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Date :  20150312


Dossier : IMM‑8071‑13

Référence : 2015 CF 317

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 12 mars 2015

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

NANA JOY MOLEFE

KAGISO MOLEFE

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs, Nana Joy Molefe et son fils Kagiso Molefe, sont des citoyens du Botswana. Par la présente demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), ils contestent la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant leur demande d’asile. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   FAITS ET PROCÉDURE

[2]               La demande de Mme Molefe découle d’un litige relatif à des biens l’opposant à ses demi‑frères. Lorsque Mme Molefe était enfant, son père est déménagé en Afrique du Sud pour le travail, où il a épousé une deuxième épouse et fondé une deuxième famille. En 1999, il a communiqué avec Mme Molefe pour obtenir son aide après avoir été expulsé de sa maison par sa deuxième épouse. À cette époque, il était malade et sans abri. Mme Molefe a ramené son père au Botswana et s’est occupée de lui et de sa mère jusqu’à ce qu’ils décèdent tous les deux.

[3]               Les problèmes sont survenus après le décès du père de Mme Molefe en avril 2008. Il a légué à Mme Molefe toutes ses terres au Botswana. Mme Molefe allègue que ses quatre demi‑frères sud‑africains veulent obtenir le patrimoine et qu’ils ont tenté de l’intimider en vue de l’amener à céder ses terres, notamment en agressant Kagiso (maintenant au début de la vingtaine) à son école en juin 2009 et lors d’un incident en juillet 2009, date à laquelle trois demi‑frères de Mme Molefe ont été vu en train de verser un liquide autour de la maison de celle‑ci à Gaborone. Après ces incidents, Mme Molefe a quitté sa maison pour emménager chez des amis. Le 3 mars 2010, elle a quitté le Botswana avec Kagiso et un jeune garçon, qui a maintenant 12 ans, que j’appellerai LM. Ils sont tous les trois arrivés au Canada le lendemain et ont présenté une demande d’asile.

[4]               Dans sa demande, Mme Molefe a d’abord déclaré que LM était son petit‑fils, mais elle a plus tard admis qu’il s’agissait du [traduction] « fils de la sœur de sa mère », c’est‑à‑dire son cousin. Lors des audiences devant la Commission, elle a offert une troisième version, à savoir que LM était le fils adoptif de l’une de ses filles. En raison de préoccupations quant à l’identité des parents du garçon et des soins qu’ils recevaient au Canada, la Commission a désigné un représentant responsable de LM. Au début des audiences, LM n’habitait plus avec Mme Molefe; il était sous la garde de son père biologique en Saskatchewan.

[5]               La Commission a tenu des audiences pendant quatre jours. Elle a conclu que LM était vulnérable et avait besoin d’une aide particulière à laquelle il n’aurait pas accès au Botswana. La Commission a conclu que LM était exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution et à un risque sérieux de préjudice, et elle a accueilli sa demande.

[6]               La Commission a retenu la preuve selon laquelle les demi‑frères de Mme Molefe ont agressé Kagiso le 4 juin 2009. En ce qui a trait à l’incident qui aurait eu lieu le 17 juillet 2009, la Commission a relevé plusieurs incohérences dans le témoignage de Mme Molefe ainsi que des contradictions avec l’exposé circonstancié présenté dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP).

[7]               Mme Molefe affirme qu’elle a signalé l’incident aux policiers et qu’elle a produit une déclaration écrite, mais que ceux‑ci ont refusé de rédiger un rapport ou d’intervenir autrement. Mme Molefe n’a pas été en mesure de fournir une copie de sa déclaration. Elle a fourni un affidavit préparé par un autre de ses frères et des lettres rédigées par un ami et son oncle paternel, mais aucun de ces documents ne faisait référence au soi‑disant incident. En outre, avant leur arrivée au Canada, Kagiso et elle ont vécu plusieurs mois dans le village où se situe la propriété pendant que ses demi‑frères l’occupaient. La Commission a aussi souligné que la demanderesse était retournée au Botswana à la suite d’un voyage au Nigeria et que ses filles avaient continué d’habiter au Botswana sans être victimes de harcèlement malgré la présence des demi‑frères de Mme Molefe à cet endroit. Par conséquent, la Commission ne s’est pas estimée en mesure de conclure que l’incident allégué du 17 juillet 2009 avait réellement eu lieu.

[8]               La Commission a tenu compte d’éléments de preuve documentaire objectifs sur la discrimination fondée sur le sexe au Botswana et a conclu que le gouvernement reconnaissait de plus en plus les droits à l’égalité et que la police s’employait activement à lutter contre activités criminelles et à mener des enquêtes sur celles‑ci. La Commission a conclu que les demandeurs pouvaient se réclamer de la protection de l’État, mais que rien ne permettait de penser qu’ils avaient tenté de le faire. La Commission a estimé qu’il aurait peut‑être été compréhensible qu’une femme peu scolarisée vivant dans une région rurale agisse de la sorte, et fait remarquer que la demanderesse était une personne instruite, ayant travaillé pour une société internationale, et vécu un certain temps dans la capitale, Gaborone. La Commission a conclu qu’en raison de son profil, la demanderesse était en mesure de demander de l’aide à la police. Par conséquent, la Commission a dit ne pas « [pouvoir] invoquer les directives du président intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe » pour réfuter la présomption dans le cas de Mme Molefe.

[9]               Parmi les documents présentés à l’appui de la demande se trouvait un rapport rédigé par le Dr Devins, un psychologue agréé, sur l’état d’esprit de Mme Molefe et sur la peur qu’elle éprouve à l’idée de retourner au Botswana.

II.                QUESTIONS À TRANCHER

[10]           Les questions soulevées par les parties sont les suivantes :

1.         L’analyse de la crédibilité faite par la Commission est‑elle erronée?

2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État?

3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation du rapport psychologique?

III.             ANALYSE

A.                            La norme de contrôle

[11]           Les conclusions quant à la crédibilité constituent des questions de fait. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Voir par exemple Triana Aguirre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 571 aux paragraphes 13 et 14, et Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1283 au paragraphe 18.

[12]           Les deux autres questions à trancher soulèvent des questions mixtes de fait et de droit dont les aspects juridiques relèvent de l’expertise de l’agent. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 aux paragraphes 53 à 55.

B.                 L’analyse de la crédibilité faite par la Commission est‑elle erronée?

[13]           Les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion globale défavorable concernant la crédibilité de Mme Molefe et en rejetant tous les éléments de preuve qu’elle a présentés à l’appui de sa demande. Ils soutiennent qu’en évaluant le témoignage de la demanderesse, la Commission aurait dû tenir compte de sa situation sociale, culturelle, religieuse et économique, conformément aux directives du président intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (directives concernant la persécution fondée sur le sexe).

[14]           Je souscris au point de vue du défendeur en l’espèce, c’est‑à‑dire que la Commission avait de bons motifs de mettre en doute la véracité du récit de Mme Molefe. Mme Molefe a fourni des renseignements erronés à la Commission sur son lien de parenté avec LM. Elle a donné trois réponses contradictoires à l’audience, à savoir qu’il s’agissait de son petit‑fils biologique, puis de son cousin et enfin de son petit‑fils adoptif. Bien que les perspectives sur l’appartenance à la famille puissent être différentes au Botswana, comme l’a fait valoir l’avocat de Mme Molefe lors de l’audition de la présente demande, cette explication n’a pas été clairement présentée à la Commission. Il était donc raisonnable dans les circonstances que la Commission tire une inférence défavorable du témoignage concernant LM.

[15]           En outre, Mme Molefe n’a pas fourni d’éléments de preuve corroborant sa version de l’incident de vandalisme qui aurait eu lieu à son domicile. Elle a donné des renseignements contradictoires sur la tentative d’incendie criminel alléguée dans son FRP et à l’audience. Compte tenu des contradictions relevées dans son témoignage, la Commission pouvait raisonnablement insister pour obtenir des éléments de preuve corroborants.

[16]           Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, après avoir tiré une conclusion globale défavorable concernant la crédibilité, la Commission n’a pas refusé d’examiner les documents corroborants qu’ils ont présentés. Elle a fait référence aux lettres rédigées par des amis et des membres de la famille de Mme Molefe et a souligné qu’elles ne mentionnaient pas la tentative d’incendie criminel. Les documents fournis par Mme Molefe ne corroboraient pas sa version des faits et elle n’a pas été en mesure de fournir d’autres documents la corroborant (comme une copie de sa déclaration à la police). Par conséquent, la Commission a raisonnablement conclu que la tentative d’incendie criminel n’avait probablement jamais eu lieu.

[17]           Il était également loisible à la Commission de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité du fait que Mme Molefe s’était réclamée à nouveau de la protection du Botswana à la suite d’un voyage au Nigeria, et que Kagiso et elle étaient demeurés au Botswana pendant une période prolongée après l’incident allégué de juillet 2009. Pendant cette période, ils ont déménagé dans le village où se situe la propriété qui fait l’objet du différend, qui était alors occupée par ses demi‑frères.

[18]           Il existe une certaine confusion dans l’analyse de la Commission en ce qui concerne le lieu de résidence des filles de Mme Molefe à l’époque. Elles habitaient à Bagorone, et non dans le village natal des demandeurs. Cependant, cette ambiguïté n’affaiblit pas de façon appréciable l’analyse de la Commission. La Commission pouvait raisonnablement déduire que les demi‑frères de Mme Molefe ne souhaitaient pas leur faire du mal, à elle et aux membres de sa famille, car elle est demeurée à Gaborone pendant cinq mois, l’endroit où elle prétend que la tentative d’incendie criminel a eu lieu en juillet 2009. Ses demi‑frères ne sont pas revenus à la charge et n’ont pas ennuyé ses filles qui habitaient dans la même ville.

[19]           Les conclusions sur la crédibilité tirées par la Commission sont donc raisonnables. La Cour ne devrait donc pas intervenir : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF); Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429 au paragraphe 18.

C.                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État?

[20]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en s’appuyant sur le fait que le Botswana avait réalisé des améliorations au chapitre de la protection de l’État. Les directives concernant la persécution fondée sur le sexe précisent clairement qu’il est possible que des changements positifs n’aient pas nécessairement une incidence favorable sur la situation d’une femme en particulier. En l’espèce, les demandeurs font valoir que la Commission n’a pas compris qu’il peut être plus difficile pour une victime de persécution fondée sur le sexe de fournir, en vue de réfuter la présomption relative à la protection de l’État, des éléments de preuve aussi clairs et convaincants que ceux que pourrait présenter un demandeur n’ayant pas été victime d’actes de cette nature. Dans leurs observations, les demandeurs soutiennent également que la Commission a commis une erreur en avançant l’hypothèse selon laquelle la demanderesse pourrait tirer avantage de la protection de l’État du simple fait qu’elle est une personne instruite ayant déjà habité en ville : Tumisang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 589.

[21]           À mon avis, la Commission a bien appliqué le critère relatif à la protection de l’État. Elle a évalué de façon raisonnable les éléments de preuve versés au dossier, y compris les éléments de preuve documentaire. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour ne peut réévaluer la preuve d’une manière plus favorable au demandeur.

[22]           Les demandeurs d’asile doivent demander la protection de l’État dans leur pays d’origine lorsque cette protection « aurait pu raisonnablement être assurée » : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à 724. En l’espèce, Mme Molefe n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État au moyen d’une « preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94 au paragraphe 30.

[23]           La Commission a examiné de façon raisonnable la preuve documentaire. Elle a également fait remarquer qu’une femme ayant le profil de la demanderesse aurait plus de facilité que la majorité des gens à obtenir la protection de l’État.

[24]           Il est possible d’établir une distinction entre la présente affaire et l’affaire Tumisang. Dans cette décision, la Cour n’a pas mis en doute la crédibilité de la demanderesse ni le fait qu’elle avait été victime d’actes de violence fondés sur le sexe. Or, en l’espèce, la Commission n’a pas jugé la demanderesse crédible. De plus, la demanderesse n’a pas produit d’éléments de preuve suffisants pour prouver qu’elle avait été victime d’actes de persécution en raison de son sexe ou de son appartenance à un groupe social en particulier.

[25]           La Cour a reconnu que les directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne sont pas conçues pour corriger les lacunes que peut comporter une demande d’asile. Elles visent à assurer la tenue d’une audience équitable : Newton c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 738 (1re inst.) au paragraphe 18; Keleta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 56; Karanja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 574 aux paragraphes 5 et 6. Après avoir examiné la transcription et les motifs de la Commission, je suis convaincu que Mme Molefe a eu droit à une audience équitable.

[26]           Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, on ne sait pas du tout si le différend opposant Mme Molefe à ses demi‑frères se fondait sur le sexe, comme l’a d’ailleurs souligné la Commission au cours des audiences. Le différend était lié à la distribution du patrimoine du père de ceux‑ci. La demanderesse a soutenu que la situation découlait de coutumes tenant à l’idée que les femmes ne peuvent hériter des terres. Toutefois, peu d’éléments de preuve portaient à croire qu’il s’agissait effectivement du motif du différend. D’ailleurs, les deux frères de la demanderesse (issus des mêmes père et mère qu’elle), qui habitaient au Botswana ne prenaient pas ombrage de l’héritage qu’elle avait reçu, et ces coutumes ont été jugées inconstitutionnelles par la Haute Cour. Quoi qu’il en soit, rien ne prouve que Mme Molefe serait persécutée en raison de son sexe si elle cessait de réclamer son héritage. Elle n’a pas réussi à établir l’existence d’un lien avec un motif reconnu par la Convention.

[27]           Aux termes des directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la Commission doit tenir compte « du contexte social, culturel, religieux et économique dans lequel se trouve la revendicatrice ». La Commission a pris en compte le contexte social et économique de Mme Molefe lorsqu’elle a évalué la disponibilité de la protection de l’État. La Commission ne pouvait pas seulement tenir compte des facteurs favorables à sa demande et passer outre les autres. Mme Molefe avait le fardeau de réfuter la présomption, ce qu’elle n’a pas fait.

D.                La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation du rapport psychologique?

[28]           Les demandeurs font valoir que la Commission n’a pas tenu compte du rapport psychologique préparé par le DDevins lorsqu’elle a évalué la crédibilité et le caractère suffisant du témoignage de Mme Molefe. Il importait que la Commission évalue son état d’esprit. Ils soutiennent qu’en omettant de le faire, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[29]           Bien que la Commission n’ait pas mentionné expressément le rapport psychologique dans ses motifs, je suis convaincu qu’elle en a tenu compte et qu’elle lui a accordé l’importance appropriée. Conformément à une règle de droit bien connue, la Commission n’est pas tenue de faire état dans sa décision de chacun des éléments de preuve qu’elle avait devant elle. Selon une autre règle de droit bien connue, plus un élément de la preuve qui n’a pas été mentionné expressément ni analysé dans les motifs de l’organisme est important, plus un tribunal sera disposé à conclure qu’une erreur susceptible de contrôle judiciaire a été commise : Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (1re inst.) aux paragraphes 14 à 17.

[30]           Dans la décision Dessie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1497, un arrêt cité par les demandeurs où ces principes sont appliqués, la Cour a souligné au paragraphe 8 que l’élément de preuve en question était directement pertinent pour la question au cœur de l’affaire et était donc très important. Il est impossible d’en dire autant du rapport du DDevins en l’espèce.

[31]           Dans le cadre de procédures administratives, il ne faut pas accorder un statut supérieur aux rapports présentant l’avis d’experts uniquement parce qu’ils ont été préparés par un professionnel agréé. Cela est particulièrement vrai quand, comme c’est le cas en l’espèce, le rapport n’est pas pertinent en ce qui a trait aux conclusions principales de la Commission relatives à la crédibilité et à la protection de l’État. Dans la décision Czesak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1149, aux paragraphes 37 à 40, le juge Annis a formulé une mise en garde en ce qui concerne les dangers que posent les rapports d’experts présentés aux tribunaux administratifs.

De plus, j’estime que les décideurs ne devraient se fier qu’avec prudence aux éléments de preuve des experts judiciaires obtenus aux fins du litige, sauf s’ils font l’objet d’une certaine forme de validation. Cette remarque vise le rapport de la Dre Koczorowska, qui est allée jusqu’à intervenir en la faveur de la demanderesse en formulant un avis sur la question précisément débattue devant le tribunal.

Notre système juridique a une longue expérience des relations avec les experts judiciaires qui témoignent sur des questions relatives à des éléments de preuve techniques pour aider les tribunaux à rendre leurs décisions. Forts de cette expérience, les tribunaux ont, me semble‑t‑il, appris à jauger avec prudence et circonspection les conclusions des experts judiciaires qui n’ont pas fait l’objet d’un processus de validation rigoureux dans le cadre de procédures judiciaires.

[…]

Il ne s’ensuit pas que tout rapport d’expert rédigé aux fins du litige doive être rejeté au motif qu’il n’aurait pas beaucoup de poids, sinon aucun. Ce que la Cour a plutôt retenu de son expérience avec les experts judiciaires, relativement à la production de rapports devant des tribunaux administratifs en l’absence de procédure de validation définie, est la nécessité d’exercer une grande prudence avant d’accepter les rapports sans réserve, particulièrement lorsqu’ils seraient de nature à trancher des questions importantes en litige devant la Cour. Par conséquent, selon moi, à moins qu’il ne soit possible de garantir la neutralité ou l’absence d’intérêt personnel de l’expert dans le cadre du litige, il convient généralement de leur accorder peu de poids.

[Non souligné dans l’original.]

[32]           À mon avis, dans son rapport, le DDevins ne s’est pas limité à donner son avis d’expert; il a défendu des intérêts.

[traduction] L’état de Mme Molefe pourra s’améliorer si elle reçoit des soins adéquats et si on lui garantit que la menace de renvoi qui plane sur elle sera écartée. C’est une bonne chose, par conséquent, qu’elle reçoive actuellement des services de counselling. Ceux‑ci ne devraient pas être interrompus. Si on lui refuse l’autorisation de rester au Canada, son état se détériorera. Comme il l’a été souligné, il est impossible que Mme Molefe se sente en sécurité où qu’elle soit au Botswana.

[33]           Le Dr Devins a rédigé des rapports semblables dans bien d’autres cas. En effet, dans son rapport, il a lui‑même estimé avoir évalué plus de 3 900 demandeurs d’asile depuis 1996. La formulation de son rapport en l’espèce est très semblable à celle citée dans d’autres affaires, comme Mico c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 964, et Fidan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1190. À mon avis, le « critère de fiabilité requis », pour reprendre les termes du juge Annis, n’est pas rempli : Czesak, précitée, au paragraphe 41.

[34]           Compte tenu de ces observations, il m’est impossible de conclure que ce rapport était si important pour une question au cœur de l’affaire que le fait qu’il n’a pas été mentionné et analysé justifie de conclure que la décision n’est pas compatible avec les aux éléments de preuve présentés.

IV.             CONCLUSION

[35]           En l’espèce, il s’agissait, essentiellement, d’une allégation de persécution découlant d’un différend relatif à la propriété de terres. Comme l’a souligné récemment le juge Harrington dans la décision Kenguruka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 895, au paragraphe 6, « la revendication de droits immobiliers n’est pas un motif pour fonder une demande d’asile selon la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés et l’article 96 de la LIPR [...] ».

[36]           La Commission a rejeté la revendication aux termes de l’article 97, car elle n’était pas convaincue que les demi‑frères posaient un risque sérieux de préjudice pour les demandeurs compte tenu de la protection offerte par l’État. Il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer cette conclusion compte tenu de l’ensemble de la preuve.

[37]           Pour ces motifs, la demande est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑8071‑13

INTITULÉ :

NANA JOY MOLEFE, KAGISO MOLEFE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 mars 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 12 mars 2015

COMPARUTIONS :

Johnson Babalola

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jocelyn Espejo Clarke

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Johnson Babalola

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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