au sujet des difficultés était‑elle raisonnable?

2.                  La décision de l’agente relativement à l’intérêt supérieur de Brandon était‑elle raisonnable?

II.                Question no 1

[5]               À mon avis, dans le droit fil de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, l’agente a raisonnablement interprété l’article 25 de la LIPR comme l’obligeant à considérer si les difficultés alléguées par la demanderesse ont une incidence personnelle directe sur la vie de cette dernière. Toutefois, en tranchant la question, l’agente a déclaré ce qui suit :

[traduction] J’estime que les documents appuient l’image de société patriarcale associée au Swaziland. Ainsi, ils ne révèlent pas la présence d’une incidence personnelle directe sur la demandeure en tant que femme au Swaziland.

[6]               À mon avis, cette affirmation est déraisonnable, car l’agente n’a pas tenu compte de la façon dont une mère célibataire ayant pour seul soutien celui des femmes de sa famille peut se tirer d’affaire dans une société patriarcale.

[7]               L’agente a ajouté :

[traduction] Les femmes qui refusent de suivre les coutumes peuvent être rejetées par les membres de leur famille; toutefois, il ne ressort pas de l’information dont je dispose que la demandeure n’aurait pas, au besoin, des recours à sa disposition au Swaziland. La demandeure n’a pas non plus établi qu’il lui serait difficile d’exercer les recours à sa disposition au Swaziland.

[8]               Cette déclaration est déraisonnable, car rien n’indique que l’agente disposait de renseignements sur l’existence de recours dans l’éventualité d’un mariage forcé. Néanmoins, l’agente était d’avis que la demanderesse aurait dû être au courant de l’existence de tels recours et du fait qu’elle aurait pu y avoir accès.

[9]               Par ailleurs, l’agente ne cite aucune statistique démontrant que les deux tiers de la population vivent avec moins d’un dollar par jour et que le taux de chômage est de 30 % dans une société qui est discriminatoire à l’égard des femmes. À mon avis, ces faits méritaient d’être soulevés. Je souligne également que l’agente n’a pas semblé se rendre compte du degré d’établissement de la demanderesse qui a notamment trouvé un emploi de gouvernante dans un hôtel qui lui permet de subvenir aux besoins de son fils. Le fait de devoir renoncer à ce rôle de parent subvenant aux besoins de son enfant et de se trouver dans un contexte d’incertitude économique et sociale au Swaziland constitue une difficulté qui, selon moi, aurait dû être prise en compte.

III.             Question no 2 – Intérêt supérieur de l’enfant

[10]           L’analyse de l’agente est déraisonnable parce qu’elle est inadéquate. Elle est fondée en grande partie sur l’adoption récente d’une loi au Swaziland concernant l’aide à l’enfance, mais ne révèle pas en quoi la loi concerne la situation de la demanderesse. L’analyse est également inadéquate du fait qu’elle ne se penche aucunement sur la mesure dans laquelle la capacité ou l’incapacité de la mère à soutenir son enfant a une incidence sur l’intérêt supérieur de ce dernier. Étant donné que l’enfant est un bambin, son intérêt supérieur est inextricablement lié au bien‑être social et économique de sa mère. À cet égard, l’agente n’a pas tenu compte de l’ensemble des facteurs pertinents, au nombre desquels figurent le taux de chômage élevé, le faible niveau de vie, la discrimination à l’endroit des femmes, la probabilité élevée d’être victime de violence sexuelle, la probabilité élevée de contracter le sida et son statut de mère célibataire non mariée ne pouvant compter sur la protection d’un homme.

[11]           Pour tous ces motifs, la demande sera accueillie, et la demande pour motifs d’ordre humanitaire sera renvoyée à un autre agent en vue d’un nouvel examen.

[12]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et que la demande pour motifs d’ordre humanitaire soit renvoyée à un autre agent en vue d’un nouvel examen.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-8316-13

 

INTITULÉ :

PATIENCE THULIE MATSENJWA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 Mars 2015

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

LE 11 MARS 2015

COMPARUTIONS :

Aadil Mangalji

POUR LA DEMANDERESSE

Lorne McClenaghan

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Long Mangalji LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

PouR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.