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Date : 20150409


Dossier : IMM-1248-14

Référence : 2015 CF 430

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2015

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

VICTOR REABOI ET

CLAVDIA ACHIMOVA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 10 février 2014 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la Commission] a conclu qu’ils n’avaient qualité ni de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger.

[2]               Les demandeurs soutiennent que la décision de la Commission est déraisonnable pour les raisons suivantes : la Commission a tiré deux conclusions défavorables concernant la crédibilité sans s’appuyer sur des éléments de preuve, mais n’a tiré aucune conclusion générale sur la crédibilité; la Commission n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve; et la Commission n’a pas tenu compte des éléments fondamentaux de la demande des demandeurs, soit la persécution dont ils sont victimes de la part d’acteurs non étatiques et l’absence de protection de l’État.

[3]               La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.

Contexte

[4]               Les demandeurs sont des citoyens de la Moldavie et sont des chrétiens de la Vraie Église orthodoxe. La Moldavie a refusé l’enregistrement de la Vraie Église orthodoxe chrétienne comme religion. Les demandeurs rapportent avoir reçu des menaces orales et écrites, avoir été victimes de harcèlement de la part de la police, avoir reçu des appels de menaces et avoir été victimes d’agressions physiques perpétrées par des extrémistes en raison de la religion qu’ils pratiquent. Dans leur Formulaire de renseignements personnels [le FRP], les demandeurs racontent qu’ils ont été harcelés et interrompus par la police lors d’un rassemblement de culte dans une résidence privée en 2008. Du matériel a alors été saisi et deux fidèles ont été arrêtés et détenus. Les demandeurs ont aussi décrit un incident où ils ont été attaqués par deux hommes pendant qu’ils prêchaient avec d’autres membres de leur Église dans la rue. Des policiers étaient présents, mais ne sont pas venus en aide au groupe. Les demandeurs affirment qu’ils ont été victimes de harcèlement de la part de leurs voisins, que leur maison a été la cible d’actes de vandalisme, que des membres de l’Église ont été agressés et que Mme Achimova a dû être hospitalisée en mai 2010 après avoir été battue par un groupe de personnes. Les demandeurs ont expliqué qu’ils n’avaient pas signalé l’agression à la police, car ils ne croyaient pas que celle‑ci leur viendrait en aide.

La décision

[5]               La Commission a tiré deux conclusions défavorables concernant la crédibilité. Premièrement, la Commission a tiré une inférence défavorable parce qu’en réponse à une question, Mme Achimova a indiqué qu’elle n’avait pas eu d’[traduction] « autres » interactions avec la police en Moldavie, puis, après une pause à l’audience, elle a décrit de façon plus détaillée l’incident de 2008 où la police a interrompu leur culte dans une résidence privée et a arrêté deux membres de l’Église. Deuxièmement, la Commission a tiré une inférence défavorable du fait que Mme Achimova était retournée en Moldavie après avoir rendu visite à sa famille en Ukraine. La Commission a souligné que Mme Achimova avait déclaré qu’elle était retournée dans son pays, car elle croyait qu’il n’y aurait pas de différence entre la situation en Ukraine et celle en Moldavie, mais n’a pas donné de détails à ce sujet. La Commission a souligné que [traduction] « le retour dans le pays de nationalité peut témoigner de l’absence de crainte fondée de persécution ».

[6]               La Commission a cité des rapports d’Amnistie internationale, de Freedom House et du Département d’État des États-Unis et a tiré la conclusion suivante : [traduction] « Le tribunal ne disposait d’aucun élément de preuve lui permettant d’infirmer la conclusion selon laquelle les “groupes religieux, enregistrés ou non”, ont la liberté de culte et peuvent accéder librement aux lieux publics pour mener leurs activités. »

[7]               La Commission a fait référence à des lettres récentes fournies par les demandeurs, qui précisent que la religion est toujours pratiquée malgré le fait que l’Église n’est pas enregistrée. La Commission n’était pas convaincue que le refus d’enregistrer la Vraie Église orthodoxe équivaut à de la persécution.

[8]               La Commission a ensuite conclu, d’après son examen du témoignage des demandeurs et des éléments de preuve documentaire objectifs sur la situation au pays, qu’elle n’était pas convaincue que les demandeurs risquaient sérieusement d’être persécutés en raison de leur religion.

[9]               La Commission a également conclu que les demandeurs ne seraient pas personnellement exposés à un risque de violence d’origine ethnique en Moldavie.

Les questions en litige

[10]           La question générale consiste à savoir si la décision est raisonnable. À cette fin, il faut évaluer si les conclusions de la Commission concernant la crédibilité étaient raisonnables, si la Commission a tenu compte de tous les éléments de preuve et si elle a tenu compte de la persécution de la part d’acteurs non étatiques et du caractère adéquat de la protection de l’État.

La norme de contrôle

[11]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Par conséquent, la Cour doit évaluer si la décision de la Commission « fait partie des “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable. » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 59, [2009] 1 RCS 339.)

[12]           Il est également bien établi que les commissions et les tribunaux sont particulièrement bien placés pour apprécier la crédibilité des demandeurs d’asile (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) 160 NR 315, au par. 4, [1993] ACF no 732 (CAF)) et que les conclusions sur la crédibilité tirées par la Commission, à titre de juge des faits, devraient bénéficier d’une retenue appréciable (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, au par. 13, [2008] ACF no 1329; Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, au par. 65, [2012] ACF no 924). Au paragraphe 7 de la décision Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] ACF no 162, le juge Martineau a précisé que le rôle de la Commission dans l’évaluation de la crédibilité constitue « l’essentiel de la compétence de la Commission ».

Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité étaient-elles raisonnables?

[13]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a tiré deux conclusions précises concernant la crédibilité, qui étaient toutes deux déraisonnables, mais n’a pas tiré de conclusion claire en ce qui concerne la crédibilité générale des demandeurs.

[14]           Les demandeurs font valoir que la Commission a interrogé longuement Mme Achimova au sujet de ce qui s’est passé avec les policiers et qu’elle était contrariée, car les questions étaient à la fois précises et générales. Elle a répondu aux questions portant sur un incident en particulier survenu dans la rue et n’a pas aimé que la Commission lui pose des questions plus générales sur ses autres interactions avec la police. Selon les demandeurs, il est déraisonnable que la Commission accepte de prendre une pause, reprenne les mêmes questions après la pause, puis tire une inférence défavorable du fait que Mme Achimova a répondu qu’il y avait eu d’autres incidents, qu’elle a ensuite décrits. Les demandeurs soulignent que la Commission a répété sa question sur d’[traduction] « autres » incidents et que Mme Achimova a répondu qu’elle avait mal compris la question avant la pause. Elle a raconté l’incident de 2008 où la police avait interrompu leur culte ainsi que d’autres incidents, qui concordaient tous avec les allégations formulées dans leur FRP. Les demandeurs font valoir que la Commission n’aurait pas dû accepter de prendre une pause afin de permettre à Mme Achimova de se calmer dans le seul but de tirer une conclusion défavorable de sa capacité à répondre aux questions après la pause.

[15]           Les demandeurs soutiennent également qu’il était déraisonnable que la Commission tire une conclusion défavorable concernant la crédibilité en raison du fait que Mme Achimova était retournée en Moldavie après un séjour en Ukraine. Madame Achimova a expliqué que la situation en Ukraine ressemblait à celle en Moldavie. La Commission est immédiatement passée à une autre question sans lui demander ni lui donner l’occasion d’apporter des précisions. Les demandeurs affirment que, comme dans la décision Caicedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 749, [2011] ACF no 965, la conclusion de la Commission est déraisonnable étant donné que la demanderesse a donné une explication plausible et que la Commission ne lui a pas donné l’occasion d’apporter des précisions.

[16]           Les demandeurs soulignent que, bien que la Commission ait tiré deux conclusions défavorables concernant la crédibilité, elle n’a tiré aucune conclusion générale sur la crédibilité. La Commission n’a pas affirmé qu’elle ne croyait pas que les demandeurs avaient vécu ce qu’ils prétendaient avoir vécu et n’a pas relevé une quelconque incohérence entre leur témoignage et leur FRP.

[17]           Le défendeur signale que les conclusions relatives à la crédibilité sont de nature factuelle, propres au cas particulier, fondées sur l’évaluation que fait la Commission de plusieurs facteurs et appellent une retenue considérable (Sosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 428, au par. 25, [2014] ACF no 445).

[18]           Le défendeur soutient que les deux conclusions concernant la crédibilité sont raisonnables. La Commission a interrogé à maintes reprises Mme Achimova sur les interactions des demandeurs avec la police et lui a posé des questions sur d’autres incidents que celui où la police les a interrompus lorsqu’ils prêchaient dans la rue, mais elle n’a pas mentionné l’incident de 2008. Madame Achimova s’est souvenue des détails de l’incident de 2008 uniquement après la pause, bien que les mêmes questions lui aient été posées avant la pause.

[19]           L’inférence défavorable tirée du fait que Mme Achimova était retournée en Moldavie après un séjour en Ukraine était elle aussi raisonnable. Madame Achimova a seulement donné une brève réponse et n’a pas fourni de plus amples renseignements. La Commission avait le loisir de tirer une conclusion défavorable en raison du fait que Mme Achimova s’était réclamée à nouveau de la protection de l’État et de conclure que cela ne concordait pas avec sa crainte subjective.

[20]           Le défendeur reconnaît que la décision ne mentionnait pas explicitement que les demandeurs n’étaient pas crédibles ou que la Commission ne croyait pas qu’ils avaient vécu ce qu’ils prétendaient avoir vécu. Cependant, il ne suffit pas que les demandeurs laissent entendre que la Commission aurait pu tirer une conclusion différente concernant la crédibilité (Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1398, au par. 31, [2012] ACF no 1503). Le défendeur soutient que la décision comprend suffisamment d’éléments indiquant que la Commission a tenu compte de l’ensemble de la preuve, comme elle le précise au paragraphe 13 de la décision, y compris du témoignage des demandeurs et des éléments de preuve objectifs, et qu’elle n’était pas convaincue que les demandeurs risquaient sérieusement d’être persécutés en raison de leur religion.

Les conclusions quant à la crédibilité étaient‑elles raisonnables?

[21]           Malgré la retenue dont il faut faire preuve à l’égard des conclusions de la Commission relatives à la crédibilité, je ne saurais conclure que les deux conclusions précises sont raisonnables. Les conclusions ne sont pas fondées et il est impossible de les justifier au regard des faits au dossier.

[22]           En ce qui a trait à l’inférence tirée de la capacité de Mme Achimova à donner des détails sur l’incident de 2008, où la police s’est présentée au lieu de culte des demandeurs dans une résidence privée, a confisqué du matériel et a arrêté et détenu brièvement deux fidèles, contrairement à la conclusion de la Commission, Mme Achimova n’a pas livré un témoignage différent avant et après la pause.

[23]           Un examen de la transcription révèle que le commissaire a interrogé Mme Achimova à la fois sur un incident précis, qu’elle a associé à leur activité consistant à prêcher dans la rue, et sur d’[traduction] « autres » incidents avec la police, en employant des termes comme « jamais » et « toujours ». L’avocat des demandeurs a formulé plusieurs observations à l’intention de la Commission sur sa méthode d’interrogation et a souligné que Mme Achimova était contrariée et que la Commission posait des questions précises, puis des questions générales et vice-versa, ce qui portait à confusion. L’avocat des demandeurs a signalé que Mme Achimova était en larmes et a demandé une pause pour lui permettre de se ressaisir. Après la pause, la Commission a posé les mêmes questions à Mme Achimova, qui a expliqué qu’elle avait auparavant mal compris les questions. Elle a ensuite donné des détails sur l’incident de 2008 et sur plusieurs autres incidents décrits dans le FRP.

[24]           La Commission n’a pas indiqué que Mme Achimova s’était rafraîchi la mémoire ou qu’elle avait reçu des conseils inadéquats sur son témoignage. La Commission a simplement tiré une conclusion défavorable.

[25]           Je conviens avec les demandeurs que la Commission n’aurait pas dû accepter de prendre une pause à l’audience dans le seul but de tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité, particulièrement compte tenu de la nature de l’échange entre l’avocat et la Commission au sujet de la méthode employée pour interroger Mme Achimova et de la nécessité de prendre une pause. Qui plus est, Mme Achimova n’a pas livré un témoignage différent après la pause; elle a élaboré ses réponses en fonction des précisions nécessaires, et son témoignage concordait avec le FRP.

[26]           La conclusion défavorable relative à la crédibilité découlant du fait que Mme Achimova est retournée en Moldavie après un séjour en Ukraine était également déraisonnable. La transcription révèle que Mme Achimova a déclaré qu’en juillet 2008, elle était retournée en Moldavie après avoir visité sa tente pendant une semaine en Ukraine. Elle a affirmé qu’elle n’était pas restée en Ukraine, car la situation dans ce pays était la même qu’en Moldavie. Le commissaire lui a ensuite demandé si elle avait voyagé à un autre endroit. Elle a répondu par la négative. Le commissaire est immédiatement passé à une autre question pour lui demander de quoi elle avait peur en Moldavie aujourd’hui. Le commissaire ne lui a pas demandé de préciser pourquoi la situation en Ukraine est la même qu’en Moldavie et ne lui a pas non plus donné l’occasion d’apporter ces précisions de son propre chef.

[27]           Comme l’a souligné le juge Rennie dans la décision Caicedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 749, [2011] ACF no 965, il n’est pas raisonnable de se fonder sur un manque de détails pour tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité si le demandeur n’a pas eu l’occasion de donner des détails. Comme il a indiqué aux paragraphes 28 et 29 :

[28] J’accepte aisément l’argument du défendeur selon lequel il incombe au demandeur d’établir le bien-fondé de sa demande d’asile et ce, du début à la fin du processus. En l’espèce toutefois, la Commission a posé un certain nombre de questions superficielles, imprécises, auxquelles le demandeur a répondu. Le commissaire a posé deux questions au sujet du retard, d’abord au Mexique, puis aux États-Unis. Le demandeur a donné des réponses qui, à première vue, ont semblé plausibles et le commissaire n’a pas posé d’autres questions. On ne peut raisonnablement statuer sur la crédibilité et s’appuyer sur le fait que le demandeur a fourni des [traduction] « détails limités » si les questions qui lui ont été posées n’incitaient pas à donner des précisions ou plus d’explications.

[29] Là encore, bien que j’admette volontiers l’argument de M. Doyle selon lequel un tel retard serait normalement concluant (voir, par exemple, Espinosa  c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324 ou Nyayieka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 690), en l’espèce, le dossier n’indique pas pourquoi les explications fournies au sujet du retard n’ont pas été acceptées. De toute évidence, les réponses fournies offrent, à première vue, une explication logique. Le commissaire n’a pas posé beaucoup de questions au demandeur. Son interrogatoire ne représente que trois pages de la transcription. On ne saurait retenir la conclusion selon laquelle le demandeur n’est pas crédible parce qu’il n’a pas donné de détails si, justement, des précisions ne lui ont pas été demandées ni n’étaient raisonnablement attendues en réponse à la question posée.

[28]           En l’espèce, l’explication de Mme Achimova était rationnelle et la Commission n’a aucunement examiné sa réponse de façon approfondie.

[29]           Mises à part les deux conclusions défavorables précises, la Commission n’a pas affirmé clairement qu’elle croyait que les demandeurs n’étaient pas crédibles. Bien que le défendeur fasse valoir que cette perception ressort de la conclusion de la Commission selon laquelle elle n’était pas convaincue que les demandeurs risquaient sérieusement d’être persécutés, il m’est impossible de lire entre les lignes dans une telle mesure. Il revient à la Commission de tirer une conclusion claire concernant la crédibilité (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 130 NR 236, [1991] ACF no 228, au par. 6 (CAF)).

La Commission a-t-elle tenu compte de tous les éléments de preuve?

[30]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en jugeant qu’il n’existait [traduction] « aucun élément de preuve » permettant d’infirmer la conclusion selon laquelle les groupes religieux ont la liberté de culte et peuvent accéder librement aux lieux publics pour mener leurs activités. Les demandeurs soulignent qu’ils étaient tenus de pratiquer leur culte en secret, comme ils l’ont décrit dans leur témoignage et comme l’indiquent plusieurs lettres à l’appui.

[31]           De plus, les demandeurs font valoir que la conclusion de la Commission ne tient pas compte de l’élément fondamental de leur demande, à savoir qu’ils ont été persécutés par des acteurs non étatiques et que la police ne les protègerait pas contre ces actes de persécution. La Commission ne s’est aucunement penchée sur le caractère adéquat de la protection de l’État.

[32]           Le défendeur soutient que la Commission n’a ignoré aucun des éléments de preuve. La Commission n’est pas tenue de faire état de chacun des éléments de preuve. En outre, les lettres à l’appui fournissaient uniquement des renseignements généraux et ne corroboraient pas les allégations précises des demandeurs.

[33]           Le défendeur ajoute que la Commission a évalué les allégations de persécution de la part d’acteurs non étatiques dans le cadre de son évaluation des éléments de preuve documentaire objectifs, mais a conclu que les demandeurs n’étaient pas victimes de persécution.

[34]           La Commission n’était pas tenue d’évaluer le caractère adéquat de la protection de l’État, car elle a conclu que tout risque auquel sont exposés les demandeurs est un risque généralisé auquel sont exposées d’autres personnes en Moldavie (Stephen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1054, au par. 48, [2013] ACF no 1334).

[35]           Le défendeur soutient également que la Commission a tenu compte de la crainte subjective des demandeurs lorsqu’elle s’est penchée sur le fait que Mme Achimova s’était réclamée à nouveau de la protection de l’État en Moldavie, et a souligné que son retour d’Ukraine [traduction] « peut témoigner de l’absence de crainte fondée de persécution lorsque la conduite de la demandeure est incompatible avec une telle crainte ».

La Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents

[36]           Premièrement, la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve permettant d’infirmer la conclusion selon laquelle les groupes religieux ont la liberté de culte.

[37]           Bien que la Commission ne soit pas tenue de formuler des commentaires sur chaque élément de preuve fourni par les demandeurs, elle ne peut affirmer catégoriquement qu’il n’existe [traduction] « aucun élément de preuve » permettant d’infirmer la conclusion concernant la liberté de culte lorsqu’elle dispose d’éléments de preuve de cette nature. Si la Commission a jugé que les éléments de preuve en question n’étaient pas crédibles ou a décidé de leur attribuer peu de poids, elle devait le préciser.

[38]           Dans leur témoignage, les demandeurs ont déclaré qu’ils étaient tenus de pratiquer leur culte en secret, dans des résidences privées, et qu’ils étaient interrompus par la police lorsqu’ils tentaient de prêcher dans la rue. En outre, plusieurs lettres rédigées par d’autres membres de l’Église indiquaient la nécessité de pratiquer leur culte en secret. La Commission semble avoir admis ces lettres, mais uniquement pour appuyer sa conclusion selon laquelle les membres de l’Église continuent de pratiquer leur culte et les sacrements de leur religion. Il n’est pas raisonnable pour la Commission d’accepter certains éléments de ces lettres et d’en rejeter d’autres sans donner d’explication.

[39]           Deuxièmement, la Commission n’a pas tenu compte de l’allégation des demandeurs concernant la persécution par des acteurs non étatiques.

[40]           Aux paragraphes 14 à 16 de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, la Cour suprême du Canada a apporté des précisions sur les exigences de l’arrêt Dunsmuir. Elle a souligné que les motifs doivent « être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » et que les cours peuvent « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat ».

[41]           J’ai lu la décision et l’ensemble du dossier, mais ceux‑ci ne permettent pas d’étayer le caractère raisonnable de l’issue. Il m’est impossible de combler les lacunes et de conclure que la Commission a tenu compte de l’ensemble de la preuve, y compris des allégations de persécution de la part d’acteurs non étatiques.

[42]           À l’audience, la Commission a demandé précisément à Mme Achimova de faire part des craintes qu’elle éprouve à l’idée de retourner en Moldavie [traduction] « aujourd’hui ». Elle a donné la réponse suivante : « Nous craignons que les autorités ne nous protègent pas plus maintenant qu’auparavant. » La Commission lui a alors posé la question suivante : « Vous attendez‑vous à éprouver des problèmes causés par l’État ou pensez‑vous que l’État ne vous protégera pas d’autres personnes n’approuvant pas votre foi, ou les deux? » Madame Achimova a répondu qu’elle craignait, d’une part, que les représentants du gouvernement ne les protègent pas et, d’autre part, qu’ils continuent d’éprouver les mêmes problèmes. En réponse à des questions semblables, M. Reaboi a lui aussi affirmé qu’il craignait à la fois l’absence de protection de l’État et d’être « persécuté » par d’autres personnes en raison de leur foi.

[43]           Les demandeurs ont soutenu être persécutés par des acteurs non étatiques dans leur FRP et dans le témoignage qu’ils ont livré à la Commission. De plus, la preuve médicale et les lettres à l’appui font référence au traitement que leur ont infligé des acteurs non étatiques, y compris des extrémistes et leurs propres voisins.

[44]           La décision de la Commission ne fait aucunement mention de l’allégation de persécution de la part d’acteurs non étatiques. La Commission ne semble avoir évalué que la persécution de la part d’acteurs étatiques, c’est-à‑dire la question de savoir si des groupes religieux, enregistrés ou non, ont la liberté de culte et peuvent accéder librement aux lieux publics pour mener leurs activités.

[45]           La Commission a commis une erreur en n’examinant pas ce volet de la demande des demandeurs, ce qui l’aurait poussé à évaluer le caractère adéquat de la protection de l’État offerte aux demandeurs.

Conclusion

[46]           La Commission n’a pas tenu compte d’un élément fondamental de la demande des demandeurs et a tiré des conclusions déraisonnables sur la crédibilité. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la demande d’asile des demandeurs doit être réexaminée par un tribunal de la Commission différemment constitué.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1248-14

 

INTITULÉ :

VICTOR REABOI ET CLAVDIA ACHIMOVA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MARS 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

lE 9 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Arthur I. Yallen

 

POUR LES DEMANDEURs

 

Christopher Crighton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yallen Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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