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Date : 20150330


Dossier : IMM-5488-14

Référence : 2015 CF 401

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

HABAYATOU DIALLO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse conteste la légalité d’une décision, datée du 12 juin 2014, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [Tribunal] refuse sa demande d’asile au motif qu’elle n’est ni une réfugiée, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi].

[2]               La demanderesse allègue être une citoyenne guinéenne qui aurait fui son pays à cause de son mari qu’elle avait été forcée d’épouser et qui la battait afin qu’elle se soumette à son autorité. Une de ses coépouses aurait découvert qu’elle prenait des pilules contraceptives, ce qui mena son mari à la battre et à l’enfermer. Après avoir réussi à convaincre son mari de la laisser sortir pour rencontrer sa mère, elle aurait réussi à quitter le pays avec l’aide de sa mère. Elle est arrivée au Canada, le 3 mai 2012, avec un passeport au nom d’Habayatou Camara. Le 27 août 2012, la demanderesse a demandé l’asile au nom d’Habayatou Diallo. Elle a alors été détenue jusqu’au 25 septembre 2012, l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] s’étant alors déclarée satisfaite de son identité.

[3]               Devant la SPR, le ministre est intervenu pour indiquer qu’il se déclarait satisfait de l’identité de la demanderesse sous le nom d’Habayatou Diallo, mais que la demande d’asile devrait être rejetée pour manque de crédibilité et absence de crainte subjective. Toutefois, la SPR a plutôt rejeté la demande au motif que la demanderesse n’avait pas réussi à démontrer de façon satisfaisante son identité. La demanderesse avait déposé la pièce d’identité avec laquelle elle était rentrée au Canada, soit un passeport au nom d’Habayatou Camara, née le 11 octobre 1990, et avec lequel une demande de visa canadien avait également été faite. Elle a également déposé plusieurs pièces au nom d’Habayatou Diallo, née le 11 octobre 1979, incluant une photocopie d’un extrait d’acte de naissance, un jugement supplétif d’acte de naissance et un extrait du registre de transaction, un certificat de nationalité, une carte nationale d’identité et une carte d’identité consulaire. La demanderesse a également déposé une analyse d’ADN afin de démontrer le lien de filiation entre la demanderesse et sa mère, Aissatou H. Sow.

[4]               Le Tribunal a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré son identité au nom de Habayatou Diallo en invoquant plusieurs raisons :

a)      La demanderesse avait seulement déposé une photocopie de l’extrait d’acte de naissance, qui ne permettait pas d’établir la date d’émission et dont le sceau était difficilement lisible;

b)      Le Tribunal a également noté que la demanderesse n’avait pas adéquatement expliqué pourquoi elle avait obtenu un jugement supplétif d’acte de naissance, lequel est généralement émis en l’absence d’acte de naissance ou lorsqu’il y a des erreurs dans l’acte de naissance, ce qui ne semblait pas le cas en l’espèce. De plus, la demanderesse n'avait pas expliqué pourquoi il était indiqué dans le jugement supplétif qu’elle s’était présentée en personne au tribunal de première instance le 29 août 2012, alors qu’elle était en détention au Canada;

c)      Le Tribunal n’a pas accordé de valeur probante au certificat de nationalité qui ne contenait aucune photo et qui, selon le Tribunal, était fondé sur l’extrait d’acte de naissance;

d)     Le Tribunal n’a pas non plus accordé de valeur probante à la carte nationale d’identité à cause des contradictions quant à son âge. La demanderesse a indiqué avoir eu la carte de son mari après son mariage, alors qu’elle avait « environ 20 ans, 20 ans et plus ». Le Tribunal a indiqué qu’un âge de 20 ans n’était pas compatible avec la date de naissance indiquée à la carte nationale d’identité, puisque selon cette carte elle aurait plutôt eu 29 ans lors de son mariage;

e)      Le Tribunal a également noté que la carte d’identité consulaire était authentique, mais ne lui a pas accordé de valeur probante puisqu’elle avait été obtenue grâce à la carte nationale d’identité.

[5]               D’autre part, le Tribunal note que selon l’analyse faite par l’ASFC, le passeport au nom d’Habayatou Camara est authentique. Tandis qu’il y a de bonnes raisons de croire que ce passeport a été obtenu de façon régulière, les contradictions font en sorte que le Tribunal ne peut non plus conclure que la véritable identité de la demanderesse est celle d’Habayatou Camara. De plus, le Tribunal n’a pas accordé de valeur probante à l’analyse d’ADN puisqu’il était d’avis qu’il ne s’agissait pas d’une preuve complète en l’absence des pièces d’identité qui avaient été utilisées par la demanderesse et supposément sa mère pour obtenir l’analyse d’ADN. Le Tribunal a donc conclu que la demanderesse n’avait pas démontré de façon satisfaisante son identité et a donc rejeté la demande d’asile.

[6]               Deux questions en litige sont en jeu devant la Cour. Premièrement, le Tribunal a-t-il commis une erreur révisable en concluant que la demanderesse n’avait pas démontré de façon satisfaisante son identité?  Deuxièmement, le Tribunal a-t-il fait preuve de partialité? La norme de la décision raisonnable s’applique à la première question en litige, tandis que la norme de la décision correcte s’applique à la seconde (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 au para 48 [Rahal]).

[7]               Dans un premier temps, la demanderesse prétend que le Tribunal lui a imposé un fardeau de preuve trop élevé sur la question de l’identité. En l’espèce, la demanderesse a déposé de nombreuses pièces démontrant son identité comme étant Habayatou Diallo et, dans leur ensemble, ces éléments prouvent, selon la prépondérance des possibilités, que la demanderesse est bien Habayatou Diallo. De plus, le Tribunal a commis une erreur révisable en utilisant sa connaissance spécialisée pour réduire la force probante de documents gouvernementaux étrangers, ce qui va contre la présomption de validité des passeports et pièces d’identité délivrés par un gouvernement étranger (Ramalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1998 CanLII 7241 (CF)). La demanderesse allègue que le Tribunal a erré en rejetant des pièces d’identité sans preuve contradictoire fiable. De plus, la carte nationale d’identité et la carte d’identité consulaire ont été expertisées et analysées par l’ASFC qui a indiqué qu’elles contenaient des éléments de sécurité et semblaient être authentiques.

[8]               Le défendeur réplique que le Tribunal a analysé toute la preuve pertinente et a conclu de façon raisonnable que certaines pièces, notamment la copie d’extrait d’acte de naissance, le certificat de nationalité et la carte nationale d’identité, ne méritaient pas de valeur probante. Comme il y avait deux pièces jugées authentiques au nom de Diallo et une pièce authentique au nom de Camara, il était raisonnable pour le Tribunal de douter de l’identité de la demanderesse. De plus, le Tribunal bénéficie d’une pleine latitude pour ce qui est de l’appréciation de l’authenticité et de la valeur probante de la preuve et dans un cas comme en l’espèce, le Tribunal disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour mettre en doute l’authenticité des pièces déposées. Le raisonnement complet du Tribunal a été repris en détail par l’avocate du défendeur lors de l’audition de cette demande de contrôle judiciaire. Les motifs du Tribunal montrent bien qu’il ne s’est pas fié à sa connaissance spécialisée, mais qu’il a apprécié séparément la valeur probante de chacune des pièces d’identité. Ses conclusions reposent sur la preuve et ne sont pas arbitraires.

[9]               Je suis d’accord avec le défendeur. Le Tribunal faisait face à la situation où les trois documents ayant été authentifiés par l’ASFC référaient à deux identités différentes, Habayatou Diallo et Habayatou Camara, avec des dates de naissance de onze ans de différence. Dans Rahal, précité au para 48, la Cour indique que :

[48] La question de l’identité est au cœur même de l’expertise de la SPR, et s’il y a un endroit où la Cour doit se garder de mettre en doute les conclusions de la Commission c’est bien ici. Je suis d’avis que, pour autant qu’il y ait des éléments de preuve pour appuyer les conclusions de la Commission quant à l’identité, que la SPR en donne les raisons (qui ne sont pas manifestement spécieuses) et qu’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier, la conclusion de la SPR quant à l’identité appelle un degré élevé de retenue et sera considérée comme une décision raisonnable. Autrement dit, si ces facteurs s’appliquent, il est impossible de dire que la conclusion a été rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.

[10]           Dans le cas présent, le Tribunal avait devant lui des éléments de preuve contradictoires au niveau de l’identité véritable de la demanderesse. Les réponses fournies à l’audition par la demanderesse ne sont pas concluantes et ne permettent pas d’écarter les doutes réels du Tribunal sur son identité. Il était par ailleurs raisonnable pour le Tribunal de conclure que l’extrait de l’acte de naissance n’avait pas de valeur probante puisque seule une photocopie avait été soumise (Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1138 au para 7) et la demanderesse n’avait pas expliqué pourquoi elle ne pouvait pas obtenir l’original. Il était également raisonnable pour le Tribunal de ne pas accorder de valeur probante au jugement supplétif puisque celui-ci indiquait que la demanderesse s’était présentée en personne pour l’obtenir le 29 août 2012 alors qu’elle était en détention au Canada à ce moment. Les autres motifs de rejet des autres pièces d’identité m’apparaissent également raisonnables.

[11]           D’un autre côté, le Tribunal avait une preuve concrète qui allait directement à l’encontre des éléments de preuve déposés au soutien de l’identité sous le nom de Diallo : le passeport jugé authentique au nom de Camara. Il n’y a pas d’incohérence flagrante entre la décision du Tribunal et la valeur probante des pièces d’identité déposées (Rahal, précité au para 48). Sur la base de l’ensemble des pièces déposées, incluant le passeport au nom de Camara, et en l’absence d’une explication satisfaisante quant à l’obtention du passeport, il était donc raisonnable pour le Tribunal de conclure qu’il ignorait quelle était la véritable identité de la demanderesse et, conséquemment, de refuser la demande d’asile. Il aurait peut-être été possible pour le Tribunal d’en venir à une autre conclusion, mais cela ne fait pas en sorte que sa conclusion ne fasse pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité au para 47).

[12]           Quant à la crainte raisonnable de partialité, la demanderesse allègue que le comportement du Tribunal démontre que la commissaire avait des idées préconçues, des préjugés et un manque d’ouverture d’esprit envers la demanderesse. Plusieurs affirmations démontrent que la commissaire avait déjà pris une décision sur l’identité de la demanderesse et qu’elle utilisait ses connaissances personnelles pour discréditer la demanderesse. Le Tribunal ne s’est pas servi de l’information contenue aux cartables nationaux de documentation. La demanderesse allègue également que la commissaire a fait un commentaire sarcastique envers la demanderesse lors de l’audience.

[13]           Selon le défendeur, la demanderesse n’a pas soulevé la crainte de partialité en temps opportun puisqu’en aucun moment lors de l’audience, la demanderesse, qui était représentée par avocat, ne s’est objectée aux commentaires déplacés, s’il en est, de la commissaire, ce qui constitue une renonciation du droit de soulever aujourd’hui la crainte raisonnable de partialité auprès de la Cour. Au contraire, le comportement du Tribunal démontre qu’il a fait preuve de souplesse à l’égard de la demanderesse et qu’à de nombreuses reprises, la commissaire a offert à la demanderesse de prendre des pauses, prendre son temps, et a offert de répéter la question si nécessaire.  Conséquemment, la demanderesse n’a pas démontré que le comportement du Tribunal faisait naître une crainte raisonnable de partialité.

[14]           Je suis d’accord avec le défendeur. La crainte raisonnable de partialité alléguée par la demanderesse repose sur des commentaires faits lors de l’audience et aurait pu être soulevée plus tôt. La demanderesse ne s’est pas objectée à l’audience et n’a aucunement expliqué pourquoi elle ne devrait pas être considérée comme ayant renoncé à son droit d’invoquer la crainte raisonnable de partialité (Zaroud c Canada (Secrétaire d’État), [1995] ACF no 1326 aux paras 15-17; Chamo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1219 au para 9). De plus, la crainte de partialité ne peut en outre reposer sur de simples soupçons. Les éléments invoqués en l’espèce doivent être sérieux. En l’espèce, les commentaires du Tribunal ne font pas naître de crainte raisonnable de partialité, à moins de les interpréter comme une « personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».

[15]           En conclusion, la demanderesse n’a pas démontré qu’une « une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » en viendrait à la conclusion que le comportement du Tribunal fait naître une crainte raisonnable de partialité (Committee for Justice and Liberty c Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, juge de Grandpré, à la p 394).

[16]           La demande de contrôle sera rejetée. Les procureurs n’ont aucune question à proposer pour certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5488-14

 

INTITULÉ :

HABAYATOU DIALLO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 mars 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 mars 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Myrdal Firmin

 

Pour la demanderesse

 

Me Lyne Prince

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Myrdal Firmin

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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