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Date : 20150320


Dossier : IMM-4248-13

Référence : 2015 CF 362

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

DILARA MOMTAZ, ISRAT JAHAN, NAGIA FARHA, NAFISA MOSTAFA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], qui vise la décision d’une agente d’immigration principale [l’agente], datée du 10 mai 2013 [la décision], qui a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire que les demanderesses ont faite au Canada.

II.                LE CONTEXTE

[2]               Les demanderesses sont une mère [la demanderesse principale] et ses trois filles âgées de 16 ans [la demanderesse mineure], 25 ans et 27 ans. Elles sont des citoyennes du Bangladesh.

[3]               Les demanderesses sont arrivées au Canada et ont demandé l’asile en décembre 2009. Elles ont allégué avoir fait l’objet de menaces et d’agressions de la part de l’ex‑fiancé de la fille aînée de la demanderesse principale. Cette dernière affirme qu’après les fiançailles, elle a appris que le fiancé de sa fille était le leader d’une organisation terroriste. Elle a annulé le mariage, et il s’en est suivi qu’elles ont été victimes de harcèlement et d’agressions de la part du fiancé et de ses associés terroristes. Les demanderesses disent qu’elles ont demandé l’aide de la police, mais qu’elles ne l’ont jamais obtenue.

[4]               En décembre 2011, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR] a rejeté leurs demandes d’asile en invoquant le manque de crédibilité. La SPR a décelé un certain nombre d’incohérences, d’incompatibilités et de contradictions dans la preuve des demanderesses. Elle a également conclu à l’absence d’une crainte fondée parce que les demanderesses avaient fait plusieurs voyages dans différents pays et étaient retournées au Bangladesh toutes les fois, durant la période où elles allèguent avoir été harcelées et agressées. La SPR était aussi d’avis qu’il était peu vraisemblable que l’ex‑fiancé soit associé au groupe terroriste en question. Les demanderesses se sont vu refuser l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR en avril 2012.

[5]               En février 2012, les demanderesses ont présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Elles soutiennent qu’elles se heurteront à des difficultés si elles doivent demander la résidence permanente depuis l’étranger, en raison des craintes persistantes qu’elles ont à l’endroit de l’ex-fiancé et de ses associés terroristes, de la situation défavorable qui règne au Bangladesh, de la perte de liens personnels et familiaux étroits au Canada et de l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure.

III.             LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[6]               La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée le 10 mai 2013.

[7]               L’agente a affirmé qu’elle avait notamment tenu compte des facteurs suivants : la situation qui règne au Bangladesh, l’établissement des demanderesses au Canada, les difficultés découlant de la perte des liens personnels et l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle a déclaré que les risques de préjudice soulevés par les demanderesses concernant les articles 96 et 97 ne pouvaient pas être pris en considération dans une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[8]               L’agente a souligné qu’il incombait aux demanderesses d’établir que leurs situations personnelles se traduiraient par des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elles étaient tenues de demander des visas de résidentes permanentes depuis l’étranger. Elle a défini les difficultés inhabituelles ou injustifiées comme étant des difficultés qui n’avaient pas été prévues par le régime législatif ou qui étaient indépendantes de la volonté des demanderesses. Elle a défini les difficultés excessives comme étant des difficultés qui auraient des répercussions excessives sur la vie des demanderesses en raison de leurs situations personnelles.

[9]               Les demanderesses ont allégué qu’elles seraient victimes de discrimination au Bangladesh et qu’elle ne bénéficierait pas de la protection de l’État. L’agente a reconnu que la preuve démontrait que les femmes au Bangladesh étaient désavantagées d’un point de vue socio‑économique et que des progrès sur les plans juridique et politique avaient été faits pour améliorer la situation des femmes dans ce pays. De plus, le nombre de femmes au travail au Bangladesh continue d’augmenter. L’agente a conclu que les demanderesses n’avaient pas établi que des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives surviendraient à leur retour au Bangladesh.

[10]           L’agente a ensuite examiné l’établissement des demanderesses au Canada sous l’angle des études et du travail. Elle a reconnu que la demanderesse principale est propriétaire unique d’une petite entreprise qui compte un employé à temps partiel. Elle a conclu que rien ne laissait croire que la demanderesse principale ne pouvait pas trouver quelqu’un d’autre pour exploiter son entreprise ou qu’elle ne pouvait pas la vendre. Elle a aussi reconnu que l’aînée avait terminé sa douzième année au Canada et qu’elle travaillait à temps partiel. La deuxième fille de la demanderesse principale travaillait aussi à temps partiel et était inscrite à un programme de formation de pilote professionnel qu’elle devait terminer en septembre 2012. L’agente a affirmé que le vécu des demanderesses tiré des études et des emplois serait transférable au Bangladesh. Elle a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que leur départ leur causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

[11]           L’agente a également jugé que la preuve n’indiquait pas que le retour au Bangladesh serait contraire à l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure. Elle a souligné que l’enseignement primaire y était gratuit et obligatoire. Elle a aussi souligné que la langue maternelle de la demanderesse mineure était le bengali et qu’il était raisonnable de croire qu’elle était allée à l’école au Bangladesh et avait continué d’être exposée au bengali et à la culture bangladaise au sein de sa famille établie au Canada. L’agente a conclu que rien dans la preuve ne laissait croire que la demanderesse mineure ne pourrait pas faire d’études et ne bénéficierait pas de l’amour et du soutien de sa mère au Bangladesh.

[12]           L’agente a souligné que rien n’empêchait le renvoi des demanderesses au Bangladesh. Les demanderesses sont des citoyennes du Bangladesh et elles y étaient bien établies avant de venir au Canada. Elle a encore une fois souligné que le vécu tiré des études faites et des emplois occupés au Canada était transférable.

[13]           L’agente a conclu que, même s’il se pouvait que les demanderesses se heurtent à des difficultés à leur retour au Bangladesh, les difficultés qui permettraient de [traduction] « déclencher l’exercice du pouvoir discrétionnaire pour des motifs d’ordre humanitaire doivent être différentes des difficultés inhérentes au renvoi d’une personne établie depuis un certain temps » (dossier certifié du tribunal, à la page 11). Les demanderesses n’ont pas établi que les difficultés auxquelles elles se heurteraient étaient inhabituelles, injustifiées ou excessives.

IV.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[14]           Les demanderesses soulèvent une question en l’espèce : les motifs de la décision sont‑ils insuffisants?

V.                LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[15]           La Cour suprême du Canada a affirmé dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle dans tous les cas. En fait, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question en litige est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que le tribunal procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle (Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[16]           La majeure partie des observations présentées par les parties portent sur la question de savoir si l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] s’applique en l’espèce. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada avait ce qui suit à dire concernant l’objet des motifs et la manière dont ils devraient être traités par les cours de révision :

[14]      Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §§12:5330 et 12:5510). Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

[15]      La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

[16]      Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[17]      Le fait que la convention collective puisse se prêter à une interprétation autre que celle que lui a donnée l’arbitre ne mène pas forcément à la conclusion qu’il faut annuler sa décision, si celle‑ci fait partie des issues possibles raisonnables. Les juges siégeant en révision doivent accorder une « attention respectueuse » aux motifs des décideurs et se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu’ils ont relevées dans les motifs.

[17]           Les demanderesses soutiennent que l’arrêt Newfoundland Nurses ne devrait pas s’appliquer au contrôle d’une décision relative à des considérations d’ordre humanitaire, pour deux raisons. Premièrement, les demanderesses disent que, contrairement au litige de travail considéré dans l’arrêt Newfoundland Nurses, il n’y a aucun dossier proprement dit dans une décision relative à des considérations d’ordre humanitaire. Par conséquent, les demanderesses disent que cette question est plus convenablement caractérisée comme une violation des principes de justice naturelle et que l’arrêt Newfoundland Nurses ne devrait pas s’appliquer. J’en déduis que les demanderesses voudraient que la Cour applique par conséquent la norme de la décision correcte. Deuxièmement, les demanderesses affirment que la Cour fédérale a statué dans la décision Velazquez Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1009 [Velazquez Sanchez], que l’arrêt Newfoundland Nurses ne s’applique pas dans le cas du contrôle d’une décision relative à des considérations d’ordre humanitaire.

[18]           Le défendeur soutient que l’arrêt Newfoundland Nurses devrait s’appliquer en l’espèce. Cet arrêt exige que la Cour examine les motifs de décision dans le contexte de contrôle du caractère raisonnable de la décision dans son ensemble. Il affirme que la Cour a appliqué l’arrêt Newfoundland Nurses lorsqu’elle a procédé au contrôle de décisions relatives à des considérations d’ordre humanitaire : Hussain c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1298, aux paragraphes 28 et 45 [Hussain]. De plus, le défendeur soutient que les demanderesses n’ont pas réussi à cerner les lacunes du dossier qui rendent l’arrêt Newfoundland Nurses impossible à appliquer au contrôle d’une décision relative à des considérations d’ordre humanitaire.

[19]           L’argument des demanderesses selon lequel la Cour fédérale a passé outre aux enseignements de l’arrêt Newfoundland Nurses, précité, dans la décision Velazquez Sanchez, précitée, ne peut être retenu. Comme point préliminaire, la doctrine stare decisis empêche la Cour fédérale de passer outre à un précédent de la Cour suprême du Canada qui est d’application obligatoire. Si je croyais que la décision Velazquez Sanchez était une tentative de réformer la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, je ne serais pas tenu de suivre cette décision. La courtoisie judiciaire exige seulement que je suive les décisions de la Cour fédérale lorsque je crois qu’elles sont convaincantes : Apotex Inc c Allergan Inc, 2012 CAF 308, aux paragraphes 43 à 48. Toutefois, à mon avis, la décision Velazquez Sanchez ne fait aucune tentative de la sorte et elle est bien conforme à l’arrêt Newfoundland Nurses. Dans la décision Velazquez Sanchez, la Cour avait ceci à dire quant à la suffisance des motifs fournis dans cette affaire :

[18]      Je conviens avec les demandeurs que le raisonnement qui a conduit l’agent à rejeter la prétention selon laquelle Iris et ses sœurs souffriraient de stigmatisation sociale en raison de l’agression sexuelle d’Iris est insuffisant. L’agent a pris acte de cette prétention, mais il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour l’étayer. Il n’a pas poussé son analyse plus loin. Je conviens avec les demandeurs qu’il s’agit là du simple énoncé d’une conclusion et que cela ne satisfait pas aux exigences de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité. L’agent n’a pas indiqué quels éléments de preuve il avait pris en compte, sans parler de l’insuffisance de preuve qui justifiait prétendument cette conclusion.

[19]      Il est devenu monnaie courante de lire des décisions CH et des décisions d’ERAR dans lesquelles les motifs exposés se limitent à la formule suivante : « Les demandeurs allèguent X; cependant, je ne relève pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour établir X. » Ce genre de formule type est contraire à la raison d’être des motifs de décisions, puisqu’elle obscurcit plutôt que ne révèle la justification de la décision de l’agent. Les motifs devraient être rédigés pour permettre au demandeur de comprendre pourquoi une décision a été rendue et non pour mettre la décision à l’abri d’un contrôle judiciaire : Lorne Sossin, « From Neutrality to Compassion: The Place of Civil Service Values and Legal Norms in the Exercise of Administrative Discretion », (2005), 55 UTLJ 427.

[20]           À mon avis, il n’y a rien d’incompatible avec l’arrêt Newfoundland Nurses et avec une conclusion selon laquelle les motifs d’une décision en particulier dont la Cour est saisie étaient insuffisants pour permettre un contrôle approprié. Je souligne également que la Cour a procédé au contrôle de la décision dans Velazquez Sanchez suivant la norme de la décision raisonnable (au paragraphe 15).

[21]           De plus, la Cour a appliqué maintes fois l’arrêt Newfoundland Nurses pour déterminer si les motifs de décisions relatives à des considérations d’ordre humanitaire étaient suffisants : voir Tarafder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 817, au paragraphe 52; Westmore c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1023, au paragraphe 17; Hussain, précité, aux paragraphes 28 et 45; Aggrey c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1425, aux paragraphes 6 et 14 à 16.

[22]           Je souligne que la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’il est inapproprié d’appliquer l’arrêt Newfoundland Nurses et de « compléter » les motifs d’un tribunal lorsqu’il n’a pas examiné une question qu’il était tenu de considérer (Lemus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114); toutefois, ce n’est pas cette question qui a été soulevée en l’espèce.

[23]           Enfin, l’argument des demanderesses suivant lequel le dossier dont dispose la cour de révision dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est à ce point déficient qu’il ne permet pas un contrôle approprié de la décision. Le dossier dont la Cour est actuellement saisie comprend la décision et ses motifs, les observations et la preuve documentaire présentées par les demanderesses à l’appui de leurs demandes relatives à des motifs d’ordre humanitaire, ainsi que la preuve documentaire que l’agente a obtenue en faisant ses propres recherches. On ne sait pas trop ce qui, de l’avis des demanderesses, manque au dossier et rend impossible le contrôle de la décision par la Cour.

[24]           La question en l’espèce consiste à déterminer si les motifs fournis pour la décision sont suffisants pour permettre à « la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 16). La suffisance des motifs sera considérée comme faisant partie de l’examen du caractère raisonnable de la décision.

[25]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             LES DISPOSITIONS LÉGALES

[26]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

[…]

[…]

Non-application de certains facteurs

Non-application of certain factors

(1.3) Le ministre, dans l’étude de la demande faite au titre du paragraphe (1) d’un étranger se trouvant au Canada, ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié — au sens de la Convention — aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face.

(1.3) In examining the request of a foreign national in Canada, the Minister may not consider the factors that are taken into account in the determination of whether a person is a Convention refugee under section 96 or a person in need of protection under subsection 97(1) but must consider elements related to the hardships that affect the foreign national.

[…]

[…]

Séjour dans l’intérêt public

Public policy considerations

25.2 (1) Le ministre peut étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi et lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, si l’étranger remplit toute condition fixée par le ministre et que celui-ci estime que l’intérêt public le justifie.

25.2 (1) The Minister may, in examining the circumstances concerning a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, grant that person permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the foreign national complies with any conditions imposed by the Minister and the Minister is of the opinion that it is justified by public policy considerations.

VII.          LES ARGUMENTS

A.                Les demanderesses

[27]           Les demanderesses soutiennent que la décision ne présente aucune analyse ni aucun motif véritable. Elles disent que la décision énumère simplement leurs éléments de preuve, lesquels sont suivis d’une série d’énoncés généraux qui ne tiennent pas compte de leur situation particulière. Les demanderesses affirment que la décision est contraire à la jurisprudence de la Cour suprême du Canada qui fait ressortir l’importance de fournir des motifs complets : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817. De plus, la Cour dans des décisions antérieures a affirmé que les décideurs ne peuvent éviter le contrôle judiciaire approfondi en mentionnant simplement les éléments de preuve et en tirant de vagues conclusions : Adu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, aux paragraphes 13 à 16 [Adu]; Velazquez Sanchez, précitée, aux paragraphes 18 à 21.

B.                 Le défendeur

[28]           Le défendeur soutient que les motifs doivent être [traduction] « suffisamment clairs, précis et intelligibles pour que la demanderesse puisse savoir pourquoi sa demande a été rejetée et décider si elle doit demander le contrôle judiciaire » (dossier du défendeur, à la page 4, citant Ogunfowora c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 471; Mendoza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 687, au paragraphe 4). Il ressort de la décision que l’agente a suffisamment et raisonnablement apprécié les facteurs soulevés par les demanderesses. Ainsi, elle a jugé qu’aucun élément de preuve ne permettait de conclure que la demanderesse principale ne pouvait pas vendre l’entreprise ou trouver quelqu’un pour prendre la relève, avant de quitter le Canada. L’agente a également souligné que la demanderesse principale a acheté l’entreprise après avoir reçu une réponse négative pour sa demande d’asile et que, par conséquent, les difficultés découlant de la propriété de l’entreprise ne peuvent être considérées comme étant imprévues ou indépendantes de sa volonté.

[29]           L’agente a également conclu à juste titre que l’établissement des demanderesses n’équivalait pas à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, car la Cour a tranché que l’emploi et l’intégration à la collectivité ne constituent pas un degré d’établissement exceptionnellement élevé : Persaud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1133, au paragraphe 45; Ramotar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 362, au paragraphe 33. Le décideur peut apprécier la preuve et conclure qu’elle ne permet pas d’établir les difficultés : Luzati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1179, au paragraphe 22 [Luzati]; Irimie c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1906, au paragraphe 16. Il ressort clairement des motifs que l’agente a tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant : Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 5; Ahmad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 646, aux paragraphes 30 et 31.

VIII.       ANALYSE

[30]           Les demanderesses ont présenté à la Cour une demande d’un type qu’elle connaît bien et qui est souvent soulevée dans le contexte des décisions relatives à des considérations d’ordre humanitaire ou à l’évaluation des risques avant renvoi. Elles disent que les motifs en l’espèce sont beaucoup trop insuffisants parce qu’ils sont stéréotypés et ne sont en fait qu’une simple énumération des éléments de preuve suivie d’une conclusion qui n’explique pas comment la preuve amène le décideur à cette conclusion.

[31]           La Cour a parfois conclu que pareille façon de faire entraîne une erreur donnant matière à révision. Voir, par exemple, la décision Velazquez Sanchez, précitée; la décision Adu, précitée; la décision Tindale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 236, au paragraphe 11.

[32]           Au bout du compte, tout dépend de la décision particulière faisant l’objet du contrôle. En l’espèce, la décision, à sa simple lecture, révèle que les allégations des demanderesses sont sans fondement. En fait, les motifs de la décision sont assez complets et tout à fait suffisants. Ils ne constituent pas une simple énumération des éléments de preuve suivie d’une conclusion.

[33]           Pour ne prendre que l’un des aspects pris en considération par l’agente, mentionnons le retour dans le pays de nationalité (dossier certifié du tribunal, à la page 11) à propos duquel elle a expliqué ce qui suit :

[traduction]

Même si les demandeures ne sont pas allées dans leur pays d’origine depuis novembre 2009, leur retour y est possible. Les demandeures sont des citoyennes du Bangladesh, et la preuve dont je dispose ne corrobore pas l’existence d’obstacles d’ordre médical à leur retour. Elles étaient bien établies au Bangladesh avant leur départ; la demandeure principale a terminé ses études postsecondaires et a élevé sa famille. Les filles de la demandeure principale sont nées au Bangladesh et y sont allées à l’école. L’expérience, les études et les compétences professionnelles acquises au Canada sont transférables. Il faut souligner que Israt et Nagia ont toutes les deux participé au programme d’élève‑pilote de l’aéroclub du Bangladesh à Dhaka; la preuve dont je dispose n’étaye pas la thèse selon laquelle elles ne pourraient pas retourner au club et poursuivre leur formation, compte tenu des habiletés acquises et de la formation reçue au Canada. La preuve dont je dispose n’étaye pas la thèse selon laquelle les demandeures ne seraient pas en mesure de se réétablir au Bangladesh ou éprouveraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives en s’y réétablissant.

[34]           Les demanderesses disent que ces motifs sont stéréotypés et génériques. Or, ce n’est manifestement pas le cas. La situation particulière des demanderesses est décrite et une explication est donnée pour justifier qu’elles ne se heurteront pas à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elles retournent au Bangladesh.

[35]           L’analyse d’autres aspects de la décision révèle qu’elle comporte plus qu’une simple énumération des faits. Ainsi, en ce qui a trait à l’établissement, l’agente explique pourquoi le fait que la demanderesse principale possède et exploite sa propre entreprise ne permet pas, en l’espèce, d’établir l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. De la même manière, la section portant sur l’intérêt supérieur de l’enfant explique en détail pourquoi le retour de l’enfant avec sa mère au Bangladesh ne serait pas contraire à l’intérêt supérieur de celle‑ci.

[36]           L’agente a reconnu que le Canada est évidemment un meilleur endroit pour vivre pour les demanderesses, mais que, bien entendu, cet argument n’est pas le critère applicable. De la même manière que dans bon nombre de cas fondés sur des motifs d’ordre humanitaire, les demanderesses en l’espèce soulignent que, pour la famille, les affaires et les études, le Canada est le meilleur endroit où vivre pour elles et qu’il sera pénible d’avoir à retourner au Bangladesh. Elles ne se sont pas souciées du fait qu’elles n’avaient pas de statut au Canada et que l’article 25 est un recours exceptionnel qui exige l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’agente a jugé que ce degré de difficulté n’avait pas été établi. Après avoir lu la décision et pris connaissance du dossier, il me paraît évident pourquoi l’agente est parvenue à cette conclusion. Les demanderesses sont évidemment déçues, mais cela ne signifie pas qu’une erreur susceptible de révision du genre de celle alléguée a été commise.

[37]           Le juge Mosley avait ceci à dire dans la décision Luzati, précitée, à ce propos :

[24]      Les demandeurs font valoir que l’agente n’a pas fourni des motifs suffisants puisqu’elle a simplement énoncé des faits et tiré des conclusions sans faire d’analyse : Shpati c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 1046, aux paragraphes 24 à 28.

[25]      Ce n’est pas ainsi que je vois les motifs de l’agente en l’espèce. J’estime qu’ils sont suffisants au sens établi par la Cour d’appel fédérale dans VIA Rail Canada Inc. c. Canada (Office des transports), 26 Admin. L.R. (3d) 1, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), aux paragraphes 21 et 22. Quoique concis, les motifs sont clairs, précis, intelligibles et logiques quant à l’application de la loi à la preuve. L’agente énonce ses conclusions de fait et mentionne les principaux éléments de preuve sur lesquels ces conclusions sont fondées. Elle a abordé les principaux points en litige et a tenu compte des facteurs pertinents.

[38]           Après avoir pris connaissance de la décision et du dossier dont je dispose, je tire la même conclusion.

[39]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est d’accord.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.      La demande est rejetée.

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4248-13

 

INTITULÉ :

DILARA MOMTAZ, ISRAT JAHAN, NAGIA FARHA, NAFISA MOSTAFA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 DÉcembRe 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

 

pour les demanderesses

 

Nadine Silverman

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Services d’assistance judiciaire, d’avocats et de litiges en matière d’immigration

Toronto (Ontario)

 

pour les demanderesses

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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