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Date : 20150316


Dossier : IMM-7101-13

Référence : 2015 CF 331

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2015

En présence de monsieur le juge Simon Noël

ENTRE:

USAMA WADIE MATTA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Usama Wadie Matta (le demandeur) sollicite l'autorisation d’introduire une demande de contrôle judiciaire au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’encontre de la décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, rendue le 16 septembre 2013, décision rejetant l'appel que le demandeur avait interjeté et qui visait la mesure de renvoi.

II.                Les faits

[2]               Le demandeur est citoyen de l’Égypte et il est âgé de 50 ans.

[3]               Le demandeur a demandé de venir au Canada à titre d’entrepreneur en 1998. Sa demande a été accueillie, et il a obtenu le statut de résident permanent le 14 janvier 2001 sous réserve de conditions. Celles-ci exigeaient essentiellement que le demandeur exploite une entreprise au Canada qui contribue à l’économie et qui emploie un ou plusieurs Canadiens.

[4]               En mars 2006, le demandeur a déposé une demande pour retirer ses conditions d’octroi du droit d’établissement. La demande a par la suite été déférée aux fins d'enquête. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a ensuite produit un rapport établi en vertu de l’article 44 le 26 avril 2007, dans lequel il est allégué que le demandeur n'a pas respecté ses conditions d'octroi du droit d'établissement.

[5]               Une audience a été tenue devant la Section de l’immigration (la SI) le 19 février 2010. Le 23 avril 2010, la SI a conclu que le demandeur n’avait pas respecté ses conditions d’octroi du droit d’établissement à titre d’entrepreneur. Une mesure d’expulsion a été prise contre le demandeur à Toronto, en Ontario, en application de l’article 41 de la Loi.

[6]               Une première audience a été tenue devant la SAI le 13 juin 2013, mais elle a été reportée à la demande du conseil du demandeur, qui a soutenu que son client était agité, étant donné qu'il avait besoin d'une transplantation hépatique. Une seconde audience a été tenue le 16 septembre 2013. Le même jour, la SAI a rejeté l'appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la décision de la SI. Il s'agit de la décision faisant l'objet du présent contrôle.

III.             La décision de la Section de l’immigration

[7]               Le demandeur a fait l’objet d’une enquête devant la SI, où il a déclaré sous serment qu’il connaissait ses conditions d’octroi du droit d’établissement. Son témoignage a été rejeté par la SI pour les quatre raisons suivantes : 1) il devait connaître les exigences relatives à la catégorie des entrepreneurs, étant donné qu'il était celui qui avait présenté la demande; 2) selon les notes de l'agent des visas, le demandeur connaissait les conditions; 3) étant donné que le demandeur a obtenu son visa de résident permanent six mois avant de migrer au Canada, il avait eu suffisamment de temps pour passer les documents en revue; 4) le nom et la signature du demandeur figurent dans la fiche relative au droit d'établissement, ce qui confirme que le demandeur a accepté et qu'il comprenait les conditions qui lui étaient imposées à titre d'entrepreneur. Le demandeur a été interdit de territoire au Canada.

IV.             La décision contestée

[8]               La SAI a d’abord déclaré que l’appel concernait seulement la demande de prise de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur. Le demandeur ne conteste pas la validité juridique de la mesure d’interdiction de séjour.

[9]               La SAI s'est ensuite penchée sur la crédibilité du demandeur. Elle a conclu que le demandeur avait été malhonnête en déclarant qu'il n'était pas au courant des conditions associées à l'octroi du droit d'établissement. La SAI a également déclaré que le demandeur avait omis de respecter ses conditions d'octroi du droit d'établissement et qu’il avait évité de communiquer avec CIC cinq ans après avoir obtenu le droit d’établissement. La SAI a accordé beaucoup de poids à ces facteurs.

[10]           En ce qui concerne l’établissement du demandeur au Canada, la SAI a accepté le fait que le demandeur était résident permanent depuis plus de dix ans, mais que son épouse et sa fille habitaient en Égypte; de plus, le demandeur s'est fréquemment rendu en Égypte au fil des ans. Le demandeur a de la famille au Canada, il possède des biens au Canada et il n'a jamais eu recours à l'aide sociale au Canada. La SAI a donc considéré le facteur relatif à l’établissement comme étant [traduction] « modérément favorable » (dossier du demandeur, à la page 10, paragraphe 20). Cependant, le demandeur n'a pas établi que les membres de sa famille au Canada subiraient des difficultés importantes s'il devait retourner en Égypte.

[11]           La SAI a ensuite abordé les facteurs concernant les difficultés en Égypte. Selon les éléments de preuve fournis, la SAI n'était pas convaincue que le demandeur ne serait pas en mesure de subvenir à ses besoins ou d'avoir accès à des ressources en soins de santé en Égypte. En ce qui concerne les craintes alléguées de persécutions du demandeur en tant que chrétien copte, les conditions dans le pays ne font état d'aucun renseignement à cet égard, et l'épouse du demandeur, qui est également chrétienne, a refusé de venir au Canada et a choisi de continuer à travailler en Égypte. Les craintes du demandeur concernant ce point ne sont donc pas corroborées. Finalement, la fille du demandeur se trouve en Égypte et elle est sous la garde de sa mère. La situation à cet égard semble suffisamment stable pour que le demandeur n'ait jamais essayé de la parrainer au Canada.

[12]           Selon la SAI, dans l’ensemble, tous ces facteurs sont insuffisants pour justifier la prise de mesures pour des motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, l’appel a été rejeté.

V.                Les observations des parties

[13]           Le demandeur soutient d’abord que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que le demandeur souffrait de cirrhose du foie, qu'il était sur la liste d'attente en vue d'une transplantation hépatique et qu'il n'obtiendrait aucun traitement médical en Égypte. De plus, il soutient que la SAI n’a pas abordé ces facteurs dans sa décision. Le défendeur rétorque que le demandeur a admis qu’il n’avait jamais vérifié s’il pouvait ou non recevoir le traitement médical nécessaire en Égypte.

[14]           De plus, le demandeur soutient qu’il n'a pas eu droit à une audience équitable. Lorsqu'il en a eu l'occasion, le demandeur aurait pu présenter des éléments de preuve supplémentaires qui sont pertinents dans son cas, dans la mesure où cela concerne 1) la situation des chrétiens coptes en Égypte, 2) l'impossibilité de recevoir un traitement médical relativement à une transplantation hépatique en Égypte ainsi que 3) les difficultés subies par le demandeur et les membres de sa famille se trouvant au Canada s’il devait quitter le Canada. Le demandeur soutient que ses droits prévus à l’article 7 de la Charte entrent en jeu. Le défendeur répond que le demandeur n’a jamais demandé de présenter des éléments de preuve supplémentaires après l’audience et qu’il lui incombait en tout temps de démontrer la raison pour laquelle il devrait être autorisé à rester au Canada. Par conséquent, il n'y a aucun manquement à la justice naturelle en l'espèce.

VI.             Les questions en litige

[15]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

  1. La SAI a-t-elle rendu une décision déraisonnable en faisant abstraction de la preuve, en n’en tenant pas compte ou en l’interprétant mal?
  2. La décision était-elle inéquitable? La SAI aurait-elle dû offrir au demandeur l'occasion de présenter des documents à l’appui?

[16]           Le défendeur soutient simplement qu’il n’y a aucune question de droit défendable sur laquelle la demande de contrôle judiciaire pourrait être accueillie.

[17]           J’ai lu les observations des parties ainsi que leurs documents respectifs, et je formule les questions de la manière suivante :

  1. Le demandeur a‑t‑il eu droit à une audience équitable?
  2. La décision de la SAI est-elle raisonnable?

VII.          La norme de contrôle

[18]           La question de savoir si le demandeur a eu droit à une audience équitable ou non relève de l'équité procédurale. Par conséquent, la norme de la décision correcte s’applique (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 129; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43). Il n'y a donc aucune retenue qui s’impose à l’égard de la décision de la SAI.

[19]           La question de savoir si la décision de la SAI est raisonnable ou non en l’espèce est une question mixte de droit et de fait. La norme de la décision raisonnable s’applique. La Cour n’interviendra que si elle conclut que la décision est déraisonnable, c’est-à-dire qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9, au paragraphe 47).

VIII.       Analyse

A.                Le demandeur a-t-il eu droit à une audience équitable?

[20]           Le demandeur soutient qu’il n’a pas eu droit à une audience équitable, car la SAI aurait dû lui donner la possibilité de présenter des renseignements supplémentaires à l'appui de son appel avant de rendre sa décision. Cet argument ne tient pas la route. Comme la SAI le déclare dans sa décision (dossier du demandeur, à la page 8, paragraphe 10), il incombe au demandeur d’établir les motifs pour lesquels il devrait être autorisé à demeurer au Canada (Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, aux paragraphes 57 et 90; Krishnan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 517, au paragraphe 18). Le demandeur ne s’est tout simplement pas acquitté du fardeau qui lui incombait devant la SAI.

[21]           En effet, au cours de la première audience, le 13 juin 2013, la SAI a accepté de reporter l'audience en raison de l'état de santé du demandeur, même si la SAI doutait qu'il puisse s'agir d'une manœuvre dilatoire (dossier certifié du tribunal, à la page 578). La seconde audience a eu lieu trois mois plus tard, le 16 septembre 2013. Par conséquent, le demandeur avait eu trois mois supplémentaires pour déposer tout renseignement à l'appui de facteurs d'ordre humanitaire. De plus, la décision de la SI a été rendue le 23 avril 2010 (dossier du demandeur, à la page 78), et le demandeur a interjeté appel de cette décision au cours de la même année. La première audience devant la SAI a eu lieu le 13 juin 2013. Le demandeur avait plus de temps qu’il n’en fallait pour préparer son appel et présenter des renseignements à l’appui de sa cause. Au cours de la première audience devant la SAI, celle-ci a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[E]h bien, le présent ‒ le présent appel a été interjeté en 2010. Je pense que beaucoup de temps a été accordé pour la préparation de l'audience et pour présenter des renseignements concernant toutes les préoccupations d'ordre humanitaire possibles (dossier du demandeur, à la page 505).

Bien que la SAI ait soulevé l'absence de documents au cours de la première audience, aucun autre renseignement n’a été présenté trois mois plus tard au cours de la seconde audience. La SAI a également soulevé l'absence de documents au cours de la seconde audience (dossier du demandeur, à la page 556). Par conséquent, il n’y a aucun manquement à l’équité procédurale.

[22]           L’argument du demandeur concernant le manque d’aide de la part de son ancien conseil ne tient pas la route non plus. L'ancien conseil du demandeur a représenté celui-ci devant la SAI et avant les deux audiences devant la SAI. Si le demandeur n'était pas satisfait des conseils juridiques de la part de son conseil, il avait suffisamment de temps pour demander l'aide d'un autre conseil. De plus, le demandeur assume les conséquences qui découlent du choix de son conseil. « [L]'omission de la part d'un avocat, librement choisi par un client, ne saurait, en aucun cas à l'exception du cas le plus extraordinaire, entraîner l'annulation d'une décision à l'occasion d'un appel ou d'un contrôle judiciaire » (Huynh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 642, 65 FTR 11, au paragraphe 23). Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve permettant d’établir « l’étendue du problème » relativement à son conseil (Balazs c Canada (Ministe de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 596, au paragraphe 11; Shirwa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 CF 51, au paragraphe 12). Par conséquent, le demandeur a eu droit à une audience équitable, et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

[23]           En dernier lieu, le demandeur a eu l’occasion de convoquer des témoins, mais il a refusé de la faire, et ce, même lorsqu’un témoin fut présent dans la salle, et le demandeur n’a présenté aucun autre document pour compléter son dossier d'appel (dossier du demandeur, à la page 7, paragraphe 7). L'intervention de la Cour n'est pas justifiée.

B.                 La décision de la SAI est-elle raisonnable?

[24]           L’argument principal du demandeur est que la SAI a omis de mentionner dans sa décision que celui-ci souffrait d’une cirrhose du foie. Cependant, la loi prévoit qu’un tribunal n’a pas nécessairement besoin de faire référence à « tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] ACS no 62, au paragraphe 16; voir également Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1165, aux paragraphes 27 à 33). En l’espèce, il n’y a aucune raison pour que la Cour intervienne en ce qui concerne la décision de la SAI (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 53; Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, aux paragraphes 45 à 49). En effet, au cours des deux audiences devant la SAI, l'état de santé du demandeur a été pris en considération, et le dossier du tribunal contenait bel et bien des renseignements sur l’état de santé du demandeur qui confirmaient que celui-ci souffrait d'une maladie du foie et que son pronostic était sombre en l'absence d'une transplantation hépatique (dossier certifié du tribunal, à la page 524). La préoccupation de la SAI concernait la disponibilité de ce traitement pour le demandeur en Égypte, s'il devait y retourner. Cela a fait l'objet d'une discussion au cours de la seconde audience. Lorsque le demandeur a été interrogé par la SAI et par son conseil, il a simplement répondu qu'il ne connaissait pas la situation de la transplantation hépatique en Égypte. Par conséquent, contrairement à l'argument du demandeur, la SAI a abordé l'état de santé du demandeur parmi tous les autres facteurs d'ordre humanitaire présentés dans le cadre de sa décision aux paragraphes 22 et 23. Le demandeur n’a pas fourni suffisamment de renseignements permettant à la SAI de rendre une décision favorisant le demandeur. Par conséquent, la décision de la SAI est raisonnable et elle fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La même chose peut être dite de l’absence de documents concernant les chrétiens coptes en Égypte ainsi que le fait que le demandeur a décidé de ne fournir aucun document à cet égard. La preuve démontre également que le demandeur se rend sans problème en Égypte deux fois par année, et aucune preuve n’a été présentée afin de prouver que l’épouse et la fille du demandeur étaient victimes de persécution en raison de leur religion. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

IX.             Conclusion

[25]           La décision de la SAI est raisonnable. Le demandeur a eu droit à une audience équitable, dans le cadre de laquelle il s’est fait entendre de manière adéquate. La décision de la SAI est raisonnable et elle a tenu compte de toutes les questions pertinentes à la situation du demandeur. Il n’est pas nécessaire que la Cour intervienne.

[26]           Les parties ont été invitées à soumettre une question en vue de la certification, mais aucune n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
  2. Aucune question de portée générale ne sera certifiée.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


dossier :

IMM-7101-13

 

INTITULÉ :

USAMA WADIE MATTA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 MARS 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 16 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Matthew Jeffery

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Bernard Assan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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