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Date : 20150317


Dossier : T-1147-13

Référence : 2015 CF 335

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2015

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE

demandeur

et

NADIA ZAKHARY

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Le demandeur sollicite, sur le fondement de l’article 26 de la Loi sur les Cours fédérales (LRC 1985, c F-7) et du paragraphe 10(4) de la Loi sur l’immunité des États, LRC 1985, c S‑18 (la LIÉ), une ordonnance annulant un certificat de dépôt d’ordonnance (le certificat) établi le 20 février 2013 en application de l’article 244 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 (le Code). Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est accueillie.

II.                Faits

[2]               Le certificat dont les États-Unis d’Amérique sollicitent l’annulation ou la révocation a été obtenu par la défenderesse, Mme Nadia Zakhary, dans l’affaire Nadia Zakhary c United States of America, dossier de la Cour no T-1460-12. Pour situer les faits dans leur contexte, le 6 octobre 2010, la défenderesse a déposé une plainte de congédiement injuste (la plainte) sur le fondement de l’article 240 du Code auprès de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC). La défenderesse avait travaillé 25 ans comme caissière au consulat des États-Unis à Toronto avant d’être licenciée en août 2010.

[3]               Le 9 novembre 2010, M. Paul Bozzo, inspecteur au ministère du Travail fédéral, a fait parvenir la plainte au consulat. Fait important, la plainte n’a pas été signifiée conformément au paragraphe 9(2) de la LIÉ, qui exige que la signification de documents juridiques se fasse par voie diplomatique par le sous-ministre des Affaires étrangères. La plainte a plutôt été signifiée aux États-Unis par envoi recommandé. La lettre d’accompagnement de M. Bozzo indiquait ce qui suit :

[traduction] Conformément au paragraphe 241(1) du Code canadien du travail, partie III, vous devez remettre au soussigné une déclaration écrite faisant état des motifs du congédiement dans les quinze (15) jours suivant la réception de la présente lettre.

[4]               La seule réponse du consulat à l’égard de la plainte était un accusé de réception de Mme Elenita M. Shorter, agente des ressources humaines à l’ambassade des États‑Unis d’Amérique à Ottawa, en Ontario. La lettre de Mme Shorter indiquait ce qui suit :

[traduction]

Nous vous remercions pour votre lettre datée du 9 novembre 2010.

Tel qu’il est mentionné dans notre lettre du 30 septembre 2010 adressée à M. Markowitz, le licenciement justifié de Mme Zakhary découlait d’une décision mûrement réfléchie dont les motifs ont été communiqués par écrit à Mme Zakhary le 3 août 2010; vous pouvez obtenir une copie de ces motifs en vous adressant à Mme Zakhary. Le consulat maintient sa décision.

[5]               Le 1er décembre 2010, M. Bozzo a écrit à la défenderesse et au consulat général des États-Unis afin d’inviter les parties à participer à un mode extrajudiciaire de règlement des conflits, un processus volontaire du Programme du travail. Le demandeur n’a pas répondu aux tentatives de médiation et, par conséquent, la plainte a été renvoyée à M. Lorne Slotnick, arbitre nommé en vertu de l’article 242 du Code.

[6]               Le 7 juillet 2011, les États-Unis ont envoyé une note diplomatique au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (le MAECI) du Canada afin de lui demander d’[traduction] « informer le ministère du Travail que, étant donné que la signification était irrégulière, les États-Unis ne sont pas parties à l’instance et, par conséquent, ils ne répondront pas ». Les États-Unis ont également fait savoir à l’arbitre qu’ils n’avaient pas reçu signification conformément aux exigences de la LIÉ et qu’ils s’abstiendraient d’agir dans l’instance.

[7]               L’arbitre a fixé une audience préliminaire afin d’examiner l’objection relative à la compétence soulevée par les États-Unis. Cependant, par l’intermédiaire de leur avocat canadien, les États-Unis ont souscrit à la position exposée dans la note du 7 juillet 2011. L’arbitre a néanmoins tenu l’audience en l’absence des États-Unis et, le 26 mars 2012, il a conclu que la défenderesse avait été injustement congédiée. Il a ordonné au demandeur de réintégrer la défenderesse dans son ancien poste et de lui verser une indemnité au titre de la perte de salaire et d’avantages ainsi qu’une somme de 5 000 $ pour les dépens. Je commenterai plus loin dans le présent jugement les motifs sur lesquels repose la décision de l’arbitre.

[8]               Le 20 février 2013, une copie de l’ordonnance de l’arbitre a été déposée à la Cour fédérale à des fins d’exécution conformément à l’article 244 du Code. Le certificat a été établi le 15 mars 2013 et signifié aux États-Unis par voie diplomatique le 26 avril 2013. Ce certificat fait l’objet de la demande et on cherche à le faire annuler.

[9]               Dans la demande introductive d’instance que les États-Unis ont intentée pour faire annuler le certificat, le procureur général du Canada (le PGC) était désigné comme défendeur. Le 19 décembre 2013, le PGC a présenté une requête en vue d’être exclu de l’instance. La requête a été réglée, à la condition que le PGC remette aux États-Unis une lettre qui pourrait être déposée à la Cour et versée au dossier de la présente demande. La lettre indiquait notamment ce qui suit :

[traduction]

a) Le PGC ne connaît aucun précédent indiquant que les exigences de [la LIÉ] ne s’appliquent pas à la signification de plaintes fondées sur le [Code] à des États étrangers (en supposant qu’il y a compétence sur les États étrangers relativement aux plaintes déposées sur le fondement de cette loi).

b) Nul ne conteste que l’acte introductif d’instance en l’espèce a été envoyé par la poste au consulat des États-Unis plutôt que d’être signifié par le sous-ministre des Affaires étrangères au moyen d’une note diplomatique, comme l’exige l’article 9 de la LIÉ.

[10]           Il convient également de souligner que, le 31 août 2012, dans une instance distincte, l’ambassade du Canada à Washington a transmis aux États-Unis une note diplomatique accompagnée d’une déclaration déposée par la défenderesse devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Dans cette instance, la défenderesse sollicite des dommages-intérêts pour congédiement injuste à l’encontre des États-Unis. Les États-Unis ont déposé une défense en réponse à cette déclaration le 30 octobre 2012.

III.             Décision

[11]           Le 26 mars 2012, l’arbitre a rendu sa décision au sujet de la plainte de congédiement injuste. Dans sa décision, il a souligné que les États-Unis avaient soulevé une objection relative à la compétence et qu’ils n’étaient pas présents à l’audience. L’arbitre a expliqué qu’il examinerait les arguments concernant la compétence même si aucune observation n’avait été présentée.

[12]           Après avoir passé en revue l’historique du dossier et les dispositions législatives pertinentes, l’arbitre a conclu que la réponse de Mme Shorter à la lettre de M. Bozzo du 9 novembre 2010 constituait une renonciation au droit des États-Unis de s’opposer à tout manquement aux exigences relatives à la signification que prévoit l’article 9 de la LIÉ. Pour en arriver à cette conclusion, l’arbitre a souligné que l’[traduction] « employeur a répondu » et « n’a présenté aucune demande d’immunité ». En fait, l’« employeur a fait un acte de procédure » dans l’instance et, « par conséquent, il a renoncé à l’immunité conformément à l’article 4 de la LIÉ ».

[13]           L’arbitre a ensuite analysé si les activités du consulat des États‑Unis qui faisaient l’objet de la plainte fondée sur le Code constituaient des « activités commerciales », de sorte qu’elles n’étaient pas protégées par l’immunité des États selon l’article 5 de la LIÉ. L’arbitre a examiné la nature des tâches de la défenderesse et a conclu que la situation d’emploi de Mme Zakhary était celle d’une personne occupant un poste purement administratif dans le cadre d’un contrat de travail individuel. En conséquence, les activités devaient être considérées comme des activités commerciales de l’État étranger et ne pouvaient par conséquent être protégées par l’immunité des États.

[14]           L’arbitre a également conclu que le Code s’appliquait à la relation de travail existant entre la défenderesse et les États-Unis. Invoquant le jugement dissident de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Re Code canadien du travail, [1992] 2 RCS 50, au paragraphe 107, il a affirmé qu’« un travailleur canadien, qui travaille en sol canadien, ne devrait pas être privé des avantages des lois canadiennes sauf si l’État étranger agit dans un contexte qui justifie l’immunité ».

[15]           Ayant décidé qu’il avait compétence pour examiner la plainte et que le Code s’appliquait, l’arbitre a également conclu que la défenderesse avait été injustement congédiée. Les allégations formulées contre la défenderesse dans la lettre de licenciement n’ont pas été établies devant l’arbitre, et la défenderesse n’a reçu aucune indemnité de préavis ou indemnité de départ lors de son licenciement.

IV.             Questions en litige

[16]           Les États-Unis soutiennent que la plainte n’a pas été signifiée conformément à la LIÉ, que la doctrine de la renonciation ne s’appliquait pas et que, subsidiairement, il n’y a pas eu de  renonciation à l’égard de l’irrégularité concernant la signification. Ils ajoutent que l’ordonnance de réintégration allait à l’encontre de l’article 11 de la LIÉ, qui empêche d’obtenir certaines réparations, comme l’exécution en nature, à l’encontre des États étrangers.

[17]           En réponse, Mme Zakhary affirme que, en equity, les États-Unis ne peuvent invoquer une irrégularité concernant la signification puisque la signification a eu lieu. L’objection est purement technique ou procédurale et ne devrait pas avoir préséance sur le fond de la demande de la défenderesse ou écarter la décision de l’arbitre. Madame Zakhary invoque également la conclusion de l’arbitre selon laquelle les tâches qu’elle accomplissait comme caissière étaient de nature commerciale et n’étaient donc pas protégées par l’immunité des États conformément à l’article 5 de la LIÉ.

[18]           J’ai l’intention d’examiner ces questions en les formulant comme suit :

1.                  La signification aux États-Unis a-t-elle été faite en bonne et due forme?

2.                  Les États-Unis ont‑ils renoncé à toute irrégularité concernant la signification?

3.                  Les États-Unis bénéficiaient‑ils par ailleurs d’une immunité en ce qui concerne les plaintes fondées sur le Code?

4.                  L’ordonnance de réintégration allait‑elle à l’encontre de l’article 11 de la LIÉ?

[19]           Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites à l’annexe A des présents motifs.

V.                Analyse

A.                Les États-Unis n’ont pas reçu signification de la plainte en bonne et due forme

[20]           La jurisprudence de notre Cour, et d’autres tribunaux, est sans équivoque et bien établie : la signification aux États étrangers doit être faite conformément au paragraphe 9(2) de la LIÉ : Tritt c United Sates of America, (1989), 68 OR (2d) 284 (QL) (HCJ); Softrade c Tanzania, [2004] OJ No 2325 (CSJ). Les documents laissés aux pieds d’un représentant du consulat des États-Unis ne sont pas signifiés en bonne et due forme. Sauf s’il convient d’un autre mode de signification, l’État étranger ne peut recevoir signification que par l’intermédiaire du sous‑ministre des Affaires étrangères : Janet Walker, Castel & Walker : Canadian Conflict of Laws, 6e éd., édition en feuilles mobiles (Markham, Ont. : LexisNexis, 2005), aux pages 10 à 21; H.L. Molot et M.L. Jewett, « The State Immunity Act of Canada », (1983) R. du B. can. 843.

[21]           L’origine de la règle de l’immunité des États en droit international, sa codification dans la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et son incorporation dans le droit interne sont exposées en détail dans l’arrêt récent Kazemi (Succession) c République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, où le juge LeBel de la Cour suprême du Canada, s’exprimant au nom de la majorité, a formulé les remarques suivantes aux paragraphes 42 et 43 :

Au Canada, l’immunité des États à l’égard des poursuites civiles est consacrée par la LIÉ dont l’objet reflète en grande partie celui de la règle en droit international : le respect de l’égalité souveraine. La « pierre angulaire » de cette loi se trouve en son art. 3, qui confirme que les États étrangers bénéficient de l’immunité de juridiction devant les tribunaux canadiens « [s]auf exceptions prévues dans la [. . .] loi » (Bouzari c. Islamic Republic of Iran (2004), 71 O.R. (3d) 675 (C.A.), par. 42; LIÉ, art. 3). Fait important, la LIÉ ne s’applique pas aux poursuites pénales, ce qui suggère que le législateur était convaincu que la common law en matière d’immunité des États devrait continuer à régir ce domaine du droit (LIÉ, art. 18).

 Cependant, lorsqu’il a adopté la LIÉ, le Parlement a reconnu plusieurs exceptions à la vaste portée de l’immunité des États. Mise à part l’exception relative aux activités commerciales examinée précédemment, le Canada a choisi d’inclure des exceptions à l’immunité en cas de renonciation à celle-ci par l’État étranger de même que dans le cas où il est question de décès, de dommages corporels ou de dommages aux biens survenus au Canada; en matière maritime; et à l’égard de biens détenus par un État étranger au Canada (LIÉ, art. 4, 6, 7 et 8; Currie, p. 395-400; Emanuelli, p. 346-349; J.-M. Arbour et G. Parent, Droit international public (6e éd. 2012), p. 500-508.3).

[22]           Les objectifs de politique que vise à promouvoir l’article 9 de la LIÉ sont formulés dans une note circulaire du gouvernement du Canada datée du 28 mars 2014 et intitulée « La signification des actes introductifs d’instance judiciaire ou administrative mettant en cause le Gouvernement du Canada dans d’autres États ». Selon cette note circulaire, « en vertu de la Loi sur l’immunité de l’État du Canada, le Canada assure à tout autre État les protections mentionnées [...] quant à la signification de documents introductifs d’une instance au Canada, lesquels documents seront transmis par voie diplomatique à leur ministère des Affaires étrangères dans leurs capitales respectives au moins soixante jours avant la prochaine étape des procédures ». De plus, « [l]a signification à une mission diplomatique ou à un poste consulaire, par quelque moyen que ce soit, est donc sans effet et constitue par ailleurs une infraction à l’Article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques [...] ».

[23]           La signification de la plainte au consulat par envoi recommandé n’était pas conforme à l’article 9 de la LIÉ. Étant donné que la signification conformément à l’article 9 de la LIÉ constitue une condition juridictionnelle obligatoire et préalable à l’introduction d’instances contre les États étrangers, l’arbitre ne pouvait avoir compétence sur les États-Unis.

[24]           Pour terminer sur ce point, Mme Zakhary fait valoir que, lorsqu’elle a été licenciée, elle a suivi la procédure prévue à l’article 220 du Code et a déposé une plainte. Une fois la plainte déposée, il incombait au Conseil canadien du travail d’en assurer la signification en bonne et due forme. La défenderesse n’a donc pas participé à la signification et n’avait aucun contrôle sur ce processus, de sorte qu’elle ne devrait pas subir les conséquences d’une signification irrégulière.

[25]           À mon avis, ces allégations ne modifient pas l’analyse. Les dispositions de la LIÉ en matière de signification sont impératives, indépendamment de la personne ou de l’organisme chargé de la signification dans le cadre d’un mécanisme de recours donné.

B.                 Les États-Unis n’ont pas renoncé à invoquer une irrégularité concernant la signification

[26]           J’analyse maintenant l’argument selon lequel les États-Unis avaient renoncé à leur immunité et, de fait, à la possibilité de contester la signification irrégulière.

[27]           Comme je l’ai déjà dit, l’argument de la renonciation est fondé sur le fait qu’un agent des ressources humaines de l’ambassade des États-Unis à Ottawa a accusé réception de la lettre de M. Bozzo. Cet accusé de réception ne constitue pas une renonciation à l’immunité. La jurisprudence concernant la renonciation à l’immunité accordée aux États étrangers, tant en vertu de la LIÉ qu’en droit international, est différente du traitement de la renonciation dans le contexte du droit national. La renonciation par un État étranger doit être explicite, sans équivoque, inconditionnelle et certaine. La renonciation doit également venir de l’État lui‑même, et le représentant qui renonce à l’immunité doit être autorisé par l’État à le faire. En l’espèce, aucune de ces exigences n’est respectée; voir, par exemple, Defense Contract Management Agency – America (Canada) c Public Service Alliance of Canada and Ontario Labour Relations Board, 2013 ONSC 2005.

C.                L’exception relative aux activités commerciales ne s’applique pas

[28]           À mon avis, l’exception relative aux activités commerciales prévue à l’article 5 de la LIÉ ne s’applique pas dans le contexte de la présente affaire, et l’arbitre a commis une erreur en indiquant que l’emploi de personnel au consulat des États-Unis était une activité commerciale.

[29]           Dans l’arrêt Re Code canadien du travail, le juge La Forest a conclu que l’exploitation d’une ambassade constituait une activité purement souveraine et n’était pas visée par l’exception des activités commerciales :

Bien qu’un simple contrat de travail soit principalement de nature commerciale, la gestion et l’exploitation d’une base militaire constituent certainement des activités d’un État souverain. Les activités des ambassades et des postes militaires extracôtiers constituent les meilleurs exemples d’activités exercées par un État qui devraient être visées par l’immunité de juridiction.

[30]           L’identité des personnes qui travaillent à une ambassade et la question de savoir si ces personnes s’acquittent de leurs responsabilités à la satisfaction du gouvernement étranger n’influent pas sur la nature commerciale d’une activité. Il ne s’agit pas d’une question commerciale, comme le fait d’engager une personne pour repeindre l’intérieur ou pour réparer la plomberie; l’emploi à l’ambassade fait plutôt partie intégrante de l’exploitation de celle-ci et n’est pas assujetti à la révision par les tribunaux nationaux. Aucune distinction rationnelle ne peut être établie non plus entre l’emploi au consulat des États-Unis, à Toronto, et l’emploi à l’ambassade des États-Unis, à Ottawa.

[31]           La nature des fonctions et responsabilités de l’employé, qu’il s’agisse de travail de bureau ou de tâches administratives ou encore, comme c’est le cas en l’espèce, de tâches financières, ne restreint pas l’immunité, laquelle s’applique à l’exploitation du consulat. La Cour n’analyse pas à la loupe les fonctions exercées à l’intérieur des murs des ambassades ou des consulats pour déterminer celles qui sont purement diplomatiques ou celles qui peuvent être administratives. Il est loin d’être certain qu’une ligne de démarcation aussi claire puisse être établie, ce qui est une autre raison pour laquelle la Cour ne procédera pas à une dissection des différentes responsabilités confiées aux employés des ambassades ou des consulats.

[32]           Dans la décision Canada c The Employment Appeals Tribunal, [1992] IR 484 (CS de l’Irlande), un chauffeur engagé par l’ambassade du Canada en Irlande a été congédié. Il a intenté une action en dommages-intérêts, soutenant que l’exception des activités commerciales à l’immunité des États s’appliquait. Rejetant l’argument, le juge O’Flaherty, qui  s’exprimait au nom d’une formation de cinq juges de la Cour suprême de l’Irlande, a écrit :

[traduction] La demande de M. Burke est-elle de nature publique ou privée? Il est indéniable que l’emploi d’un chauffeur à l’ambassade du Canada n’est pas un contrat commercial au sens ordinaire du terme; il s’agit d’un contrat de louage de services. Est‑il différent du contrat visant à faire réparer le système de chauffage à l’ambassade? (voir l’action intentée contre l’Empire of Iran) (1963) 45 ILR 57). À mon avis, il l’est. La personne qui s’approche des barrières de l’ambassade doit faire preuve de prudence. À première vue, toute activité liée à l’ambassade relève du domaine public du gouvernement en question. Il est possible que cette présomption puisse être réfutée, comme ce fut le cas dans l’affaire Empire of Iran. À mon avis, les éléments de confiance et de confidentialité rattachés au poste de chauffeur d’une ambassade créent avec l’employeur de celui-ci un lien qui fait de lui une personne concernée de près par l’organisation publique et les intérêts de son employeur. Par conséquent, je conclus que la doctrine de l’immunité limitative des États s’applique en l’espèce.

[33]           Aussi administratives soient‑elles, les fonctions que la défenderesse exerçait dans le cadre de l’exploitation financière du consulat comportaient des éléments de confiance et de confidentialité et faisaient donc partie intégrante de l’exploitation de celui-ci. La présomption d’immunité prima facie que la Cour suprême de l’Irlande a mentionnée n’est pas réfutée.

[34]           Pour terminer sur ce point, Mme Zakhary a déposé devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario une déclaration visant à obtenir des dommages-intérêts pour congédiement injuste. Les États-Unis ont contesté la demande d’indemnité liée au licenciement et n’ont pas invoqué leur immunité à cet égard. Le fait que Mme Zakhary peut, en pratique, exercer un recours sous forme d’action en dommages-intérêts ne touche nullement la portée des dispositions relatives à l’immunité. Même si les États-Unis avaient invoqué l’immunité en défense à l’action intentée en Ontario, le résultat en l’espèce serait le même.

[35]           Dans l’arrêt Amaratunga c Organisation des pêches de l’Atlantique Nord-Ouest, 2013 CSC 66, le demandeur a intenté une poursuite pour congédiement injustifié contre une organisation internationale. En défense, l’organisation a invoqué l’immunité des États. En réponse à l’argument selon lequel l’octroi de l’immunité aurait pour effet de priver le demandeur de tout recours, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit :

Il est regrettable que l’appelant ne puisse pas faire valoir ses moyens devant un tribunal et demander réparation.  Cependant, la nature même de l’immunité de juridiction soustrait certaines affaires de la compétence des tribunaux de l’État d’accueil.  Comme l’a affirmé le juge La Forest dans Re Code canadien du travail, le fait que certaines parties se trouveront dépourvues de tout recours judiciaire est le résultat « inévitabl[e] » de l’octroi de l’immunité de juridiction et constitue un « choix de principe implicite » dans la loi : p. 91.  Il en est de même en l’espèce.

D.                L’ordonnance de réintégration allait à l’encontre de l’article 11 de la LIÉ

[36]           Même s’il n’est pas nécessaire que j’examine cette question pour trancher la présente affaire, l’ordonnance de réintégration rendue par l’arbitre va à l’encontre de l’article 11 de la LIÉ, selon lequel aucune réparation ne peut être accordée « par voie d’injonction [ou] d’exécution en nature » contre un État étranger. L’ordonnance réintégrant un employé nuit à la capacité d’un État étranger d’exploiter son consulat au Canada, soit une activité « purement souveraine », et est nulle.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie avec dépens. Le certificat de dépôt d’une ordonnance rendue en application de l’article 244 du Code canadien du travail le 20 février 2013 dans l’affaire Nadia Zakhary c United States of America (T-1460-12), portée devant la Cour fédérale, est révoqué et sans effet.

« Donald J. Rennie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1147-13

INTITULÉ :

ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE  c NADIA ZAKHARY

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 9 décembre 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge RENNIE

DATE DES MOTIFS :

le 17 mars 2015

COMPARUTIONS :

Malcolm Ruby

Michael Comartin

POUR LE DEMANDEUR

Howard Markowitz

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lalfeur Henderson LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Du Markowitz

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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