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Date : 20150331


Dossier : IMM-6410-14

Référence : 2015 CF 409

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), 31 mars 2015

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

PUVANESAN THURAIRAJA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Monsieur Thurairaja était un Tigre tamoul (des Tigres de libération de l’Eelan tamoul [les TLET]). Ce groupe séparatiste sri lankais est qualifié de terroriste par le gouvernement canadien. Par conséquent, la demande d’asile de M. Thurairaja a été rejetée sur le fondement de l’article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Il était l’un des persécuteurs, non l’un des persécutés.

[2]               Quoi qu’il en soit, il a tout de même droit à la protection du Canada si son renvoi au Sri Lanka l’exposait à un danger. Il pourrait devenir une personne à protéger sur le fondement de l’art. 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, conformément à l’al. 113d).

[3]               Dans cet esprit‑là, il a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] en novembre 2011. Sa demande a été rejetée en juillet 2014. La Cour est saisie du contrôle judiciaire de cette décision.

[4]               Le demandeur savait très bien que les TLET ont commis des crimes contre l’humanité. L’organisation visait des fins limitées et brutales. À l’audition de sa demande d’asile, il a affirmé qu’il avait travaillé au service des dossiers ainsi qu’au service des finances et que, à ce titre, pour employer les mots de la Section de la protection des réfugiés, [traduction] « lui et d’autres civils étaient chargés de percevoir les taxes dues aux Tigres, qui servaient précisément à payer les militants ». Il a également indiqué dans son témoignage qu’il savait très bien que les personnes sollicitées n’avaient d’autre choix que de payer et qu’elles risquaient d’être punies sévèrement si elles refusaient de verser les taxes aux Tigres. Comme le demandeur l’a lui‑même affirmé durant son témoignage, « les taxes perçues servaient à financer les activités des Tigres » (dossier du tribunal, p. 217).

[5]               La guerre civile a pris fin en 2009. Depuis ce temps-là, de plus en plus de Sri Lankais d’origine tamoule ont été renvoyés dans leur pays. La façon dont ils sont traités soulève beaucoup de préoccupations. Monsieur Thurairaja craint d’être accusé d’être un ancien membre des TLET (ce qu’il était) et d’être détenu et maltraité par l’armée.

[6]               L’agent a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque sérieux. Son raisonnement est clairement énoncé dans l’extrait suivant de ses notes au dossier :

[traduction] De plus, la documentation objective indique que certains profils de personnes qui ont déjà eu des liens, réels ou présumés, avec les TLET, liens qui vont au‑delà du fait d’avoir auparavant résidé dans une région contrôlée par les TLET, pourraient bénéficier de la protection des réfugiés. Ces profils sont les suivants :

1) Les personnes qui ont occupé un poste supérieur et qui étaient dotées de pouvoirs considérables dans l’administration civile des TLET, lorsque les TLET avaient le contrôle sur la majeure partie de ce qui sont maintenant les provinces du nord et de l’est du Sri Lanka.

2) Des anciens combattants ou cadres des TLET.

3) Des anciens combattants ou cadres des TLET qui, en raison d’une blessure ou pour toute autre raison, ont été employés par les TLET pour occuper des fonctions dans les secteurs de l’administration, des renseignements confidentiels ou de l’informatique ou dans les médias (journal et radio).

4) Des anciens partisans des TLET qui n’ont peut‑être jamais suivi d’instruction militaire, mais qui étaient chargés d’héberger et de transporter le personnel des TLET ou de fournir et de transporter des marchandises aux TLET.

5) Des collecteurs de fonds et des propagandistes des TLET et les personnes qui ont des liens, ou qui sont présumées avoir des liens, avec la diaspora sri lankaise qui fournissait des fonds et tout autre soutien aux TLET.

6) Les personnes ayant des liens familiaux ou qui dépendent des personnes ayant les profils susmentionnés, ou qui y sont autrement étroitement liées.

Ainsi, les autorités sri lankaises visent les partisans des TLET ayant des profils précis. Rappelons que le demandeur a d’abord travaillé pour les TLET au service des dossiers à leur campement de Tinnervelly et qu’il a ensuite travaillé au service des finances à leur campement de Chankanai. Le demandeur n’a pas démontré qu’il a le profil de l’une des catégories de personnes susmentionnées qui pourraient être ciblées par les autorités. Je ne suis pas convaincu que le demandeur est personnellement exposé à un risque au Sri Lanka parce qu’il a travaillé pour les TLET.

[7]               Les profils précités proviennent d’un rapport du UNHCR daté de décembre 2012, qui a ensuite été mentionné dans un rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni daté de juillet 2013.

[8]               Au cours de l’argumentation en l’espèce, le ministre a affirmé que M. Thurairaja n’a pas précisément soulevé le risque de persécution au Sri Lanka au motif qu’il était un percepteur de taxes et, de toute façon, le profil visait des collecteurs de fonds, et non des percepteurs de taxes. Selon le ministre, l’agent n’avait pas l’obligation d’examiner une possibilité qui n’a pas été soulevée par le demandeur lui‑même.

[9]               Le présent contrôle judiciaire devrait être accueilli pour trois raisons.

[10]           Premièrement, l’agent était tenu d’examiner tout motif de persécution, c’est‑à‑dire l’opinion politique qui était manifeste au vu du dossier, même si le demandeur n’en a pas fait expressément état. Comme le juge Rennie, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, l’a écrit au paragraphe 5 de la décision Varga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 494, [2013] ACF no 531 (QL), « [l]es demandes d’asile mettent en jeu les droits fondamentaux de la personne. Par conséquent, il est important que la Commission tienne compte de chaque motif soulevé par la preuve, même si le demandeur d’asile n’en fait pas expressément état ».

[11]           Deuxièmement, en ce qui a trait aux documents portant sur la situation du pays, qui sont devenus accessibles après que la demande d’ERAR ait été déposée, l’agent était tenu, au nom de l’équité, de communiquer les documents si ceux‑ci étaient inédits et comportaient des renseignements importants faisant état d’un changement dans la situation générale du pays qui risquait d’avoir une incidence sur l’issue du dossier (Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 RCF 461, [1998] ACF no 565 (CA) (QL)). Les profils des Tamouls qui ont été renvoyés au Sri Lanka ont changé au cours des dernières années. Le rapport du UNHCR en vigueur au moment où la demande a été déposée énumérait six profils de personnes potentiellement exposées à un risque, dont l’un visait les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET. Le profil des personnes visées par cette catégorie n’était pas élaboré. Toutefois, le rapport de 2012 du UNHCR, qui a été publié après le dépôt de la demande du demandeur, dressait une liste de profils de personnes ayant des liens plus élaborés avec les TLET, comme des « collecteurs de fonds ». Comme il s’agit de renseignements inédits et importants faisant état d’un changement dans la situation du pays qui risquait d’avoir une incidence sur le dossier de M. Thurairaja, l’agent avait l’obligation de communiquer ce rapport au demandeur.

[12]           Troisièmement, le contrôle judiciaire devrait être accueilli puisque la décision était, quoi qu’il en soit, déraisonnable. Compte tenu des raisons pour lesquelles le demandeur a été exclu au départ, il était déraisonnable de faire une distinction entre les percepteurs de taxes et les collecteurs de fonds dans le contexte de son ERAR. Il se peut fort bien que M. Thurairaja ne soit pas exposé à un risque simplement parce qu’il a travaillé pour les TLET, mais étant donné que les taxes qu’il percevait servaient à financer ses activités, il pourrait très bien être exposé à un risque s’il est renvoyé.

[13]           Les avocats se sont entendus à l’audience pour dire qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier. Je suis d’accord.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT;

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision du 17 juillet 2014, par laquelle l’agent principal de Citoyenneté et Immigration Canada a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi du demandeur, est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent principal pour nouvel examen.

3.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Sean Harrington »

juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6410-14

INTITULÉ :

PUVANESAN THURAIRAJA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 MARS 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MARS 2015

COMPARUTIONS :

Mark J. Gruszczynski

POUR LE DEMANDEUR

Thomas Cormie

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gruszczynski, Romoff

Avocats

Westmount (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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