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Date : 20150304


Dossier : IMM‑7207‑13

Référence : 2015 CF 277

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 4 mars 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

SERGEY MASALOV et

RAISA MASALOVA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) [la LIPR], de la décision du 21 octobre 2013 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a refusé de reconnaître aux demandeurs, des citoyens de la Russie, la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.                Les faits

[2]               Les demandeurs sont un couple âgé de nationalité tatare et de foi musulmane qui craignent d’être persécutés en Russie par des skinheads et par d’autres nationalistes.

[3]               Monsieur Masalov a été agressé physiquement pour la première fois en 1998, et à huit reprises par la suite au cours de la décennie qui a suivi (en 2002, 2003, 2004, deux fois en 2005, puis en 2006, 2008 et 2009). Il a eu besoin de soins médicaux à la suite des blessures qu’il a subies lors de ces agressions, tout comme sa femme, qui a subi elle aussi des blessures lors de l’incident où ils ont tous deux été agressés en 2006. Ces agressions physiques s’ajoutaient à diverses autres menaces et insultes qu’ils ont reçues au fil des ans en Russie. Bien qu’ils aient demandé la protection de la police à de nombreuses reprises, les demandeurs n’ont obtenu aucun secours.

III.             Décision

[4]               La SPR a instruit la demande d’asile le 23 septembre 2013. La Commission a conclu que M. Masalov avait témoigné dans l’ensemble avec franchise, mais qu’il avait « émis des hypothèses et enjolivé ses réponses » à certains endroits de son témoignage. La Commission s’est notamment demandé si le fait que M. Masalov avait appris des policiers « qu’il n’allait pas vivre longtemps » équivalait à une menace de mort. Poursuivant ce même raisonnement, la Commission a estimé qu’une affiche incitant à s’en prendre aux Tatars et une pierre lancée dans la fenêtre des demandeurs à laquelle était jointe une note indiquant [traduction« Tuez les Tatars, tuez‑les tous » ne constituait pas une menace de mort personnalisée visant le demandeur d’asile.

[5]               Sur la question de la protection de l’État, la Commission a conclu que M. Masalov n’avait pas déployé des efforts concertés pour se prévaloir de la protection de l’État. Elle a déclaré d’entrée de jeu qu’un demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique devait s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il avait épuisé tous les recours dont il pouvait disposer avant de pouvoir demander l’asile. Tout en reconnaissant qu’il y avait des incidents de violence contre des minorités religieuses et ethniques ciblées, la Commission a cité des éléments de preuve tendant à démontrer que le président de la Russie à l’époque, Dimitry Medvedev, avait exhorté divers organismes gouvernementaux à se rapprocher de la population musulmane du pays, qui compte une vingtaine de millions de personnes.

[6]               La Commission a également conclu que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Kazan, une ville du Tatarstan à majorité musulmane de 1,2 million de personnes, où l’on trouve plus d’une cinquantaine de mosquées en activité.

IV.             Thèses des parties

[7]               Les arguments formulés par les demandeurs au sujet du caractère déraisonnable de la décision ont trait aux erreurs que la Commission aurait commises concernant la crédibilité, la protection de l’État et la PRI.

[8]               Les demandeurs affirment que, sur les aspects sur lesquels la Commission a exprimé des doutes au sujet de la crédibilité, ses conclusions étaient viciées parce qu’elles ne concordaient pas avec la preuve versée au dossier. Par exemple, bien que la Commission ait affirmé que M. Masalov avait indiqué dans son témoignage qu’il avait appris des policiers qu’il « ne vivrait pas longtemps », la transcription de l’audience démontre qu’il avait en réalité déclaré, lors de son témoignage, que la police lui avait dit : [traduction« Partez au loin si vous voulez rester en vie. »

[9]               La Commission a également conclu qu’« aucun autre incident visant le demandeur d’asile n’a été invoqué » après qu’une pierre, à laquelle était attaché un billet contenant des paroles de menace, avait été lancée dans une fenêtre de la maison des demandeurs à l’été 2008. Pourtant, M. Masalov a été agressé peu de temps après par des voisins en août 2008, puis de nouveau l’année suivante. Non seulement les documents médicaux confirment‑ils qu’il a subi des ecchymoses et qu’il a dû se faire arracher les dents, mais les demandeurs ont produit une copie d’un tract laissé dans leur boîte aux lettres qui comportait l’inscription suivante : [traduction« LEVONS‑NOUS TOUS ET COMBATTONS LES YOUPINS, LES ASIATIQUES ET LES TATARES! LA SEULE FAÇON DE METTRE UN TERME À CETTE CONTAGION EST DE RECOURIR À LA FORCE! » Par conséquent, les craintes évoquées par les demandeurs ne sont pas des hypothèses, mais des possibilités réalistes.

[10]           Quant à la protection de l’État, les demandeurs s’en sont réclamés à cinq occasions distinctes après avoir été agressés sans jamais obtenir d’aide. Les efforts qu’ils ont déployés étaient parfaitement raisonnables dans les circonstances. De plus, la Commission a mal évalué le degré réel de démocratie en Russie en appliquant une forte présomption de protection de l’État. Les demandeurs soutiennent qu’une grande quantité d’éléments de preuve documentaire au dossier démontraient que la Russie offre le type de mécanismes de protection des droits de la personne qu’on s’attendrait normalement à trouver dans une démocratie qui fonctionne efficacement.

[11]           Monsieur Masalov a également essayé de s’adresser aux médias pour obtenir réparation en écrivant une lettre au journal local au sujet des agissements de la police. Cette lettre a été versée au dossier qu’il a soumis. La Commission a mis en doute sa crédibilité au sujet de cette démarche en concluant que rien ne permettait de penser que le journal avait effectivement reçu cette lettre. Les demandeurs affirment qu’on ne sait pas avec certitude quels documents complémentaires ils étaient censés fournir à la Commission, compte tenu du fait que le journal ne leur avait pas répondu, mais avait plutôt décidé de transmettre la lettre à la police. La Commission n’a d’ailleurs pas commenté le fait qu’on trouvait sur la lettre une note manuscrite vraisemblablement écrite par un membre du personnel du journal informant celui‑ci de ne pas publier la lettre mais l’invitant plutôt à la retransmettre à la police au motif que [traduction« c’est à eux qu’il revient de démêler tout ça ».

[12]           Au sujet de la PRI, les demandeurs font valoir que la Commission ne s’est pas demandé, lorsqu’elle s’est penchée sur le second volet du critère, s’il serait raisonnable dans les circonstances que le demandeur se réfugie à Kazan. Monsieur Masalov avait déjà tenté de se réfugier dans cette ville une première fois, mais il ne pouvait y vivre parce qu’il n’avait pas satisfait à une exigence en matière de logement, en l’occurrence, parce qu’il n’avait pas produit une propiska [permis de résidence]. Pour obtenir la propiska, il fallait produire la preuve d’un emploi permanent, mais il n’avait pu obtenir cette preuve. De plus, certains propriétaires sont réticents à soumettre des documents d’enregistrement au ministère de l’enregistrement, ce qui crée un obstacle à l’obtention de ces permis. Il n’était donc pas possible, sur le plan pratique, pour les demandeurs de vivre dans cette ville. De plus, ils n’ont pas de famille dans la ville visée par la PRI et ils souffrent de problèmes de santé.

[13]           Le défendeur affirme en revanche que la décision de la Commission était raisonnable.

[14]           Compte tenu des réserves exprimées par la Commission au sujet de la crédibilité, il lui était loisible de chercher à obtenir des preuves corroborantes et d’exprimer des doutes au sujet des démarches entreprises pour obtenir ces éléments de preuve. Les conclusions tirées au sujet de la crédibilité sont des conclusions de fait et les demandeurs doivent démontrer que ces conclusions sont arbitraires et abusives pour justifier l’intervention de la Cour.

[15]           Par ailleurs, il était loisible à la Commission de tirer ses conclusions au sujet de la protection de l’État et de la PRI, étant donné que les demandeurs ne lui avaient pas fourni d’éléments de preuve clairs et convaincants démontrant qu’ils ne pouvaient se réclamer d’une protection suffisante en Russie.

V.                Norme de contrôle

[16]           Ainsi que les parties l’ont convenu, la norme de contrôle applicable à la décision de la SPR est celle de la décision raisonnable. Il s’ensuit que notre Cour vérifiera « la justification de la décision [et] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Pour que la Cour puisse intervenir, il faut que la décision ne fasse pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VI.             Analyse

[17]           Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la décision était déraisonnable à plusieurs égards, d’où la nécessité d’ordonner un nouvel examen de l’affaire.

Crédibilité

[18]           Plusieurs des conclusions tirées au sujet de la crédibilité occultaient des aspects essentiels des témoignages et de la preuve écrite présentés. Par exemple, la Commission a fait peu de cas des dossiers médicaux volumineux qui corroboraient les témoignages et la preuve écrite présentés au sujet des agressions dont les demandeurs avaient été victimes. De même, la Commission n’a pas tenu compte de la note manuscrite inscrite sur la lettre de plainte de M. Masalov et servant d’accusé de réception de la part du journal. Il était donc déraisonnable de la part de la Commission de conclure ce qui suit : « Aucun autre document n’a été déposé pour étayer le fait que cette lettre avait été reçue par le quotidien ou que des mesures avaient été prises par une autorité quelconque. » (Dossier de la demande [DD], à la page 13.)

[19]           Bien que la Commission indique dans sa décision qu’elle avait des réserves au sujet de la crédibilité parce qu’elle doutait de la légitimité des incidents de persécution relatés par les demandeurs dans leur exposé circonstancié, notamment celui au cours duquel une pierre avait été lancée dans une des fenêtres de leur résidence, ou qu’elle doutait que les demandeurs avaient personnellement été victimes de menaces dans leur quartier, le fondement de ces réserves n’est pas clair. Il est de jurisprudence constante que l’on doit ajouter foi à l’exposé circonstancié du demandeur d’asile à moins qu’il n’existe une raison de le remettre en question (Zeng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1060, au paragraphe18; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 381, aux paragraphes 14 à 16; Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302).

[20]           La Commission n’a pas jugé les demandeurs évasifs ou incohérents dans l’ensemble et elle a d’ailleurs reconnu qu’ils avaient témoigné de façon franche (DD, à la page 12). S’agissant des réserves exprimées par la Commission quant à la crédibilité, j’estime, après avoir examiné le dossier, que leur témoignage – écrit et de vive voix – n’était pas hypothétique et que leurs réponses n’étaient pas enjolivées.

Protection de l’État

[21]           La façon dont la Commission a traité la question de la protection de l’État comporte deux problèmes fondamentaux.

[22]           En premier lieu, la preuve démontrait amplement que les demandeurs avaient cherché à obtenir la protection de l’État pendant plusieurs années et à plusieurs reprises, mais qu’ils n’avaient obtenu aucune réponse satisfaisante. Monsieur Masalov, qui n’était pas en mesure de se protéger lui‑même en raison de son âge, a expliqué de façon raisonnable comment il avait fait appel à l’appareil étatique au moyen de nombreuses tentatives infructueuses pour obtenir la protection des autorités.

[23]           En second lieu, la Commission a fait observer que la présomption de protection de l’État était plus forte dans le cas d’une démocratie. Cela est incontestablement vrai. Ce n’est toutefois pas simplement parce qu’un pays affirme se conduire d’une manière démocratique que l’analyse se termine là. Il incombe plutôt à la Commission d’examiner la preuve documentaire et de déterminer à quel point les institutions de l’État en question respectent les idéaux et les protections démocratiques de ce pays. Parmi ces principes, mentionnons, par exemple, la protection, par l’État, des droits de la personne, l’existence de forces policières efficaces et l’indépendance de la magistrature. Dans le cas qui nous occupe, ces pierres angulaires ne semblent guère correspondre aux éléments de preuve documentaire présentés à la Commission.

[24]           Par exemple, le Human Rights Report de 2009 sur la Russie publié par le Département d’État des États‑Unis signale ce qui suit :

[traduction]

La Constitution interdit de telles pratiques; toutefois, suivant de nombreux rapports crédibles, le personnel chargé d’appliquer la loi s’est livré à des actes de torture, à des violences et à des exactions pour forcer les suspects à passer aux aveux et les autorités n’auraient pas systématiquement obligé leurs représentants à répondre de leurs actes.

(Dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 601)

Les enquêtes menées par la police sur des dossiers qui semblent à caractère ethnique ou raciste sont fréquemment inefficaces. Les autorités sont parfois hésitantes à reconnaître le caractère raciste ou nationaliste des crimes, qualifiant souvent les agressions de « vandalisme ». De nombreuses victimes se butent à une attitude d’indifférence de la part de la police et les immigrants et les demandeurs d’asile qui ne disposent pas de documents de résidence reconnus par la police choisissent dans bien des cas de ne pas signaler les agressions dont ils sont victimes. Suivant le centre SOVA, la volonté de reconnaître le caractère haineux des crimes dépend largement de l’opinion personnelle du procureur local; le Centre a signalé que le nombre de crimes haineux ayant fait l’objet de poursuites à Moscou avait augmenté de façon marquée à la suite de l’entrée en fonctions d’un nouveau procureur en 2008. 

Les musulmans et les juifs ont continué à être victimes de préjugés et de discrimination sociale même s’il est souvent difficile de distinguer entre la discrimination religieuse et la discrimination ethnique.

(DCT, à la page 666)

[25]           Le juge Rennie (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a expliqué dans le jugement Sow c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 646, que la présomption de la protection de l’État variait selon la nature de la démocratie au sein de l’État, et il a souligné l’importance de tenir compte de la qualité des institutions qui assurent cette protection :

9          On peut présumer que, dans un pays démocratique, l’État peut protéger ses propres citoyens. C’est au demandeur qu’il incombe de réfuter cette présomption et de démontrer, par une preuve « claire et convaincante », l’incapacité de l’État d’assurer la protection (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 50; Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, aux paragraphes 43 et 44; Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, au paragraphe 13).

10        Ce principe s’inscrit dans un contexte, toutefois, et il n’est pas absolu, la présomption variant selon la nature de la démocratie dans le pays en cause. Le fardeau de preuve incombant au demandeur d’asile est proportionnel au degré de démocratie dans ce pays et à la place qu’y occupe l’État dans l’« éventail démocratique » (Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1376, au paragraphe 5; Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, au paragraphe 30; Capitaine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 98, aux paragraphes 20 à 22).

11        La démocratie à elle seule n’est pas gage d’une protection efficace de l’État. La Commission doit prendre en compte la qualité des institutions qui assurent la protection. La Commission doit en outre examiner si la protection de l’État est suffisante au niveau opérationnel et prendre en considération les personnes qui se sont trouvées dans une situation semblable à celle du demandeur ainsi que leur traitement par l’État (Zaatreh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 211, au paragraphe 55.

12        La démocratie, pour ces fins, c’est davantage que la tenue d’élections libres et équitables. C’est à une analyse nuancée qu’il faut procéder. La jurisprudence est claire : il faut considérer que la démocratie est une question de degré, et plus un pays est « démocratique », plus il sera difficile pour le demandeur de réfuter la présomption de protection de l’État. Pour que la démocratie soit davantage qu’une étiquette, des institutions et des principes sont nécessaires qui donnent effet aux valeurs qu’elle est censée englober. Il peut s’agir, notamment, de juges et d’avocats de la défense indépendants, d’une justice accessible et de forces de police pouvant exercer en toute indépendance leurs fonctions d’enquête.

[26]           À mon avis, la Commission a accordé une importance excessive à la présomption de protection de l’État dans les démocraties sans tenir compte de la question de savoir si les institutions russes étaient adéquates. En tout état de cause, l’analyse de la protection de l’État à laquelle la Commission s’est livrée semblait être influencée par les réserves qu’elle avait au sujet de la crédibilité des demandeurs du fait qu’elle se demandait s’ils avaient fait part de leurs préoccupations aux autorités. Étant donné, comme nous l’avons déjà expliqué, que la Commission a commis des erreurs justifiant notre intervention en ce qui concerne la crédibilité, il y a lieu de reprendre l’analyse concernant la protection de l’État.

PRI

[27]           Le critère applicable à la PRI comporte deux volets : (i) ou bien la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de risque sérieux que le demandeur d’asile soit persécuté dans la ville proposée comme PRI; (ii) ou bien, compte tenu de l’ensemble des circonstances, la situation dans la ville proposée comme PRI est telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration ), [1994] 1 RCF 589; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1304 , au paragraphe 14; Kamburona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1052 , au paragraphe 25).

[28]           La condition à respecter pour satisfaire au second volet est exigeante, comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ranganathan, [2001] 2 CF 164, au paragraphe 15, en précisant qu’il ne faut « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr ».

[29]           Les demandeurs affirment qu’il est déraisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs aillent se réinstaller dans la ville proposée comme PRI. Je suis du même avis. Monsieur Masalov a tenté de déménager à Kazan en février 2008, mais il n’a pu y obtenir la résidence temporaire que pendant trois ou quatre jours parce qu’il n’a pas réussi à obtenir la propiska (DTC, à la page 732).

[30]           La preuve documentaire, en particulier la Réponse à la demande d’information RUS103311.EF [RDI], explique l’effet domino qu’entraîne l’incapacité de s’enregistrer. La résidence permanente est nécessaire pour avoir accès à des services de soins de santé, pour voter aux élections, pour toucher des prestations d’assurance‑emploi, pour être admissible à des prestations de retraite, pour ouvrir un compte en banque, pour obtenir un prêt bancaire personnel, pour être admis aux programmes de logement, pour conclure un contrat et pour recevoir des prestations de services sociaux (DD, à la page 608).

[31]           Il semble aussi que les personnes sans enregistrement risquent d’être harcelées par les autorités. La RDI indique en effet que : « [d]es ONG et des médias affirment que les personnes sans enregistrement peuvent être harcelées par des policiers » et que « les policiers en patrouille peuvent arrêter et maintenir en détention des personnes non enregistrées ainsi que leur infliger des amendes ou fouiller leur résidence ». S’attendre à ce qu’un couple âgé endure un harcèlement constant de la part de la police est déraisonnable, car une telle situation compromet leur sécurité dans la ville désignée comme PRI.

[32]           La Commission a mentionné la RDI dans sa décision et a conclu :

[...] Le document énumère ensuite certaines des difficultés auxquelles sont exposées les personnes qui s’enregistrent dans une nouvelle ville. Aucune des restrictions légales ne s’applique au demandeur d’asile.

[33]           La Commission n’a toutefois pas expliqué clairement dans ses motifs pourquoi les restrictions légales ne s’appliquaient pas au demandeur. Autrement dit, M. Masalov, qui avait été jugé dans l’ensemble crédible, avait déjà essayé, mais en vain, d’obtenir son enregistrement à Kazan. Je ne vois aucun élément de preuve qui permettrait à la Cour de penser qu’il serait en mesure de s’enregistrer sans problème s’il devait retourner en Russie (Sarker c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1168, au paragraphe 22).

[34]           Compte tenu des erreurs justifiant notre intervention que la Commission a commises au sujet de la crédibilité, de la protection de l’État et de la PRI, j’accueille la demande et je suis d’avis de renvoyer l’affaire pour qu’elle soit examinée par un autre commissaire.


JUGEMENT

LA COUR :

1.      ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire;

2.      DÉCLARE qu’aucune question à certifier n’a été soulevée.

3.      N’ADJUGE aucuns dépens.

« Alan Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM‑7207‑13

 

INTITULÉ :

SERGEY MASALOV ET RAISA MASALOVA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (OntariO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 FÉVRIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Arthur Yallen

PoUR LES demandeurS

Nicholas Dodokin

PoUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yallen Associates

Avocat

Toronto (Ontario)

 

PoUR LES demandeurS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE défendeur

 

 

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