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Date : 20150317


Dossier : IMM-7985-13

Référence : 2015 CF 319

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2015

En présence de monsieur le juge S. Noël

ENTRE :

MATHAVAKUMARAN RAMANATHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Mathava Kumaran Ramanathan (le demandeur) a demandé l’autorisation d’introduire une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), datée du 13 novembre 2013, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La SPR a jugé que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.                Les faits

[2]               Le demandeur est un Tamoul de 35 ans et un citoyen du Sri Lanka.

[3]               Le demandeur a allégué qu’il était membre de l’Association des jeunes hommes hindous (l’Association) avec laquelle il avait recueilli de l’argent pour les familles qui avaient fui les régions dominées par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) en 2005. L’armée des Special Task Forces (Forces opérationnelles spéciales; ci-après les STF) avait entendu parler des activités de l’Association et, selon les allégations du demandeur, elle avait arrêté celui‑ci pour l’envoyer au camp de Karaitivu, où on l’avait battu et lui avait demandé de signer une déclaration confirmant qu’il recueillait des fonds pour les TLET. Il avait été relâché une semaine après son arrestation.

[4]               Le demandeur a prétendu que, la même année, son père et lui avaient été détenus par le groupe Karuna. Après paiement de la somme demandée par celui‑ci, ils avaient été libérés.

[5]               En août 2008, sa femme et lui avaient été, selon ses allégations, agressés par un groupe de militants. En juillet 2009, le groupe Pillaiyan l’avait ravi dans sa maison et exigé 600 000 roupies pour sa libération. Son beau-père avait versé 400 000 roupies, et il avait été relâché. En août 2010, le groupe Karuna lui aurait demandé de lui céder sa maison.

[6]               En mai 2011, le demandeur avait, selon ses allégations, été appréhendé par le Service des enquêtes criminelles (le SEC) et interrogé sur les liens d’un ex-employé de sa bijouterie avec les TLET. Il a dit avoir été libéré après avoir payé 1,5 million de roupies. À sa libération, le SEC lui aurait conseillé de quitter le pays.

[7]               Le 3 juin 2011, le demandeur a quitté le Sri Lanka, aidé d’un agent, et est allé à Singapour. Il y a passé deux semaines environ, puis il est allé à Cuba pour un autre séjour d’environ deux semaines. La chose s’est répétée au Mexique avec un séjour de deux semaines. De son propre chef, le demandeur a alors décidé de gagner les États-Unis d’Amérique le 19 juillet 2011. À son arrivée, il a été mis en détention pour quelque 55 jours. Il a demandé l’asile à titre de réfugié, mais a quitté le pays 12 jours après, renonçant à sa demande. Il est arrivé au Canada le 27 septembre 2011 et a sollicité le statut de réfugié le 28 septembre. La SPR a rejeté sa demande d’asile le 13 novembre 2013. Il s’agit de la décision visée par le présent contrôle judiciaire.

III.             La décision contestée

[8]               La SPR a remis en question la crédibilité du demandeur, puisque celui‑ci n’avait pu identifier les STF à titre d’agent de persécution sans une suggestion en ce sens de son conseil. La SPR a aussi jugé que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté en cas de retour au Sri Lanka, parce que les éléments de preuve manquaient pour appuyer sa demande. La SPR a aussi écrit que le demandeur tentait d’embellir son histoire avec des allégations d’arrestation et de torture aux mains du SEC.

[9]               La SPR a apprécié la demande d’asile du demandeur en se fondant sur les Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs for Asylum Seekers from Sri Lanka (lignes directrices pour la protection internationale des demandeurs d’asile du Sri Lanka). Ce sont les lignes directrices établies par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (les lignes directrices du HCNUR). La SPR a jugé que le profil du demandeur ne correspondait à aucun des profils de risque établis par ces lignes directrices. Elle a ajouté que les éléments de preuve manquaient pour qu’on puisse conclure que le demandeur serait ciblé en cas de retour au Sri Lanka. La SPR a aussi jugé que le demandeur n’avait pas de crainte subjective de persécution, ayant abandonné sa demande d’asile aux États-Unis pour venir au Canada, parce qu’il demeurait dans une petite maison aux États-Unis et que, au Canada, il pouvait être aidé pour le logement.

[10]           La SPR a aussi jaugé la possibilité de refuge intérieur (PRI). Elle a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que les autorités ou les paramilitaires continuaient à s’intéresser à lui et que, s’il revenait dans une ville du sud du Sri Lanka, comme Colombo, il ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution.

[11]           Enfin, la SPR a jugé que le demandeur n’était pas une personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR, puisque le risque d’extorsion est un risque généralisé à l’échelle de la communauté tamoule au Sri Lanka. La SPR a ainsi conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

IV.             Les observations des parties

[12]           Le demandeur fait valoir que la SPR n’a pas appliqué le bon critère au titre de l’article 96 de la LIPR, puisqu’elle a écrit l’expression « risque accru » dans son analyse. Le défendeur réplique que diverses formulations du critère sont admissibles dans la mesure où, lue dans son ensemble, la décision de la SPR montre que le demandeur n’a pas eu un fardeau de preuve indûment lourd. Le demandeur maintient qu’un autre critère a été mal appliqué, la SPR ayant déclaré, au paragraphe 19 de sa décision, qu’il « serait visé à son retour ». L’avocate du défendeur admet que cela pose un problème, mais que, en réalité, la SPR a appliqué le bon critère, celui de la « possibilité sérieuse ».

[13]           Le demandeur soutient également que la SPR a commis une erreur dans son appréciation de sa crédibilité, puisqu’elle n’a pas précisé dans sa décision ce qu’elle croyait et ce qu’elle ne croyait pas comme éléments de crédibilité. Le défendeur réfute cet argument en disant qu’il est raisonnable de la part de la SPR d’attendre de quelqu’un qui craint la persécution qu’il soit capable d’indiquer qui il redoute de la sorte, et ce, hors de toute suggestion en ce sens de son conseil. Le demandeur ajoute à son argument que la SPR a eu tort de tirer une conclusion défavorable de ce qu’il mentionne d’abord l’armée du pays comme agent de persécution pour ensuite seulement faire mention des STF. Pour le demandeur, les deux se confondent. Il ajoute que la SPR a eu tort de contester sa crédibilité en raison de l’absence d’une preuve corroborante dans le cas du groupe du renseignement du Secrétariat de la défense. Le défendeur répond que ce groupe avait de l’importance dans la demande du demandeur et que celui‑ci devrait avoir présenté une preuve documentaire objective dans ce cas.

[14]           Le demandeur maintient que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de ce qui contredisait sa conclusion quant à l’absence de possibilité sérieuse de persécution du demandeur en cas de retour au Sri Lanka. De son côté, le défendeur fait valoir qu’une lecture de la décision montre que la SPR avait bel et bien tenu compte de ce fait et qu’on devait présumer qu’elle avait pris en considération les faits au dossier au moment de rendre sa décision.

[15]           Le demandeur fait aussi valoir qu’il est erroné de la part de la SPR d’avoir conclu à l’absence de crainte subjective parce qu’il n’avait pas maintenu sa demande d’asile aux États‑Unis, car, selon la jurisprudence de la Cour, les demandeurs d’asile n’ont pas l’obligation de demander l’asile dans le premier pays qu’ils gagnent dans leur fuite. Le défendeur est toutefois d’avis que, si le demandeur avait véritablement craint de retourner au Sri Lanka, il aurait revendiqué le statut de réfugié à la première occasion et n’aurait pas renoncé à sa demande pour produire la même demande ailleurs. Il ne se serait pas non plus mis à la recherche d’un meilleur logement au Canada, en comparaison à une « petite maison » aux États-Unis.

[16]           Le demandeur pense aussi que la SPR a commis une erreur dans son appréciation d’une PRI à Colombo, puisque la preuve documentaire indiquait que Colombo n’était pas une PRI viable. Le défendeur répond que la conclusion de la SPR était raisonnable, car le demandeur n’avait pu démontrer que la PRI proposée était déraisonnable.

[17]           Le demandeur soutient enfin que la SPR a commis une erreur dans sa conclusion quant au risque généralisé, puisqu’il ne craignait pas l’extorsion en soi, mais plutôt les conséquences sur le plan de la persécution s’il ne cédait pas aux demandes d’extorsion. Le défendeur répond que la conclusion de la SPR quant au risque généralisé pour le demandeur est raisonnable et étayée par la preuve.

V.                Les questions en litige

[18]           J’ai passé en revue les observations ainsi que les dossiers respectifs des parties et je formule les questions en litige de la manière suivante :

  1. La SPR a-t-elle appliqué le bon critère au titre de l’article 96 de la LIPR?
  2. La SPR a‑t‑elle tiré une conclusion appropriée quant à la crédibilité?
  3. L’analyse de la SPR relative à une PRI à Colombo est‑elle raisonnable?
  4. L’appréciation par la SPR selon laquelle l’extorsion constitue un risque généralisé est‑elle raisonnable?

VI.             La norme de contrôle

[19]           De se demander si la SPR a appliqué le bon critère au titre de l’article 96 de la LIPR et si son appréciation d’un risque généralisé d’extorsion est raisonnable sont des questions de droit qui devraient être contrôlées selon la norme de la décision correcte (Gopalarasa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1138, au paragraphe 22). La question de savoir si la SPR a tiré une conclusion appropriée quant à la crédibilité et bien apprécié la PRI à Colombo doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Gopalarasa, précitée, au paragraphe 39).

VII.          Analyse

A.                La SPR a-t-elle appliqué le bon critère au titre de l’article 96 de la LIPR?

[20]           Le juge Yves de Montigny a récemment résumé ce qu’était le critère applicable à une demande d’asile à titre de réfugié au sens de la Convention dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c B272, 2013 CF 870, au paragraphe 78 :

Il est bien établi qu’en vue d’établir le bien-fondé d’une demande d’asile, le demandeur doit établir les faits de sa cause selon la prépondérance des probabilités. Dans l’arrêt Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, la Cour suprême explique que « [t]ant l’existence d’une crainte subjective que le fondement objectif de cette crainte doivent être établis selon la prépondérance des probabilités ». Le demandeur doit également montrer qu’il y a une « possibilité sérieuse », ou davantage qu’une simple possibilité, qu’il sera persécuté s’il retourne dans son pays : voir Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680 (CA), aux paragraphes 5 et 6; Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1156.

[21]           La question de savoir si la SPR a appliqué le bon critère et la manière dont il faut apprécier une telle situation dans le cadre d’un contrôle judiciaire ont déjà été traitées dans la jurisprudence de la Cour :

Bien que le fardeau de la preuve du demandeur soit bien connu et largement accepté, il est très difficile de l'exprimer en termes simples. Le juge Mark MacGuigan a énoncé le critère applicable dans Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680, [1989] A.C.F. no 67 (C.A.) (QL) :

Il n'est pas contesté que le critère objectif ne va pas jusqu'à exiger qu'il y ait probabilité de persécution. En d'autres termes, bien que le requérant soit tenu d'établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, il n'a tout de même pas à prouver qu'il serait plus probable qu'il soit persécuté que le contraire.

[...]

Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c'est-à-dire une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime. Nous croyons que cela peut aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse », par opposition à une simple possibilité. (À la p. 683.)

La norme de preuve n'est pas facile à énoncer. La Cour fédérale a reconnu que différentes expressions de cette norme sont acceptables, pour autant qu'il appert de l'ensemble des motifs de la Commission que le fardeau de la preuve imposé au demandeur n'est pas excessif [...]

(Alam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4, aux paragraphes 5 et 6; voir une analyse semblable dans IF c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1472, aux paragraphes 23 et 24; Pararajasingham c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1416, aux paragraphes 46 à 49; Paramsothy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1000, aux paragraphes 24 et 25).

[22]           Si on lit la décision dans son ensemble, il apparaît que la SPR a appliqué le bon critère et même énoncé le bon dans sa décision au moment d’apprécier si le demandeur serait exposé à une « possibilité sérieuse de persécution » (dossier du demandeur, page 12, au paragraphe 21; page 13, au paragraphe 25). La seule mention de « risque accru » par la SPR ne rend pas toute la décision déraisonnable. Quand on lit celle‑ci, il apparaît que la SPR a tenu compte du témoignage du demandeur, des observations du conseil et de la preuve documentaire présentée dans son appréciation des faits et de la question de savoir s’il y avait une possibilité sérieuse de persécution en cas de retour du demandeur au Sri Lanka. C’est donc en se fondant sur le critère approprié que la SPR a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Pour ce qui est de la mention d’une exigence de ciblage personnel à la fin du paragraphe 19 de la décision, ma lecture de tout ce paragraphe indique que, pour l’essentiel, la SPR a réellement appliqué le critère de la « possibilité sérieuse ».

[23]           Passons maintenant à la question de l’appréciation faite par la SPR de la crainte fondée de persécution chez le demandeur. Le principal argument de celui‑ci est que la SPR n’a pas tenu compte de la preuve documentaire qui contredisait sa conclusion d’absence de risque de persécution en cas de retour au Sri Lanka. Je ne suis pas d’accord. En matière de preuve documentaire, la SPR est présumée avoir pris tous les éléments de preuve en considération et elle n’est pas tenue de faire référence à chaque document présenté (Gallegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 807, au paragraphe 8, citant Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 946, 147 NR 317, et Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598).

[24]           En l’espèce, la lecture de la décision démontre que la SPR a bel et bien tenu compte de la preuve documentaire présentée. Elle a examiné le profil du demandeur en tant que « jeune Tamoul de l’Est et de rapatrié » dans les « conditions sociopolitiques qui changent au Sri Lanka depuis la fin de la guerre en mai 2009 » (dossier du demandeur, page 11, au paragraphe 19; page 10, au paragraphe 17). Il s’agit du profil évoqué dans la preuve documentaire dont on dit qu’il n’a pas été pris en considération par la SPR. Ainsi, celle‑ci‑ci a bel et bien tenu compte de la preuve documentaire et apprécié la demande d’asile du demandeur en fonction des lignes directrices du HCNUR qui vise les demandeurs d’asile en provenance du Sri Lanka. Ce n’est qu’après l’avoir fait qu’elle a conclu :

Le demandeur d’asile n’a parlé d’aucun autre contact avec les paramilitaires ou les autorités et a dit lors de son témoignage que personne dans sa famille, y compris les membres de sa fratrie, n’avait eu le moindre problème. Le tribunal estime que le demandeur d’asile n’a pas l’un des profils établis par le HCR et qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure qu’il serait visé à son retour. Le tribunal conclut donc que le demandeur d’asile ne craint pas avec raison d’être persécuté (dossier du demandeur, page 11, au paragraphe 19).

[25]           De plus, dans sa conclusion sur l’absence de crainte fondée de persécution, la SPR a aussi considéré que le demandeur n’avait pas mentionné les STF comme agent de persécution avant que son conseil ne fasse une suggestion en ce sens. Elle a également tenu compte du motif invoqué par le demandeur pour avoir renoncé à sa demande d’asile aux États-Unis, à savoir que la maison qu’il habitait était très petite et que le Canada pourrait l’aider à se loger. La jurisprudence citée par le demandeur n’étaie pas non plus son argument selon lequel les demandeurs d’asile n’ont pas à solliciter asile dans le premier pays qu’ils gagnent. Contrairement à l’affaire Navarrete Menjivar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 11, le demandeur en l’espèce a bel et bien demandé l’asile aux États-Unis. Celui‑ci cite également l’ordonnance non publiée dans Vasanthanayagam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-3966-12, laquelle énonce que la SPR n’a pas tenu compte de l’explication du demandeur selon laquelle il n’avait pas l’intention de résider aux États-Unis, parce qu’il avait de la famille au Canada, et qu’il avait été forcé de faire une demande d’asile pendant sa détention. Aussi, dans l’affaire Vasanthanayagam, le demandeur s’est rendu au Canada pour faire une demande d’asile dès que sa détention a pris fin. Les faits sont différents dans la présente affaire. Le demandeur n’a jamais prétendu avoir de la famille au Canada, ni affirmé qu’il voulait y être réuni avec sa famille. Il n’a parlé de parents et d’amis au Canada que lorsque la SPR lui a demandé pourquoi il avait répondu n’avoir ni parents ni amis susceptibles de l’aider financièrement au Canada quand la question lui avait été posée par les autorités canadiennes (dossier certifié du tribunal, à la page 100). Le demandeur a expliqué que parents et amis au Canada pouvaient l’aider [traduction] « autrement » que financièrement (dossier certifié du tribunal, page 391, aux lignes 30 et suivantes). Il a toutefois affirmé par la suite qu’il avait des parents éloignés, mais hors liens du sang au Canada (dossier certifié du tribunal, page 396, à la ligne 45). Si on considère que le demandeur séjournait déjà avec un ami aux États-Unis et qu’il y a renoncé à sa demande d’asile pour chercher à mieux se loger au Canada, il était loisible à la SPR d’établir qu’il n’avait ni crainte subjective ni crainte fondée de persécution. Vu tout ce qui précède, l’analyse faite par la SPR de la demande d’asile présentée par le demandeur à titre de réfugié au sens de la Convention est raisonnable. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

B.                 La SPR a‑t‑elle tiré une conclusion appropriée quant à la crédibilité?

[26]           Le demandeur conteste l’appréciation de sa crédibilité par la SPR en disant que celle‑ci n’a pas précisé ce qu’elle croyait ou ne croyait pas comme éléments de crédibilité. Je ne suis pas d’accord. La SPR a effectivement précisé ce qu’elle avait de la difficulté à croire, c’est-à-dire le fait que le demandeur n’ait pas indiqué les STF comme agent de persécution sans une suggestion en ce sens de son conseil. La conclusion tirée par la SPR quant à la crédibilité sur cette question est donc raisonnable. Pour ce qui est de l’autre point, je note qu’il existe une différence entre l’armée du pays et les STF et qu’il était loisible à la SPR de se prononcer défavorablement là‑dessus. En ce qui concerne le groupe du renseignement du Secrétariat de la défense, son rôle est important à l’égard de la demande du demandeur et, là encore, il était loisible à la SPR de dire qu’elle aurait eu besoin de plus d’éléments de preuve objectifs sur ce point important.

C.                 L’analyse de la SPR relative à une PRI à Colombo est‑elle raisonnable?

[27]           La SPR a dit au début de l’audience qu’elle apprécierait la PRI au Sri Lanka, et elle avait interrogé le demandeur sur la possibilité de déménager à Colombo (dossier certifié du tribunal, aux pages 394 et 395). Il revient au demandeur de démontrer qu’il n’existe pas de PRI à Colombo (Chowdhury c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1210, au paragraphe 24). La SPR a jugé que rien ne prouvait que les autorités ou les paramilitaires continuaient à s’intéresser au demandeur et a ajouté que celui‑ci ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution s’il retournait dans une ville du Sud du Sri Lanka, comme Colombo. Il s’agissait d’une conclusion raisonnable que pouvait tirer la SPR.

D.                L’appréciation par la SPR selon laquelle l’extorsion constitue un risque généralisé est‑elle raisonnable?

[28]           Dans la présente affaire, la SPR a évalué la menace d’extorsion pour le demandeur en cas de retour au Sri Lanka et conclu qu’il s’agissait d’un risque généralisé. À l’audience, elle a interrogé le demandeur pour savoir si d’autres gens d’affaires comme lui étaient victimes d’extorsion. Le demandeur a répondu par l’affirmative. La SPR a expliqué dans sa décision que le demandeur avait mentionné que les Tamouls étaient les gens ciblés, et non d’autres personnes. Pour tirer sa conclusion quant à l’existence d’un risque généralisé, la SPR a tenu compte de la preuve présentée et a jugé que tous les membres des collectivités tamoules au Sri Lanka s’exposaient à cette menace d’extorsion. Elle a en outre fait référence, pour tirer cette conclusion, à la preuve documentaire selon laquelle les groupes paramilitaires ciblent les gens d’affaires à rançonner (dossier certifié du tribunal, à la page 214), ce qui semblerait devoir être le cas pour le demandeur, à en juger par son récit à l’appui de la présente demande d’asile. La SPR est donc parvenue à une conclusion raisonnable quant à l’existence de ce risque généralisé.

VIII.       Conclusion

[29]           La décision de la SPR est raisonnable lorsqu’elle est examinée dans son ensemble. La SPR a appliqué le bon critère pour décider si le demandeur était un réfugié au sens de la Convention, elle a tiré une conclusion appropriée quant à la crédibilité et elle a tiré une conclusion adéquate relativement à la PRI. Elle a aussi conclu de manière raisonnable que le demandeur était exposé à un risque généralisé d’extorsion au Sri Lanka.

[30]           Les parties ont été invitées à soumettre des questions en vue de la certification, mais aucune n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7985-13

 

INTITULÉ DE CAUSE :

MATHAVAKUMARAN RAMANATHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MARS 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE S. NOËL

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 17 MARS 2015

COMPARUTIONS :

Jack Davis

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis & Grice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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