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Date : 20150323


Dossier : IMM-1102-14

Référence : 2015 CF 365

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2015

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

RENXIAN MENG ET HONGHUI LIAO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision, datée du 3 février 2014, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté les demandes d’asile de Renxian Meng et de son épouse Honghui Liao (les demandeurs), parce que leur version des faits manquait de crédibilité. Ils ont prétendu que l’église chrétienne clandestine qu’ils fréquentaient en Chine avait fait l’objet d’une descente pendant qu’ils étaient en visite chez la sœur de Honghui au Canada et qu’ils ne peuvent pas rentrer au pays, parce que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) les arrêtera et les détiendra pour des motifs liés à leurs pratiques religieuses.

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente demande sera rejetée.

I.                   Les faits

[3]               Renxian et son épouse Honghui sont des citoyens de la Chine. Ils vivaient avec leur fils à Chengdu, dans la province du Sichuan. Ils allèguent que, en 2009, ils ont connu des difficultés matrimoniales et que Honghui a souffert de symptômes liés à la ménopause.

[4]               Renxian allègue que, en juin 2009, son ami Ding Yuan lui a rendu visite et qu’il lui avait parlé du christianisme et avait expliqué comment cette nouvelle religion, ainsi que le soutien de ses adeptes, pourraient l’aider à surmonter ses difficultés personnelles. Ding Yuan fréquentait une église clandestine et il a expliqué à Renxian que les églises autorisées étaient contrôlées par le parti communiste et n’étaient pas de [traduction] « véritables maisons de Dieu ». On lui a dit que des précautions avaient été prises et que l’église en question n’avait jamais eu de problèmes avec les autorités auparavant. Renxian affirme qu’il est allé à l’église clandestine pour la première fois le 21 juin 2009 et qu’il assistait assidûment aux offices toutes les semaines. Les offices l’ont aidé à acquérir une attitude plus positive, et, en septembre 2009, il a persuadé son épouse d’y assister également. Ils ont, paraît‑il, été baptisés tous les deux le 28 mars 2010.

[5]               Le 12 mars 2011, Renxian et Honghui sont venus au Canada, munis de visas de visiteur, pour rendre visite à la sœur de Honghui. Ils ont commencé à fréquenter l’église Living Stone Assembly, à Scarborough, et, le 16 juillet 2011, ils ont été baptisés une autre fois et ont obtenu cette foi-ci leurs actes de baptême. Leurs visas de visiteur venaient à échéance le 14 juillet 2011, mais la sœur de Honghui les a invités à rester trois autres mois; ils affirment avoir fait prolonger leurs visas jusqu’en septembre 2011.

[6]               Les demandeurs affirment que, le 17 août 2011, ils ont reçu un appel de leur fils qui les a informés que des représentants du BSP étaient venus à la maison pour s’enquérir d’eux et que ces derniers lui avaient dit que l’église clandestine qu’ils fréquentaient avait fait l’objet d’une descente et que plusieurs des membres de l’église avaient été arrêtés. Ils prétendent que le BSP les accusait de faire partie d’une religion illégale clandestine. À l’audience, Renxian a affirmé que leur fils leur avait dit que le BSP continuait de lui rendre visite tous les quatre ou cinq mois pour s’enquérir d’eux.

[7]               Les demandeurs ont présenté une demande d’asile le 20 septembre 2011.

II.                La décision contestée

[8]               La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas dignes de foi de façon générale, en raison d’une accumulation de doutes concernant leur crédibilité.

[9]               Premièrement, la Commission a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité à partir du fait que les demandeurs n’ont produit aucun document, comme une assignation ou un mandat d’arrestation, à l’appui de leur allégation selon laquelle le BSP voulait les arrêter. La Commission était d’avis que, même si la preuve documentaire était mitigée quant à cette question, il était raisonnable de présumer, compte tenu de selon l’allégation des demandeurs selon laquelle d’autres membres de l’église avaient été arrêtés et que les autorités avaient continué de chercher les demandeurs pendant plus de deux ans, qu’un une assignation ou un mandat d’arrestation aurait été émis contre eux et remis à leur fils. La Commission a aussi tiré une inférence défavorable à partir du fait que le fils des demandeurs n’avait pas eu de problèmes graves avec le BSP et elle était d’avis que l’inaction du BSP ne concordait pas avec la preuve documentaire sur les méthodes qu’il emploie. Selon la Commission, le témoignage de Renxian à cet égard était invraisemblable et ternissait sa crédibilité. Enfin, la Commission a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité à partir du fait qu’ils n’ont rien fait pour obtenir des renseignements sur les autres membres de l’église qui auraient été arrêtés et des documents concernant leur arrestation, ainsi que les peines auxquelles ils auraient été condamnés et leur détention. En ce qui a trait au fait que Renxian n’a pas demandé à son fils d’obtenir des renseignements concernant les autres membres de l’église après les arrestations, parce qu’il n’aurait pas su où trouver ces renseignements et qu’il travaillait tous les jours, la Commission a jugé cette explication insatisfaisante.

[10]           Deuxièmement, la Commission a souligné que le moment où a eu lieu la descente était douteux, compte tenu de la visite des demandeurs au Canada, de la prolongation de leur séjour et de l’insuffisance de la preuve montrant que Renxian avait un emploi qui l’attendait en Chine, particulièrement dans un contexte où les demandeurs ont allégué que l’église n’avait eu aucun problème depuis six ans. La Commission était d’avis qu’ils avaient tardé à présenter leur demande d’asile, en vue de devenir membres d’une église canadienne pour ainsi donner plus de poids à leur demande d’asile.

[11]           Troisièmement, la Commission a conclu que la preuve documentaire amenait à mettre en doute, au lieu de permettre d’établir, qu’ils résidaient à Chengdu, dans la province du Sichuan, à l’époque où ils y auraient fréquenté l’église clandestine. Elle a fait remarquer que l’adresse inscrite sur la carte de résidence des demandeurs était différente de celle qui était inscrite sur leur Formulaire de renseignements personnels, que la section relative à l’emploi sur leurs cartes n’avait pas été remplie, et ce, même si la documentation portant sur la situation en Chine indique qu’il s’agit d’une obligation, et que la provenance de ces documents ne pouvait être attestée, étant donné que ceux-ci ont été apportés au Canada par un ami après l’arrivée des demandeurs au Canada. La Commission, qui a relevé que la documentation portant sur la situation en Chine faisait état du fait que la falsification de documents y était monnaie courante, a conclu que les cartes de résidence étaient probablement frauduleuses et que celles-ci ne permettaient pas d’établir leur résidence lors de la période en question. La Commission était aussi d’avis que les dossiers médicaux de Honghui étaient probablement frauduleux, parce qu’ils ne comportaient aucun élément de sécurité et qu’ils faisaient état de ses problèmes de ménopause, et non des maux d’estomac dont elle dit avoir souffert en 2008, et parce qu’elle a changé son témoignage concernant la raison pour laquelle il n’était pas fait mention de ses maux d’estomac. La Commission a jugé que ces documents ne pouvaient être invoqués pour établir la résidence des demandeurs.

[12]           Quatrièmement, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective, parce qu’ils n’avaient pas demandé l’asile dès leur arrivée au Canada. Elle a souligné qu’elle leur avait demandé pourquoi, s’ils étaient des chrétiens pratiquant dans une église clandestine en Chine, ils n’avaient pas demandé l’asile à leur arrivée en mars 2011. Renxian a expliqué que, même s’ils savaient que c’était illégal, ils croyaient qu’ils s’exposaient seulement à une amende ou à un avertissement s’ils se faisaient prendre et que ce n’est qu’en août 2011, après la descente, qu’ils se sont rendu compte de l’ampleur du risque auquel ils s’exposaient. La Commission a jugé cette explication insatisfaisante, en faisant remarquer qu’il était très improbable qu’un couple dans la cinquantaine qui avait vécu dans plusieurs grandes villes en Chine et qui avait fréquenté une église chrétienne clandestine en Chine pendant deux ans et une église au Canada ne soit pas au courant des mesures de répression sévères prises à l’endroit des maisons églises en Chine. La Commission a conclu que le fait qu’ils aient attendu cinq mois après leur arrivée au Canada pour demander l’asile minait leur crédibilité et démontrait l’absence de crainte subjective.

[13]           Après avoir conclu que l’église des demandeurs ne présentait pas d’intérêt pour le BSP et que celui‑ci ne s’intéressait pas non plus aux demandeurs, la Commission s’est dite d’avis, en s’appuyant sur ses conclusions relatives à la crédibilité et sur inférences défavorables qu’elle avait tirées, que l’allégation des demandeurs suivant laquelle ils étaient des chrétiens pratiquants en Chine n’était pas crédible et qu’elle avait uniquement pour but d’appuyer une demande frauduleuse. Compte tenu de cela et du fait qu’il n’y avait aucune preuve de conversion au Canada, la Commission a aussi conclu que les demandeurs se sont intégrés à une église chrétienne au Canada seulement dans le but de soutenir leur demande d’asile frauduleuse. Ainsi, elle a accordé peu d’importance à la lettre d’appui de leur pasteur au Canada, à leurs actes de baptême et leurs photos et elle a relevé qu’ils avaient fait état de leur participation, mais qu’ils n’avaient pas établi leurs motivations.

[14]           En conclusion, la Commission a fait remarquer que, même si chacun de ces doutes concernant leur crédibilité pouvait ne pas être déterminant si on les considérait séparément, leur effet cumulatif était suffisant pour miner leur crédibilité. Elle a conclu que les demandeurs n’étaient pas des chrétiens pratiquants en Chine, que le BSP ne les recherchait pas et qu’ils n’étaient pas de véritables chrétiens en ce moment. La Commission a aussi noté que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils seraient exposés à un risque de torture ou à une menace pour leur vie ou pour leur sécurité au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

III.             La question en litige

[15]           La seule question en litige à trancher en l’espèce est celle de savoir si les conclusions de la Commission concernant la crédibilité sont raisonnables.

IV.             Analyse

[16]           Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la crédibilité est la norme de la raisonnabilité : voir Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, au paragraphe 4; Tomic c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 126, au paragraphe 21.

[17]           Les demandeurs ont d’abord soutenu que la conclusion de la Commission concernant l’absence d’une assignation et d’un mandat d’arrestation était entachée de deux vices graves. L’avocat des demandeurs a prétendu en premier lieu que la preuve documentaire à laquelle la Commission avait fait référence et sur laquelle elle s’était appuyée était un rapport d’information sur le pays préparé par l’agence des services frontaliers du Royaume-Uni à partir d’un document inclus dans le cartable national de documentation de la Commission de juin 2004, lequel a été retiré du cartable en octobre 2012. De plus, les demandeurs affirment que le rapport indique que, bien qu’il soit courant que le BSP laisse une assignation à un membre de la famille, il ne s’agit pas de la procédure habituelle dans les faits et que la façon de faire peut varier d’une région à l’autre. Les demandeurs avancent qu’il est déraisonnable de tirer une inférence défavorable en raison de l’absence de mandat d’arrestation, lorsque les documents traitant de la situation au pays font état de cette possibilité.

[18]           Je conviens avec l’avocat des demandeurs qu’il était inapproprié pour la Commission de faire référence indirectement (à partir d’un document de l’agence des services frontaliers du Royaume‑Uni) à un document qui avait déjà été inclus dans son propre cartable national de documentation, mais qui en avait été retiré avant l’audience. Je conviens également avec les demandeurs que la conclusion de la Commission selon laquelle il était raisonnable de s’attendre à ce qu’une assignation et un mandat d’arrestation par la suite, soient laissés au fils des demandeurs a été tirée sans un examen approprié de la preuve. D’ailleurs, le rapport émanant du Royaume-Uni révèle que la procédure appropriée pour l’émission d’une assignation consiste à la remettre en personne, quoique, dans les faits, ces documents sont souvent remis à des membres de la famille. Des conclusions d’invraisemblance ne peuvent être tirées que dans les « cas les plus évidents » (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7) et, lorsque les documents concernant la situation au pays indiquent que la version des demandeurs fait partie des possibilités, ce n’est pas suffisant pour étayer une conclusion d’invraisemblance.

[19]           Cela dit, la Commission a ensuite traité du fait que les demandeurs n’avaient pas fait d’efforts pour obtenir des copies d’une assignation ou d’un mandat d’arrestation, ou tout autre renseignement sur les autres membres de l’église qui avaient été arrêtés en 2011. Le formulaire d’examen initial indique que les demandeurs doivent obtenir certains documents, notamment les assignations ou les mandats d’arrestation. Lorsque la Commission leur a demandé s’ils avaient demandé à leur fils d’obtenir ces documents et ces renseignements, les demandeurs ont répondu qu’ils ne l’avaient pas fait, parce que [traduction] « [...] même s’il devait aller voir les autorités, il ne saurait pas à quel service se présenter. Et mon fils doit travailler tous les jours » (dossier du tribunal, p. 973). À mon avis, il était raisonnable que la Commission tire une conclusion défavorable de cette explication, car celle-ci était insuffisante pour justifier qu’ils n’avaient même pas essayé d’obtenir des documents pertinents, comme l’exigeait la Commission.

[20]           En ce qui a trait aux problèmes que doit affronter leur fils, les demandeurs font valoir que la conclusion de la Commission est entièrement hypothétique, car la preuve ne corrobore pas la conclusion selon laquelle le BSP se montrerait agressif envers un membre de la famille d’un présumé chrétien. Sur ce point, je suis d’accord avec les demandeurs. Même s’ils signalent des cas importants de harcèlement, d’arrestation et de détention de membres d’églises protestantes non enregistrées, les deux rapports cités concernant ce pays ne font pas état de harcèlement de membres de la famille non-pratiquants comme forme de coercition. Certes, le rapport du département d’État des États‑Unis sur la liberté de religion dans le monde révèle que seuls les parents des [traduction] « leaders religieux » et ceux de certains [traduction] « défendeurs de la liberté de religion » faisaient l’objet de mesures agressives de la part du BSP. Dans la même veine, le rapport annuel de 2013 de la commission américaine sur la liberté dans le monde fait état d’un seul incident, soit celui où des membres de la famille d’un activiste ouïgour des droits de la personne et de la liberté de religion ont fait l’objet de mauvais traitements de la part du BSP. Toutefois, aucun traitement du genre n’a été signalé pour les membres des familles de simples chrétiens pratiquants. Par conséquent, cet aspect du raisonnement de la Commission ne s’appuie pas sur la preuve.

[21]           En ce qui a trait à la coïncidence du moment de la descente, les demandeurs affirment que cette conclusion est illogique et hypothétique. Ils soulignent qu’ils ont demandé l’asile seulement en août 2011, parce que c’est à ce moment‑là que la descente a eu lieu, et qu’il n’y a rien d’invraisemblable au sujet du fait qu’il y a eu une descente à l’église ou du moment où cette descente a eu lieu. Ils allèguent que le fait qu’ils aient fréquenté une église à leur arrivée au Canada montre simplement qu’ils sont des chrétiens pieux et que cela n’aurait pas dû entraîner une inférence défavorable quant à la crédibilité. Ils ont fait remarquer que l’affirmation implicite de la Commission selon laquelle le moment était douteux parce qu’ils n’avaient pas d’emploi là‑bas est déraisonnable et rendrait les demandeurs d’asile provenant de pays moins fortunés non crédibles. D’une manière générale, ils affirment que la Commission n’a pas appliqué la présomption de véracité à leur témoignage.

[22]           À mon avis, la remarque de la Commission selon laquelle la descente alléguée constitue une « coïncidence extraordinaire » pour le moins douteuse n’est pas déraisonnable, compte tenu de la preuve, notamment du fait que les demandeurs étaient en visite chez leur sœur au Canada et que leurs visas de visiteur étaient sur le point d’expirer. Même si je conviens avec les demandeurs qu’il n’y a rien d’invraisemblable en soi à ce qu’une descente se produise à leur église pendant qu’ils étaient à l’étranger, il y a tout de même un certain nombre d’aspects douteux quant aux aspects temporels de leur récit.

[23]           À titre d’exemple, la Commission a relevé que les demandeurs ont commencé à fréquenter l’église Living Stone Water Assembly peu de temps après leur arrivée au Canada et qu’ils ont été baptisés le 16 juillet 2011. Même si je suis d’avis que leur fréquentation de l’église ne pose aucun problème, pour quelle raison les demandeurs ont‑ils été baptisés une seconde fois en juillet 2011 si leur intention, à ce moment‑là, était de retourner en Chine dès l’expiration de leur visa un mois plus tard? Il n’y a aucune raison théologique pour expliquer un second baptême, et un acte de baptême serait un document dangereux à apporter avec eux en retournant en Chine. Il semble raisonnable de soupçonner, compte tenu du moment où sont survenus les faits, que les demandeurs ont planifié leur demande d’asile avant la descente qui aurait eu lieu en août 2011.

[24]           De plus, même si je conviens que le fait de ne pas avoir d’emploi dans son pays d’origine ne devrait pas généralement être une raison pour douter des motivations d’un demandeur d’asile, il semble cependant étrange que M. Meng n’ait eu aucune difficulté à obtenir un congé de six mois au total juste pour venir visiter le Canada et sa belle‑sœur. Il n’a présenté aucune preuve objective à l’appui de l’allégation selon laquelle il avait encore un emploi et que son employeur avait accepté de prolonger son congé pour six mois. À mon avis, il était raisonnable de souligner que cela jetait un doute sur les motivations des demandeurs pour visiter le Canada et pour prolonger leur visite, ainsi que sur leur crédibilité de façon générale. D’ailleurs, la Commission a fait part de cette coïncidence à Renxian à l’audience, mais la réponse de ce dernier était vague. Dans ces circonstances, il était raisonnable pour la Commission de soupçonner que le moment auquel la descente alléguée se serait produite donnait à penser que les demandeurs avaient toujours voulu présenter une demande d’asile et qu’ils avaient attendu de faire partie d’une église à Toronto avant de la présenter.

[25]           En ce qui a trait à la présentation tardive de la demande, les demandeurs allèguent qu’ils ont toujours affirmé dans leurs témoignages qu’ils avaient demandé l’asile après la descente à leur église et que, avant cette descente, ils s’attendaient uniquement à se voir imposer une amende ou donner un avertissement si leurs activités étaient découvertes. Ils soutiennent que la conclusion de la Commission selon laquelle ils avaient connaissance de ces risques n’est que conjecture. Je ne peux souscrire à l’allégation des demandeurs. Je ne trouve rien de déraisonnable ou d’hypothétique dans ce raisonnement et je suis d’avis que le témoignage des demandeurs – conjugué aux problèmes mentionnés précédemment quant au moment où sont survenus les faits – porte à croire qu’ils ont attendu de faire partie d’une église au Canada et de constituer de la preuve pour leur demande avant de présenter leur demande d’asile. Même si les demandeurs affirment qu’il n’y a rien d’invraisemblable dans le fait de présenter une demande d’asile après un grave incident de persécution, comme une descente dans une église, c’est plutôt leur explication concernant cette présentation tardive qui jette un doute sur leur crédibilité. Après avoir témoigné qu’ils assistaient à des offices religieux dans des résidences privées et que des personnes faisaient le guet lors de chaque office pour éviter les autorités, les demandeurs devaient être au courant des graves conséquences possibles pour les membres des églises clandestines en Chine. S’affirmer disposé à tolérer une certaine répression jusqu’à ce qu’un incident grave se produise est une chose; feindre l’ignorance des conséquences de ses actes en est une tout autre. Si les demandeurs étaient véritablement membres d’une église clandestine, qui était cachée aux autorités, il n’était pas déraisonnable de présumer qu’ils auraient déployé des efforts pour demander l’asile sans tarder. Même si elle n’était pas déterminante, la présentation tardive de la demande d’asile constituait un fondement à partir duquel la Commission pouvait scruter la crédibilité de la demande.

[26]           Enfin, les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur en ne conduisant pas une évaluation indépendante pour établir si – indépendamment de leurs motivations pour commencer à pratiquer – ils étaient de véritables chrétiens au moment de l’audience. Ils prétendent que les motifs de la Commission n’indiquent pas qu’elle a tenu compte de la preuve de Renxian concernant l’authenticité de ses croyances, de ses connaissances et de sa pratique de la religion et que, par conséquent, elle n’avait pas examiné la demande d’asile sous l’angle de la qualité de réfugié sur place. Les demandeurs soutiennent également que la Commission aurait dû faire une évaluation indépendante de l’identité religieuse de Honghui.

[27]           Je conviens que la jurisprudence exige que la Commission ne tienne pas uniquement compte de l’intention frauduleuse initiale et qu’elle considère la totalité de la preuve concernant les pratiques religieuses des demandeurs : Hou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 993; Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1067; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 749. Or, c’est précisément ce que la Commission a fait aux paragraphes 51 à 55 de sa décision. Elle a examiné tous les éléments de preuve pertinents en ce qui a trait aux pratiques religieuses des demandeurs au Canada et elle a conclu que ceux-ci avaient peu de poids et qu’ils ne corroboraient pas l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils étaient devenus de véritables chrétiens. L’insuffisance de la preuve d’une véritable conversion au Canada, combinée à la conclusion selon laquelle les demandeurs n’étaient pas des chrétiens en Chine, a permis à la Commission de conclure à juste titre que les demandeurs ne sont pas de véritables chrétiens. Dans ces circonstances, il n’y avait pas lieu pour la Commission de procéder à une analyse distincte de l’identité religieuse de l’épouse, puisque la preuve présentée en ce qui a trait à ses pratiques religieuses est essentiellement la même que celle de son mari.

[28]           La Commission savait qu’aucun des doutes qu’elle a soulevés n’était suffisant séparément pour rejeter la demande d’asile. C’est l’effet cumulé de tous ces doutes qui a été jugé fatal au bout du compte.

[29]           La version des faits des demandeurs reposait sur une allégation bien précise, à savoir qu’ils faisaient partie d’une église clandestine à Chengdu, dans la province du Sichuan, église qui avait fait l’objet d’une descente par le BSP le ou vers le 17 août 2011, et que plusieurs membres de leur église avaient été arrêtés ce jour‑là. Pour obtenir gain de cause, ils devaient établir ces faits selon la prépondérance des probabilités; ils n’y sont pas arrivés, parce qu’ils n’ont pas présenté d’éléments de preuve corroborants.

[30]           Les demandeurs ne pouvaient établir les faits pertinents au moyen de leur propre témoignage, puisqu’ils n’étaient pas en Chine au moment où ces faits se sont produits. Ils se sont appuyés sur le double ouï‑dire de leur fils, qui n’a pu fournir aucun élément de preuve documentaire à l’appui de la version des faits des demandeurs. Ils ont voulu présenter une preuve sur la situation au pays pour combler cette lacune, mais la preuve documentaire complète dont la Commission disposait ne faisait pas état de pareille descente à Chengdu au mois d’août 2011 ou vers cette période. Dans ces circonstances, et à la lumière des nombreuses invraisemblances et lacunes dans le témoignage des demandeurs, il était loisible à la Commission de considérer que la présomption de véracité avait été réfutée.

V.                Conclusion

[31]           La décision de la Commission n’est pas sans faille. Lorsqu’elle est examinée dans sa totalité, je suis néanmoins d’avis que la Commission a relevé un certain nombre de doutes qui, cumulativement, étaient raisonnables et suffisants pour corroborer sa décision définitive. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1102-14

 

INTITULÉ :

RENXIAN MENG et HONGHUI LIAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 17 mars 2015

 

JUgeMENT et motifs :

le juge DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 marS 2015

 

COMPARUTIONS :

Jayson Thomas

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Christopher Ezrin

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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