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Date : 20150313


Dossier : IMM‑2499‑14

Référence : 2015 CF 309

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 13  mars 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

JOYCE NAKATO NAKAWUNDE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire contestant la décision défavorable rendue au sujet de la demande d’examen des risques avant renvoi (demande d’ERAR) présentée par Mme Nakawunde.

[2]               Pour les motifs ci‑dessous exposés, je considère que la décision en question est raisonnable et la présente demande doit, par conséquent, être rejetée.

Le contexte de l’affaire

[3]               La demanderesse est de citoyenneté ougandaise. Son fils de 22 ans, le père de la demanderesse ainsi que deux de ses sœurs vivent en Ouganda, et elle a en outre trois frères et sœurs qui sont citoyens canadiens.

[4]               La demanderesse est arrivée au Canada en janvier 1999, munie d’un visa d’étudiante valable jusqu’en juin 2004. On lui a accordé un deuxième visa d’étudiante, valable celuici de décembre 2004 jusqu’en octobre 2006. Elle n’a jamais déposé de demande d’asile.

[5]               En mai 2003, Mme Nakawunde a donné naissance, au Canada, à Sanyu, une petite fille. Le père de l’enfant est un Ougandais qui vivait au Canada à l’époque, mais qui est depuis retourné en Ouganda.

[6]               Depuis l’expiration de son visa en octobre 2006, Mme Nakawunde est demeurée au Canada sans obtenir d’autorisation écrite et sans rien faire pour régulariser sa situation. En mars 2011, le défendeur a remarqué son manque de statut et, le 1er juin 2011, une mesure de renvoi a été prise contre elle.

[7]               Le 15 juin 2011, Mme Nakawunde a demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR). Cet ERAR a été refusé le 11 juin 2012, et le 22 février 2013, elle a obtenu l’autorisation de solliciter le contrôle judiciaire de ce refus. Avec le consentement du défendeur, la demande d’ERAR a été renvoyée devant un autre agent.

[8]               Dans sa demande d’ERAR, Mme Nakawunde invoque deux risques qu’elle encourrait en rentrant en Ouganda :

1.      Le père de Sanyu entend soumettre Sanyu à la mutilation génitale des femmes [MGF], et a manifesté l’intention de tuer la demanderesse parce qu’elle s’y oppose;

2.      Mme Nakawunde est homosexuelle et elle craint la brutalité du père de Sanyu, du gouvernement ougandais et de la société ougandaise dans son ensemble.

[9]               Le 7 juin 2013, la demande d’ERAR a été rejetée une deuxième fois, l’agent chargé du dossier ayant conclu à l’insuffisance des preuves concernant les faits invoqués par la demanderesse quant aux risques auxquels elle serait exposée en Ouganda.

[10]           L’agent d’immigration n’a accordé que peu de poids à une lettre dans laquelle une sœur de la demanderesse affirme que le père de Sanyu a, à plusieurs reprises, menacé de faire assassiner Mme Nakawunde si elle refuse que Sanyu soit soumise à la MGF, la lettre n’étant pas signée, les déclarations qu’elle contient n’ayant pas été faites sous serment, les faits dont elle fait état n’étant pas corroborés et la lettre ellemême contenant peu de détails. L’agent d’immigration n’a pas accordé davantage de poids à une lettre dans laquelle le frère de Mme Nakawunde affirme que Mme Nakawunde est lesbienne, qu’elle lui a déclaré ne pas s’intéresser aux hommes, et que si elle a eu un enfant en 2003, c’était pour cacher son homosexualité afin de ne pas embarrasser sa famille. L’agent d’immigration a relevé que la lettre émanant du frère n’était, elle non plus, pas signée et contenait, elle aussi, peu de détails. Concernant les preuves soumises afin de démontrer l’orientation sexuelle de la demanderesse, l’agent d’immigration s’est exprimé en ces termes.

[traduction]
J’estime que les raisons avancées pour expliquer pourquoi la demanderesse avait décidé d’avoir un enfant sont purement conjecturales. Je considère que le fait que la demanderesse ait eu, par le passé, une relation hétérosexuelle est pertinent en l’occurrence, étant donné que cela est contraire à ce que la demanderesse affirme au sujet de son orientation sexuelle.
[Non souligné dans l’original.]

[11]           L’agent d’immigration n’a accordé aucun poids à une lettre émanant du conseiller de Mme Nakawunde décrivant les menaces proférées par le père de Sanyu, le traitement que la demanderesse subirait en Ouganda du fait qu’elle est lesbienne, et expliquant pourquoi la demanderesse n’est pas à même de fournir des preuves de son orientation sexuelle. Il n’a été tenu aucun compte de cette lettre, les renseignements fournis par le conseiller n’étant pas de première main.

[12]           L’agent d’immigration a examiné la lettre écrite par la demanderesse. Il n’a pas [traduction« exclu les faits avancés dans la lettre », mais a relevé que cette lettre n’émanait pas une source impartiale et qu’elle contenait [traduction« des déclarations qui n’ont pas été faites sous serment et ne sont corroborées par aucun élément de preuve indépendant ». Selon la demanderesse, en Ouganda, aucune loi ne protège les lesbiennes, et le seul fait d’être lesbienne constitue une infraction pénale punissable d’une peine d’emprisonnement, voire d’une condamnation à mort. En outre, les lesbiennes sont mises au ban de la société. Elle affirme craindre le père de Sanyu, car il l’a menacée tant ici qu’en Ouganda, il a harcelé et menacé ses sœurs, et il a brisé les fenêtres de la maison de son père. Après ce qu’il a fait à la maison du père de la demanderesse, le père de Sanyu a été arrêté, mais le pot‑de‑vin qu’il a versé à la police lui a permis d’éviter une accusation. L’agent d’immigration a noté que Mme Nakawunde n’a, au sujet de l’incident en cause, pu faire état d’aucun rapport de police, ni d’aucun élément objectif corroborant le fait que le père de Sanyu ait effectivement harcelé les sœurs de la demanderesse. Dans sa lettre, la demanderesse soutient par ailleurs qu’en Ouganda, les riches, tels que le père de Sanyu, peuvent impunément commettre des crimes grâce à leur argent et à leurs relations. Selon l’agent d’immigration, il s’agit là d’affirmations entièrement conjecturales que rien ne corrobore.

[13]           En ce qui concerne l’orientation sexuelle de Mme Nakawunde, l’agent d’immigration est parvenu à la conclusion suivante :

[traduction]

La demanderesse n’a pas décrit de manière suffisamment détaillée les événements de sa vie qui permettraient d’expliquer comment elle a découvert, comment elle a pris conscience de son orientation sexuelle. La demanderesse n’a produit aucune preuve documentaire attestant d’une relation, actuelle ou passée, avec une personne du même sexe.

[14]           L’agent d’immigration n’a guère accordé de poids à la lettre de Mme Nakawunde, estimant que cette lettre ne constituait pas [traduction] « en soi une preuve objective attestant les risques auxquels elle serait exposée de la part du père de sa fille ou de la société ougandaise en raison de son orientation sexuelle ».

[15]           En dernier lieu, l’agent d’immigration rejette les éléments de preuve fournis par la demanderesse au sujet des conditions qui règnent dans le pays en question, notamment, le rapport du Département d’État américain, estimant que ce rapport [traduction« est de caractère général, et qu’il ne permet d’établir aucun lien direct avec la situation personnelle de la demanderesse ». L’agent d’immigration a reconnu que l’Ouganda fait face actuellement à des problèmes en matière de droit de la personne, que la société de ce pays se montre intolérante et hostile envers les homosexuels, et que la police laisse faire. Selon un rapport du Home Office britannique, [traduction« les personnes LGBT font l’objet, de la part de la société dans son ensemble, de harcèlement, de discrimination, d’intimidation et de menaces à leur bien‑être », et que cela a, en plus, été exacerbé par l’adoption d’une loi antihomosexualité et les propos qui ont entouré son adoption. L’agent d’immigration a reconnu qu’en Ouganda les actes homosexuels sont réprimés, leurs auteurs étant passibles d’un emprisonnement à vie, soulignant cependant que personne n’a, à ce jour, été condamné.

[16]           Pour ce qui est de la demande prise dans son ensemble, l’agent d’immigration est parvenu à la conclusion suivante :

[traduction]

Dans mon examen de la présente demande au regard des motifs de protection regroupés, je ne conteste aucunement la crédibilité de la demanderesse quant à son orientation sexuelle. Il se peut très bien qu’elle soit effectivement homosexuelle. Cela dit, j’estime qu’elle n’a pas fourni assez d’éléments probants pour s’acquitter de la preuve qui lui incombe. Plus précisément, je considère que les éléments de preuve produits par la demanderesse ne démontrent pas, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle est bien homosexuelle, ce qui l’exposerait effectivement à des risques si elle retourne en Ouganda. [Non souligné dans l’original.]

[17]           Pour ces motifs, l’agent d’immigration a conclu que Mme Nakawunde ne répondait pas aux conditions prévues tant à l’article 96 qu’à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

Les questions en litige

[18]           La demanderesse formule en les termes suivants les questions en litige :

  1. L’agent d’immigration a‑t‑il manqué de prendre en compte les éléments de preuve dans leur intégralité?
  2. Le raisonnement de l’agent d’immigration concernant l’orientation sexuelle de la demanderesse manque‑t‑il de cohérence, ou l’agent est‑il parvenu à des conclusions dissimulées au sujet de la crédibilité de la demanderesse quant à son orientation sexuelle?
  3. En ne tenant pas d’audience, l’agent d’immigration a‑t‑il agi contrairement à l’obligation d’équité qu’il a envers la demanderesse?
  4. A‑t‑il enfreint le droit à la protection contre les traitements cruels, en imposant un choix cruel à la demanderesse?
  5. L’agent d’immigration a‑t‑il mal analysé le risque encouru par la demanderesse du fait de son refus d’imposer à son enfant une mutilation génitale?

Analyse

1.         Pondération des éléments de preuve pris dans leur intégralité

[19]           Mme Nakawunde reproche à l’agent d’immigration d’avoir rejeté chacun des éléments de preuve produits par elle, au motif qu’on ne pouvait guère leur accorder de poids, sans tenir compte de l’effet cumulatif de ces divers éléments. Il s’agit là, selon elle, d’une erreur qui rend la décision de l’agent déraisonnable : Ozen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 521, et Tolu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 334. Elle soutient qu’il existe, pour les décideurs, une obligation générale de tenir compte de l’accumulation des éléments de preuve, et que, ce faisant, les preuves documentaires doivent être prises en compte dans leur intégralité.

[20]           La lecture dans son ensemble de la décision concernant l’ERAR, dans le contexte des faits invoqués devant l’agent d’immigration, m’a persuadé que l’agent n’a pas fait une lecture fragmentaire des pièces qui lui étaient fournies. Au contraire, l’agent d’immigration a examiné chaque élément de preuve en évaluant sa force probante, et ce n’est qu’après cela qu’il a soupesé la preuve dans son ensemble avant de conclure que, selon la prépondérance des probabilités, elle ne démontrait pas le bienfondé des allégations formulées.

[21]           Selon la demanderesse, ce que l’agent d’immigration a dit du fait qu’il n’avait accordé que peu de poids aux divers éléments de preuve démontre qu’il n’a pas considéré la preuve dans son intégralité. Elle rappelle [TRADUCTION] « qu’une livre de plumes pèse autant qu’une livre de plomb ». Cette image ne tient pas compte du fait qu’une pile de plumes ne suffit pas nécessairement à faire pencher la balance du côté de la demanderesse. C’est la conclusion à laquelle est parvenu l’agent d’immigration dans le cadre de la décision en cause.

2.         L’orientation sexuelle

[22]           Selon Mme Nakawunde, l’évaluation que l’agent d’immigration a faite des éléments de preuve concernant le risque qu’elle encourrait du fait de son homosexualité manque de cohérence, étant donné que l’agent a à la fois conclu [TRADUCTION] « qu’il se peut bien que la demanderesse soit, effectivement, homosexuelle » et qu’elle n’a pas démontré qu’elle l’était en effet. La demanderesse cite à cet égard ma décision dans Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067 [Ferguson], affirmant que la Cour a exposé trois approches alternatives de la preuve (l’évaluation de la crédibilité, la pondération des éléments de preuve, ou bien un mélange des deux). La demanderesse fait valoir que dans la mesure où son affirmation de sa qualité de lesbienne constitue une information émanant de la partie principale (contrairement à ce qu’il en était dans Ferguson), aucune distinction ne devrait être faite entre le rejet d’un élément de preuve en raison de son manque de crédibilité, et son rejet pour manque de force probante. Selon elle, l’affaire en l’espèce diffère du jugement Ferguson, car la seule preuve de l’orientation sexuelle de la demanderesse dans Ferguson consistait en une affirmation en ce sens de la part de son conseil, l’agent d’immigration ne soulevant pas la question de la crédibilité et se prononçant uniquement au regard de la suffisance de la preuve. La demanderesse relève qu’en l’espèce, elle a ellemême témoigné et qu’en concluant qu’il se pouvait très bien qu’elle soit homosexuelle, l’agent d’immigration s’est en fait prononcé sur la question de sa crédibilité. D’après elle, le raisonnement de l’agent d’immigration n’a aucun sens, car s’il est disposé à présumer qu’elle est bien homosexuelle, il ne reste plus rien à établir.

[23]           Mme Nakawunde fait par ailleurs valoir que ce raisonnement dissimule une conclusion quant à sa crédibilité. Si l’agent d’immigration l’avait crue, il aurait probablement conclu, au vu de la preuve sur la situation du pays en question, que la demanderesse s’exposait effectivement à des risques. Elle soutient que l’agent d’immigration n’a tenu compte ni des éléments de preuve attestant qu’elle avait dit à sa famille immédiate qu’elle est lesbienne, que le père de Sanyu lui en veut d’être gaie, et qu’elle a sollicité l’aide d’une organisation canadienne de soutien aux lesbiennes, ni des preuves avancées par son conseiller démontrant [traduction« que de nombreuses lesbiennes ont des enfants dans le cadre d’une relation hétérosexuelle ». Bref, elle affirme que si la Cour ne s’arrête pas au simple libellé de la décision rendue par l’agent d’immigration, elle verra que, derrière ce libellé, se cache une conclusion quant à sa crédibilité.

[24]           Je suis d’accord avec le défendeur que la demanderesse conteste en fait en l’espèce l’évaluation que l’agent d’immigration a faite de la force probante de son témoignage concernant sa sexualité, que l’on ne relève, dans les motifs de l’agent, aucune incohérence, et que sa décision ne dissimule pas une conclusion quant à la crédibilité de la demanderesse.

[25]           Ainsi qu’il en a été décidé dans Ferguson, un agent peut, face aux éléments de preuve versés au dossier, soit procéder à une évaluation de la crédibilité, soit évaluer la force probante des éléments produits indépendamment de la question de la crédibilité. En l’espèce, l’agent a déclaré ne pas se prononcer sur la crédibilité de la demanderesse, mais simplement conclure au rejet des preuves avancées par elle au sujet de sa sexualité en raison de leur manque de force probante.

[26]           On pourrait à première vue voir une différence entre, par exemple, un agent qui conclut qu’un demandeur revendiquant son appartenance au Falun Gong n’est pas parvenu à établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il fait effectivement partie de ce mouvement, et le cas d’un agent qui conclut qu’un demandeur qui se dit homosexuel n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que c’est effectivement le cas. Peut‑être est‑ce en raison du caractère très personnel que revêt l’orientation sexuelle. Cela dit, et ainsi que le relève le défendeur, la Cour a, dans de nombreux cas, confirmé la décision d’un agent d’ERAR qui a conclu qu’un demandeur n’a pas fourni, au sujet de faits qui ne lui sont pas extérieurs, de preuves suffisantes : voir par exemple, Gao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 59, Ozomma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1167, Titfticki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 43, ainsi que Ferguson.

[27]           Malgré la lettre de son conseiller affirmant que de nombreuses lesbiennes ont des enfants dans le cadre d’une relation hétérosexuelle, d’après les preuves soumises à l’agent d’immigration, la demanderesse a, en l’occurrence, eu deux enfants – en Ouganda, un fils actuellement âgé de 22 ans, et au Canada, une fille qui a maintenant 11 ans. Aucun élément objectif ne confirme que la demanderesse aurait, en Ouganda ou au Canada, entretenu une relation lesbienne. Outre son propre témoignage et la lettre de son frère, qui n’était ni signée ni attestée sous serment (et à laquelle l’agent a accordé de poids), rien ne confirme son orientation sexuelle. Je considère qu’il était raisonnable pour l’agent d’immigration de conclure qu’elle n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle est effectivement lesbienne. Quant au fait que l’agent a admis [traduction« qu’il se peut bien qu’elle soit lesbienne », ce propos doit être interprété au regard de la décision prise dans son ensemble, l’agent d’immigration voulant manifestement dire [traduction« il se peut très bien qu’elle soit lesbienne, mais elle n’est pas parvenue à le démontrer ».

3.         La convocation d’une audience

[28]           L’article 113 de la Loi et l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002227 exige la tenue d’une audience lorsqu’est soulevée la question de la crédibilité. Ayant convenu avec le défendeur que la décision de l’agent d’immigration ne dissimule pas une conclusion quant à la crédibilité de la demanderesse, la tenue d’une audience n’était pas nécessaire.

4.         Le traitement cruel découlant de l’imposition d’un choix cruel

[29]           Mme Nakawunde soutient que l’agent d’immigration a eu tort de ne pas prendre en compte la question de savoir si son renvoi ne constituerait pas un traitement cruel et inusité dans la mesure où cela lui imposerait un [traduction« choix cruel » l’obligeant soit à emmener Sanyu avec elle en Ouganda, où elle risquerait de subir une MGF, soit à laisser Sanyu au Canada, et donc à se séparer de son enfant. Elle fait valoir que le préjudice découlant du choix qui lui serait ainsi imposé relève de l’article 97 et que le fait d’imposer un choix aussi cruel est en soi une cruauté qui va lui causer un préjudice psychologique.

[30]           Je conviens avec le défendeur qu’il ne s’agit pas là d’un des risques éventuels envisagés à l’article 97 de la Loi; ce type de considération relève plutôt d’une demande d’exemption pour des motifs d’ordre humanitaire, telle que prévue dans la Loi. L’agent d’ERAR a pour rôle d’évaluer les risques encourus, non de prendre en compte diverses autres considérations. Quoi qu’il en soit, aucune preuve médicale objective ne démontre que le fait d’être séparée de Sanyu causera un préjudice allant audelà des difficultés découlant normalement de la séparation familiale qu’entraîne naturellement le renvoi. Ajoutons que, comme le fait valoir le défendeur, cette séparation n’aurait rien de permanent dans la mesure où un an après son renvoi, la demanderesse pourra revenir au Canada sans avoir à obtenir une autorisation écrite.

5.         Le risque encouru par la demanderesse du fait qu’elle refuse de faire subir à son enfant une MGF

[31]           Mme Nakawunde fait valoir que l’agent d’immigration n’a pas évalué le risque auquel la demanderesse est exposée de la part du père de Sanyu du fait qu’elle refuse que Sanyu subisse une MGF. Elle affirme qu’elle encourt ce risque que Sanyu aille ou non vivre en Ouganda, car laisser Sanyu au Canada, c’est refuser de lui faire subir une MGF. Elle soutient qu’en concluant que le risque auquel elle est exposée de la part du père de Sanyu [traduction« n’est confirmé par aucun élément de preuve », l’agent d’immigration n’a tenu aucun compte du témoignage qu’elle a livré.

[32]           Le défendeur relève que les conclusions auxquels l’agent d’immigration est parvenu sur ce point [traduction« ne sont pas formulées avec la clarté à laquelle serait tenu un tribunal constitué de manière plus formelle », mais fait valoir que les conclusions de l’agent sont suffisamment claires pour permettre à la Cour de comprendre que les preuves présentées par la demanderesse ne suffisent pas à établir que le père de Sanyu l’avait effectivement menacée et harcelée, elle et sa famille. Il soutient par conséquent qu’en se disant non persuadé que la demanderesse est exposée à un risque de la part du père de Sanyu, l’agent d’immigration tire une conclusion qui fait partie des issues possibles acceptables.

[33]           Je conviens avec la demanderesse que, sur ce point, l’agent d’immigration ne parvient pas à une conclusion explicite, mais il ressort clairement de ses motifs pris dans leur ensemble, et de sa pondération des divers éléments de preuve, qu’il a estimé que les preuves produites ne suffisent pas à démontrer l’existence effective du risque en question.

Questions certifiées

[34]           La demanderesse a proposé trois questions à certifier :

1.      L’alinéa 97(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés englobe‑t‑il le préjudice découlant du fait d’obliger un parent faisant l’objet d’une mesure de renvoi de choisir entre laisser son enfant au Canada et l’exposer à des risques en l’emmenant dans le pays auquel le parent est renvoyé?

2.      L’alinéa 97(1)b) s’applique‑t‑il uniquement à la personne visée par une mesure de renvoi, ou englobe‑t‑il le préjudice que la mesure de renvoi pourrait causer au Canada même à la personne en cause?

3.      L’obligation de tenir compte de la preuve dans son intégralité se limite‑t‑elle à l’examen des preuves de harcèlement et de discrimination, ou s’applique‑t‑elle aux preuves concernant toute question quelle qu’elle soit?

[35]           Je conviens avec le défendeur que les questions 1 et 2 ne sont pas des questions graves étant donné qu’il découle clairement, tant de la Loi que de la jurisprudence, que l’alinéa 97(1)b) n’envisage que le préjudice ou le risque encouru dans le pays visé dans la mesure de renvoi et non au Canada.

[36]           Je conviens également avec le défendeur que la question 3 ne saurait être certifiée. Ainsi que la demanderesse l’affirme, il est de droit constant que la preuve concernant une question de fait doit être examinée dans son ensemble. Quoi qu’il en soit, j’estime que c’est bien ce que l’agent d’immigration a fait en l’espèce, et aux fins du recours introduit à l’encontre de la décision en cause, la question ne revêt donc pas un caractère décisif.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2499‑14

 

INTITULÉ :

JOYCE NAKATO NAKAWUNDE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JANVIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

David Matas

POUR LA DEMANDERESSE

Nalini Reddy

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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