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Date : 20150410


Dossier : IMM-740-14

Référence : 2015 CF 445

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

ABDUL KHALIL ALEAF, RAIHANA ALEAF, ET TAYEBA ALEAF ET ABDUL SABOOR ALEAF (REPRÉSENTÉS PAR LEUR TUTEUR À L’INSTANCE, ABDUL KHALIL ALEAF)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Abdul Khalil Aleaf et sa famille ont présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre du parrainage privé dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention ou la catégorie des personnes de pays d’accueil. Leur demande a été rejetée parce qu’une agente des visas au haut-commissariat du Canada au Pakistan a conclu que M. Aleaf n’était pas crédible, et qu’il n’avait donc pas établi que sa famille et lui seraient exposés au risque en Afghanistan. L’agente n’a pas conclu que M. Aleaf était interdit de territoire au Canada pour des motifs liés à la sécurité.

[2]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de l’agente des visas, ils affirment qu’ils ont été traités de manière inéquitable dans le processus de demande de visa parce que M. Aleaf n’a pas obtenu de copies des notes de service de 2006 de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) et du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) et il n’a pas non plus reçu de copie d’une lettre de dénonciation qui avait été envoyée au haut‑commissariat du Canada à Islamabad en 2005.

[3]               Les demandeurs affirment aussi qu’il était déraisonnable que l’agente conclue que le récit de M. Aleaf n’était pas crédible, et que l’agente des visas a commis une autre erreur en omettant de tenir compte de la persécution fondée sur le sexe à laquelle l’épouse et la fille de M. Aleaf seraient exposées en Afghanistan. Enfin, les demandeurs soutiennent qu’il y a des [traduction] « circonstances spéciales » en l’espèce (notamment le délai anormalement long de traitement de leur demande de visa) qui justifient qu’une ordonnance leur adjugeant les dépens soit rendue.

[4]               La Cour n’a pas été convaincue que les demandeurs ont été traités de manière inéquitable en l’espèce. La Cour est aussi d’avis qu’il était raisonnable que l’agente des visas conclue que l’explication de M. Aleaf quant à savoir où il se trouvait à la fin des années 1990 n’était pas crédible. Aucune revendication fondée sur le sexe n’a été formulée par l’épouse et la fille de M. Aleaf ni pour leur compte, et par conséquent, l’agente des visas n’avait pas l’obligation de traiter de cette question. Enfin, bien que le délai de traitement de la demande de visa des demandeurs ait indubitablement été long et n’ait jamais été expliqué, la Cour n’est pas d’avis que cela constitue des [traduction« circonstances spéciales » justifiant une adjudication de dépens en leur faveur.

I.                   Le contexte

[5]               La famille de M. Aleaf vient d’un village de la province de Logar en Afghanistan. M. Aleaf dit que vers 1992, la famille a été entraînée dans un différend foncier avec des cousins, qui revendiquaient des droits sur la propriété de la famille. Les cousins auraient eu des liens avec les talibans, et ils auraient menacé de tuer la famille si celle-ci ne renonçait pas à ses droits sur la propriété.

[6]               En 1995, la famille vivait à Kaboul lorsque la maison des parents de M. Aleaf a été détruite par une attaque à la roquette. M. Aleaf n’était pas à la maison à ce moment-là, mais d’autres membres de la famille s’y trouvaient. La plupart des membres de la famille ont échappé à l’explosion, après cela, ils sont retournés vivre dans leur village. La famille a demandé aux aînés du village de les aider à reprendre leur terre, mais leurs parents ont proféré de violentes menaces à leur endroit, et la famille n’a pas été en mesure de récupérer sa propriété.

[7]               Les parents de M. Aleaf et cinq de ses frères et sœurs ont fui au Pakistan en 1997, et ils sont venus au Canada en 2000 au titre du parrainage privé des réfugiés. M. Aleaf affirme qu’il est resté en Afghanistan jusqu’en 1998, et ensuite, il a déménagé au Pakistan, où il est demeuré jusqu’à présent. L’agente des visas a estimé que le récit de M. Aleaf quant à savoir où il était entre 1995 et 1998 n’était pas crédible.

[8]               Bien qu’une hypothèse ait été formulée selon laquelle, M. Aleaf faisait peut-être partie de la demande d’asile originale de ses parents, il n’a pas été inclus dans la décision accordant la résidence permanente à sa famille. M. Aleaf a déposé sa propre demande de résidence permanente en 2004. Il a été interviewé en 2005, ensuite, un agent des visas a rendu une décision favorable quant à la sélection. Le haut-commissariat du Canada au Pakistan a ensuite reçu des renseignements défavorables concernant M. Aleaf, notamment des rapports de l’ASFC et du SCRS dont il ressortait que M. Aleaf avait admis avoir fait de fausses déclarations quant à savoir où il était dans sa demande de résidence permanente.

[9]               Dans sa demande d’immigration, M. Aleaf a affirmé qu’il avait vécu à Kaboul jusqu’en 1998. Toutefois, il ressortait des rapports reçus par le haut-commissariat que M. Aleaf avait admis lors d’une entrevue que, en fait, il avait vécu dans plusieurs camps de réfugiés au Pakistan entre 1996 et 1998, dont au moins l’un était administré par le Hizb-i-Islami Gulbuddin (HIG) comme refuge pour ses militants, ses partisans et leurs familles. Le HIG est un groupe très instable qui a participé à des attaques contre le gouvernement de l’Afghanistan.

[10]           M. Aleaf a modifié sa demande de résidence permanente après s’être marié. Il a de nouveau mis à jour ses formulaires d’immigration en 2012 de manière à inclure ses deux enfants : un fils et une fille. M. Aleaf a continué à affirmer dans ces formulaires mis à jour qu’il avait vécu à Kaboul entre 1995 et 1998.

[11]           Il n’est pas évident de savoir pourquoi le traitement de la demande de la famille Aleaf a pris autant de temps, mais nous savons que le haut-commissariat a décidé d’interviewer à nouveau M. Aleaf en 2013. Le haut-commissariat évaluait à nouveau son cas en raison du temps écoulé depuis la décision d’admissibilité de 2005, et parce que beaucoup d’Afghans qui résidaient au Pakistan rentraient maintenant chez eux.

[12]           Avant d’examiner le dossier de l’agente des visas concernant l’entrevue du 6 mai 2013 avec M. Aleaf, il importe de relever que M. Aleaf n’a pas déposé d’affidavit dans la présente instance. Par conséquent, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve qui remettrait en question l’exactitude du compte rendu de l’agente des visas quant à ce qui a été dit au cours de l’entrevue. M. Aleaf a produit une [traduction] « déclaration » non assermentée dans laquelle il critique l’interprétation que l’agente a faite des événements débattus pendant l’entrevue. Toutefois, il ne signale aucune imprécision dans les notes de l’agente.

II.                L’entrevue de 2013

[13]           M. Aleaf a dit à l’agente des visas qu’il avait un frère nommé Abdul Samay qui [traduction] « n’était pas une personne normale », en ce sens qu’il était paralysé, aveugle, sourd et [traduction] « simple d’esprit ». Ce frère se serait trouvé dans la maison familiale à Kaboul au moment de l’attaque à la roquette en 1995 et n’avait pas pu être retrouvé après l’attaque, qui avait complètement détruit la maison.

[14]           M. Aleaf affirme que sa famille et lui sont retournés dans leur village dans la province de Logar après l’attaque à la roquette, où ils ont vécu pendant l’année qui a suivi, une prétention qui ne concordait pas avec les coordonnées que M. Aleaf a communiquées dans ses formulaires d’immigration.

[15]           L’agente des visas a remis en question la décision de la famille de retourner dans son village, étant donné que c’était le lieu où se trouvaient les prétendus agents de persécution de la famille. L’agente a également soumis à M. Aleaf l’hypothèse que, si ses cousins avaient voulu s’en prendre à la famille, ils l’auraient fait au cours de l’année que la famille a passée dans la province de Logar. M. Aleaf n’a pas fourni d’explication cohérente à cette préoccupation, ce qui a amené l’agente à mettre en doute le récit portant sur le différend foncier.

[16]           M. Aleaf a dit à l’agente des visas qu’après avoir passé un an au village, il a passé les deux années suivantes à chercher son frère disparu dans différents endroits partout en Afghanistan. L’agente a eu du mal à croire cette allégation, étant donné que la famille n’était pas retournée à Kaboul à la recherche du corps d’Abdul Samay dans les décombres de leur maison, l’endroit où il aurait été le plus vraisemblablement été trouvé. L’agente ne comprenait pas pourquoi M. Aleaf pensait qu’un individu gravement handicapé aurait été en mesure de survivre à une attaque à la roquette, et ensuite de déménager dans une autre région de l’Afghanistan.

[17]           M. Aleaf déclare qu’il n’a pas accompagné sa famille lorsque celle-ci a déménagé au Pakistan en 1997, car il devait rester en Afghanistan pour continuer à chercher Abdul Samay. Étant donné les indices selon lesquels Abdul Samay était décédé lors de l’attaque à la roquette en 1995, l’agente a estimé que la prétention de M. Aleaf selon laquelle il aurait passé des années à chercher son frère en Afghanistan n’était pas vraisemblable.

[18]           Après avoir déménagé au Pakistan en 1998, M. Aleaf dit qu’il a obtenu un emploi dans un atelier de plomberie à Peshawar, où il a travaillé pendant les 12 années suivantes. Toutefois, M. Aleaf était incapable de se souvenir du nom de l’atelier, et il n’avait aucun document à l’appui de sa prétention d’emploi à long terme. M. Aleaf a aussi déclaré qu’il a perdu son emploi en 2012 parce que le propriétaire [traduction« n’était pas bon avec les Afghans ». Comme l’agente des visas l’a relevé, il n’était pas logique que le propriétaire congédie soudainement M. Aleaf après 12 années d’emploi parce qu’il [traduction] « n’était pas bon avec les Afghans ».

[19]           Ces préoccupations ont amené l’agente des visas à tirer une conclusion générale selon laquelle M. Aleaf n’était tout simplement pas crédible. L’agente n’était pas convaincue que M. Aleaf serait exposé au risque en Afghanistan, et elle a conclu qu’il pourrait vivre en sécurité à Kaboul.

III.             M. Aleaf a-t-il été traité de manière inéquitable dans le processus de demande de visa?

[20]           M. Aleaf soutient tout d’abord qu’il a été traité de manière inéquitable dans le processus de demande de visa parce qu’il n’a pas reçu de copies des notes de service de 2006 de l’ASFC et du SCRS, ni de la lettre de dénonciation obtenue par le haut-commissariat du Canada à Islamabad en 2005.

[21]           Lorsqu’une question d’équité procédurale se pose, le rôle de la Cour consiste à déterminer si le processus suivi par le décideur présente le degré d’équité requis compte tenu de l’ensemble des circonstances : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43.

[22]           Comme je l’ai fait remarquer dans la décision aux termes de laquelle j’ai refusé de nommer un avocat spécial pour représenter les intérêts de M. Aleaf, dans une instance introduite sur le fondement de l’article 87 dans la présente affaire, j’admets que la présente affaire revêt indubitablement une grande importance pour M. Aleaf et sa famille, étant donné qu’ils sollicitaient l’entrée au Canada à titre de réfugiés. Toutefois, je n’ai pas été convaincue que la famille avait été traitée de manière inéquitable, compte tenu de l’ensemble des circonstances.

[23]           En ce qui concerne les deux notes de service du gouvernement, M. Aleaf soutient que le Dossier certifié du tribunal ne contient aucune trace d’une entrevue au cours de laquelle il a admis avoir fait une fausse déclaration quant à savoir où il se trouvait dans sa demande de résidence permanente. Cette prétention est problématique parce que M. Aleaf n’a pas nié avoir fait la déclaration qui lui est attribuée.

[24]           Tel qu’il a été indiqué précédemment, M. Aleaf n’a pas déposé d’affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, et sa déclaration non assermentée ne traite pas de cette question. Par conséquent, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant que M. Aleaf n’était pas au courant du contenu des notes de service, ou que leur défaut de divulgation lui a causé quelque préjudice que ce soit. En outre, il n’a signalé aucun élément de preuve qu’il aurait pu présenter pour réfuter les renseignements contenus dans les rapports s’il avait été au courant de leur existence.

[25]           De plus, les motifs de l’agente des visas ne comportent aucune indication selon laquelle un poids quelconque a été attribué aux renseignements contenus dans les notes de service. La décision de l’agente était fondée sur l’invraisemblance inhérente du récit de M. Aleaf selon lequel il avait passé plusieurs années à la recherche de son frère disparu dans différentes régions de l’Afghanistan pendant une période où il avait prétendu avoir vécu à Kaboul.

[26]           En ce qui concerne la lettre de dénonciation, selon la jurisprudence de la Cour, ces lettres sont intrinsèquement peu fiables : D’Souza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 57, 321 FTR 315, au paragraphe 15. Toutefois, la décision de l’agente des visas ne révèle nullement que l’agente était au courant du contenu de la lettre de 2005, ou qu’elle en aurait tenu compte d’une manière ou d’une autre. En fait, les notes de l’agente indiquent précisément que les [traduction« renseignements défavorables » qui avaient été reçus en 2005 concernant M. Aleaf [traduction« n’étaient pas au dossier, ni décrits dans le STIDI [Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration] ». La décision Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1389, 422 FTR 61, invoquée par les demandeurs, est donc distincte : voir les paragraphes 30 et 32.

[27]           Les notes de l’agente des visas relatives à l’entrevue de 2013 confirment que celle-ci a expressément dit à M. Aleaf que l’agente était préoccupée quant à savoir où M. Aleaf était entre 1995 et 1998, et l’agente a amplement donné la possibilité à M. Aleaf de répondre à ces préoccupations. Aucun manquement à l’équité procédurale n’a donc été établi en l’espèce.

IV.             Le caractère raisonnable des conclusions de l’agente concernant la crédibilité

[28]           Les demandeurs soutiennent que les conclusions de l’agente portant sur la crédibilité étaient déraisonnables, parce que l’agente a omis de tenir compte du fait que M. Aleaf avait deux frères handicapés, Abdul Samay et Tawab. Selon la déclaration non assermentée de M. Aleaf et l’affidavit de son père, Tawab a été tué lors de l’attaque à la roquette en 1995, mais Abdul Samay a survécu à l’attaque et a disparu.

[29]           Cet argument est problématique parce que la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve selon lequel l’agente a été mise au courant de cette allégation. Le père de M. Aleaf n’a pas assisté à l’entrevue avec l’agente des visas, et il n’est donc pas en mesure d’émettre des commentaires sur ce qui s’est dit lors de cette entrevue. Bien que M. Aleaf affirme dans sa déclaration que l’agente ne semblait pas comprendre qu’il avait deux frères handicapés, il n’indique nulle part dans sa déclaration qu’il a informé l’agente de ce fait.

[30]           Le récit fait par M. Aleaf à l’agente des visas quant à savoir où il était pendant les années entre 1995 et 1998 prêtait à confusion, était alambiqué et improbable. La conclusion de l’agente selon laquelle M. Aleaf n’était pas crédible est amplement étayée par le dossier, et aucun motif justifiant l’intervention de la Cour n’a été établi.

V.                Le fondement de la demande

[31]           Les demandeurs affirment aussi que l’agente des visas a commis une erreur lorsqu’elle a omis d’accorder suffisamment de poids au fait que les autorités canadiennes de l’immigration avaient accepté les parents et les frères et sœurs de M. Aleaf comme réfugiés en 2000 et que M. Aleaf lui-même avait fait l’objet d’une décision favorable de sélection en 2005.

[32]           Toutefois, il ressort à l’évidence des motifs de l’agente des visas que celle-ci était bien au courant des antécédents de demandes d’asile de la famille, notamment du fait que les autorités canadiennes de l’immigration avaient accepté le récit du différend foncier en 2000. Toutefois, il doit être statué sur chaque demande d’asile en fonction des faits qui lui sont propres.

[33]           Nous ne savons pas de quels éléments de preuve disposait l’agent des visas qui a statué sur la demande d’asile de la famille en 2000, et nous ne savons pas non plus en quoi les éléments de preuve produits à l’appui des demandes d’asile des demandeurs différaient de ceux qui avaient été présentés à l’appui de la demande d’asile des parents et des frères et sœurs de M. Aleaf. Nous savons que l’agente des visas en l’espèce a conclu que la décision de la famille Aleaf de retourner dans son village en 1995 après la destruction de leur maison à Kaboul était incohérente avec leur crainte avec raison d’être persécutés par leurs parents dans la province de Logar. Il s’agissait d’une conclusion qu’il était raisonnablement loisible à l’agente de tirer compte tenu du dossier dont elle disposait.

[34]           En outre, les demandes d’asile des demandeurs ont été évaluées en 2013, lorsque les conditions en Afghanistan étaient assez différentes de celles qui existaient en 2000.

[35]           Contrairement à la situation que la Cour a eue à trancher dans la décision Goven c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1161, [2002] ACF no 1556, l’agente des visas a clairement expliqué pourquoi elle n’a pas accepté l’allégation de M. Aleaf selon laquelle il serait exposé au risque en Afghanistan. M. Aleaf n’a donc établi aucun fondement à l’intervention de la Cour sur ce motif.

VI.             Le défaut d’examiner une demande fondée sur le sexe

[36]           Le dernier argument des demandeurs est que l’agente des visas a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas examiné la persécution fondée sur le sexe à laquelle l’épouse et la fille de M. Aleaf seraient exposées en Afghanistan. Cet argument est problématique, car la famille n’a formulé aucune allégation de cette nature dans sa demande de résidence permanente. Les demandes d’asile de l’épouse et des enfants de M. Aleaf dépendaient entièrement de la demande de celui-ci, laquelle était fondée sur le prétendu différend foncier.

[37]           Il est vrai qu’aux pages 745 et 746 de l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] ACS no 74, la Cour suprême a confirmé que la Commission doit examiner tous les motifs de la demande d’asile, même si les motifs n’ont pas été soulevés par le demandeur pendant l’audience, et que le demandeur n’a pas l’obligation de préciser les motifs pour lesquels il serait persécuté : voir aussi Viafara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] ACF no 1914, au paragraphe 6. Cette évaluation doit toutefois être faite en fonction des faits allégués par les demandeurs.

[38]           Dans l’arrêt Ward, le demandeur a affirmé avoir une crainte avec raison d’être persécuté en Irlande à la suite de plusieurs faits. Bien que la demande d’asile fût fondée à l’origine sur l’appartenance du demandeur à un groupe social, la Cour suprême a conclu que les faits en cause donnaient en fait lieu à une demande fondée sur des opinions politiques, et que la demande devrait être examinée sur ce fondement.

[39]           En l’espèce, les seuls faits dont il est dit qu’ils ont donné naissance à une crainte subjective de persécution en Afghanistan de la part des demandeurs, notamment l’épouse et la fille de M. Aleaf, étaient les faits liés au différend foncier. Personne n’a donné à penser que ce différend était relié de quelque façon que ce soit au sexe de l’épouse et de la fille de M. Aleaf, et l’agente n’a donc pas commis d’erreur en omettant d’examiner une demande fondée sur le sexe : Kamara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 785, [2008] ACF no 986, au paragraphe 25; Besadh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 680, [2009] ACF no 847, au paragraphe 11.

[40]           Le fait que les renseignements sur la situation dans le pays révèlent que la violence contre les femmes est un grave fléau en Afghanistan ne constitue pas un motif suffisant pour trancher de manière favorable une demande d’asile : Atahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 753, 413 FTR 122, au paragraphe 17.

[41]           Les demandeurs citent trois autres décisions à l’appui de leur allégation selon laquelle l’agente des visas  avait l’obligation d’examiner une demande fondée sur le sexe, même si les demandeurs n’avaient formulé aucune demande en ce sens. Toutefois, ces décisions n’étayent pas la position des demandeurs. Dans les décisions Luswa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 289, [2004] ACF no 320 et Njodzenyuy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 709, [2014] ACF no 736, aux paragraphes 4 et 34, des décisions statuant sur des demandes d’asile furent annulées en raison du défaut d’examiner un motif qui avait été expressément allégué par l’épouse du demandeur principal.

[42]           Dans la décision Ismailzada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 67, 425 FTR 271, la Cour a souligné que les demandeurs d’asile à l’étranger n’ont aucun droit à une entrevue, mais qu’il peut y avoir des cas où il est nécessaire d’interviewer un codemandeur, lorsque, par exemple, la crédibilité du demandeur principal est en cause. Toutefois, rien ne donne à penser que l’épouse de M. Aleaf avait une connaissance directe du prétendu différend foncier. Rien non plus ne donne à entendre qu’elle avait une connaissance directe des endroits où M. Aleaf était entre 1995 et 1998, une période antérieure de plusieurs années à leur mariage. Elle n’a pas déposé d’affidavit dans la présente affaire, et la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve qui indique qu’elle aurait pu apporter des éclaircissements sur la situation.

VII.          Les dépens

[43]           Les demandeurs soutiennent aussi qu’il existe des « circonstances spéciales » en l’espèce (notamment le délai anormalement long de traitement de leur demande de visa) qui justifieraient qu’une ordonnance leur adjugeant les dépens soit rendue.

[44]           Les dépens ne sont généralement pas adjugés dans les procédures en matière d’immigration à la Cour. L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 dispose que : « Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens. »

[45]           Le critère des « raisons spéciales » est rigoureux, et chaque décision devait reposer sur les faits dont est saisie la Cour : Ibrahim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1342, 68 Imm. L.R. (3d) 43, au paragraphe 8. Les demandeurs ne m’ont pas convaincue qu’il existe des « raisons spéciales » en l’espèce qui justifieraient qu’une ordonnance leur adjugeant les dépens soit rendue, et je refuse de rendre une telle ordonnance.

VIII.       Dispositif

[46]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je conviens avec les parties que la présente affaire ne soulève pas de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-740-14

 

INTITULÉ :

ABDUL KHALIL ALEAF, RAIHANA ALEAF, ET TAYEBA ALEAF ET ABDUL SABOOR ALEAF (REPRÉSENTÉS PAR LEUR TUTEUR À L’INSTANCE, ABDUL KHALIL ALEAF)

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 MARS 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 10 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Timothy Wichert

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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