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Date : 20141205


Dossier : T-1557-14

Référence : 2014 CF 1176

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2014

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

L'HONORABLE MICHEL GIROUARD

demandeur

et

LE CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               À titre de codéfendeur, le Procureur général du Canada sollicite la radiation de l’avis de demande de contrôle judiciaire déposé le 9 juillet 2014 par le demandeur, le juge Michel Girouard, à l’encontre d’une soi-disant « décision » rendue publique le 18 juin 2014 sous la forme d’un communiqué de presse émanant du Conseil canadien de la magistrature [CCM], également codéfendeur.

[2]               Le CCM n’a pas pris position à l’égard de cette requête en radiation qui est contestée par le demandeur.

[3]               Le communiqué du CCM se lit comme suit :

Le Conseil canadien de la magistrature a dévoilé aujourd'hui les noms des membres du comité d'enquête mis en place pour examiner la conduite du juge Michel Girouard.

Le comité d'enquête est composé de trois membres: deux juges en chef nommés par le Conseil canadien de la magistrature et un avocat principal nommé par le ministre de la Justice. Les membres sont: l'honorable Richard Chartier, juge en chef du Manitoba (président); l'honorable Paul Crampton, juge en chef de la Cour fédérale et Me Ronald LeBlanc, c.r. du cabinet LeBlanc Maillet du Nouveau-Brunswick.

Le Conseil annonce également que Me Marie Cossette du cabinet Lavery à Québec a été nommée avocate indépendante conformément aux règlements du Conseil et a pour mandat de présenter l'affaire au Comité d'enquête dans l'intérêt public.

En vertu de la Loi sur les juges, le comité d'enquête est réputé être une Cour supérieure. Le Comité devra décider, au cours des prochaines semaines, quand il se réunira pour entendre cette affaire. Les rencontres du Comité d'enquête se déroulent normalement en public, bien que des audiences privées sont possibles si l'intérêt public et la bonne administration de la justice le requièrent. Le Comité décidera de la portée de son enquête.

Le juge dans cette affaire a déposé une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Cette demande est défendue par le Procureur général du Canada. En rapport avec cette procédure, le juge en chef Crampton a pris les dispositions nécessaires et ne sera pas impliqué dans l'audition de l'affaire par la Cour fédérale.

Le mandat du Comité d'enquête est de revoir l'ensemble de l'affaire afin de présenter un rapport au Conseil canadien de la magistrature sur ses conclusions quant à savoir si une recommandation devrait ou non être faite pour relever le juge de ses fonctions. Le Conseil présentera ensuite une recommandation au ministre de la Justice en ce qui concerne l'aptitude du juge à remplir ses fonctions. Des renseignements sur le Conseil, y compris le processus d'enquêtes publiques, peuvent être consultés sur le site Web du Conseil à www.cjc-ccm.gc.ca.

[4]               La présente requête a été entendue par la Cour concurremment avec la requête en radiation déposée par le Procureur général dans le dossier de révision judiciaire (T-646-14) dont il est fait mention au cinquième paragraphe du communiqué du CCM (voir la décision : 2014 CF 1175). Le Procureur général prétend que la présente demande de contrôle judiciaire est vouée à l’échec. Aux fins de l’adjudication des deux requêtes en radiation, les faits allégués par le demandeur dans les procédures attaquées doivent être tenus pour avérés.

[5]               Pour les fins des présentes, rappelons simplement que suite à la réception de documents confidentiels et d’allégations non vérifiées dont la teneur exacte n’a pas été divulguée publiquement, le 30 novembre 2012, le juge en chef de la Cour supérieure, l’honorable François Rolland, s’est adressé par écrit au CCM afin qu’il procède à un « examen de la conduite [du demandeur] alors qu’il était avocat » [la plainte].

[6]               En janvier 2013, des « procédures d’enquête » ont été commencées en vertu de la Loi sur les juges, LRC 1985, c J-1 [Loi], du Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes, DORS/2002-371 [Règlement] et des Procédures relatives à l’examen des plaintes déposées au Conseil canadien de la magistrature au sujet des juges de nomination fédérale, en vigueur depuis le 14 octobre 2010 [Procédures relatives aux plaintes].

[7]               De fait, le vice-président du Comité sur la conduite des juges du CCM, feu l’honorable Edmond Blanchard, a procédé à l’examen des allégations et a décidé de constituer un Comité d’examen pour se pencher sur l’affaire. Le 11 février 2014, le Comité d’examen a décidé de constituer un Comité d’enquête en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, et ce, « au motif que l’affaire en cause pourrait s’avérer suffisamment grave pour justifier [la] révocation [du demandeur] à titre de juge ».

[8]               Par sa demande de contrôle judiciaire du 13 mars 2014 (dossier T-646-14), le demandeur recherche l’annulation de la décision interlocutoire du 11 février 2014. Il cherche également à faire invalider ou faire déclarer inapplicables par la Cour le Règlement et les Procédures relatives aux plaintes dans la mesure où ces instruments autorisent le CCM ou l’un de ses comités à examiner ou enquêter au sujet de la plainte visant le demandeur.

[9]               Avec cette nouvelle demande de contrôle judiciaire, le demandeur recherche maintenant l’annulation de la soi-disant « décision » du 18 juin 2014. En grande partie, le demandeur fonde cette nouvelle demande sur les mêmes arguments de droit constitutionnel et de droit administratif qu’il désire faire valoir dans le dossier T-646-14 à l’encontre des « procédures d’enquête » et de la décision du 11 février 2014 du Comité d’examen.

[10]           De son côté, le Procureur général demande aujourd’hui à la Cour de radier sommairement la présente demande de contrôle judiciaire parce que le communiqué de presse du 18 juin 2014 n’est tout simplement pas une décision révisable. En effet, son unique objet est d’informer le public de la composition du Comité d’enquête et du nom de l’avocate indépendante du CCM. Il n’a pas pour effet juridique de cerner les paramètres de l’enquête du Comité d’enquête. D’ailleurs, ce dernier n’a pas encore déterminé la portée de son enquête, de sorte que la présente demande de contrôle judiciaire est de toute façon prématurée.

[11]           Je suis satisfait en l’occurrence qu’il s’agit de l’un de ces cas exceptionnels où, dans l’exercice de sa discrétion judiciaire, la Cour doit intervenir.

[12]           Rappelons d’abord qu’en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [LCF], quiconque est « directement touché par l’objet de la demande » peut déposer une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’un acte, d’une décision, d’une ordonnance ou d’une procédure d’un office fédéral, tandis que la Cour a le pouvoir de casser toute décision ainsi prise, d’annuler toute loi ou tout règlement inconstitutionnel, ultra vires ou autrement invalide, et de prohiber la continuation de toute procédure illégalement conduite par l’office général visé.

[13]           Par ailleurs, le paragraphe 18.4(1) de la LCF prescrit que la Cour « statue à bref délai et selon une procédure sommaire » sur les demandes de contrôle judiciaire. Règle générale, les requêtes en radiation n’ont pas lieu d’être en pareille matière. Il n’empêche, tel que l’a décidé la Cour d’appel fédérale dans l’affaire David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 RCF 588, 1994 CanLII 3529 (CAF), la radiation d’une demande de contrôle judiciaire peut être accordée lorsque l’acte de procédure est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli ».

[14]           Or, il est manifeste que la demande de contrôle judiciaire ne révèle aucune cause d’action valable, puisqu’elle vise un communiqué de presse, lequel n’est pas une décision et n’a aucun effet juridique. D’ailleurs, une lecture attentive des procédures révèle que le demandeur ne conteste pas comme telle la composition actuelle du Comité d’enquête. Il s’objecte plutôt au fait que ce dernier ait le pouvoir de déterminer « la portée » de son enquête et de « revoir l’ensemble de l’affaire ». Je reviendrai un peu plus loin sur cette question après avoir dit quelques mots sur l’objet du communiqué contesté.

[15]           Lorsque le Comité d’enquête est constitué de trois membres, il peut comprendre un membre de la profession juridique désigné par le ministre de la Justice. Les deux autres membres sont des membres du CCM désignés par le président (ou le vice-président) du Comité sur la conduite des juges. Le 18 juin 2014, le CCM a publié un communiqué de presse dévoilant les noms des trois membres du Comité d’enquête ainsi que celui de l’avocate indépendante du CCM. Ce qui a pu être écrit par l’auteur du communiqué quant à tout aspect juridique de l’affaire ne lie manifestement pas le Comité d’enquête. Or, dans les faits, on sait aujourd’hui qu’aucune décision n’a encore été prise par le Comité d’enquête.

[16]           Devant moi à l’audition, l’un des savants procureurs du demandeur, le bâtonnier Louis Masson, a indiqué que c’est « ex abundanti cautela » – c'est-à-dire par excès de prudence – que le demandeur a institué la présente demande de contrôle judiciaire. En l’espèce, la Cour a décidé aujourd’hui que les moyens soulevés par le demandeur dans le dossier T-646-14 à l’encontre de la légalité ou du mérite de la décision du Comité d’examen de constituer un Comité d’enquête sont prématurés et qu’il y a lieu de permettre au Comité d’enquête d’en disposer, préférablement de manière préliminaire : 2014 CF 1175. La présente demande de contrôle judiciaire n’est donc pas nécessaire et est prématurée.

[17]           En terminant, je rejette toute prétention du demandeur voulant que le Procureur général ne puisse pas s’adresser aujourd’hui à la Cour pour demander la radiation de l’avis de demande de contrôle judiciaire. Le demandeur considère que le Procureur général n’a pas la qualité pour agir dans ce dossier, sinon pour défendre la validité du Règlement, tandis qu’il incombera au CCM de défendre la légalité ou le mérite de la décision contestée, d’où la raison pour laquelle le CCM est codéfendeur. C’est bien là où le bât blesse, car si on accepte le postulat du demandeur que la décision contestée a été prise sous l’autorité présumée de la Loi et du Règlement, alors le CCM n’aurait dû être désigné au départ comme codéfendeur dans l’avis de demande de contrôle judiciaire.

[18]           Car, faut-il le rappeler, selon les paragraphes 303(1) et (2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], l’office fédéral dont la décision est contestée ne doit pas être désigné à titre de défendeur; lorsque personne ne peut être désigné par défaut comme défendeur en vertu des Règles ou d’une loi, le Procureur général est désigné à titre de défendeur. Or, à ce jour, ce dernier n’a pas présenté de requête en vertu du paragraphe 303(3) des Règles pour être remplacé par le CCM et il n’est pas évident qu’une telle requête serait accordée par la Cour (voir Douglas c Canada (Procureur général), 2013 CF 451).

[19]           La requête en radiation sera donc accueillie. Le tout sans frais.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE la radiation de l’avis de demande de contrôle judiciaire daté du 9 juillet 2014. Le tout sans frais.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1557-14

 

INTITULÉ :

L'HONORABLE MICHEL GIROUARD c LE CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 novembre 2014

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 décembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Le bâtonnier Gérald R. Tremblay, Ad. E.

 

Pour le demandeur

 

Le bâtonnier Louis Masson, Ad. E.

 

Pour le demandeur

 

Me Robert De Blois, LL.L., CRHA

 

Pour le DÉFENDEUR

LE CONSEIL CANADIEN DE LA

MAGISTRATURE

 

Me Claude Joyal, Ad.E, c.r.

Me Sara Gauthier

Pour le DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Joli-Coeur Lacasse

Avocats

Québec (Québec)

 

Pour le demandeur

 

DeBlois & Associés, S.E.N.C.R.L.

Québec (Québec)

Pour le DÉFENDEUR

LE CONSEIL CANADIEN DE LA

MAGISTRATURE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

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