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Date : 20150319


Dossier : IMM‑5504‑13

Référence : 2015 CF 351

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 mars 2015

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

JUAN JOSE DAVILA ALVIZURIS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Juan Jose Davila Alvizuris (le demandeur) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, à l’encontre de la décision du 25 juillet 2013 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SPR) a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[2]               Le demandeur est né le 7 avril 1985 et il est citoyen du Guatemala de naissance. Il dit craindre pour sa vie du fait que des kidnappeurs savent qu’il a été témoin d’un enlèvement. Il fonde sa demande d’asile sur les allégations suivantes :

1.                  Le ou vers le 20 juin 2010, le demandeur a été témoin d’un incident pendant qu’il allait chercher son beau‑frère après le travail. Il suivait un camion quand il a remarqué une automobile garée qui attendait ce camion. Deux hommes se sont dirigés vers l’automobile du demandeur, l’ont menacé de leurs armes à feu et lui ont dit qu’ils le tueraient s’il bougeait ou faisait quoi que ce soit d’autre. D’autres hommes se sont dirigés vers le camion, ont battu son conducteur et ont enlevé sa passagère. Les hommes ont dit au demandeur de rester muet sur ce qui venait de se produire, sans quoi il mourrait. Le demandeur ne les connaissait pas, mais il a vu les visages du conducteur et de sa passagère, de même que les visages de certains kidnappeurs qui ne portaient pas de masque.

2.                  Le demandeur est allé à son entreprise pour aviser les gardiens, qui ont à leur tour contacté la police. Le demandeur est ensuite rentré chez lui et n’a jamais été interrogé par la police. Il n’est pas allé voir la police de crainte que le groupe armé mette ses menaces à exécution ou qu’il croit que le demandeur avait établi des liens avec la police ou avec l’armée. Les médias n’ont pas parlé de l’incident le jour suivant. Le demandeur croit que la police voulait que l’incident soit passé sous silence. Le demandeur a ensuite appris que la victime appartenait à une famille très riche et qu’une rançon avait été demandée. Le frère de la victime, qui porte le nom de famille Gonzalez Eliazar, a payé la rançon en échange de la libération de la victime. La police n’a jamais réussi à mettre la main au collet des kidnappeurs.

3.                  Le demandeur a craint pour sa vie pendant qu’il était témoin de l’incident.

4.                  Le demandeur a déménagé à Retalhuleu, à quelque 150 ou 200 kilomètres de la capitale. Il croit que la police a entretemps transmis son rapport au procureur général, et qu’une enquête a été lancée. Le demandeur a appris qu’à au moins trois reprises, des inconnus d’apparence louche s’étaient rendus à son ancien travail, à Guatemala City, et s’étaient informés de ses allées et venues auprès de ses collègues et du personnel administratif. Un des collègues du demandeur, Jose Pio Ordonez, a été victime de harcèlement et de menaces. M. Ordonez est parti vivre à Santa Lucia Milpas Altas.

5.                  Le ou vers le 23 septembre 2010, après avoir appris qu’on le recherchait, le demandeur a quitté le Guatemala pour venir au Canada, en compagnie de sa sœur Ruth, dont le mari avait aussi été persécuté. Le demandeur a un oncle, Jose Vicente Alvizuris, qui est citoyen canadien. Le demandeur a séjourné aux États‑Unis, mais il n’y a pas demandé l’asile, d’abord, parce qu’on lui avait dit qu’il était presque impossible pour les Guatémaltèques d’y obtenir le statut de réfugié, et ensuite, parce qu’il avait l’intention d’aller au Canada.

[3]               La SPR a rejeté la demande du demandeur le 25 juillet 2013. Celui‑ci a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 20 août 2013. L’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire lui a été accordée le 16 décembre 2014.

[4]               La question déterminante devant la SPR portait sur la crédibilité. Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada déclare que l’analyse de la norme de contrôle n’est pas nécessaire lorsque « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Il est bien établi que la norme de contrôle s’appliquant aux conclusions relatives à la crédibilité est celle de la décision raisonnable : Cetinkaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 8, au paragraphe 17. Je souligne à ce propos que les conclusions relatives à la crédibilité sont au cœur de la compétence de la SPR : Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 143 NR 238, à la page 239 (CA).

[5]               Dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada explique le rôle de la cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[6]               La SPR a tiré les conclusions suivantes, auxquelles je joins mes commentaires :

1.                  La SPR a souligné des divergences entre le Formulaire de renseignements personnels (FRP) modifié du demandeur et son témoignage. Le demandeur soutient que le conducteur a été forcé de quitter le véhicule sous les menaces d’armes à feu, qu’il a été battu, puis qu’il a été abandonné au sol, mais lors de l’audience, il a soutenu que le conducteur avait été battu pendant qu’il se trouvait toujours à bord du véhicule. En réponse aux questions posées à ce sujet, le demandeur a fait valoir que le conducteur avait été battu pendant qu’il sortait du véhicule. La SPR a tiré une conclusion défavorable eu égard à la crédibilité du demandeur.

Commentaire de la Cour : La SPR a posé plusieurs questions au demandeur à ce sujet. Elle a conclu qu’il y avait des divergences entre les réponses fournies dans le FRP modifié (dont la date de dépôt n’est pas très éloignée de la date d’audience) et le témoignage livré lors de l’audience. La SPR voulait savoir si le demandeur affirmait avoir vu le conducteur être agressé pendant qu’il était à bord de la camionnette, ou pendant qu’il se trouvait à l’extérieur du véhicule. La SPR souhaitait que le demandeur explique ce qu’elle jugeait être une divergence, et elle lui a donné l’occasion de le faire. Ayant déterminé que le demandeur avait déclaré que le passage à tabac avait eu lieu pendant que le conducteur se trouvait toujours à bord de la camionnette, la SPR a conclu que l’explication fournie était insatisfaisante, soulignant qu’il était raisonnable de sa part de s’attendre à ce qu’il y ait concordance entre le témoignage et l’exposé circonstancié figurant dans le FRP, et elle a tiré une conclusion défavorable. Après examen du dossier, je suis d’avis que la SPR a commis une erreur dans son résumé du témoignage du demandeur, eu égard au fait qu’il n’avait pas déclaré que le passage à tabac avait eu lieu pendant que le conducteur se trouvait toujours à bord de la camionnette. Selon moi, la conclusion de la SPR n’est pas raisonnable, sauf que je ne considère pas que cet aspect du témoignage du demandeur soit crucial dans sa demande.

2.                  Dans les notes d’immigration, le demandeur souligne qu’un seul homme s’est approché de son automobile. Toutefois, dans son FRP et lors de l’audience, le demandeur a affirmé que deux hommes s’étaient approchés de son véhicule. Le demandeur n’était pas en mesure d’expliquer cette divergence, et il a simplement répété qu’il y avait deux hommes. La SPR a déterminé que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’avait pas été approché par deux hommes armés au cours de l’enlèvement allégué.

Commentaire de la Cour : Cette conclusion est raisonnable. Il s’agit du principal élément ayant convaincu le demandeur de s’enfuir pour demander l’asile au Canada. On doit s’attendre à ce qu’il sache s’il a été agressé par un seul homme ou par deux hommes. Il est déraisonnable de sa part d’avoir fourni une description différente de l’agression, un élément crucial, d’une part, dans les notes prises au point d’entrée par l’agent, qui lui ont été relues et qui ont été certifiées par le traducteur officiel, et, d’autre part, dans l’exposé circonstancié du FRP et dans son témoignage. La SPR a interrogé le demandeur et lui a donné l’occasion de fournir une explication. Rien dans ce qui figure au dossier ne permet de penser que, comme l’affirme le demandeur, les notes prises en point d’entrée (en fait, le formulaire IMM 5611) contiennent des erreurs commises soit par l’agent, soit par le traducteur. Quoi qu’il en soit, il s’agit du type d’évaluation qui se situe au cœur même de la compétence de la SPR. Selon moi, cette conclusion appartient aux issues raisonnables, telles qu’elles sont décrites dans l’arrêt Dunsmuir.

3.                  Le demandeur a affirmé que deux des cinq kidnappeurs étaient masqués. Dans les notes prises au point d’entrée, il est écrit que les cinq hommes étaient masqués. Le demandeur a attribué cette différence au fait qu’on lui avait demandé de résumer les faits. La SPR, qui n’était pas convaincue par ses explications, a souligné qu’un résumé pouvait équivaloir à une version condensée, mais non à une version différente des faits. La SPR a tiré une conclusion défavorable eu égard à la crédibilité du demandeur.

Commentaire de la Cour : Encore une fois, le demandeur fournit des renseignements très différents concernant l’incident qui, selon le demandeur, a été déterminant dans la décision de demander l’asile au Canada. Qu’il y ait eu cinq hommes masqués, comme il a d’abord été affirmé, ou deux hommes masqués ayant enlevé ou battu la femme et le conducteur et agressé le demandeur est un élément au sujet duquel on peut raisonnablement s’attendre à ce que la victime fasse preuve de constance. Il ne fait nul doute que la divergence que la SPR a relevée dans les éléments de preuve existe. La SPR a interrogé le demandeur à ce sujet, et elle lui a donné l’occasion d’expliquer l’incohérence, comme elle l’a fait concernant les autres éléments. C’est justement ce type d’incohérence que la SPR doit résoudre. C’est ce qu’elle a fait, et selon moi, elle a agi raisonnablement et a tiré une conclusion appartenant aux issues raisonnables possibles.

4.                  Selon le FRP modifié, les gardiens de sécurité ont appelé la police depuis le lieu de travail. À l’audience, le demandeur a affirmé que la police s’est rendue sur les lieux de l’enlèvement allégué, et que c’est là que les gardiens avaient interpellé les policiers pour leur relater les faits. Le demandeur a fait valoir que l’interprète avait fait une erreur. La SPR a tiré une conclusion défavorable eu égard à la crédibilité du demandeur.

Commentaire de la Cour : Selon moi, il y a divergence dans les documents, c’est pourquoi la SPR avait le devoir d’examiner la question. Elle l’a fait en présentant des motifs clairs et intelligibles. Je suis d’avis que l’évaluation de la SPR appartient aux issues possibles raisonnables telles qu’elles sont décrites dans l’arrêt Dunsmuir. Je souligne qu’encore une fois, le demandeur invoque une erreur commise par l’interprète. Or, cet argument doit être rejeté étant donné que rien ne l’étaye.

5.                  Lors de son témoignage, le demandeur a omis de mentionner des éléments qui figuraient dans son exposé circonstancié modifié en ce qui concerne la police. Le demandeur a expliqué qu’il voulait parler des gardiens, et que l’interprète a fait une erreur. La SPR a tiré une conclusion défavorable eu égard à la crédibilité du demandeur.

Commentaire de la Cour : Encore une fois, il est admis que cet élément de preuve figurait dans le FRP modifié (qui, comme il est mentionné précédemment, a été rédigé peu de temps avant l’audience), mais non dans le témoignage. Je ne m’attends pas à ce que le demandeur d’asile mémorise tous les faits figurant dans son FRP et qu’il mentionne chacun d’entre eux lors de son témoignage. Cela dit, la SPR avait compétence pour assurer le suivi de tels aspects, et son analyse des réponses fournies constitue un élément important de sa mission. Selon moi, à la lumière du dossier, son évaluation est raisonnable. Le demandeur a été invité à expliquer cette omission, il a eu l’occasion de le faire, et la SPR a conclu que son explication n’était pas satisfaisante. Le demandeur a, encore une fois, jeté le blâme sur l’interprète, sauf que cet argument n’est étayé d’aucun élément de preuve. Les erreurs d’interprétation ne sauraient justifier toutes les incohérences relevées lors du contrôle judiciaire. Selon moi, les erreurs d’interprétation ne devraient être prises en considération à ce stade que si elles ont été clairement soulevées devant le décideur administratif ou si elles sont raisonnablement étayées dans le dossier. Voilà qui concorde avec la décision Grazhd c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8268, dans laquelle le juge Campbell accepte l’argument selon lequel une erreur d’interprétation mentionnée au dossier a été commise : « Je suis convaincu que, au vu de la preuve au dossier, l’agent d’immigration a commis une erreur légitime dans l’interprétation de ce diplôme. »

6.                  Lors de son témoignage, le demandeur a fait valoir que M. Ordonez, son ami et collègue, avait quitté l’entreprise au cours de 2012, mais qu’il ne savait pas quand exactement. Dans l’exposé circonstancié du FRP, toutefois, le demandeur a affirmé que M. Ordonez avait quitté l’entreprise en mai 2011. Le demandeur s’est justifié en disant qu’il ne se souvenait pas de la date. La SPR a conclu que cette explication n’était pas satisfaisante.

Commentaire de la Cour : L’audience devant la SPR a eu lieu en mars 2013, soit pas très longtemps après la date de départ alléguée. Il ne fait nul doute que la SPR ne devrait pas reprocher aux demandeurs tous les petits oublis qu’ils pourraient faire concernant des dates peu importantes, comme le confirment différentes décisions : Kanagarasa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 145, aux paragraphes 12 et 13; Venegas Beltran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1475, aux paragraphes 3 à 6. Cela dit, la date à laquelle son ami et collègue a quitté l’entreprise devrait raisonnablement être connue du demandeur. Tout bien pesé, et au vu du rôle important que joue la SPR dans l’appréciation de la crédibilité, je conclus que l’évaluation de la SPR est raisonnable conformément à l’arrêt Dunsmuir.

[7]               Globalement, le demandeur n’accepte pas la décision de la SPR et dénonce ce qu’il décrit comme des erreurs de la SPR elle‑même ou comme des erreurs de transcription ou d’interprétation commises par les agents à la frontière ou par les traducteurs. Dans les faits, le demandeur demande à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve soumise à la SPR. J’ai admis que la SPR avait fait une erreur sur un élément non déterminant, mais je conclus que, globalement, les motifs sont justifiés, transparents et intelligibles. Analysée dans son ensemble, la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[8]               Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier, et aucune ne se pose.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée, aucune question n’est certifiée, et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑5504‑13

 

INTITULÉ :

JUAN JOSE DAVILA ALVIZURIS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 MARS 2015

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 19 MARS 2015

COMPARUTIONS :

Geraldine MacDonald

POUR LE DEMANDEUR

Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Geraldine MacDonald

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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