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Date : 20150227


Dossier : T-1097-13

Référence : 2015 CF 257

Ottawa (Ontario), le 27 février 2015

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

AIRBUS HELICOPTERS CANADA LIMITED

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX

et

BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LTD.

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Airbus Helicopters Canada Limited [Airbus] conteste le processus d’octroi de contrat mené au nom du Gouvernement du Canada par le ministre des Travaux publics et services gouvernementaux [TPSG] qui s’est conclu par l’achat d’hélicoptères de transport léger en vue du remplacement de la flotte vieillissante utilisée par la Garde côtière canadienne [GCC].

[2]               Le contrat a été éventuellement octroyé à Bell Helicopter Textron Canada Ltd [Bell] le 9 mai 2014 (affidavit de Sandra Howell, 19 septembre 2014). De fait, Airbus a choisi de ne pas soumissionner quant à l’appel d’offres qui aura été fait par TPSG, à la suite d’un processus de consultation avec l’industrie, le 3 avril 2013. Airbus aura participé au processus menant à l’appel d’offres. Il n’y aura eu qu’un seul soumissionnaire, Bell, ayant répondu à la demande de propositions No. F7013-120014/C dont la date de clôture était le 4 juin 2013.

[3]               Le contrat est pour l’achat de 15 hélicoptères et sa valeur pourrait atteindre 172 millions de dollars, selon le communiqué de presse publié lors de l’annonce de l’octroi du contrat le 12 mai 2014.

[4]               Une chronologie écourtée pourra aider à situer les étapes du processus suivi pour octroyer le contrat :

mars 2012 :                 budget fédéral

17 août 2012 :            lettre aux possibles intéressés de l’industrie leur permettant de montrer un intérêt pour le projet

29 août 2012 :            première réaction d’Airbus

4 septembre 2012 :     journée de rencontre avec l’industrie

6 septembre 2012 :     première journée en tête-à-tête avec Airbus

15 novembre 2012 :    deuxième journée en tête-à-tête avec Airbus

11 janvier 2012 :         lettre d’Airbus précisant, entre autres, les « Detailed Mission Requirements » qu’elle veut recevoir

6 février 2013 :           troisième journée en tête-à-tête avec Airbus; Airbus déclare se retirer

13 février 2013 :         réponse de TPSG

4 mars 2013 :              quatrième journée en tête-à-tête avec Airbus

18 mars 2013 :            autre lettre d’Airbus relative aux « Detailed Mission Requirements »

3 avril 2013 :              ouverture de la période de soumissions : demande de propositions

4 juin 2013 :               fermeture de la période de soumissions

9 mai 2014 :                contrat octroyé

[5]               Il s’agit donc d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7 présentée par Airbus attaquant le processus ayant mené à la demande de propositions qui est conclue par le contrat octroyé en mai 2014. De toute évidence, puisqu’Airbus n’a pas présenté de soumission, ce ne peut être la demande de propositions elle-même qui est attaquée, mais le refus de TPSG de reconsidérer et modifier certaines des exigences techniques qui se sont retrouvées dans ladite demande de propositions. Aux dires d’Airbus, les demandes de changements ont été refusées malgré ses prétentions, souventes fois répétées, que les exigences étaient taillées sur mesure en faveur de Bell. On parle donc de ce qui s’est produit en amont de la demande de propositions, pas en aval de celle-ci.

II.                Les parties

[6]               Tant Airbus (Eurocopter au temps où le processus d’acquisition a été enclenché) que Bell sont bien connus dans l’industrie aérospatiale. Plus particulièrement, ils manufacturent des hélicoptères et sont des concurrents. Dans ce marché, il y a d’autres concurrents, mais ils ne sont pas nombreux. Outre les deux protagonistes dans notre affaire, il y aurait trois autres concurrents sérieux. En fait, les cinq joueurs principaux, et d’autres intéressés, ont répondu à une lettre d’intérêt, mais seulement trois ont poursuivi cet intérêt, dont Airbus et Bell, bien sûr. Ultimement, Bell sera le seul constructeur à soumissionner.

[7]               Airbus et Bell sont des filiales canadiennes d’entreprises ayant leur siège social à l’extérieur du Canada. Quant au Gouvernement du Canada, c’est TPSG qui a le mandat de mener l’octroi de marchés en vertu de sa loi constitutive (Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, LC 1996, ch 16) puisque « le ministre peut, pour le compte du gouvernement canadien, passer des marchés pour la réalisation de tout ce qui relève de sa compétence » (article 20). Par ailleurs, les hélicoptères étant pour le renouvellement de la flotte d’hélicoptères de la GCC, le ministère des Pêches et Océans (la GCC est une entité au sein du Ministère et le ministre responsable en est le ministre des Pêches et Océans; Loi sur les océans, LC 1996, ch 31, article 41) était partie prenante au processus d’acquisition. Enfin, le ministère des Transports était aussi impliqué puisqu’il est chargé d’opérer la flotte d’hélicoptères de la GCC (affidavit de R. Wight). Comme on le verra, d’autres ministères ont aussi été mis à contribution.

[8]               C’est ainsi qu’un groupe dit « d’usagers » (« Users group ») a été formé une fois que le Gouvernement du Canada a annoncé lors du budget fédéral de mars 2012 que des sommes étaient mises de côté pour faire l’achat d’hélicoptères. Ce groupe était composé de fonctionnaires provenant de différents groupes au sein de la GCC et du ministère des Transports. Cependant, c’est TPSG qui devait gérer le processus d’acquisition avec la GCC qui devait prendre charge de définir les exigences techniques puisqu’elle connaîtrait les besoins opérationnels divers. C’est de ce groupe que la première ébauche des exigences techniques a émané. Ainsi, c’est à partir de ce document que les consultations ont été menées; il a fait l’objet de changements au cours des mois. Ce document sera à la base du projet de demande de propositions (« draft request for proposals ») qui sera complété après la deuxième série de rencontres en tête-à-tête avec les entreprises intéressées. On comprendra que ledit document aura été préparé entre la fin novembre 2012 et le début janvier 2013. Je reviendrai sur la structure de gouvernance du projet d’acquisition.

[9]               Puisque cette affaire n’en est pas vraiment une où le droit prédomine, il est nécessaire de revoir les faits de manière assez détaillée. Le fardeau sur les épaules de la demanderesse devait être déchargé pour qu’elle ait gain de cause. Les défendeurs, quant à eux, prétendent non seulement que le fardeau n’a pas été déchargé, mais ils arguent que leur preuve est claire et la thèse de la demanderesse est réfutée.

III.             La théorie de la cause et la preuve de la demanderesse

[10]           Airbus met de l’avant une théorie de la cause qui est, au final, plutôt simple. La demanderesse plaide que la demande de propositions qui a émané des consultations menées par les représentants gouvernementaux était taillée sur mesure pour que Bell l’emporte. Airbus prétend que les exigences techniques étaient taillées en fonction des spécifications de l’appareil offert par Bell (le Bell 429). Airbus va jusqu’à soutenir dans son mémoire des faits et du droit que

... malgré les apparences d’un processus d’appel de propositions concurrentiel impartial, équitable, ouvert et transparent, le Gouvernement du Canada avait décidé, dès le départ d’octroyer le contrat à Bell et que le processus d’approvisionnement a été mené de manière à assurer que l’appareil Bell 429 serait le seul à rencontrer les exigences techniques du projet.

[Para 3]

(Voir au même effet l’affidavit de Guillaume Leprince, Vice-président aux ventes et marketing chez Airbus, para 21-24. M. Leprince est celui qui a présenté la preuve au nom d’Airbus. Celle-ci a aussi fait appel à un expert.)

[11]           Il ne s’agit pas là d’une accusation banale. À l’audience, les avocats d’Airbus ont soutenu qu’ils n’avançaient pas qu’une conspiration ourdie au sein du gouvernement avait eu cours. Il n’en reste pas moins que la théorie de la cause maintient que, dès le départ du processus, les exigences techniques favorisaient substantiellement le Bell 429. Les demandes faites par Airbus pour diminuer les exigences techniques n’ont pas reçu la réponse espérée. De plus, Airbus se plaint qu’à de très nombreuses reprises, elle a demandé à ce que lui soient fournis des renseignements supplémentaires au sujet des profils de mission que la GCC devait mener pour lui permettre d’offrir ce qu’Airbus a qualifié de solutions de rechange. Plutôt que de satisfaire aux exigences que le processus imposait, Airbus aurait voulu identifier les besoins du client pour les satisfaire sans la contrainte des exigences techniques imposées. Airbus voulait de toute évidence éviter, et voire même contester, les exigences techniques onéreuses imposées par TPSG en prétendant qu’elles ne pouvaient être requises en fonction du genre de travail à être accompli par les nouveaux hélicoptères (affidavit de M. Leprince, para 39-41).

[12]           Il ne fait aucun doute à mon avis qu’Airbus a vite constaté qu’elle ne pouvait satisfaire facilement aux exigences techniques proposées initialement, avant que le processus de consultation ne soit même entamé, parce que très tôt elle a demandé non pas de voir si elle pouvait satisfaire aux exigences, mais plutôt de recevoir les profils de mission de la GCC. Dès le 29 août 2012, Airbus s’en est plaint. On lit dans sa réponse à la lettre d’intérêt soumise par le gouvernement le 17 août 2012 les doléances suivantes :

1-4       Insert your key conclusions and recommendations. Two pages maximum – use the other sections to provide details

Eurocopter welcomes GoC decision to move ahead with replacement of the current CCG fleet. As planned, holding an Industry Engagement Session as well as one on one sessions with potential bidders to finalize the requirements of the RFP is certainly a step in the right direction. Our comments and recommendations by analysing the contents of the LOI and the draft copy of the mission requirements include:

-           Mission Oriented RFP: GoC should focus on the specific mission requirements of the CCG and be careful on including specifications of a given platform as a reference for the RFP. This approach may limit the numbers of options that may be available to fulfill the mission requirements and also curtail the competition amongst the bidders. We are sure GoC wants the best for CCG missions and would be open to discussing in detail the operational details on the intended use of different class of helicopters. This way Bidders [sic] will not only be able to answer the requirements but also propose their respective solutions to the missions including value added product features that may not have been thought about for the CCG mission needs.

[À la page 6 de 16]

Plus loin on lit, en épilogue :

9-1       Indicate any other areas of concern that Canada may be interested/concerned with that would aid in providing a recommendation for improvement.

Requirements should be more mission oriented than technically driven. We invite GoC to work with the industry to provide a solution fitting the operational requirements. GoC should be open to alternative solutions regardless of the type of aircraft (light, medium, polar) to ensure suitable solutions for the Canadian Coast Guard of Canada.

Public works should carefully define requirements to allow several platforms to be compliant in order to have a fair competition for the benefit of Canada.

[À la page 16 de 16]

Airbus avait déjà consulté le « Preliminary Draft CCG Helicopter Requirements Document – Light and Medium Helicopters, Industry Day, September 2012 » qui fournissait une série d’exigences techniques recherchées et était fourni à ceux qui étaient intéressés aux fins d’une première prise de contact du gouvernement avec l’industrie, journée qui s’est tenue le 4 septembre 2012.

[13]           Pourtant, dès la séance d’engagement de l’industrie le 4 septembre 2012, sept profils de mission de la GCC décrivaient les activités de la GCC. Un document, intitulé « CCG Helicopter Mission Profile Document », était disponible. La demanderesse prétend que la description y est sommaire. Quant aux exigences techniques préliminaires développées aux fins de consultation au « Preliminary Draft CCG Helicopter Requirements Document – Light and Medium Helicopters, Industry Day, September 2012 », la demanderesse les considère trop onéreuses et précises. Elle aurait voulu offrir des « solutions de rechange » en fonction des profils de mission. Airbus a poursuivi dans cette veine jusqu’à ce que la demande de propositions ne soit lancée le 3 avril 2013 et les mêmes prétentions sont présentées en contrôle judiciaire.

[14]           Non seulement la demanderesse a formé très tôt l’opinion que les exigences techniques ne pourraient facilement être satisfaites, mais elles favorisaient Bell, au détriment d’Airbus. Malgré la généralité du propos, Airbus n’a identifié avec précision que quelques exigences techniques. La preuve présentée par le biais de l’affidavit de G. Leprince, traite de la séance de consultation individuelle du 6 septembre 2012. On peut y lire le paragraphe 59 :

59.       Nous avons ensuite expliqué en quoi les Exigences Préliminaires des hélicoptères de transport léger étaient discriminatoires pour les autres fournisseurs potentiels, à savoir Eurocopter Canada, AgustaWestland, MD Helicopters et Sikorsky. Nous avons notamment souligné, à titre d’exemple, en ce qui concerne les hélicoptères de transport léger :

a)         l’exigence 6.4 requiert que l’appareil soit certifié pour opérer et voler à une température ambiante extérieure de l’air se situant entre -40˚C et +50˚C, alors que le seul appareil étant certifié pour voler à -40˚C est le Bell 429;

b)         l’exigence 7.3.5.1.2 requiert que l’appareil soit muni d’un réchauffeur à air de prélèvement ou l’équivalent, avec capacité de dégivrage appropriée pour opérer en conditions hivernales à une température de -40˚C, alors que le seul appareil rencontrant cette exigence est le Bell 429; et

c)         la combinaison des exigences 7.3.5.12.1 et 7.3.4.2.1 requiert que l’appareil soit muni d’un train d’atterrissage à patins et d’un ensemble de pilotage automatique quatre axes à commande numérique avec directeur de vol, alors que ces exigences ne sont rencontrées que par le Bell 429.

Nous ne trouverons pas meilleure précision, venant directement d’Airbus en cours de processus d’acquisition, sur l’allégation que les exigences techniques ont été calquées sur les spécifications techniques de l’appareil Bell 429. Ce que l’on constatera à l’examen de la preuve au fil du temps, c’est qu’Airbus présentera des solutions de rechange proposées qui étaient, en fait, de réduire les exigences techniques. Il y a donc un lien entre les exigences techniques jugées trop rigoureuses par Airbus et les profils de mission : si ceux-ci s’avèrent éloignés de la réalité, on pourrait penser requérir des changements aux exigences qui ne correspondraient pas à la réalité des choses.

[15]           Ainsi, bien après que le processus d’appel de propositions eut commencé, Airbus a continué sa correspondance avec TPSG. Cette correspondance suivait la même trame, c'est-à-dire qu’Airbus prétendait que les exigences étaient trop rigoureuses pour qu’elle puisse participer au processus d’appel de propositions. Certaines des exigences avaient même été raffermies.

[16]           Les 17 avril, 2 mai et 17 mai 2013, Airbus écrivait à TPSG pour continuer de présenter des doléances relativement aux profils de mission pour faire le lien entre les exigences techniques qui seraient trop rigoureuses par rapport aux profils de mission identifiés dans ces lettres.

[17]           La troisième séance de consultation individuelle du 6 février 2013 a été centrée sur l’allocution d’un haut dirigeant d’Airbus qui déclarait que la demanderesse ne pouvait plus continuer sa participation au processus. Ce qui était en train de devenir un leitmotiv y était répété à nouveau :

This confirms what Eurocopter [devenu depuis Airbus Helicopters Canada Limited] has been telling you for the last 6 months. The lack of real mission understanding, working only on technical parameters prevents us to understand the rationale behind the changes of requirements.

It is in the Government of Canada [sic] best interest to present mission oriented requirements to the industry in order to obtain a best value proposal for the Coast Guards [sic]. We already addressed this issue several times in verbal and in written communications. This is the process followed by the Fixed Wing SAR project for which the industry consultation is constructively ongoing.

[Pièce P-30, affidavit de M. Leprince]

[18]           TPSG répondait précisément aux aspects spécifiques soulevés le 6 février dans sa lettre du 13 février 2013. Je note en particulier la réponse de TPSG au commentaire d’Airbus qui disait avoir bien servi la GCC depuis 25 ans avec ses hélicoptères : « It is understood that Eurocopter has been serving the CCG for over 25 years and we believe that Eurocopter would have a great understanding of how the helicopter fleet is currently operating to achieve their mandate. » La demanderesse continuera de se plaindre de ne pas avoir suffisamment d’information sur les profils de mission ou que ceux-ci ne justifieraient pas les exigences techniques imposées.

[19]           En fait, Airbus est allé plus loin que de se plaindre des profils de mission fournis. Dans des lettres envoyées par Airbus à TPSG le 11 janvier 2013 et le 18 mars 2013, Airbus précisait l’information qu’elle recherchait (pièces P-26 et P-33 de l’affidavit de G. Leprince). Je reproduis l’extrait pour ainsi dire identique des deux lettres :

The following are a few examples of Detail Mission Requirements as opposed to technical requirements that could be provided:

•           Number of bases to be equipped for each type

•           Number of vessels equipped for each type

•           Description of Night Mission

◦       Number of passengers

◦       Length

◦       Load

•           Distance Flown from Shore to Ship for each mission

•           Number of cargo / pax for each mission

•           Percentage of usage for each mission of the helicopter type, per year

•           Availability targets per type, per year

•           Description of the loads

•           How far do you need to go and with how many pax’s

[Lettre du 11 janvier 2013]

Regarding the mission requirements requested, our previous communications were asking for detailed Mission Requirements as opposed to technical requirements including but not limited to the following:

•           Number of bases to be equipped for each type

•           Number of vessels equipped for each type

•           Description of Night Mission

◦       Number of passengers

◦       Length

◦       Load

•           Distance Flown from Shore to Ship for each mission

•           Number of cargo / pax for each mission

•           Percentage of usage for each mission of the helicopter type, per year

•           Availability targets per type, per year

•           Description of the loads

•           How far do you need to go and with how many pax’s

[Lettre du 18 mars 2013]

Je suis loin d’être convaincu qu’il s’agisse véritablement de « mission requirements ». Ce n’est plus tant des « missions requirements » dont il est ici question mais de l’utilisation de la flotte d’hélicoptères, où, quand et comment ils seront utilisés, plutôt que de répondre à la question d’en quoi consistent les missions. Or, ces demandes trouvaient leur genèse dans la réponse donnée par Airbus à la toute première rencontre en tête-à-tête du 6 septembre 2012. La même liste, dans le même ordre, s’y trouve.

[20]           Ce qui ne fait pas défaut sera les demandes répétées d’Airbus d’avoir les profils de mission pour pouvoir offrir des solutions de rechange. La preuve ne révèle pas ce qu’elles auraient pu être outre que de prétendre que les exigences sont trop élevées en fonction des missions à accomplir. En fin de compte, comme déjà noté, sur des éléments importants, les solutions de rechange seront la diminution de la performance recherchée.

[21]           De fait, devant cette Cour, les exigences techniques relevées par Airbus semblent toujours être que son appareil est moins performant, et non que les exigences sont inédites. Quand il s’agit d’une allégation générale, la Cour est référée à des documents de travail, sous forme de tableaux, préparés par Airbus, desquels on voudrait inférer que les exigences techniques ne favorisent que Bell (en particulier la pièce P-46 de l’affidavit de M. Leprince). La seule vraie précision vient en fait de l’affidavit de M. Leprince, au paragraphe 59, dont le contenu est reproduit au paragraphe 13 des présents motifs. La preuve démontrera d’ailleurs que les exigences 6.4 et 7.3.5.1.2 ont de fait été amendées en cours de consultation.

[22]           À la suite de la quatrième journée en tête-à-tête le 4 mars 2013, Airbus a fourni des précisions sur les exigences techniques qui auraient limité sa capacité de soumissionner (lettre du 21 mars 2013 et affidavit de G. Leprince, aux paragraphes 96 à 104). À l’examen, force est de constater que l’appareil qu’Airbus avait alors à sa disposition ne rencontrait pas les exigences pour la charge utile et la portée requises. Ce n’est certes pas minime. La « solution de rechange » proposée par Airbus était de réduire la portée ou la charge utile. De même, Airbus se plaignait du pliage requis des pales de l’hélicoptère. Cette fois aucune solution de rechange n’est offerte outre que de travailler avec la GCC. Pour ce qui est de la limite d’altitude pour vol stationnaire en effet de sol, la solution de rechange était de diminuer la charge utile ou l’altitude requise (de 7000 à 6000 pieds). Était aussi soulevé une question relative au directeur de vol.

[23]           La réponse reçue de TPSG, le 4 avril, est que les réductions demandées quant à la charge utile ou la portée représentent des diminutions de 9% et 7% par rapport aux exigences, ce qui aurait un impact important sur les opérations. Le même commentaire est fait quant à la limite d’altitude pour vol stationnaire en effet de sol. La réponse au sujet du pliage des pales qui est requis pour l’entreposage des hélicoptères est particulièrement sans équivoque :

Your March 21, 2013 letter repeats Eurocopter’s request in the Round 4 meeting of March 12, 2013 that CCG’s maximum blade folding width requirement be 3.8 m to allow Eurocopter to bid the EC 135. Each and every one of Canada’s requirement is based on the missions as described in the Mission Profile document provided to all bidders, and not on specific makes or models.

As was specifically described in the March 12, 2013 meeting with Eurocopter, given CCG’s shipboard hangar door width of 4.08 m, providing a maximum blade folding width of 3.8 m provides approximately 0.14 m of space between the helicopter and each side of the hangar door. A 0.14 m gap between the door and the helicopter is insufficient for at-sea operations.

[24]           La demanderesse cherche appui sur deux éléments de preuve supplémentaires. Airbus a présenté un témoin, Corey Taylor, qui a été quelqu’un qui aura examiné de près la documentation disponible pour conclure que la demande de propositions initiale, sur laquelle des commentaires ont été requis de l’industrie, favorisait Bell indûment. L’autre relatif à une exemption de poids obtenue pour l’hélicoptère Bell 429 en 2011; Airbus prétend qu’il s’agit là d’une manifestation de la préférence qu’avait le gouvernement pour le produit offert par Bell.

[25]           Quant à l’exemption de poids, la preuve démontre qu’un fonctionnaire de Transports Canada rapportait à son superviseur, dans son courriel du 17 juin 2010 que, six mois plus tôt, en décembre 2009, le pilote en chef de la GCC, aussi un employé de Transports Canada, se serait enquéri auprès de l’auteur du courriel de la possibilité qu’une exemption de poids au décollage, en fonction de la classe d’hélicoptères à laquelle le Bell 429 appartenait, soit conférée au profit de l’hélicoptère Bell 429. Selon le courriel, le chef pilote aurait indiqué que cet hélicoptère serait « a great aircraft for them ». Le courriel note que « I told him the bad news about the GW limit for Part 27 helicopters but we started throwing the idea around up here in Flight Test and thought why not? » (GW réfère à « gross weight »). Le courriel conclut en décrivant les difficultés au plan réglementaire. On lit :

From a technical standpoint the 429 is already or very nearly designed to 7500 lb. The big problem appears to be how to handle it from the regulatory standpoint. What we were thinking was a flight manual supplement for 7500 lb for Canadian-registered aircraft only (EMS operators would love another 500 lb of payload). How we deal with the 7000 lb max gross weight in 527.1 is another matter. Exemption, special condition, restricted type certificate...? Anyway, from our perspective in Flight Test, we support Bell’s proposal. There have been some rumblings about Agusta requesting a similar increase in Max GW for the new A109 Grand New from EASA but I can’t vouch for their authenticity. Just some food for thought.

[Pièce 1 de l’affidavit of Michael Laughlin, le chef pilote de la GCC, en date du 1 novembre 2013]

Contre-interrogé par Airbus, M. Laughlin avait un souvenir très imprécis d’une conversation qui se serait tenue quatre ans avant.

[26]           L’argumentaire inclut des courriels échangés entre fonctionnaires au sein du ministère des Transports desquels la demanderesse voudrait tirer une preuve de copinage impliquant des fonctionnaires de rangs inférieurs telle que le Gouvernement du Canada aurait montré un favoritisme en faveur de Bell.

[27]           La demanderesse a aussi argué que tant le régulateur américain (la Federal Aviation Administration [FAA]) que le régulateur européen (European Aviation Safety Agency [EASA]) avaient refusé la même exemption. Par ailleurs, 15 autres régulateurs l’auraient, tout comme le Canada, accordée. Enfin, la preuve démontre qu’Airbus s’est plainte auprès d’un député du parti au pouvoir qui a transmis le tout au ministre des Transports. Celui-ci n’a pas ignoré la lettre de son confrère, mais l’exemption de poids a été concédée après que les instances supérieures du ministère des Transports aient été saisies des allégations. Qui plus est, le dossier devant la Cour révèle que le ministère des Transports a été mis en alerte et que ce n’est pas uniquement les fonctionnaires aux niveaux inférieurs qui agissaient.

[28]           De fait, le dossier révèle aussi que les fonctionnaires du ministère des Transports connaissaient le point de vue d’Airbus. De plus, ils ont été en contact avec la FAA et EASA. Dans un courriel entre la FAA et Transports Canada du 7 juillet 2011, la FAA notait ses réserves, quoique Bell n’ait pas alors fait une pareille demande aux autorités américaines. Le 8 août 2011, un courriel de l’EASA à Transports Canada notait quant à lui que les systèmes juridiques étaient différents et une décision quant à une exemption de poids ne pourrait être accordée qu’après un processus élaboré. On y indiquait une préférence pour l’harmonisation entre les trois agences (affidavit de G. Leprince, pièce P-13).

[29]           Par ailleurs, est aussi au dossier que outre que Bell ait obtenu des exemptions de poids de 15 autres régulateurs, Airbus, qui de toute évidence était au fait de la demande d’exemption puisqu’il est en preuve qu’elle a communiqué avec Transports Canada, n’en a pas demandé une à son tour et qu’elle n’a pas contesté devant les tribunaux l’exemption obtenue par Bell des autorités canadiennes, malgré qu’elle ait fait part à Transports Canada de son opposition (affidavit de G. Leprince, pièce P-13) et que celle-ci ait été reçue par Transports Canada. L’exemption de poids a été accordée le 28 décembre 2011.

[30]           Cela explique peut-être que, à l’audition, Airbus a davantage insisté sur les allures de « copinage » que certains courriels internes pouvaient laisser sous-entendre selon Airbus. On ne parle pas alors de collusion, ou encore moins de fraude; on ne va pas plus loin que de suggérer un parti pris. Mais alors, ce parti pris serait aux niveaux inférieurs du Ministère et n’expliquerait pas la décision ministérielle prise malgré l’opposition formelle d’Airbus et le fait que le ministre lui-même ait été prévenu des doléances, ce qui s’est même soldé par une lettre d’un sous-ministre adjoint à Transports Canada, le 25 juillet 2011, qui visait à rassurer des officiers supérieurs d’Airbus que la demande d’exemption de poids serait traitée en fonction des critères établis en vertu de la Loi sur l’aéronautique, LRC (1985), ch A-2. Cette même lettre était spécifique que « [i]t should be noted that any other manufacturer of a comparable rotorcraft is eligible to apply for a similar exemption » (affidavit de G. Leprince, pièce P-13). Comme indiqué plus tôt, Airbus ne s’est pas prévalu de cette invitation.

[31]           L’autre preuve mise de l’avant par Airbus à l’appui de ses prétentions est l’affidavit de M. Corey Taylor. Il est un pilote d’hélicoptères ayant, à n’en pas douter, une expérience considérable comme pilote. Il dit être familier avec les limites de la plupart des hélicoptères certifiés au Canada. Il serait aussi connaissant relativement aux demandes de propositions puisqu’il travaille pour une firme fournissant des services de transport par hélicoptères. Comme il aura été noté à l’audience, M. Taylor n’a pas les qualifications techniques (son CV qui est la pièce N à son affidavit, indique qu’il a complété ses études secondaires et n’aurait donc aucune formation particulière en aéronautique) et son expertise, incluant celle relative aux demandes de propositions, se limite au transport de marchandises et de personnes, pas à l’acquisition d’hélicoptères. Selon son CV, il a été pilote et « manager » au cours de sa carrière (« base manager », « project manager », « operations manager », « exploration manager » et, au moment où l’affidavit a été complété, « General Manager » de Great Slave Helicopters Ltd).

[32]           M. Taylor a voulu témoigner sur les exigences techniques de la demande de propositions qui pourraient être taillées en fonction de choisir un appareil en particulier. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle il en est arrivé. Pour ce faire, il a consulté des « flight manuals » pour différents modèles d’hélicoptères, entre autres documents.

[33]           Au paragraphe 24 de son affidavit, on peut lire :

24.       The requirements, that leave only the Bell 429 in compliance, include:

(a)        6.4 – Minimum operating air temperature (EC135 and AW109 disqualified);

(b)        6.7 – Ditching standards (only the Bell 429 makes any claim to meeting ditching standards from what I have been able to determine);

(c)        7.3.5.2.1 – 4 Axis Autopilot (EC135 eliminated);

(d)       7.3.5.5.1 – Cargo compartment size (EC135 and AW 109 disqualified); and

(e)        7.3.5.22.3 – Rear facing cargo doors (AW109 disqualified).

[34]           Néanmoins, l’affiant ajoute au paragraphe 131 de son affidavit :

131.     As a result of the way that they have been drafted, the Technical Requirements have had the effect of excluding all aircraft other than the Bell 429 from the competition, as follows:

(a)        The AW109 is eliminated because of non-compliance with items 6.4, 7.2.1 and 7.2.3, although it gains 20 bonus points for 7.2.2;

(b)        The EC135 is eliminated because of non-compliance with items 7.1.2, 7.2.1 and 7.2.3, but gains 50 bonus points for item 6.4 and 60 bonus points for item 7.2.2;

(c)        The MD902 is eliminated because of non-compliance with the Canadian IFR certification and item 7.1.4.

On aura compris que l’affiant réfère à des modèles d’hélicoptères de manufacturiers en la matière.

[35]           De cette preuve, la demanderesse cherche à tirer deux arguments.

[36]           D’abord, le ministre de TPSG a agi de manière illégale en ce que son action est arbitraire et déraisonnable. Il est devenu clair au cours de l’audience que lorsque la demanderesse parlait en termes d’« excès de compétence », elle visait l’exercice de la discrétion inhérent à l’octroi de contrats. Le contrôle judiciaire devrait être selon la norme de la raisonnabilité dans ce cas. Cela fait contraste avec la norme de contrôle de la décision correcte qui s’applique aux questions touchant véritablement la compétence. Dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], on lit au paragraphe 59 de la décision :

[59]      Un organisme administratif doit également statuer correctement sur une question touchant véritablement à la compétence. Nous mentionnons la question touchant véritablement à la compétence afin de nous distancier des définitions larges retenues avant l’arrêt SCFP. Il importe en l’espèce de considérer la compétence avec rigueur. Loin de nous l’idée de revenir à la théorie de la compétence ou de la condition préalable qui, dans ce domaine, a pesé sur la jurisprudence pendant de nombreuses années. La « compétence » s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. L’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence : D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 14-3 et 14-6. L’affaire United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485, constitue un bon exemple. Il s’agissait de savoir si les dispositions municipales en cause autorisaient la ville de Calgary à limiter par règlement le nombre de permis de taxi délivrés (par. 5, le juge Bastarache). Cette affaire relative aux pouvoirs décisionnels d’une municipalité offre un exemple de véritable question de compétence. L’examen relatif à l’une et l’autre questions a une portée restreinte. Il convient de rappeler la mise en garde du juge Dickson selon laquelle, en cas de doute, il faut se garder de qualifier un point de question de compétence (SCFP).

[37]           Il m’apparaît clair que ce n’est pas ce que la demanderesse prétend. Son argument est plutôt que le favoritisme démontré, dit-elle, au profit de Bell est contraire à la loi et aux politiques gouvernementales. Un appel d’offres qui serait taillé sur mesure ne peut être raisonnable. Il ne peut satisfaire à la loi (article 40.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC (1985), ch F-11) ou aux règlements (Règlement sur les marchés de l’État, DORS/87-402). L’article 40.1 se lit ainsi :

Engagement

Commitment

40.1 Le gouvernement fédéral s’engage à prendre les mesures indiquées pour favoriser l’équité, l’ouverture et la transparence du processus d’appel d’offres en vue de la passation avec Sa Majesté de marchés de fournitures, de marchés de services ou de marchés de travaux.

40.1 The Government of Canada is committed to taking appropriate measures to promote fairness, openness and transparency in the bidding process for contracts with Her Majesty for the performance of work, the supply of goods or the rendering of services.

L’appel d’offres ainsi qualifié contreviendrait aussi à différentes politiques qui visent à favoriser la saine concurrence (politique sur les marchés) et à répondre aux besoins opérationnels de manière rentable (politique sur l’examen des acquisitions). Le refus de reconsidérer les exigences techniques aurait rendu l’exercice de discrétion déraisonnable.

[38]           L’autre argument procède d’un vice allégué à l’équité procédurale. En cette matière, la norme de contrôle est moins exigeante pour un demandeur puisqu’elle n’est pas celle de la raisonnabilité, mais bien de la décision correcte. Ici, la demanderesse attaque la décision de ne pas changer les exigences techniques comme n’étant pas impartiale. Aux dires de la demanderesse, le critère à appliquer serait celui de l’apparence de partialité : y a-t-il crainte raisonnable de partialité de la part d’une personne bien renseignée? Il faut équité, transparence et ouverture dans l’octroi de marchés publics.

[39]           À cet égard, la demanderesse reprend en bonne partie son argumentaire quant au premier argument en ce qu’elle prétend que le ministre a manqué au devoir d’impartialité en favorisant Bell et en faisant la sourde oreille aux demandes d’Airbus, et en ne répondant pas aux demandes répétées de fournir des informations additionnelles sur les profils de mission de la GCC. La demanderesse s’en prend à l’exemption de poids qui a été accordée pour l’appareil de Bell pour démontrer favoritisme, mais aussi aux exigences techniques que rencontrait Bell.

[40]           Au surplus, la demanderesse argue que le ministre a contrevenu aux engagements qui ont été pris, et répétés, d’agir de la façon la plus équitable et la plus impartiale. Elle en prend à témoin l’entente d’engagement que les participants au processus devaient souscrire avant le commencement; en effet, la lettre d’intérêt (affidavit de G. Leprince, pièce P-2) parle en ces termes : « Un des principes fondamentaux de la consultation de l’industrie est qu’elle est réalisée avec le plus haut degré d’impartialité et d’équité entre toutes les parties. Nulle personne ou organisation ne doit recevoir ni sembler avoir reçu un quelconque avantage inhabituel ou injuste par rapport aux autres. »

[41]           Un second volet de l’atteinte à l’équité procédurale serait celui relatif aux attentes légitimes d’Airbus. Encore ici, il existe une certaine parenté avec le premier argument quant à la raisonnabilité de l’exercice de la discrétion dans l’octroi du contrat. Sous ce volet, la demanderesse soumet qu’elle était en droit de s’attendre à ce que la demande de propositions soit « soumissionnable », impliquant que le ministre devait prendre en compte les commentaires et propositions qu’elle a faits depuis août 2012 à avril 2013, et que le ministre agisse avec la plus haute impartialité et le plus équitablement possible. Ces attentes légitimes ont été déçues dit Airbus.

[42]           La demanderesse requiert donc que le contrat octroyé soit annulé à cause du processus déficient et que le ministre procède à nouveau à un processus menant à un nouvel appel d’offres.

IV.             La défense

[43]           Les défendeurs se sont attaqués vigoureusement aux allégations présentées en demande. Le Procureur général, au nom du ministre de TPSG, et aussi au nom des autres organisations qui ont participé au processus d’acquisition des hélicoptères à être utilisés par la GCC, a défendu le processus et a cherché à démontrer que les exigences techniques décriées par Airbus étaient fonction des besoins opérationnels, justes et raisonnables. Quant à Bell, à qui le contrat a été octroyé, elle a appuyé entièrement la Couronne et a prétendu que l’affidavit de Corey Taylor n’était pas celui d’un expert ou, à tout le moins, que son poids est faible. Elle a prétendu que si, d’aventure, la Cour donnait raison à Airbus, le remède approprié ne serait pas l’annulation d’un contrat sur lequel la demanderesse n’a pas soumissionné.

A.                La Couronne

[44]           L’un des défendeurs, la Couronne, s’est employé à démontrer que la structure mise en place pour se procurer les hélicoptères faisait en sorte que la partialité alléguée n’était tout simplement pas possible; ce que d’aucuns nommeraient des « checks and balances » avaient été placés au sein du processus pour se prémunir contre les allégations du genre de celles faites par Airbus en l’espèce. La Couronne aurait rempli tous ses engagements et le processus mis en place en a été un de la plus grande intégrité.

[45]           De plus, la Couronne a présenté de la preuve tendant à démontrer que les exigences techniques étaient nécessaires à la grande variété de missions menées par la GCC. Ainsi, les décisions prises de ne pas reconsidérer et modifier certaines exigences techniques de la demande de propositions, ce que lui reproche la demanderesse, étaient-elles raisonnables et sont donc inattaquables.

[46]           Quant aux allégations que le processus suivi avait porté atteinte à l’équité procédurale, en particulier parce qu’il avait porté atteinte aux attentes légitimes de la demanderesse, la Couronne défend vivement son processus qu’elle considère être un modèle. Le processus choisi et mis de l’avant était équitable : il visait à impliquer l’industrie bien avant la demande de propositions qui a eu lieu le 3 avril 2013. Mais il ne pouvait faire en sorte que le ministre refuse d’exercer la discrétion que la loi lui impose d’exercer. Des exigences techniques, sous forme d’ébauches, ont été fournies à tous, des rencontres ont été organisées avec ceux qui ont choisi de participer au processus après qu’une lettre de quelques 19 pages ait été envoyée pour identifier des intéressés en août 2012. Des changements, nombreux, ont été apportés aux exigences techniques pour favoriser la concurrence et ne pas éliminer accidentellement des soumissionnaires possibles. Ces changements démontrent la valeur et la validité du rigoureux processus qui a été mis en place et suivi. Le gouvernement recherchait le meilleur hélicoptère et ne voulait aucunement éliminer la compétition qui favorise la meilleure qualité au meilleur prix. Au contraire. Mais le produit devait satisfaire aux exigences opérationnelles.

[47]           Le Procureur général plaide que le ministre de TPSG n’avait aucunement un esprit fermé à l’égard de changements à faire aux exigences techniques. La demanderesse n’aurait pas davantage de succès si le test à appliquer était la crainte raisonnable de partialité puisque la preuve ne démontre aucune telle partialité, en apparence ou en réalité. Le gouvernement avait promis un processus. Il l’a suivi. C’est ce qui a été fait.

[48]           Les allégations de la demanderesse ne sont appuyées d’aucune preuve, encore moins d’une preuve solide. En fait, étant donné le nombre élevé de participants du côté gouvernemental, la structure de gouvernance, la présence de parties externes devant s’assurer que le processus était équitable, il eut fallu une fraude considérable de tous pour qu’il y ait favoritisme au profit de Bell. Aucune telle preuve n’a été présentée. La demanderesse s’est bien gardée de franchir cette ligne de démarcation.

[49]           La structure de gouvernance mise en place tôt après le budget de mars 2012 est restée en place à tout le moins jusqu’à ce que l’appel d’offres ait été lancé, le 3 avril 2013. La fermeture de la période de soumissions était le 4 juin 2013.

[50]           Au cœur de la gouvernance se trouvait TPSG qui, de par la loi, gère le processus d’acquisition; deux autres organisations sont intéressées particulièrement à l’affaire. Mais c’est le ministre de TPSG qui est le ministre responsable. Ainsi, la GCC doit déterminer ses besoins opérationnels qui mèneront aux exigences techniques des appareils à acquérir. Quant au ministère des Transports, il fournit les pilotes et est responsable de l’entretien des appareils. Ces organisations seront donc partie des différentes instances créées pour assurer une saine gouvernance, mais, au premier chef, c’est TPSG qui porte la responsabilité d’un processus conforme aux normes et à la loi.

[51]           L’organisation d’un processus devant mener à un appel d’offres, en avril 2013, commençait par la création d’une équipe centrale composée d’experts provenant de trois ministères différents. Ces gestionnaires de projets, membres de la GCC et un pilote d’hélicoptères (affidavit de R. Wight, para 33) venaient appuyer directement TPSG. Cette équipe centrale était assistée d’un groupe d’usagers fondé en juin 2012 et comptant plus de 20 participants (affidavit de R. Wight, para 32 et Pièce 1). Des multiples rencontres tenues par ces groupes est né le « Preliminary Draft CCG Helicopter Requirements Document – Light and Medium Helicopters, Industry Day, September 2012 » en vue de la rencontre initiale avec les manufacturiers d’hélicoptères qui donneraient suite à une lettre d’intérêt émanant de TPSG. Comme vu plus tôt, elle porte la date du 17 août 2012.

[52]           Ce groupe à base large était chapeauté par un comité directeur du projet (« Project Steering Committee ») dont le mandat était de revoir et d’approuver les exigences techniques. Dans le cas où les exigences auraient été contentieuses, c’était à un comité constitué de directeurs généraux que revenait la tâche de régler la question sur la base de recommandations faites par le comité directeur de projet. Enfin, les questions les plus difficiles ou contentieuses étaient référées à un comité de sous-ministres adjoints [SMA], le comité intégré des SMA, dont la composition était élargie pour y inclure, en plus des trois ministères de base, le ministère de l’Industrie et les agences centrales que sont le Secrétariat du Conseil du trésor et le Bureau du Conseil Privé (affidavit de M. McNeil et affidavit de R. Wight). Est en preuve que le comité intégré des SMA aura insisté sur l’anonymat des demandeurs de changements à certaines exigences techniques.

[53]           Enfin, TPSG a engagé un consultant pour agir à titre de surveillant de l’équité (« fairness monitor ») alors que la GCC a mandaté un employé du ministère des Richesses naturelles de l’Ontario, aux termes d’un « memorandum of understanding » [MOU] afin de lui fournir « an independent review of CCG’s technical requirements for its Helicopter Project, and provide feedback to CCG regarding the requirements. » L’attestation à produire en vertu du MOU était que les exigences sont :

•           Reasonable for the stated CCG missions and for commercial utility helicopters

•           Achievable by manufacturers of commercial utility helicopters

•           Unbiased toward any particular manufacturer(s)

[Affidavit de R. Crowell, pièce 2]

L’entente entre les deux ministères valait du 1er octobre 2012 au 31 mars 2013; les services de M. Crowell, l’expert indépendant, étaient fournis sans frais par le ministère des Richesses naturelles de l’Ontario, sauf pour les dépenses encourues dans l’exercice du mandat. Dit autrement, M. Crowell ne bénéficiait d’aucune rémunération de la part de son mandant.

[54]           Le Procureur général ajoute que n’existait aucune obligation de consulter avant de faire un appel d’offres. Or, le choix de consulter, avec à l’appui un surveillant d’équité et un consultant externe qui non seulement est lui-même un pilote, mais qui en plus a une connaissance précise de l’utilisation à faire de pareils hélicoptères, et une structure de gouvernance très élaborée, allant du niveau de travail aux sous-ministres adjoints, ne peut qu’être garant de l’équité et de l’impartialité de la consultation. Le filet tissé pour éviter les accusations de collusion était à mailles serrées.

[55]           Aucun des fonctionnaires impliqués dans l’exercice menant à l’exemption de poids pour l’appareil de Bell mené par le ministère des Transports (il ne semble pas y avoir eu d’autres ministères ou organisations impliquées) n’a participé au processus d’acquisition sous étude. Seul le chef pilote qui aurait communiqué avec un fonctionnaire du ministère des Transports, en décembre 2009, dans le courriel du 17 juin 2010, aura été une personne-ressources gravitant autour du groupe central. Il était, au mieux, l’un des experts dans le giron du groupe central et du groupe d’usagers. Personne n’a suggéré qu’il avait quelque pouvoir décisionnel ou de contrôle.

[56]           Le système de gouvernance mis en place était non seulement structuré, mais il était rigoureux. Une quantité remarquable de procès-verbaux documentant les travaux a été mise en preuve.

[57]           Mais cette structure de gouvernance n’existait pas pour elle-même. Elle supervisait les consultations que le ministre avait choisies de tenir avec l’industrie. C’est d’ailleurs grâce à elles que la défenderesse a pu se faire entendre. Cependant, il doit être entendu que la discrétion du ministre n’était pas abandonnée. La lettre d’intérêt du 17 août 2012 le spécifiait sans ambages dans la section « Terms and Conditions ». On y lit : « If Canada does release a RFP, the terms and conditions of the RFP shall be at the sole discretion of Canada » (affidavit de M. McNeil, pièce 6).

[58]           Le processus de consultation tenu avait pour objectif « to give industry information about the procurement for the Helicopter Project and to obtain from industry the latest information on helicopters, including their capabilities, limitations and available systems and equipment » (affidavit de M. McNeil, para 28). Nulle part ne trouve-t-on que le gouvernement abandonnait son pouvoir de gérance. Il procédait à l’acquisition d’hélicoptères pour les fins qu’il entendait déterminer. Il avait aussi choisi de se procurer des hélicoptères qui existaient déjà, non pas d’acquérir des appareils à être construits en fonction de spécifications à être décrites.

[59]           À la suite de l’émission de la lettre d’intérêt, une « Industry Day » était tenue le 4 septembre 2012; elle visait à fournir l’information nécessaire aux consultations individuelles. La première ronde s’est tenue entre les 4 et 26 septembre, où 10 participants intéressés ont été rencontrés. Celle avec Airbus eut lieu le 6 septembre et elle avait pour but, comme pour les autres sessions de consultation, d’entamer le dialogue.

[60]           Une seconde ronde de consultations individuelles a été tenue du 15 au 19 novembre. Airbus a été rencontrée le 15 novembre en présence de fonctionnaires de la GCC, Transports Canada, TPSG et Industrie Canada.

[61]           La période du 19 novembre au 12 décembre 2012 aura été consacrée à l’examen des questions soulevées et commentaires faits afin de préparer un projet de demande de propositions qui serait l’objet de consultations individuelles subséquentes.

[62]           A été mis en preuve que des changements notables, faits à la demande d’Airbus, ont été apportés et étaient reflétés au projet de demande de propositions. À l’affidavit de M. McNeil, le gérant de projet chez TPSG, on indique :

                     alors qu’originellement l’appareil offert en vente devait déjà être certifié, il a été convenu que la certification d’un nouvel appareil pouvait être acceptable jusqu’à six mois après la fermeture des soumissions. Comme on le voit à la lettre qu’Airbus a envoyée à TPSG le 20 décembre 2012, Airbus insistait pour que puisse être considéré un hélicoptère qui ne serait pas encore certifié. À la lecture de la lettre, il m’apparaît clair qu’Airbus recherchait un délai de 12 mois du moment où le contrat serait accordé. Je note d’ailleurs que la preuve documentaire révèle qu’Airbus s’est aussi plainte que le processus d’octroi du contrat allait trop vite (lettre d’Airbus à TPSG, 11 janvier 2013);

                     l’autopilote requis originellement a été modifié pour satisfaire à une demande d’Airbus;

                     la capacité de plier les pales de l’hélicoptère pour pouvoir ainsi garer les hélicoptères sur les navires de la GCC a été ajustée à la demande d’Airbus. Il appert que les ajustements n’ont pu ultérieurement satisfaire Airbus puisque des raisons de sécurité, qui n’ont d’ailleurs jamais été contestées, requièrent un espace minimum des deux côtés de l’hélicoptère garé. De fait, la suggestion d’Airbus de permettre que les pales puissent être enlevées de l’hélicoptère pour pouvoir le garer a été rejetée pour des raisons techniques et opérationnelles. Ainsi, l’une des exigences problématiques pour Airbus semble avoir été que les pales de l’hélicoptère qu’elle pouvait offrir pour satisfaire la GCC ne pouvaient se replier suffisamment pour permettre de remiser les hélicoptères dans les hangars sur les navires de la GCC. En effet, la mer n’est pas toujours douce où opère la GCC et il a été déterminé qu’un espace donné est nécessaire pour remiser les hélicoptères à bord de navires. Alors que les portes des hangars de navires sont de 4.08 mètres, les pales de l’appareil d’Airbus ne se referment qu’à 3.8 mètres, laissant au mieux 14 centimètres de chaque côté pour faire entrer un appareil de plusieurs tonnes dans cet espace restreint. Airbus offrait dans sa lettre du 21 mars 2013 de travailler avec Transports Canada et la GCC « on solutions that would give them additional comfort with this proposed width. » La réponse de TPSG du 4 avril 2013, qui par ailleurs traitait d’autres doléances d’Airbus, disposait de la question promptement, comme le passage reproduit au paragraphe 22 des présents motifs le démontre (affidavit de M. McNeil, para 58 à 62).

[63]           Les nombreux changements apportés à la suite des recommandations, commentaires et demandes ont été colligés et ont été mis en preuve devant cette Cour (affidavit de R. Wight, para 77 à 82 et pièces 4 à 7).

[64]           Trois manufacturiers ont poursuivi les rencontres individuelles en 2013. À la rencontre du 6 février 2013, Airbus a fait l’allocution que l’on sait (voir le paragraphe 16 des présents motifs). La demanderesse a décliné l’offre de discuter des exigences techniques. Une dernière rencontre individuelle a été tenue le 4 mars 2013.

[65]           Aux dires du défendeur, en aucun temps durant les sessions individuelles Airbus n’a présenté quelqu’un de ses hélicoptères, se contentant de prétendre avoir plusieurs appareils à considérer en réponse aux exigences. La Couronne prétend plutôt que l’attention de la demanderesse portait sur ses tentatives de redéfinir les profils de mission, menant ainsi aux exigences opérationnelles. M. McNeil, au para 78 de son affidavit, dit :

78.       On many occasions, Eurocopter requested more detailed information on the mission profiles which were used by the CCG to create the technical requirements in the RFP. Based on communications with Eurocopter representatives during the consultative process, it appeared that Eurocopter wanted more details on the mission profiles so that they might redefine how the CCG conducted its operations. The intent of providing mission profiles to suppliers was not to give them an opportunity to dictate to the CCG how to conduct its operations, but to provide them with some context for understanding the basis for the technical requirements.

[66]           Ainsi, la demande de propositions a été complétée et rendue publique le 3 avril 2013. M. Crowell, le fonctionnaire du ministère des Richesses naturelles de l’Ontario, confirmait le 12 mars 2013 qu’il était en mesure de certifier « that all the requirements referenced in the Final Light Helicopter Baseline Requirements document dated February 28, 2013 are deemed Reasonable, for the stated missions and for commercial utility helicopters; Achievable by manufacturers of commercial utility helicopters and Unbiased toward and particular helicopter manufacturer(s) » (pièce 12 à l’affidavit de R. Crowell).

[67]           Le Procureur général conclut en reconnaissant qu’Airbus n’a pas soumissionné avant l’échéance. Il note que l’impossibilité de ranger les hélicoptères dans les hangars sur les navires de la GCC était, pour ainsi dire un sine qua non : « [s]es hélicoptères sont trop larges » (mémoire des faits et du droit, para 25).

[68]           Ainsi, l’argumentation du Procureur général repose sur l’absence de démonstration par la demanderesse que les exigences techniques sont déraisonnables parce qu’arbitraires. Ces exigences découlent des besoins opérationnels déterminés par une panoplie d’experts en la matière, et contrôlés par un consultant qui n’est même pas rémunéré par la GCC, en assurant ainsi davantage l’indépendance.

[69]           Plusieurs des exigences techniques identifiées par la demanderesse ont en réalité été amendées (les exigences 6.1 a), 7.3.5.2.1 et 7.2.13). En fin de compte, l’acheteur de biens a le droit de définir ses besoins. Le Procureur général prend appui sur Almon Equipment Limited c Canada (Procureur général), 2012 CAF 318 où on peut lire sous la plume du Juge d’appel Evans :

[11]      Nous tenons seulement à ajouter que nous sommes d’accord avec le TCCE pour dire qu’en soi, le fait qu’un soumissionnaire est plus en mesure qu’un autre de satisfaire aux spécifications d’une DP ne signifie pas nécessairement que les exigences de la DP sont adoptées de façon à favoriser ce soumissionnaire. Nous convenons également que l’acheteur de biens ou de services est en droit de définir les exigences auxquelles les soumissionnaires doivent satisfaire pour répondre à ses besoins opérationnels légitimes, sous réserve des limites imposées par les accords commerciaux applicables pour assurer une concurrence équitable dans les marchés publics.

[70]           Le Procureur général ajoute que la preuve des affiants Wight et Laughlin fait au contraire la démonstration de la légitimité. Les commentaires et observations de l’industrie ont été soigneusement reçus, colligés, considérés et ont fait l’objet de décisions réfléchies. Ils sont au dossier.

[71]           Pour ce qui est de l’équité procédurale, elle a été respectée. Le défendeur ne nie pas que l’équité procédurale doive présider même pour les appels d’offres; cependant les exigences ne sont pas aussi rigoureuses que pour d’autres processus.

[72]           Le ministre de TPSG n’avait aucune obligation de consulter et il avait entière discrétion pour déterminer les exigences techniques du produit à acquérir. Ainsi, le ministre devait respecter le processus qu’il s’était donné et avait annoncé. La doctrine de l’attente légitime ne garantit pas un résultat donné; elle est de nature procédurale.

[73]           En l’espèce, le devoir d’impartialité a été rempli. Aux dires du Procureur général, c’est le critère de l’esprit fermé que la Cour devrait retenir. La discrétion du ministre étant considérable, c’est ce critère plus exigeant qui devrait s’appliquer. Par ailleurs, si le critère de la crainte raisonnable de partialité devait être retenu, le ministre y aurait satisfait de toute manière. À cet égard, le Procureur général met à nouveau en exergue une série de facteurs, allant de la structure de gouvernance, en passant par la surveillance du processus et les changements apportés aux exigences techniques suite aux consultations qu’on a choisies de tenir, jusqu’à la preuve que les exigences techniques découlaient des besoins opérationnels de la GCC.

[74]           Quant aux profils de mission qu’Airbus aurait souhaité avoir, le Procureur général note que plusieurs ont été fournis; ils servaient à mettre en contexte l’exercice d’acquisition. Ce qu’Airbus tentait de faire était de s’ingérer dans la conduite des missions et l’utilisation que la GCC ferait de ces hélicoptères.

B.                 Bell

[75]           Pour ce qui est de Bell, l’autre défenderesse, elle adopte le point de vue qu’Airbus est un concurrent déçu : aucune décision particulière n’est attaquée. Elle se plaint plutôt que certaines des modifications aux exigences techniques n’ont pas été acceptées, ce qui était pourtant la prérogative de l’acheteur qui agissait en fonction des besoins opérationnels qu’il connaissait bien.

[76]           Bell argue que l’un des deux affiants présentés par la demanderesse, Corey Taylor, ne devrait pas être qualifié d’expert; de toute manière, peu de poids devrait être accordé à son témoignage. Bell soumet que ce témoin n’est pas indépendant puisqu’il a été établi en contre-interrogatoire qu’il est non seulement rémunéré, mais qu’il est payé à l’heure; il a un intérêt dans l’issue de cette affaire qui porte atteinte à la qualité de sa preuve. Il est un pilote d’hélicoptères dans le secteur privé qui n’a jamais été impliqué dans un processus d’acquisition d’hélicoptères (il a participé à des processus d’acquisition de services, mais ceux-ci sont bien sûr fort différents et beaucoup moins complexes).

[77]           Qui plus est, on met en doute de nombreuses affirmations qui ont été contredites par des témoins des défendeurs. Pour ce qui regarde en particulier un tableau technique relatif au HOGE (« hovers-out of ground effect ») la demanderesse a d’ailleurs concédé l’erreur commise. Bell ajoute que M. Taylor était dans l’erreur quant à son assertion que le Bell 429 ne pourrait utiliser un certain type de carburant par basse température et qu’il ne puisse décoller de certains « hélipads ». Si le témoignage de M. Taylor n’est pas écarté, il ne faut pas lui donner beaucoup de poids.

[78]           La défenderesse Bell note aussi que la pièce P-46 de l’affiant G. Leprince, d’Airbus, est loin d’être convaincante. Non seulement neuf exigences techniques ont été mal interprétées en leur affublant une couleur qu’elles ne méritaient pas, mais de très nombreuses cases ne font l’objet d’aucune indication de couleur ou autrement. Bell recommande de n’accorder aucun poids à ce genre de preuve qui n’est en fin de compte qu’un collage.

[79]           Bell prétend qu’aucun devoir d’équité n’est dû à Airbus dans un processus d’acquisition et l’article 40.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, citée par Airbus, ne crée pas un tel devoir statutaire (Irving Shipbuilding Inc c Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, 314 DLR (4th) 340).

[80]           De toute façon, le processus était impartial, que l’on utilise le test dit de « l’esprit fermé » ou de la crainte raisonnable de partialité. Les soupçons ne suffisent jamais. La preuve faisait défaut; les allégations étaient ronflantes mais la preuve aura été inexistante.

[81]           Quoique Bell reconnaisse l’existence de la doctrine des attentes légitimes, celle-ci se limite à requérir que l’administration respecte les promesses faites en matière de procédure, jamais quant à un résultat sur le fond. Ce qu’Airbus invoque est qu’elle aurait eu droit à des modifications des exigences techniques. Pour ce qui est du processus suivi, il correspondait en tous points aux promesses faites avant le début du processus.

[82]           Finalement, tant Bell que le Procureur général invitent la Cour à refuser d’accorder le remède demandé, l’annulation du contrat, dans le cas où Airbus devait avoir gain de cause.

V.                Analyse

[83]           À mon avis, le poids de la preuve dans cette affaire favorise amplement les défendeurs. La demanderesse, Airbus, n’a pas satisfait la Cour que l’équité procédurale a été enfreinte ou que le refus de reconsidérer et modifier certaines exigences techniques de la demande de propositions constituait un exercice déraisonnable de l’autorité conférée au ministre de TPSG.

A.                Le cadre légal

[84]           Il n’est pas inutile de rappeler d’entrée de jeu que la loi confère au ministre discrétion dans l’exercice de ses fonctions. C’est l’article 7 de la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, LC 1996, ch 16, qui établit les fonctions dont est responsable le ministre. L’article 20 est spécifique quant aux marchés pour le compte du Gouvernement du Canada. Ce sera à l’article 21 qu’on trouvera la portée de la discrétion. On y lit :

Modalités

Terms and conditions

21. (1) Le ministre peut fixer les modalités des marchés et les directives et modalités des documents qui se rapportent aux marchés ou à leur passation.

21. (1) The Minister may fix terms and conditions of contracts, and instructions and terms and conditions with respect to other documents relating to contracts and their formation.

Désignation par numéro

Designation

(2) Les modalités et directives peuvent être désignées par un numéro ou d’une autre façon et être incorporées dans les marchés et documents en y étant signalées par ce numéro ou selon l’autre façon.

(2) The terms and conditions and instructions may be identified by number or other designation and may be incorporated in a contract or other document by reference to their number or other designation.

Règlements

Publication

(3) Le ministre peut, par règlement, prévoir la manière de publier, notamment par voie électronique, les modalités et directives relatives aux marchés ou à leur passation, y compris leur désignation par un numéro ou d’une autre façon.

(3) The Minister may, by regulation, prescribe the electronic or other means by which a term, condition or instruction, including its identification number or other designation, shall be published.

[85]           C’est ainsi que le ministre sera au cœur de l’exercice d’acquisition des hélicoptères pour le bénéfice de la GCC et c’est pourquoi il aura été le maître du jeu. Il est redevable de son administration :

Fonctions

Exercise of powers, etc.

7. (1) Dans le cadre des pouvoirs et fonctions que lui confère la présente loi ou toute autre loi, le ministre :

7. (1) In exercising the powers or performing the duties or functions assigned to the Minister under this or any other Act of Parliament, the Minister shall

[...]

[...]

b) acquiert du matériel et des services, en conformité avec les règlements pertinents sur les marchés de l’État;

(b) acquire materiel and services in accordance with any applicable regulations relating to government contracts;

c) planifie et organise la fourniture aux ministères de matériel et de services connexes tels l’établissement de normes générales et particulières, le catalogage, la détermination des caractéristiques globales du matériel et le contrôle de sa qualité, ainsi que la gestion de celui-ci et les activités qui en découlent, notamment son entretien, sa distribution, son entreposage et sa destination;

(c) plan and organize the provision of materiel and related services to departments including the preparation of specifications and standards, the cataloguing of materiel, the determination of aggregate requirements for materiel, the assuring of quality of materiel, and the maintenance, distribution, storage and disposal of materiel and other activities associated with the management of materiel; and

[...]

[...]

Il en découle, me semble-t-il, que s’il y a eu collusion ou parti pris en faveur de l’une ou l’autre des entreprises invitées à participer au processus de soumission, il sera au premier rang des responsables. Or, le parti pris allégué dans cette affaire serait au profit de la GCC ou du ministère des Transports, mais pour une raison que l’on ignore. Or, c’est ici TPSG qui gère le processus qui doit avoir des qualités d’équité. C’est sa responsabilité. L’article 40.1 de la Loi sur les finances publiques, quoique déclaratoire, n’en est pas moins une affirmation forte du Parlement que « les mesures indiquées pour favoriser l’équité, l’ouverture et la transparence du processus d’appel d’offres » doivent être prises par le gouvernement fédéral. Comme on vient de le voir, c’est au ministre de TPSG que revient d’abord et avant tout cette tâche. La preuve démontre que c’est TPSG qui gérait le processus et était l’interlocuteur privilégié de la demanderesse.

[86]           Mais un exercice de discrétion ne peut jamais être arbitraire. Comme on vient de le voir, le ministre doit respecter le Règlement sur les marchés de l’État qui commande que

5. Avant la conclusion d’un marché, l’autorité contractante doit lancer un appel d’offres de la façon prévue à l’article 7.

5. Before any contract is entered into, the contracting authority shall solicit bids therefore in the manner prescribed by section 7.

On ne trouve nulle part d’obligation de consulter au préalable. Mais c’est ce à quoi TPSG a choisi de s’astreindre. Il devait suivre les règles qu’il s’était données et avait annoncées aux participants.

B.                 L’accès au recours sur révision judicaire

[87]           En l’espèce, Airbus n’a pas répondu à l’appel d’offres. Elle a choisi de ne pas poursuivre dans le processus lancé par la lettre d’intérêt du 17 août 2012, et conclu le 3 avril 2013 par l’appel d’offres, qu’elle considérait irrémédiablement vicié. Elle ne pouvait donc pas prendre un recours en droit des contrats (Irving Shipbuilding Inc c Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 RCF 488 [Irving Shipbuilding Inc]). La question se pose donc de savoir si un recours en contrôle judiciaire lui est ouvert.

[88]           Le Procureur général concède que le recours entamé par la demanderesse est viable. L’autre défenderesse, Bell, se contente de déclarer que c’est une question que la Cour doit régler. Bien sûr, juridiction ne peut être donnée de consentement. Toutefois, je suis d’avis qu’un contrôle judiciaire est une procédure possible dans les circonstances parce que le ministre a choisi de tenir un processus de consultation avant de lancer son appel d’offres. Ce choix emporte qu’il ne peut agir arbitrairement ce qui, en retour, nécessite qu’un contrôle judicaire de l’exercice de discrétion soit disponible.

[89]           Quoique prononcés dans un contexte tout différent, les propos du Juge de Montigny dans Festival canadien des films du monde c Téléfilm Canada, 2005 CF 1730 me confortent dans mon opinion :

[27]      La défenderesse soutient que la demanderesse n’est pas directement touchée par les décisions du 7 septembre et du 17 décembre 2004, étant donné qu’elle s’est abstenue de participer à l’appel de propositions. Par voie de conséquence, elle ne pourrait présenter une demande de contrôle judiciaire puisqu’elle ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[28]      La demanderesse rétorque qu’elle a l’intérêt requis dans la mesure où elle risque de devoir faire face à une compétition jouissant de la subvention dont le FFM se trouve désormais lui-même privé. Si elle n’a pas participé à l’appel de propositions, c’est parce qu’elle estimait que les dés étaient pipés et que le processus mis en place par Téléfilm n’avait pour seul but que de l’écarter de l’organisation et de la mise en œuvre d’un festival cinématographique à Montréal.

[29]      Compte tenu de l’interprétation de plus en plus large que les tribunaux font de l’intérêt pour agir depuis quelques années, de même que de l’implication soutenue du FFM dans le monde du film international depuis 1977 à Montréal et de l’impact que ne manquerait pas d’avoir les décisions contestées de Téléfilm sur les activités, la participation et même l’existence du FFM, je n’ai aucune difficulté à conclure que la demanderesse possède un intérêt juridique suffisant pour demander le contrôle judiciaire de l’appel de propositions et du choix d’un organisme concurrent par Téléfilm au terme de cet exercice. Bien que le protonotaire Morneau n’ait pas motivé sa décision de rejeter la requête en radiation présentée par la défenderesse, rien ne m’autorise à penser qu’il a erré dans son appréciation des faits ou dans l’application des principes élaborés par la jurisprudence en cette matière.

Déjà le mouvement était enclenché dans Gestion complexe Cousineau c Canada (Ministre des Travaux publics), [1995] 2 CF 694 [Gestion complexe Cousineau], où le Juge Décary, pour la Cour d’appel fédérale, écrivait :

[10]      Ce serait là, je le dis avec égards, avoir une conception dépassée du contrôle de l’administration gouvernementale. La « légalité » des actes posés par l’administration et qui est l’objet même du contrôle judiciaire, ne se détermine pas en fonction seulement de la conformité avec les exigences législatives et réglementaires expresses. Par exemple, lorsque le ministre procède à un appel d’offres, il se trouve à établir un cadre procédural qui rend applicable le principe de l’espérance raisonnable ou de l’attente légitime reconnu par cette Cour dans Bendahmane c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1989] 3 C.F. 16 (C.A.). Voir, également, Travailleurs des pâtes, des papiers et du bois du Canada, section locale 8 c. Canada (Ministre de l'Agriculture) (1994), 174 N.R. 37 (C.A.F.). Le soumissionnaire évincé aurait ainsi la possibilité de s’adresser à la Cour, par voie de demande de contrôle judiciaire, pour contraindre le ministre à respecter les engagements qu’il a pris quant à la procédure qu’il entendait suivre, et ce, peu importe que le ministre ait agi de sa propre initiative ou sous la dictée d'un règlement.

Les paragraphes 17 et 18 de la décision sont aussi importants :

[17]      Je ne cache pas la réticence que j’aurais eue à déclarer de façon catégorique qu’en aucune circonstance la Cour fédérale ne pourrait, par demande de contrôle judiciaire, vérifier la légalité d’un processus d’appel d’offres. Car c’est de cela, au fond, qu’il est question, quand on prétend que la Cour n’aurait pas compétence. C’est une chose, en effet, que de dire qu’un recours est plus ou moins approprié selon les circonstances. C’en est une autre que de dire qu’un recours est systématiquement prohibé en toutes circonstances. Les intimés, me semble-t-il, confondent ces deux notions. Il se peut que dans la réalité des choses ils aient plus souvent qu’autrement raison, en ce que les tribunaux auront cherché en vain l’illégalité qui, seule, peut justifier une intervention. Il n’en reste pas moins qu’en termes de compétence de la Cour, le Parlement a permis que ces décisions soient attaquées et le fait qu’en pratique elles puissent rarement l’être avec succès ne signifie pas que la Cour ait été sans compétence à leur égard.

[18]      Il suffit d’imaginer, dans le cas présent, que l’appelante fût parvenue à prouver les allégations de collusion entre la Couronne et la mise en cause qui constituaient à l’origine son principal motif d’attaque (et qu’elle a abandonnées en cours de route). La Cour n’aurait-elle pas eu compétence, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, pour prononcer la nullité des actes attaqués au motif de fraude décrit à l'alinéa 18.1(4)e) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale? Par ailleurs, que dire du tiers qui se serait abstenu, vu la collusion, de présenter une soumission et qui, du fait de son abstention, ne serait pas un “contractant” au sens de Ron Engineering, supra, note 7.? Pourrait-on le forcer à tenter sa chance par un recours de nature délictuelle contre la Couronne? Et qu’en serait-il de l’acte frauduleux qui, à l’abri de tout contrôle judiciaire lequel, en cette Cour, comprend la demande de jugement déclaratoire, ne pourrait jamais être déclaré nul?

[90]           On voit bien cependant que qui choisit de demander le contrôle judiciaire d’un appel d’offres doit vivre avec les contraintes du recours choisi. Mais le recours existe. Dans Irving Shipbuilding Inc, précité, on lit au paragraphe 21 :

[21]      Le fait que le pouvoir du ministre, un fonctionnaire, d’attribuer le contrat est prévu par la loi et que cet important contrat d’entretien et de réparation de sous-marins de la Marine canadienne constitue une question d’intérêt public, démontre que l’attribution du contrat peut être susceptible de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1, une procédure de droit public visant à contester l’exercice d’un pouvoir public. Toutefois, le fait que le vaste pouvoir du ministre conféré par la loi est une délégation de la capacité contractuelle de la Couronne, en sa qualité de personne morale individuelle, et que son exercice par le ministre représente un pouvoir discrétionnaire considérable et est régi essentiellement par le droit privé en matière de contrats, pourrait limiter les circonstances dans lesquelles la Cour ferait droit à une demande de contrôle judiciaire portant sur la légalité de l’attribution d’un contrat.

Évidemment, la jurisprudence est plus abondante autour des soumissions qui sont faites. La jurisprudence de Cougar Aviation Ltd c Canada (Ministre des Travaux Publics et des Services Gouvernementaux), 2000 CanLII 16572, 264 NR 49 [Cougar] visait le cas de l’évaluation des soumissions. Pourtant, il me semble que la considération énoncée au paragraphe 37 est tout aussi pertinente dans un cas comme le nôtre où le ministre a choisi de consulter dans un cadre bien précis :

[37]      Deuxièmement, l’application du critère plus rigoureux favorise l’atteinte des objectifs de l’Accord, compte tenu de l’importance que revêtent la transparence et l’équité du processus et la nécessité d’éviter toute influence indue en matière d’adjudication des marchés publics. Les doutes que les soumissionnaires éventuels peuvent avoir au sujet de l’intégrité du mode de passation des marchés de l’État risquent de les décourager de présenter une soumission, et ce, au détriment de l’optimisation des deniers publics et du principe de la possibilité pour tous de soumettre une offre.

À mon avis, ce qui importe est le fait qu’un processus menant à un appel d’offres a été établi. Il y avait en l’espèce cet élément public dans l’octroi du contrat, même au stade préliminaire. Le ministre ne peut agir arbitrairement. Mais il s’agira d’une bien haute barre qu’un demandeur doit tenter de sauter. Le ministre doit faire preuve d’équité procédurale, aussi limitée soit-elle, et il doit employer sa discrétion de façon raisonnable. Tels sont les paramètres auxquels la demanderesse doit se soumettre.

[91]           Il n’est pas facile de cerner, en l’espèce, la décision qui ferait l’objet d’un contrôle judiciaire. La demanderesse parle d’un refus de reconsidérer et modifier les exigences techniques. Les défendeurs m’ont semblé se satisfaire de cette qualification. Fort bien. Personne ne doutera que l’équité, la transparence, l’égalité des chances, la concurrence doivent faire partie du processus d’octroi de contrats. Il devrait en être ainsi du processus préliminaire menant éventuellement à l’appel d’offres lui-même. Mais le fardeau de la demanderesse n’en est pas moindre et il est de démontrer que le refus de considérer les changements était déraisonnable. Dans la même veine, elle devra démontrer que le refus de les modifier était déraisonnable.

[92]           Or, en ces matières, la jurisprudence de la Cour suprême du Canada a déterminé en quoi consiste la norme de contrôle de la raisonnabilité. La déférence est de mise. Le maintenant célèbre paragraphe 47 de Dunsmuir, précité, mérite d’être reproduit au long :

[47]      La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Ainsi, la norme de raisonnabilité est ancrée dans la notion de déférence qui « implique donc que la cour de révision tienne dûment compte des conclusions du décideur » (Dunsmuir, para 49). Si la décision est justifiée, transparente et provient d’un processus décisionnel intelligible, elle sera raisonnable; si les décisions font partie des issues possibles et acceptables, la décision sera raisonnable. La Cour de révision ne se substitue pas au décideur. Le fardeau est sur les épaules de la demanderesse de satisfaire la Cour. Comme la Cour suprême le dit au paragraphe 49 :

La déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien.

C.                 La décision est-elle raisonnable?

[93]           Ici, la preuve présentée à l’appui de la demande ne satisfait pas le fardeau. Ceci dit avec égards, je n’ai pu trouver dans la preuve en quoi le processus suivi aurait pu être factice ou arbitraire. Le favoritisme allégué n’a à mon avis jamais été démontré.

[94]           La Couronne aura présenté une preuve très solide d’un processus transparent et intelligible mené par le ministre de TPSG qui n’a d’autre intérêt dans l’affaire que de mener un processus d’appel d’offres qui satisfasse à l’engagement décrété à l’article 40.1 de la Loi sur les finances publiques. La structure de gouvernance, la participation de nombre de personnes et d’experts, la présence de nombreux ministères et l’utilisation d’un expert indépendant (qui n’était même pas payé par la GCC) militent tous en faveur d’un cadre permettant des décisions raisonnables au sens du droit administratif. De fait, la preuve révèle que près de 25 recommandations, dont certaines favorisaient Airbus, ont été acceptées et ont résulté en des modifications aux exigences techniques. On est loin de l’allégation faite par la demanderesse que le ministre a refusé de reconsidérer les exigences techniques. Ce n’est tout simplement pas le cas. Le ministre a refusé d’accorder certains des changements demandés. Ce n’est pas la même chose.

[95]           La preuve devant cette Cour est claire. Un processus rigoureux a été mis en place avec un suivi précis des recommandations et demandes faites et des raisons de leur acceptation ou refus. Tout semble avoir été documenté. On aurait pu croire que le donneur d’ouvrage a cherché à se prémunir contre d’éventuelles attaques. On a ainsi créé un processus où les « checks and balances » sont abondants. Un processus dessiné pour faire face à des attaques éventuelles ne peut faire foi de tout : il n’est pas impossible que malgré le processus, il y ait eu failles. Mais encore faut-il les démontrer. Les insinuations ne peuvent suffire.

[96]           M. Robert Wight, qui est ingénieur en mécanique et détenteur d’un MBA, est le directeur général au sein de la GCC responsable de plusieurs projets d’acquisition dépassant 4 milliards de dollars. Il a témoigné au sujet du processus mis en place en l’espèce, avec ses comités superposés pour superviser l’exercice (« Project Steering Committee », « Director General Governance Committee », « Assistant Deputy Minister Integrated Steering Committee »).

[97]           Là où son témoignage, par voie d’affidavit sur lequel il a été contre-interrogé, est particulièrement pertinent est au sujet du développement des exigences techniques décriées par la demanderesse.

[98]           Le moins que l’on puisse dire est que cet aspect du processus d’acquisition est tout particulièrement bien documenté. Sont particulièrement intéressants les tableaux, comptant chacun plus de 45 pages, qui sont devenus les pièces 6 et 7 jointes à l’affidavit de M. Wight.

[99]           On y retrouve toutes les exigences obligatoires. Dans le cas de la pièce 6, on y voit l’évolution de chacune des exigences, en partant des exigences de départ pour arriver à la demande de propositions sous forme d’ébauche, pour aboutir à la demande de proposition finale; les changements apportés sont expliqués. La pièce 7, quant à elle, fournit au lecteur la justification de l’exigence technique en rapport avec l’exigence opérationnelle.

[100]       Il m’apparaît impossible à la lecture de ces tableaux de conclure à l’arbitraire. À tout le moins, la preuve en demande ne répondait pas à une démonstration, encore moins à une démonstration convaincante. Qui plus est, il y a transparence. Les changements y sont répertoriés, et ils sont nombreux, et ils sont justifiés en fonction des besoins opérationnels. La preuve est abondante et elle n’a pas été attaquée. On peut même trouver à la pièce 5 de l’affidavit de M. Wight copie de demandes de changements proposés, sur plus de 200 pages.

[101]       Si les tableaux ne suffisaient pas, M. Wight explique à son affidavit la raison d’être des refus d’accorder certains des changements demandés par Airbus. À mon avis, cette démonstration est accablante. De fait, elle a été sans réponse alors que le contre-interrogatoire de M. Wight n’aura aucunement inquiété ou ébranlé les tableaux.

[102]       Que la demanderesse ait été déçue que certaines de ses recommandations n’aient pas été adoptées, fort bien. Mais cela ne rend certes pas les décisions déraisonnables. De fait, je n’ai pas été convaincu que les exigences techniques n’étaient pas fonction des exigences opérationnelles de la GCC. Ce serait plutôt l’inverse. La preuve de la demanderesse faisait cruellement défaut à cet égard. Cette preuve se résume à des allégations de parti pris qui n’ont jamais atteint le niveau de démontrer que les exigences opérationnelles étaient exagérées. Dès le départ, Airbus a vu que les exigences techniques étaient élevées et a choisi de chercher à s’attaquer aux profils de mission. Si ceux-ci ne peuvent correspondre à des besoins opérationnels, on pourrait alors prétendre que les exigences techniques dépassent les besoins. Malheureusement pour la demanderesse, cette preuve n’a pas été faite et il n’est pas davantage possible de tirer des inférences de cette nature à partir de ce qui n’est que des allégations non soutenues.

[103]       La preuve de son témoin Corey Taylor était courte. À titre de pilote d’hélicoptères, expérimenté, ayant toujours œuvré dans le secteur privé, il possédait une expertise d’autant limitée qu’il n’avait aucune expérience de processus de demandes de soumissions pour l’acquisition d’hélicoptères. Sans rejeter d’emblée son témoignage, il pesait peu dans la balance face à la preuve solide de la Couronne. Comme l’écrivait John Sopinka en 1981 dans son The Trial of an Action (John Sopinka, The Trial of an Action, (Toronto: Butterworths,1981)):

It is usually vain to suppose that the expert will be wholly discredited. The object is to flaw him so that your expert is preferred.

[Page 80]

[104]       Comme noté plus haut, l’expertise de M. Taylor est limitée et il a été reconnu par la demanderesse qu’il a mal compris le tableau technique relatif à HOGE. J’ai aussi retenu les questions relatives à l’utilisation de certains carburants par très basses températures où le témoignage me semblait loin d’être persuasif. Le poids relatif en a été affecté.

[105]       La demanderesse n’a pas vraiment insisté sur des aspects précis des exigences techniques. Lorsque cela a été fait en début de processus, des ajustements ont été faits qui ont eu l’heur de favoriser Airbus, du moins en partie. Quand, en toute fin de processus, les changements portaient sur des points vitaux de charge utile, de portée de l’appareil, tant pour la distance parcourue que pour l’altitude recherchée, ou le repli des pales, les changements recherchés par Airbus étaient considérables et revenaient à diminuer les exigences techniques de façon significative. Airbus suggérait moins de versatilité et des performances inférieures.

[106]       Elle a plutôt cherché à placer le débat sur deux piliers : le gouvernement a fait preuve de favoritisme dès sa décision d’accorder une exemption de poids pour l’hélicoptère de Bell; et son refus de présenter les profils de mission, ce qui aurait permis d’offrir des solutions de rechange plutôt que de s’attaquer à des exigences techniques.

[107]       Pour ce qui est de l’exemption de poids, la demanderesse y voit une preuve de favoritisme de la part du gouvernement. Il me semble qu’il y a là une part d’inflation verbale. Même si on admettait que le chef pilote de la GCC aurait indiqué en décembre 2009 que le Bell 429 serait un bon candidat pour la GCC, ce dont il dit ne pas se rappeler, celui-ci ne peut parler au nom du Gouvernement du Canada. L’exemption de poids n’a pas été accordée par le chef pilote.

[108]       Le Procureur général a prétendu que si Airbus voulait contester l’exemption de poids, elle aurait dû le faire au temps où elle a été accordée. J’ai conclu qu’il n’y a rien d’inconvenant à soulever le contexte ayant mené à l’exemption parce que cela fait partie de la trame globale. Airbus ne conteste pas l’exemption au plan technique. Elle y voit la preuve de favoritisme. Mais, à nouveau, encore faut-il le démontrer.

[109]       La preuve démontre plutôt que les plaintes à cet égard se sont rendues au ministre des Transports. Il est en preuve que 15 autres régulateurs l’ont accordée à cet appareil, qu’Airbus aurait pu s’en prévaloir (on verrait mal comment elle aurait pu être refusée si la caractéristique des autres appareils le permettait) et que la décision prise l’a été au plus haut niveau. Les allégations de copinage aux niveaux inférieurs n’ont pas été démontrées et même si elles l’avaient été, ce dont il était ici question devrait être une collusion remarquablement étendue pour mener à la conclusion que le Gouvernement du Canada aurait favorisé indûment Bell. La preuve circonstancielle, consistant davantage à des allusions qu’à des faits, ne permet pas une telle inférence. Ce n’est pas ce qu’Airbus a allégué d’ailleurs. Son allégation de copinage est sèche, elle ne mène nulle part. Cela ne démontre certes pas collusion ou même favoritisme.

[110]       Quant aux profils de mission, Airbus a demandé plus d’information à leur égard très tôt dans le processus, malgré que sept profils de mission aient été fournis aux participants au processus. Il est loin d’être clair en quoi consistaient les solutions de rechange possibles, outre que de modifier les exigences requises en les diminuant lorsque la performance de l’appareil était en jeu. Ainsi pour certaines exigences la solution de rechange proposée était de réduire la charge utile de près de 9% ou d’avoir des durées de vol maximum inférieures de 8.3%. Pour les pales qui ne pouvaient se replier pour garer les hélicoptères la première solution de rechange aurait été de les désinstaller; en mars 2013, on n’offrait que de travailler avec la GCC pour trouver une solution. Ici encore, la précision dans la preuve de la demanderesse faisait défaut.

[111]       Mais il y a plus. Il est apparu tôt en 2013 que le leitmotiv quant aux profils de mission allait plus loin que les profils. Dans ses lettres des 11 janvier et 18 mars 2013, Airbus ne recherchait plus les profils de mission. J’ai reproduit les passages identiques des deux lettres au paragraphe 19 des présents motifs. Lorsque l’on requiert le nombre de bases, le nombre de vaisseaux, la durée des missions de nuit, les distances d’un vaisseau à la rive pour chaque mission, le pourcentage d’utilisation de chaque type d’hélicoptère pour chaque mission par année, de la description des cargos et de leur quantité pour chaque mission, on peut penser que l’on s’est éloigné des profils de mission en vue de trouver des solutions de rechange. Cela ressemble bien davantage à de l’ingérence dans la conduite des opérations de la GCC. Comment expliquer en quoi est pertinent le nombre de bases ou de navires? Je ne puis voir en quoi un refus de se soumettre à ce genre de questionnement pourrait constituer quoique ce soit de déraisonnable. Ce n’est pas tant le profil de mission qui était recherché que le profil d’utilisation des appareils. Non seulement le ministre n’avait aucune obligation de fournir les profils de mission, mais il l’a fait pour fournir le contexte. Il n’avait certainement pas l’obligation de fournir l’utilisation des appareils et leur fréquence d’utilisation dans telle ou telle circonstance. Cela me semble procéder d’un tout autre ordre.

[112]       La preuve tend aussi à démontrer qu’Airbus n’avait pas un appareil de toute dernière génération. Alors que les exigences originales voulaient que l’appareil pouvant faire l’objet de soumission soit déjà certifié, Airbus a obtenu que la certification ne soit obtenue que six mois après la fermeture des soumissions. La Couronne a mis en preuve que la demanderesse n’a jamais divulgué quel appareil aurait pu faire l’objet de la soumission. En janvier 2013, elle se plaignait que le processus de consultation allait trop vite. Il me semble qu’il soit possible de tirer une inférence raisonnable que dès août 2012, la demanderesse a su que ses appareils pourraient être incapables de se mesurer aux exigences techniques, mais qu’un autre appareil pourrait être un meilleur concurrent. Cela expliquera la demande qu’un appareil puisse être certifié après la fermeture des soumissions et l’insistance que le processus de soumission allait trop vite.

[113]       Quoiqu’il en soit, si la demanderesse peut arguer que le type d’utilisation est exagéré, cela pourrait entraîner des exigences techniques réduites qui aurait ainsi favorisées sa compétitivité. Or, les exigences techniques n’étaient ni injustes, ni déraisonnables, ni arbitraires selon la preuve devant la Cour. Airbus n’a jamais démontré que les exigences techniques dépassaient les besoins opérationnels identifiés. Cela est conforme aux conclusions de l’expert indépendant, dont les conclusions n’ont pas été sérieusement mises en doute, que ces exigences sont « reasonable, achievable and fair. » La demanderesse n’a pas fait la preuve que le ministre a refusé de façon déraisonnable de reconsidérer et modifier les exigences techniques. Le dossier révèle plutôt un examen systématique des besoins techniques, le tout soutenu par une documentation abondante mise en preuve. La preuve n’a pas été faite non plus que la demande de propositions a été taillée sur mesure pour favoriser Bell puisque le processus suivi avec sa gouvernance élaborée a produit des exigences raisonnables, atteignables et justes selon un expert indépendant.

D.                L’équité procédurale : l’impartialité

[114]       L’autre volet du contrôle judiciaire est la prétention qu’atteinte à l’équité procédurale a eu lieu. La norme de contrôle en cette matière est celle de la décision correcte (voir, entre autres, Dunsmuir, précité, le Juge Binnie au para 129). Aucune déférence n’est habituellement due.

[115]       Brown et Evans dans leur Judicial Review of Administrative Action in Canada (Brown and Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto, On, Carswell, 2013) (feuilles mobiles mise à jour 2014-3), ch 7, 1610) présentent la question de la façon suivante :

Apart from a legislated standard, courts have generally assumed that questions of administrative procedural propriety are peculiarly within their province, at least when they are determining whether an administrative agency’s procedure was unfair, and accordingly they rarely apply a deferential standard of review. Others have reached the same conclusion on the basis that since both the existence of and the content of the duty of fairness raise questions of law, the standard of review of correctness.

There would appear to be two bases for the court’s present non-deferential approach. First, as indicated, courts have traditionally regarded themselves as having an expertise in matters of procedure, and in particular, in the conduct of fair hearings in connection with adjudicative decision-making. Second, when the legislature endows an administrative tribunal with a dispute-resolution function, and in effect takes it out of the judicial system, the courts can provide some protection to individuals against abuses of power and arbitrary decision-making, by requiring the tribunal to follow a fair procedure.

[116]       Mais cela ne règle pas la question. La jurisprudence est claire que la qualité de l’équité procédurale doit varier en fonction du contexte, des circonstances. Ainsi, dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817, la Cour élabore une grille d’analyse afin de déterminer la norme applicable. Ils ont été utilement résumés dans Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, [2004] 2 RCS 650, au paragraphe 5 :

5          Le contenu de l’obligation d’équité qui incombe à un organisme public varie en fonction de cinq facteurs : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi par l’organisme public pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les dispositions législatives précises en vertu desquelles agit l’organisme public; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la partie qui conteste la décision; et (5) la nature du respect dû à l’organisme : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Je suis d’avis, après avoir examiné les faits et les dispositions législatives en jeu dans le présent pourvoi, que ces facteurs imposent à la municipalité l’obligation d’exprimer les motifs de son refus d’acquiescer à la deuxième et à la troisième demande de modification de zonage présentées par la Congrégation.

De façon générale, si on devait mettre sur un spectre les garanties d’équité procédurale, elles seraient sensiblement plus élaborées là où l’organisme procède à l’adjudication sur des droits fondamentaux de la personne qu’à l’autre bout du spectre où des intérêts commerciaux sont en jeu. Ici la discrétion conférée au ministre est considérable. Ce n’est pas contesté. La consultation menée l’était par choix, sans qu’une obligation légale contraigne à tenir ce processus. On ne peut douter que le ministre devait agir de bonne foi en toute impartialité. Mais il ne s’agissait pas d’une adjudication ou d’un processus pouvant s’apparenter à la fonction quasi judiciaire. Quoiqu’il en soit, à mon avis le processus suivi par TPSG est irréprochable au plan de l’équité procédurale et il n’est pas utile d’élaborer davantage sur la grille d’analyse étant donné que, à mon avis, il satisfaisait au devoir d’impartialité et d’équité procédurale en ce que tous les participants au processus ont été traités sur un pied d’égalité.

[117]       Cet argument chevauche dans une bonne mesure le premier. La demanderesse a prétendu que le ministre a manqué à son obligation d’impartialité qui fait partie, à n’en pas douter, de l’équité procédurale minimale. Se fondant sur l’arrêt Cougar, précité, elle argue que le test applicable était celui de la crainte raisonnable de partialité. On y lit :

[35]      Il n’est pas nécessaire en l’espèce de décider si l’obligation d’agir avec équité englobe, dans le cas des comités d’appel, la crainte raisonnable de partialité. J’estime toutefois qu’exiger de la part de ceux qui sont chargés d’évaluer les soumissions d’éviter tout comportement qui susciterait une crainte raisonnable de partialité en faveur d’un des soumissionnaires est entièrement compatible avec le cadre légal régissant l’adjudication du marché qui nous occupe en l’espèce.

[36]      Je me fonde sur deux motifs pour justifier ce point de vue. En premier lieu, l’adjudication d’un marché régi par l’Accord ne constitue pas une décision essentiellement politique à laquelle il conviendrait d’appliquer le critère moins rigoureux de l’apparence d'esprit fermé. Le processus décisionnel qui régit l’adjudication des marchés publics comporte l’évaluation de plusieurs soumissions opposées en fonction de critères qui sont rarement objectifs et en fonction d’une appréciation plus subjective de l’acceptabilité des soumissionnaires en tant qu’éventuels fournisseurs de services, surtout lorsque, comme en l’espèce, l’adjudicataire aura des rapports constants avec des fonctionnaires du MPO au cours de l’exécution du marché.

[37]      Deuxièmement, l’application du critère plus rigoureux favorise l’atteinte des objectifs de l’Accord, compte tenu de l’importance que revêtent la transparence et l’équité du processus et la nécessité d’éviter toute influence indue en matière d’adjudication des marchés publics. Les doutes que les soumissionnaires éventuels peuvent avoir au sujet de l’intégrité du mode de passation des marchés de l’État risquent de les décourager de présenter une soumission, et ce, au détriment de l’optimisation des deniers publics et du principe de la possibilité pour tous de soumettre une offre.

Comme on le voit, la Cour d’appel fédérale ne décide pas formellement de la question, mais semble tendre dans cette direction. Par ailleurs, le Procureur général plaide que le test devrait plutôt être celui de l’esprit fermé, s’appuyant en cela sur une autre décision de la Cour d’appel fédérale, celle-là dans Pelletier c Canada (Procureur général), 2008 CAF 1[Pelletier].

[118]       Ni l’une, ni l’autre de ces décisions n’est parfaitement conforme à notre affaire : Cougar traitait de partialité dans l’examen des soumissions, ce qui est différent du processus mis de l’avant, qui n’est pas requis par la loi, menant à l’appel d’offres, et Pelletier examinait un congédiement d’une personne nommée par le Gouverneur-en-Conseil à titre amovible. Notre cas est concerné par un processus non obligatoire antérieur à une demande de soumissions.

[119]       Étant donné la conclusion à laquelle la Cour en est arrivée, il n’est pas nécessaire de choisir un test plus élevé comme celui de la personne à l’esprit fermé puisque, à mon avis, il ne saurait y avoir ici une crainte raisonnable de partialité pour un observateur bien informé qui examinerait le tout de manière réaliste et pratique (le test tel que présenté dans Med-Emerg International Inc c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2006 CAF 147, au para 31, reprenant le test maintenant célèbre articulé dans Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369).

[120]       Pour l’essentiel, la demanderesse reprend son argumentaire au sujet du caractère raisonnable du refus de modifier les exigences techniques et prétend maintenant à l’absence d’impartialité. Elle invoque :

                     les exigences techniques étaient calquées sur les spécifications de l’appareil de Bell;

                     les interventions de la demanderesse exposant la discrimination dont elle souffrait sont restées sans réponse;

                     le ministre a voulu empêcher Airbus d’offrir des solutions de rechange en ne fournissant pas assez d’information sur les profils de mission;

                     certaines exigences techniques ont été modifiées pour favoriser Bell;

                     le gouvernement était déjà favorable à Bell puisqu’il lui a conféré une exemption de poids que les autorités américaines et européennes compétentes ont refusé.

[121]       Comme j’ai tenté de le montrer, ces plaintes ne tiennent pas la route et, de toute manière, le poids de la preuve du côté des défendeurs est de beaucoup supérieur. La structure de gouvernance, le grand nombre de fonctionnaires de niveaux multiples qui ont fait partie du processus de consultation, la présence d’un surveillant d’équité (« fairness monitor ») pour assurer que les participants soient traités également et que la même information soit disponible à tous, le fait que de nombreux changements aient été apportés, dont plusieurs favorisaient Airbus, et l’opinion ferme d’un expert indépendant que les exigences techniques étaient raisonnables, atteignables et justes favorisant tous les défendeurs. J’ajoute que je suis satisfait de la preuve faite que les exigences techniques sont dans le but de combler les besoins opérationnels de la GCC. Comme indiqué plus tôt, l’épisode de l’exemption de poids, qui n’impliquait d’ailleurs aucune des personnes affectées au processus d’acquisition d’hélicoptères, à l’exception du chef pilote de la GCC, et la question des profils de mission n’avancent aucunement la cause de la demanderesse. On ne peut voir une atteinte à l’impartialité de refuser une ingérence, même déguisée, dans les opérations de la GCC. Le processus de consultation n’allait pas aussi loin. L’observateur bien informé qui examine les faits de manière réaliste et pratique ne pourrait que constater la qualité du processus mis en place qui élimine la perception raisonnable de partialité.

E.                 L’équité procédurale : les attentes légitimes

[122]       Finalement, la demanderesse a invoqué une atteinte à ses attentes légitimes. J’admets pour les fins de cette affaire que la doctrine des attentes légitimes opère (Gestion complexe Cousineau, précité, para 10). Mais cette doctrine est à caractère procédural, en ce que la demanderesse était en droit de s’attendre à ce que la procédure amorcée par le ministre pour la consultation, même si elle n’était pas requise, serait suivie. Dans Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 RCS 504 [Mavi], la doctrine des attentes légitimes est ainsi décrite :

[68]      Lorsque dans l’exercice du pouvoir que lui confère la loi, un représentant de l’État fait des affirmations claires, nettes et explicites qui auraient suscité chez un administré des attentes légitimes concernant la tenue d’un processus administratif, l’État peut être lié par ces affirmations si elles sont de nature procédurale et ne vont pas à l’encontre de l’obligation légale du décideur. La preuve que l’intéressé s’est fié aux affirmations n’est pas nécessaire. Voir les arrêts Centre hospitalier MontSinaï, par. 2930; MoreauBérubé c. NouveauBrunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, [2002] 1 R.C.S. 249, par. 78; S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, par. 131. Constitue un manquement à son obligation d’équité l’omission substantielle du décideur de respecter sa parole : Brown et Evans, p. 7-25 et 7-26.

Cependant, cette doctrine, comme le note la Cour dans Mavi, a ses limites. Dans Genex Communications Inc c Canada (Procureur Général), 2005 CAF 283, le Juge Létourneau exposait ces limites de façon concise :

[191]    Il est bien connu que la doctrine de l’attente raisonnable est d’ordre procédural et ne crée pas de droits fondamentaux : elle n’est que le prolongement des principes de justice naturelle et des règles de l’équité procédurale : voir Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, à la page 1204; Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249. « Elle peut donner lieu au droit de faire des observations, au droit d’être consulté et peut-être, si les circonstances l’exigent, à des droits procéduraux plus étendus. Mais autrement elle n’entrave pas le pouvoir discrétionnaire du décideur légal de façon à entraîner un résultat particulier » (je souligne). Voir Moreau-Bérubé, au paragraphe 78. L’expectative ne doit pas entrer en conflit avec le mandat légal de l’autorité publique et la doctrine ne permet pas d’obtenir une réparation substantielle : voir Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), [2001] 2 R.C.S. 281, aux paragraphes 29, 32 et 38.

[123]       Encore tout récemment, la Cour d’appel fédérale rappelait que seulement les indications claires, sans ambiguïté et sans qualification peuvent donner ouverture à la doctrine (voir Drabinsky v Canada (Advisory Council of the Order), 2015 FCA 5, au paragraphe 8). Le ministre avait promis un processus équitable et impartial. Là s’arrêtait l’attente raisonnable et elle a été remplie.

[124]       À y regarder de plus près, ce dernier argument de la demanderesse est une variation sur le thème précédent de la partialité. Ainsi, on se plaint que la demande de propositions était non « soumissionnable » parce que les assouplissements demandés n’ont pas été accordés; la conduite du ministre ne rencontrait pas le haut niveau d’équité et d’impartialité promis; les commentaires et propositions de la demanderesse n’ont pas été réellement considérés.

[125]       La demanderesse sort dans une certaine mesure du caractère procédural de la doctrine. Elle veut juger du processus en le jugeant en fonction des résultats obtenus. Mais cela importe peu puisqu’aucun de ces facteurs relatifs à la partialité n’a été retenu par cette Cour. L’application de la doctrine ne donnait pas ouverture au remède recherché parce que le ministre a suivi de près la procédure promise. C’est ce à quoi la demanderesse avait droit. Ce dont la demanderesse se plaint est de ne pas avoir obtenu tous les changements espérés. Du fait que tous les changements n’ont pas été acceptés, le processus aurait été vicié semble croire la demanderesse. Au plan procédural, le ministre a pourtant donné suite à ses promesses; la demanderesse n’avait pas droit à un résultat donné. Elle avait le droit d’être consulté. Qui plus est, la preuve de partialité alléguée n’a pas été faite, si bien qu’il n’est pas établi que les changements refusés l’étaient pour des raisons arbitraires, ou même injustes.

[126]       Je conclurais en citant le paragraphe 59 de la décision de la Cour d’appel fédérale, dans sa version anglaise, dans Cougar, précité :

[59]      In my opinion, even when considered cumulatively, the grounds advanced by the applicant for impugning the impartiality and fairness of the tendering process do not establish a breach of the duty of fairness. Decisions made in the course of the decision-making process that are perceived by a participant to be adverse to its interests will normally not suffice to prove a reasonable apprehension of bias in the decision-maker. Nor does the duty of fairness require a decision-maker to adopt the best possible process for arriving at the “right” decision.

VI.             Conclusion

[127]       Les défendeurs avaient plaidé que, si la Cour concluait que la demande de contrôle judiciaire était accordée, il soit déclaré que le contrat n’est pas annulé à cause d’un processus d’appel d’offres jugé illégal. On invoquait tout particulièrement Mines Alerte Canada c Canada (Pêches et Océans), [2010] 1 RCS 6 [Mines Alerte], prétendant que l’intérêt public et le préjudice aux défendeurs justifieraient que la Cour, dans sa discrétion en matière de contrôle judiciaire, décline d’accorder le remède demandé.

[128]       De toute évidence, la Cour n’a pas à se prononcer étant donné l’issue de la demande de contrôle. Quoique je n’aurais pas été enclin à prime abord à refuser le remède demandé parce que la primauté du droit importe et que, de toute évidence les défendeurs ont choisi d’aller de l’avant malgré le risque que posait la demande de contrôle judiciaire, il n’est ni nécessaire ni utile de rechercher davantage où se trouverait la prépondérance des inconvénients en l’espèce où la nature du recours est bien différente de celle dans Mines Alerte où la question de droit était l’intérêt central de Mines Alerte, une société à but non lucratif.

[129]       Pour les motifs exposés, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[130]       Il a été convenu que la question des dépens sera traitée après le prononcé du jugement. Le greffe de la Cour convoquera une audience, en personne ou par téléphone, à la convenance des intéressés, si les parties sont incapables de s’entendre sur la base sur laquelle les dépens devraient être octroyés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens. Les représentations sur ceux-ci seront à venir.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1097-13

 

INTITULÉ :

AIRBUS HELICOPTERS CANADA LIMITED c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX, BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 décembre 2014, 16 décembre 2014, 17 décembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 février 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Marc-André Fabien

Me Dominique Gibbens

 

Pour la demanderesse

 

Me Judith Robinson

 

POUR LA DÉFENDERESSE BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA

 

Me Nadine Dupuis

Me Bernard Letarte

 

POUR LES DÉFENDEURS LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Norton Rose Fulbright Canada LLP

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX

 

 

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