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Date : 20150319


Dossier : IMM-7579-13

Référence : 2015 CF 349

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2015

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

MALIK WAHEED AHMAD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. La SPR a jugé que, dans cette affaire, la question déterminante était la crédibilité.

II.                Contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen du Pakistan qui craint de retourner dans son pays en raison de la persécution que lui a valu son appartenance à l’ahmadisme. Les ahmadis considèrent que la secte ahmadie est une branche de l’islam, mais ils sont perçus à certains égards comme des non‑musulmans. Les parents du demandeur ont été élevés dans la foi ahmadie mais, en raison de violences exercées contre les ahmadis, ils ont abjuré leur foi et ont élevé leurs enfants dans le sunnisme. Au décès du père du demandeur, ce dernier a repris contact avec sa famille élargie, qui était restée fidèle à l’ahmadisme. Il a ensuite entamé son retour spirituel vers cette foi.

[3]               En 2007, il a fait une visite de deux mois au Canada pour y voir sa fille (issue de son premier mariage). Durant cette visite, il s’est lié d’amitié avec un voisin, un ahmadi, qui l’a entraîné dans la mosquée locale. Cela a abouti à sa conversion à l’occasion d’une cérémonie publique durant laquelle il a signé un document d’allégeance (Ba’ait). Sa deuxième épouse et les enfants issus de ce mariage y ont participé au téléphone.

[4]               Comme sa fille au Canada, avec qui il vivait, demeurait résolument opposée à l’ahmadisme, la conversion du demandeur lui a été cachée jusqu’à son retour au Pakistan.

[5]               La demande d’asile du demandeur était fondée sur les conséquences de la « révélation publique » de son ahmadisme par sa fille, une résidente canadienne, et son ex-épouse. Ces conséquences ont notamment été la profération de menaces, une baisse de ses affaires, l’ostracisme populaire du demandeur et de sa famille, et la perpétration de voies de fait contre demandeur et son fils, lesquels ont par la suite été enlevés, puis libérés moyennant le paiement d’une rançon. Le demandeur est alors parti pour le Canada en juillet 2012 et a déposé sa demande d’asile.

[6]               Ayant déclaré que la crédibilité était la question déterminante, la SPR a noté que, tout au long de l’audience, de nombreuses contradictions, incohérences et invraisemblances sont manifestement ressorties du témoignage du demandeur d’asile et de la preuve documentaire. La SPR a estimé que les incohérences étaient au cœur de la demande d’asile, et que le demandeur d’asile n’avait fourni aucune explication raisonnable pour les justifier.

[7]               Le nœud de la décision finale de la SPR est en fait la conclusion que le demandeur n’est pas ahmadi (voir la décision, au paragraphe 21).

III.             Analyse

[8]               Il a été statué que la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la crédibilité est la décision raisonnable (Uygur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 752). La décision en question comportait à la fois des conclusions relatives à la crédibilité à proprement parler (vérité/fausseté) et des conclusions d’invraisemblance. La Cour a fait preuve d’une grande retenue envers les conclusions quant à la crédibilité, mais a statué que les conclusions d’invraisemblance sont assujetties à un examen plus rigoureux et doivent être davantage expliquées.

[9]               La preuve documentaire est au cœur de la question de la légitimité. Le demandeur a déposé un certificat ahmadi et un affidavit d’un avocat spécialiste en la matière confirmant que le certificat est une preuve prima facie que son détenteur est ahmadi, et décrivant les longues démarches à effectuer et les critères rigoureux à satisfaire avant qu’un certificat soit délivré.

[10]           Le demandeur a aussi fourni des reçus de dons, une carte d’identité et un document du mouvement islamique ahmadi attestant de son appartenance.

[11]           Lorsque la SPR a demandé qu’il présente une preuve documentaire pour corroborer sa conversion en 2007, le demandeur a produit le Ba’ait, une copie du document d’allégeance et des observations présentées après l’audience. Jusque là, la SPR n’avait pas reçu ni demandé un document de cette nature dans les situations où il était accepté que la personne en cause était ahmadie.

[12]           La SPR a rejeté la demande en tirant un certain nombre de conclusions :

                     l’explication qu’il a donnée pour justifier son ignorance de l’emplacement de la mosquée était déraisonnable;

                     les documents sur l’appartenance étaient insuffisants et pas assez fiables pour confirmer qu’il était un ahmadi fervent ou pratiquant;

                     une partie de son témoignage sur les pratiques liées à sa foi n’était pas crédible;

                     le dépôt tardif de son Ba’ait a nui à sa crédibilité; de plus, on ne peut attacher aucun poids à l’affidavit du voisin, puisqu’il a été signé après le formulaire de renseignements personnels (le FRP).et que le voisin était à l’étranger lors de l’audience;

                     le demandeur est prêt à tout faire et à tout dire pour rester au pays;

                     la preuve relative à la pratique de sa foi en 2006 était contradictoire;

                     il était vague au sujet de cette pratique à son retour au Pakistan;

                     la religion inscrite dans son passeport est « Islam », et non pas « Ahmadi »;

                     le fait qu’il ait caché sa foi à sa fille démontre qu’il était disposé et prêt à cacher d’autres choses.

[13]           Si la Cour fait preuve en temps normal de beaucoup de retenue à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité et des conclusions d’invraisemblance de la SPR, la retenue n’est pas un chèque en blanc. La SPR n’est pas dispensée d’exposer les raisons pour lesquelles elle n’a pas accepté des éléments de preuve, d’expliquer le fondement de ses conclusions d’invraisemblance et d’examiner toute preuve d’importance capitale.

[14]           La Cour est au courant de la persécution des musulmans ahmadis au Pakistan et a récemment renvoyé pour nouvelle décision les conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité. Dans la décision Anwar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 681 (Anwar), le juge Manson écrit ce qui suit, au paragraphe 22 :

[22]      Bien qu’il puisse sembler invraisemblable que le demandeur n’ait jamais été persécuté au cours de sa carrière d’enseignant, les conclusions d’invraisemblance doivent satisfaire à des exigences particulières s’inscrivant dans le contexte de la norme de la raisonnabilité. Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le fait que la Commission se soit fondée uniquement sur cette conclusion d’invraisemblance est déraisonnable. Ainsi qu’a tranché le juge Simon Noël dans Ansar c Canada (Ministre de Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1152 :

17        D’entrée de jeu, il importe d’établir une distinction entre les conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité et sa conclusion voulant que le danger posé par M. Choudhry soit « invraisemblable ». Le tribunal doit être attentif à l’emploi qu’il fait de ce terme et de ses conséquences. Il ne peut conclure à l’invraisemblance que « dans les cas les plus évidents » (Valtchev c. Canada (Ministre de Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7, [2001] A.C.F. n1131). Les inférences faites par le tribunal doivent être raisonnables et ses motifs doivent être formulés en termes clairs et explicites (R.K.L. c. Canada (Ministre de Citoyenneté et Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 9, [2003] A.C.F. no 162). Ainsi que l’explique le juge Richard Mosley au paragraphe 15 de la décision Santos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937, [2004] A.C.F. no 1149 :

[L]es conclusions sur la vraisemblance reposent sur un raisonnement distinct de celui des conclusions sur la crédibilité et peuvent être influencées par des présomptions culturelles ou des perceptions erronées. En conséquence, les conclusions d’invraisemblance doivent être fondées sur une preuve claire et un raisonnement clair à l’appui des déductions de la Commission et devraient faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient réfuter lesdites conclusions.

[15]           Les conclusions d’invraisemblance en l’espèce s’apparentent à celles dans la décision Anwar sous les angles suivants :

                     la SPR a rejeté pour cause d’invraisemblance la description par le demandeur de la façon dont sa conversion est devenue de notoriété publique, sans toutefois expliquer pourquoi la description était invraisemblable;

                     la SPR a rejeté l’explication donnée par le demandeur pour justifier le fait qu’il n’avait pas modifié son passeport afin qu’il soit précisé que sa religion était « Ahmadi » et qu’il avait laissé la mention « Islam ». Comme les ahmadis se considèrent musulmans, bien que le gouvernement pakistanais ne partage pas cette opinion, et comme il est bien connu au Pakistan que les ahmadis sont persécutés, il était déraisonnable de rejeter l’explication sans préciser pourquoi la position du demandeur était invraisemblable;

                     la SPR a rejeté l’explication donnée par le demandeur concernant la façon dont il avait caché sa conversion à sa fille, sans préciser pourquoi l’explication du demandeur était invraisemblable.

[16]           Selon moi, l’erreur la plus grave est le traitement de la preuve exigée par la SPR à titre de corroboration. Il n’est pas expliqué pourquoi le document Ba’ait, tout à fait compatible avec le reste de la preuve documentaire, a été rejeté comme dénotant un manque de crédibilité. À aucun moment la SPR n’a donné à penser que les documents, tout particulièrement ce document d’importance capitale, étaient faux, frauduleux, des contrefaçons ou invalides de quelque façon que ce soit.

[17]           Saisie de documents valides attestant de la foi ahmadie du demandeur, la SPR n’offre aucun fondement raisonnable pour sa conclusion globale qu’il n’est pas ahmadi. Elle omet d’examiner ces éléments de preuve essentiels, ce qui est non seulement déraisonnable, mais aussi une erreur de droit.

IV.             Conclusion

[18]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision sera annulée, et l’affaire sera renvoyée à la SPR pour qu’un autre agent rende une nouvelle décision.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée, et l’affaire doit être renvoyée à la Section de la protection des réfugiés pour qu’un autre agent rende une nouvelle décision.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

M.-C. Gervais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7579-13

 

INTITULÉ :

MALIK WAHEED AHMAD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 FÉVRIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 19 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

 

POUR Le demandeur

 

Prathima Prashad

 

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR Le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

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