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Date : 20150410

Dossier : T-1582-13

Référence : 2015 CF 436

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2015

En présence de madame la juge Bédard

ENTRE :

GANDHI JEAN PIERRE

demandeur

et

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 27 août 2013 par John Mooney, vice-président du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal), dans laquelle il a rejeté la plainte déposée par le demandeur en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 12 et 13 [LEFP]. Dans sa plainte, le demandeur prétendait que le rejet de sa candidature dans le cadre d’un processus de nomination interne résultait d’un abus de pouvoir de la part du comité d’évaluation. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.                   Questions préliminaires

A.                L’intitulé de la cause

[2]               La défenderesse soutient qu’en vertu des paragraphes 303(1) et 303(2) des Règles des Cours fédérales, SOR/98-106 [les Règles], c’est le Procureur général du Canada et non l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) qui devrait être identifié comme partie défenderesse dans la présente instance. Elle a invoqué les propos de la juge Mary J. L. Gleason dans Agnaou c Canada (Procureur général), 2014 CF 850 au para 12, [2014] ACF no 1321 [Agnaou], au soutien de sa position.

[3]               Le demandeur s’oppose à cette demande.

[4]               L’alinéa 303(1)a) des Règles prévoit que les personnes directement touchées par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral, doivent être désignées à titre de défendeur. En vertu du paragraphe 303(2) des Règles, si aucun défendeur n’est désigné en application du paragraphe (1), c’est le Procureur général du Canada qui doit alors être désigné comme défendeur.

[5]               Dans Agnaou, il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal dans le cadre de laquelle le demandeur avait désigné à titre de défendeurs le sous-ministre de la Justice et la Commission de la fonction publique (CFP). La juge Gleason a indiqué, au paragraphe 12 de son jugement, que la CFP ne devrait pas être désignée à titre de défendeur parce qu’elle n’avait pas nécessairement un rôle contradictoire devant le Tribunal et qu’elle n’aurait pas à subir les conséquences de l’ordonnance recherchée dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Quant au sous-ministre de la Justice, la juge Gleason a indiqué que la personne qui occupe cette fonction n’est pas assimilable à l’employeur ou à l’autorité en matière de dotation au sein du ministère de la Justice et qu’elle n’était pas non plus directement touchée par l’objet de la demande. Elle a donc conclu que seul le Procureur général du Canada devrait être désigné à titre de défendeur lors du contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal.

[6]               Le contexte de la présente affaire est quelque peu différent. Le demandeur a désigné à titre de défendeur l’ASFC, soit l’agence au sein de laquelle s’est tenu le processus de nomination. L’ASFC est donc l’employeur et, à ce titre, elle serait visée par une ordonnance qui accueillerait la demande de contrôle judiciaire. De plus, l’ASFC a été constituée en vertu du paragraphe 3(1) de la Loi sur l’Agence des services frontaliers du Canada, LC 2005, c 38, et elle est dotée de la personnalité morale. Elle constitue donc à mon avis une « personne directement touchée par l’ordonnance recherchée » au sens de l’alinéa 303(1)a) des Règles et elle est correctement désignée comme partie défenderesse dans le cadre de la présente instance.

B.                 L’affidavit du demandeur et les pièces déposées au soutien de son affidavit

[7]               Le demandeur a déposé un affidavit au soutien de sa demande de contrôle judiciaire. Dans son mémoire, la défenderesse demande à la Cour de radier plusieurs des paragraphes contenus à l’affidavit du demandeur au motif que ces paragraphes n’attestent pas de faits, mais ont trait à des opinions et arguments du demandeur, ou encore, qu’ils contiennent de l’information qui n’était pas devant le Tribunal. Lors de l’audience, la défenderesse a par ailleurs indiqué qu’elle s’en remettait à la discrétion de la Cour.

[8]               Tout comme la défenderesse, j’estime que l’affidavit du demandeur contient des faits entremêlés d’opinions et d’arguments qui ne devraient pas s’y retrouver. Le paragraphe 81(1) des Règles prévoit que les affidavits « se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle ». La Cour peut donc radier, en tout ou en partie, un affidavit qui contient des opinions, des arguments ou des conclusions de droit (Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47 au para 18, [2010] ACF no 194). Les paragraphes 30, 31, 34-39, 40-44, 52, 59, 60, 80-82, 87, 94, 97-102 et 105-107 de l’affidavit du demandeur incluent non seulement des faits, mais également des arguments.

[9]               J’estime par ailleurs qu’il serait fastidieux de démêler les faits des arguments pour ne radier que les portions de l’affidavit qui renvoient véritablement à des arguments et à des opinions. Je considère suffisant de préciser que je ne considèrerai que les parties de l’affidavit du demandeur qui ont trait à des faits dont il a une connaissance personnelle, et qui sont pertinents parce qu’ils étaient devant le Tribunal, ou parce qu’ils sont invoqués au soutien des moyens mentionnés par le demandeur dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire.

[10]           Dans son mémoire, la défenderesse s’est également opposée au dépôt des pièces CF-32, CF-53, CF-88, CF-90, CF-91 et CF-92 parce que ces pièces n’étaient pas devant le Tribunal.

[11]           Lors de l’audition de la plainte devant le Tribunal, le demandeur a tenté d’introduire en preuve les pièces CF-32 et CF-53, mais la défenderesse s’est objectée à leur dépôt et le Tribunal a accueilli ses objections.

[12]           La pièce CF-32 comprend en liasse des échanges de courriels concernant une rencontre de médiation relativement à une autre plainte déposée au Tribunal par le demandeur en juillet 2009 concernant un autre processus de nomination, ainsi que le protocole de règlement de la plainte qui a été signé le 11 décembre 2009 lors de la médiation.

[13]           La pièce CF-53 comprend un courriel daté du 15 septembre 2008 adressé aux employés de la région du Québec de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) annonçant diverses nominations, dont la nomination de Dianne Clément au poste de Directrice, Examen des risques avant renvoi (ERAR) et Service à la clientèle (SALC). La pièce CF-53 comprend également un deuxième courriel envoyé par Mme Clément le 27 juillet 2012 dans lequel elle annonce sa retraite. Le demandeur soutient que ces courriels révèlent les nombreux liens professionnels entre Mme Clément et l’ASFC.

[14]           Il est bien établi qu’en principe, le dossier de preuve qui doit être déposé devant la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire se limite à celui dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a rendu sa décision. Il existe par ailleurs des exceptions à ce principe, notamment lorsque les éléments de preuve additionnels sont reliés à des allégations de violation de l’équité procédurale. L’approche à adopter a été bien énoncée par le juge David Stratas dans Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22 au para 20, [2012] ACF no 93:

[20] Le principe général interdisant à notre Cour d'admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d'une instance en contrôle judiciaire souffre quelques exceptions reconnues et la liste des exceptions n'est sans doute pas exhaustive. Ces exceptions ne jouent que dans les situations dans lesquelles l'admission, par notre Cour, d'éléments de preuve n'est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif (nous avons déjà expliqué cette différence de rôle aux paragraphes 17 et 18). En fait, bon nombre de ces exceptions sont susceptibles de faciliter ou de favoriser la tâche de la juridiction de révision sans porter atteinte à la mission qui est confiée au tribunal administratif. Voici trois de ces exceptions :

[...]

b) Parfois les affidavits sont nécessaires pour porter à l'attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu'on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d'organe chargé de censurer les manquements à l'équité procédurale (voir, par ex. Keeprite Workers' Independent Union c. Keeprite Products Ltd., (1980) 29 O.R. (2d) 513 (C.A.)). Ainsi, si l'on découvrait qu'une des parties a versé un pot-de-vin au tribunal administratif, on pourrait soumettre à notre Cour des éléments de preuve relatifs à ce pot-de-vin pour appuyer un argument fondé sur l'existence d'un parti pris.

[15]           Lors de l’audience, la défenderesse a retiré ses objections relativement aux pièces CF-32 et CF-53 et reconnu leur pertinence aux fins des allégations de violation de l’équité procédurale invoquées par le demandeur. Je conviens avec les parties que les documents CF-32 et CF-53 ont été déposés par le demandeur en appui à ses allégations de violation des règles d’équité procédurale de la part du Tribunal et, qu’à ce titre, ils sont admissibles.

[16]           J’estime qu’il en est de même pour les pièces CF-88, CF-90, CF-91 et CF-92.

II.                Contexte

[17]           Le demandeur occupe un poste d’agent d’immigration au sein de CIC, mais entre le 15 novembre 2010 et le 28 octobre 2011, il a occupé, à titre intérimaire, un poste d’agent d’ERAR dans la division de l’ERAR de CIC. En décembre 2010, l’ASFC a entamé un processus de nomination interne annoncé pour le poste d’agent d’audience afin de créer un bassin de candidats qualifiés pour combler des besoins éventuels à la division de l’Exécution de la loi de l’ASFC à Montréal.

[18]           Le comité d’évaluation de ce processus de nomination était présidé par Khalid Meniaï, superviseur à la division de l’Exécution de la loi de l’ASFC. Les autres membres du comité d’évaluation étaient les agents d’audience Catherine Raymond et Réjean Théberge. Anne-Marie Signori, qui était la gestionnaire de la division de l’Exécution de la loi, a aussi été impliquée dans le processus parce qu’elle était la gestionnaire à qui l’ASFC avait sous-délégué le pouvoir de nomination. Les membres du comité d’évaluation étaient accompagnés de Miruna Vasilescu qui agissait à titre de conseillère en ressources humaines.

[19]           Le demandeur a soumis sa candidature dans le cadre de ce processus de nomination mais elle a été rejetée par le comité d’évaluation parce qu’il n’a pas obtenu la note de passage requise pour trois des qualifications essentielles personnelles. La note de passage pour chacune des qualifications était de 60 %. Selon le plan d’évaluation du processus, les qualités personnelles « jugement », « relations interpersonnelles efficaces » et « intégrité » devaient être évaluées lors d’une entrevue et par une vérification des références, et une note globale était attribuée pour chacune des qualifications. La quatrième qualification personnelle en cause, la « fiabilité », devait être évaluée uniquement par le biais d’une vérification des références.

[20]           Le demandeur a obtenu d’excellentes notes lors de l’entrevue, soit 88 % pour le « jugement », 98 % pour les « relations interpersonnelles efficaces » et 100 % pour l’« intégrité ». Ses notes ont toutefois chuté de façon importante après la vérification des références. Il a ainsi obtenu une note globale de 50 % pour les qualifications « jugement » et « intégrité », et de 60 % pour les « relations interpersonnelles efficaces ». Pour ce qui est de la qualification « fiabilité » qui était évaluée uniquement par la vérification de références, le demandeur a obtenu la note de 44 %. Il a donc été éliminé du processus parce qu’il n’avait pas obtenu la note de passage pour les trois qualifications essentielles « jugement », « intégrité » et « fiabilité ».

[21]           Aux fins de vérification des références, le processus de nomination prévoyait que les candidats devaient fournir le nom de deux personnes qui agiraient comme personnes répondantes, soit leur supérieur immédiat et une deuxième personne de leur choix. Le demandeur a donné le nom de Cathie Giroux qui était sa supérieure dans le cadre de son affectation comme agent d’ERAR et celui de Sophie Kobrynsky qui avait été sa supérieure immédiate pendant environ six mois lorsqu’il occupait le poste d’agent d’immigration et de citoyenneté.

[22]           Le comité d’évaluation a d’abord consulté Mme Giroux qui a donné des références très négatives à l’endroit du demandeur. Face à cette référence négative qui était difficilement réconciliable avec la performance du demandeur en entrevue, le comité d’évaluation a communiqué avec Mme Kobrynsky, qui a donné des références très positives. Comme les références obtenues de Mmes Giroux et Kobrynsky étaient contradictoires, le comité d’évaluation a décidé de procéder à des vérifications additionnelles auprès d’un gestionnaire de niveau supérieur, soit Mme Clément qui était la directrice régionale de la division de l’Exécution de la loi à CIC et la supérieure immédiate de Mme Giroux. C’est Mme Signori qui a rencontré Mme Clément. Mme Clément a donné des références semblables à celles fournies par Mme Giroux. Elle a toutefois précisé que le demandeur éprouvait des difficultés de rendement dans le poste d’agent d’ERAR, mais qu’il avait été un bon employé dans les autres postes qu’il avait occupés à CIC.

[23]           Après délibération, le comité d’évaluation a retenu les observations de Mmes Giroux et Clément et il n’a pas accordé au demandeur la note de passage pour les trois qualifications personnelles essentielles en cause. Le passage suivant, sous la rubrique « fiabilité » du cahier du comité de sélection (pp. 483-484 du dossier du défendeur), résume bien l’analyse qu’a faite le comité d’évaluation des références fournies par les trois répondantes:

Le comité de sélection, après avoir obtenu des infos très négatives de la part de Mme Giroux a cru bon, en toute équité, faire appel à Mme Kobrynsky (2e réf. donnée par candidat). Les réponses ainsi obtenues se sont avérées contradictoires. Nous avons donc fait appel à Mme Clément, l’ancienne gestionnaire du candidat, dans le but de s’assurer que Mme Giroux n’avait pas de conflit personnel avec le candidat. Les réf. de Mme Clément ont confirmé les infos obtenues de Mme Giroux. N’avons pas considéré comme pertinentes les références données par Mme Kobrynsky étant donné que la période supervisée était courte et postérieure. Les fonctions du candidat à Citoyenneté n’avaient aucun lien avec l’exécution de la Loi. Les fonctions d’un agent ERAR et d’un agent d’audiences ont par ailleurs plusieurs similitudes. Après révision de tous les documents au dossier, le Comité a conclu que le candidat n’atteint pas le degré de fiabilité requis pour occuper les fonctions d’agent d’audiences.

[24]           Après avoir reçu une lettre l’avisant de son élimination du processus de nomination, le demandeur a demandé de participer à une discussion informelle avec le comité d’évaluation, tel que le permet l’article 47 de la LEFP. Lors de cette discussion, le demandeur a soulevé ses préoccupations quant à l’impartialité de Mmes Giroux et Clément, et il a demandé au comité de prendre en considération un portfolio qu’il avait apporté avec lui et qui contenait des évaluations de rendement, des lettres d’appréciation et des certificats de reconnaissance tous obtenus au cours de sa carrière à CIC. Le comité d’évaluation a refusé de considérer ce portfolio par souci d’uniformité de traitement des dossiers de tous les candidats. Suite à cette discussion, le demandeur a demandé au comité d’évaluation qu’il consulte un autre répondant ou qu’il prenne en considération le portfolio qu’il avait apporté lors de la discussion informelle. Le comité d’évaluation a accusé réception de la demande et informé le demandeur de son droit de déposer une plainte au Tribunal.

[25]           Le 3 juillet 2012, l’ASFC a affiché un avis de nomination qui annonçait la nomination intérimaire d’une personne autre que le demandeur au poste d’agent d’audience.

[26]           Le 19 juillet 2012, le demandeur a déposé sa plainte auprès du Tribunal.

III.             L’encadrement législatif

[27]           Les processus de nomination dans la fonction publique et les mécanismes de recours dont peuvent se prévaloir les fonctionnaires sont encadrés par la LEFP.

[28]           Le cinquième paragraphe du préambule de la LEFP prévoit que le pouvoir de faire des nominations est conféré à la CFP qui peut toutefois déléguer ce pouvoir aux administrateurs généraux (voir également l’article 11 et le paragraphe 29(1) de la LEFP).

[29]           Le deuxième paragraphe du préambule ainsi que le paragraphe 30(1) de la LEFP édictent que les nominations à la fonction publique doivent être fondées sur le mérite et doivent être exemptes de toute influence politique. Pour assurer que les nominations soient fondées sur le mérite, la CFP ou, le cas échéant, les administrateurs généraux doivent respecter les paramètres énoncés au paragraphe 30(2) de la LEFP. Ces paragraphes se lisent comme suit :

30. (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

30. (1) Appointments by the Commission to or from within the public service shall be made on the basis of merit and must be free from political influence.

Définition du mérite

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

Meaning of merit

(2) An appointment is made on the basis of merit when

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

(a) the Commission is satisfied that the person to be appointed meets the essential qualifications for the work to be performed, as established by the deputy head, including official language proficiency; and

b) la Commission prend en compte :

(b) the Commission has regard to

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

(i) any additional qualifications that the deputy head may consider to be an asset for the work to be performed, or for the organization, currently or in the future,

(ii) any current or future operational requirements of the organization that may be identified by the deputy head, and

(iii) any current or future needs of the organization that may be identified by the deputy head.

[30]           Dans le cadre d’un processus de nomination interne, les fonctionnaires dont la candidature n’a pas été retenue disposent de certains recours qui sont également encadrés de façon exhaustive par la LEFP. L’alinéa 77(1)a) de la LEFP, qui est en cause dans la présente instance, prévoit la possibilité pour un fonctionnaire de déposer une plainte auprès du Tribunal pour abus de pouvoir. L’alinéa 77(1)a) se lit comme suit :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

77. (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Board’s regulations — make a complaint to the Board that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

[31]           La notion d’abus de pouvoir n’est pas définie de façon exhaustive dans la LEFP, mais le paragraphe 2(4) prévoit « que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par « abus de pouvoir » la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

[32]           La compétence du Tribunal est par ailleurs circonscrite. Lorsqu’il est saisi d’une plainte en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP, le Tribunal doit déterminer s’il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination. Sa compétence ne lui permet toutefois pas de traiter d’allégations de fraude dans le processus de nomination ou d’allégations suivant lesquelles une nomination a résulté de l’exercice d’une influence politique (paragraphe 77(3) de la LEFP). De telles allégations sont du ressort exclusif de la CFP (articles 68 et 69 de la LEFP). Pour disposer d’une plainte, le Tribunal peut par ailleurs interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [LCDP], à l’exclusion toutefois des dispositions traitant du droit à la parité salariale (article 80 de la LEFP).

[33]           Lorsque le Tribunal juge qu’une plainte est fondée, il peut ordonner à la CFP, ou à l’administrateur général, de révoquer ou, selon le cas, de ne pas faire la nomination et de prendre les mesures correctives qu’il estime appropriées (article 81 de la LEFP).

IV.             La décision contestée

[34]           Dans sa plainte, le demandeur a formulé divers reproches à l’endroit du comité d’évaluation. Le Tribunal a énoncé comme suit les questions en litige dont il était saisi:

13        Afin de déterminer si l'intimé a abusé de son pouvoir dans l'application du mérite dans ce processus de nomination, et plus spécifiquement dans l'évaluation des qualifications du plaignant, le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes :

(i) Le comité d'évaluation a-t-il choisi les répondantes de façon appropriée?

(ii) Les références fournies étaient-elles fiables?

(iii) Les membres du comité d'évaluation étaient-ils impartiaux?

(iv) Le comité d'évaluation était-il tenu de réévaluer le plaignant?

(v) Les répondantes et les membres du comité d'évaluation ont-ils fait preuve de discrimination à l'égard du plaignant?

[35]           Le Tribunal a d’abord traité du concept d’abus de pouvoir et, après avoir apprécié la preuve, il a conclu que le demandeur n’avait pas établi que le comité d’évaluation avait fait preuve d’abus de pouvoir en écartant sa candidature. Le Tribunal a en outre estimé que le comité d’évaluation était justifié de retenir Mmes Giroux et Clément à titre de répondantes et que le demandeur n’avait pas établi que les références qu’elles avaient fournies n’étaient pas fiables ou encore que ces dernières n’étaient pas impartiales à son endroit. Le Tribunal a également déterminé que le comité d’évaluation n’avait pas l’obligation de réexaminer la candidature du demandeur à la lumière des documents contenus dans son portfolio. Le Tribunal a aussi conclu que le demandeur n’avait pas fait la preuve à première vue (prima facie) qu’il avait fait l’objet de discrimination de la part de Mmes Giroux ou Clément ou encore de la part du comité d’évaluation. Il a ajouté que même si une telle preuve avait été faite, l’ASFC avait démontré qu’aucune considération discriminatoire n’avait été prise en compte dans la décision du comité de ne pas retenir la candidature du demandeur.

V.                Questions en litige et normes de contrôle

[36]           Le demandeur formule plusieurs reproches à l’égard du Tribunal, mais à mon avis, ces reproches soulèvent deux catégories de questions.

[37]           Les premières questions soulevées par le demandeur ont trait à des allégations suivant lesquelles le Tribunal a manqué aux règles d’équité procédurale. Il est bien établi que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79, [2014] 1 RCS 502; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43, [2009] 1 RCS 339; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 129, [2008] 1 RCS 190; Alexander c Canada (Procureur général), 2011 CF 1278 au para 43, [2011] ACF no 1560; Kraya c Canada (Procureur général), 2013 CF 1045 au para 22, [2013] ACF no 1123, conf par 2014 CAF 162, [2014] ACF no 607). Je partage par ailleurs l’approche préconisée par le juge Richard G. Mosley dans Makoundi v Canada (Attorney General), 2014 FC 1177 au para 35, [2014] FCJ No 1333 [Makoundi], suivant laquelle le rôle de la Cour, en bout de piste, consiste à vérifier si le processus a été équitable. Le juge Mosley s’est exprimé comme suit :

[35] À mon avis, l’approche appropriée consiste à rechercher si les exigences de l’équité procédurale ont été respectées dans les circonstances. La question n’est pas de savoir si la décision est « correcte » mais de savoir si le processus suivi était équitable. [TRADUCTION.]

[38]           Les autres moyens invoqués par le demandeur ont tous trait à l’application que le Tribunal a faite de la notion d’abus de pouvoir au sens de la LEFP et de la discrimination en vertu de la LCDP. Il s’agit là de questions mixtes de fait et de droit et la jurisprudence a établi que de telles questions devaient être révisées selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir au para 51; Alexander au para 44; Abi-Mansour c Canada (Ministère des Affaires étrangères), 2013 CF 1170 au para 54, [2013] ACF no 1267 [Abi-Mansour]; Kilbray c Canada (Procureur général), 2009 CF 390 aux para 23-33, [2009] ACF no 531; Rameau c Canada (Agence canadienne de développement international), 2014 CF 361 au para 19, [2014] ACF no 384; Jalal c Canada (Ministre des Ressources humaines et Développement des compétences), 2013 CF 611 au para 31, [2013] ACF no 384; Lavigne c Canada (Sous-ministre de la Justice), 2009 CF 684 aux para 35-50, [2009] ACF no 827 [Lavigne]; Kraya au para 20; Makoundi au para 32).

[39]           Je conviens toutefois, tout comme la juge Gleason l’a exprimé dans Agnaou, au paragraphe 42, qu’il est envisageable que les questions mettant en cause l’interprétation que le Tribunal fait des dispositions de la LCDP doivent être révisées selon la norme de la décision correcte. Voici ce que la juge Gleason a exprimé à ce sujet :

[42] Bien que certains des énoncés figurant dans les arrêts Kane, Kraya, Abi-Mansour et Jalal appuient aussi l'application de la norme de contrôle de la raisonnabilité en ce qui a trait à l'interprétation donnée par le TDFP à la LCDP, l'argument de M. Agnaou selon lequel il n'y a pas lieu de faire preuve de déférence à l'égard de l'interprétation de la LCDP ou de la LÉE par le TDFP est possiblement fondé, car il existe d'autres tribunaux, soit la CCDP et le Tribunal canadien des droits de la personne [TCDP] qui ont précisément comme mandat d'interpréter ces lois. Comme le prétend M. Agnaou, s'il convient de faire preuve d'une certaine déférence à l'égard de la manière dont le TDFP (et la Commission des relations de travail dans la fonction publique [CRTFP]) interprètent la LCDP et la LÉE, il existe une possibilité réelle que certains conflits apparaissent dans la jurisprudence, du fait qu'un droit fondamental est interprété d'une certaine manière pour les fonctionnaires lorsqu'ils comparaissent au titre de la LEFP ou devant le TDFP, et d'une autre manière par la CCDP et le TCDP dans d'autres contextes. De plus, la Cour d'appel fédérale a récemment statué, dans l'arrêt Johnstone c Canada (Procureur général), 2014 CAF 110, que l'interprétation donnée par le TCDP à la LCDP, en ce qui concerne la portée du terme "discrimination", est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Par conséquent, il convient d'accorder beaucoup de poids à l'argument selon lequel l'interprétation donnée par le TDFP à l'égard de la question de savoir quelle conduite constitue de la discrimination au titre de la LCDP doit être examinée selon la norme de la décision correcte.

[40]           Je considère cependant que la norme de contrôle applicable à l’interprétation qu’a fait le Tribunal de la LCDP dans le cadre des allégations de discrimination du demandeur n’est pas déterminante en l’espèce parce qu’à mon avis, la décision du Tribunal ne contient aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour, et ce, peu importe la norme de contrôle utilisée.

VI.             Analyse

A.                Le Tribunal a-t-il manqué à ses obligations en matière d’équité procédurale?

[41]           Le demandeur soutient que Mmes Giroux et Clément ont fourni des références défavorables à son égard à titre de représailles parce qu’il a, à certaines occasions, tenté de faire valoir ses droits. Il a en outre allégué que Mme Clément n’était pas impartiale en raison de plaintes antérieures qu’il a déposées, notamment une plainte déposée devant le Tribunal en relation avec un processus de nomination tenu en 2009 et une autre plainte de pratiques déloyales déposée devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). Il avance également que le niveau d’influence de Mme Clément au sein de l’ASFC était très important.

[42]           Le demandeur soutient que le Tribunal l’a privé de son droit de mettre en preuve des documents qui étaient centraux à ses allégations et qu’il l’a aussi empêché de présenter d’une façon complète et efficace ses arguments relatifs au contexte de représailles qui prévalait.

[43]           Je tiens à préciser au départ que bien que les questions liées à l’équité procédurale doivent être révisées en appliquant la norme de la décision correcte, la jurisprudence reconnaît que les obligations en matière d’équité varient en fonction du contexte et qu’une certaine retenue doit être exercée à l’égard des choix procéduraux que peut faire le tribunal administratif. Le Tribunal est maître de sa procédure (articles 98, 99 et l09 b) de la LEFP et article 27 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6). L’approche à suivre a été bien énoncée par le juge John M. Evans dans Re : Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48 aux para 37-44, [2014] ACF no 215 :

[37] En l'absence de dispositions législatives en sens contraire, les décideurs administratifs jouissent d'un large pouvoir discrétionnaire pour fixer leur propre procédure, notamment quant aux aspects qui relèvent de l'équité procédurale (Prassad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, aux pages 568 et 569 (Prassad)). Parmi ces aspects, mentionnons la question de savoir si l'"audience" sera tenue selon une procédure orale ou écrite, si une demande d'ajournement doit être accueillie ou si la représentation par avocat est autorisée, et la mesure dans laquelle le contre-interrogatoire est autorisé ou les renseignements dont le décideur dispose doivent être communiqués. Le contexte et les circonstances dictent l'étendue du pouvoir discrétionnaire du décideur à l'égard de ces questions de procédure et permettront de savoir s'il y a eu manquement à l'obligation d'équité.

[...]

[39] Cela dit, le pouvoir discrétionnaire administratif s'arrête lorsqu'il y a manquement à l'équité procédurale (Prassad, à la page 569). Le juge doit lui-même décider, selon la norme de la décision correcte, si cette ligne a été franchie. Il existe une certaine tension inhérente entre, d'une part, le principe du recours à la norme de la décision correcte pour examiner le caractère équitable de la procédure d'un organisme et, d'autre part, celui du pouvoir discrétionnaire des décideurs à l'égard de leur propre procédure.

[...]

[42] Bref, si le juge saisi de la demande de contrôle doit décider selon la norme de la décision correcte de la conformité des choix procéduraux d'un organisme, généraux ou particuliers, à l'obligation d'équité, il doit le faire en se montrant respectueux de ces choix. Il convient donc que le juge accorde de l'importance à la manière dont l'organisme a cherché à établir un équilibre entre, d'une part, la participation maximale et, d'autre part, l'efficacité du processus décisionnel. Compte tenu de l'expertise dont dispose l'organisme, le degré de retenue que commande un choix de l'administrateur en matière de procédure peut être particulièrement important lorsque le modèle procédural utilisé par l'organisme visé par la demande de contrôle diffère considérablement du modèle judiciaire que les juges connaissent le mieux.

[Voir également Maritime Broadcasting System Ltd v Canadian Media Guild, 2014 FCA 59 aux para 75-77, [2014] FCJ No 236]

[44]           Dans Agnaou, la juge Gleason a eu l’occasion de se pencher sur l’étendue du pouvoir du Tribunal lorsqu’il traite de l’admissibilité des éléments de preuve et je partage le point de vue qu’elle a exprimé :

[110] Comme la Cour suprême du Canada l'a fait remarquer dans l'arrêt Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c Bradco Construction Ltd, [1993] 2 RCS 316, au paragraphe 47, et comme cette Cour l'a souligné dans les décisions Scheuneman et Teeluck, les tribunaux du travail doivent jouir d'un vaste pouvoir discrétionnaire en matière d'appréciation de l'admissibilité de la preuve. Par conséquent, il est rare que le refus d'admettre des éléments de preuve soit d'une importance telle qu'il constituera un manquement à l'équité procédurale; en effet, une telle conclusion ne peut être tirée que lorsque l'élément de preuve en question est au cœur de la position d'une partie (comme c'était le cas dans l'arrêt Syndicat des employés professionnels de l'Université du Québec à Trois-Rivières c Université du Québec à Trois-Rivières, [1993] 1 RCS 471, au paragraphe 47).

[45]           Il peut arriver que le rejet d’un élément de preuve pertinent entraîne une violation aux règles d’équité procédurale si la preuve en cause était pertinente et si l’impact de son rejet était tel qu’il entache l’équité du processus. Comme l’a mentionné le juge Lamer dans Université du Québec à Trois-Rivières c Larocque, [1993] 1 RCS 471 au para 46, [1993] ACS no 23:

[46] Pour ma part, je ne suis pas prêt à affirmer que le rejet d'une preuve pertinente constitue automatiquement une violation de la justice naturelle. L'arbitre de griefs est dans une situation privilégiée pour évaluer la pertinence des preuves qui lui sont soumises et je ne crois pas qu'il soit souhaitable que les tribunaux supérieurs, sous prétexte d'assurer le droit des parties d'être entendues, substituent à cet égard leur appréciation à celle de l'arbitre de griefs. Il pourra toutefois arriver que le rejet d'une preuve pertinente ait un impact tel sur l'équité du processus, que l'on ne pourra que conclure à une violation de la justice naturelle.

[46]           Je dois donc déterminer si la procédure suivie par le Tribunal et la manière dont il a traité l’admissibilité de la preuve étaient équitables et si le demandeur a eu l’occasion de donner son point de vue et de participer pleinement au processus décisionnel.

[47]           Je vais maintenant traiter des allégations spécifiques du demandeur.

(1)               Le Tribunal a-t-il violé ses obligations en matière d’équité procédurale en refusant d’admettre en preuve certaines pièces?

[48]           Le demandeur soutient qu’en maintenant les objections formulées par la défenderesse à l’égard des pièces CF-32 et CF-53, le Tribunal l’a privé de mettre en preuve des éléments qui étaient au cœur de ses allégations de partialité de la part de Mme Clément et du contexte de représailles dont il a été victime.

[49]           Tel que je l’ai déjà mentionné, la pièce CF-32 comprend en liasse des échanges de courriels concernant une rencontre de médiation relativement à une plainte que le demandeur a déposée au Tribunal le 15 juillet 2009. Cette plainte concernait un processus de nomination relatif à des postes d’agents d’ERAR au sein de CIC. La plainte a été réglée dans le cadre d’un processus de médiation et le protocole d’entente a été signé le 11 décembre 2009.

[50]           Lors de l’audience devant le Tribunal, la défenderesse s’est objectée au dépôt du protocole de règlement au motif qu’il était protégé par le privilège relatif à la confidentialité du processus de médiation. Le Tribunal a accueilli son objection.

[51]           Le demandeur soutient que ces éléments de preuve étaient pertinents pour démontrer la partialité et l’hostilité de Mme Clément à son endroit et pour démontrer qu’il avait avec elle un historique litigieux relativement à un autre processus de nomination. Le demandeur voulait aussi démontrer que ce n’était pas la première fois qu’il faisait l’objet d’irrégularités sous la forme de discrimination et de barrières à l’emploi et à son développement professionnel. De façon plus spécifique, le demandeur soutient aussi que les documents contenus à la pièce CF-32 établissent que Mme Clément a agi comme présidente dans le cadre du processus de nomination ayant mené au dépôt de sa plainte en 2009. Il prétend également que cette pièce contredit l’affirmation du Tribunal au paragraphe 53 de sa décision selon laquelle « le plaignant n’a présenté aucune preuve à l’effet que madame Clément faisait partie de cet autre comité d’évaluation ».

[52]           Devant le Tribunal, le demandeur a aussi voulu introduire la pièce CF-53 à l’étape des plaidoiries. Tel que je l’ai déjà indiqué, la pièce CF-53 comprend un courriel daté du 15 septembre 2008 adressé aux employés de la région du Québec de CIC et annonçant diverses nominations au sein du bureau régional de CIC, dont la nomination de Mme Clément au poste de directrice, ERAR et SALC. La pièce CF-53 comprend un deuxième courriel envoyé par Mme Clément le 27 juillet 2012 dans lequel elle annonce sa retraite.

[53]           La défenderesse s’est objectée au dépôt de cette pièce au motif qu’aucun témoin n’avait témoigné relativement à ces courriels et le Tribunal a accueilli l’objection.

[54]           Le demandeur soutient que ces courriels révèlent les nombreux liens professionnels entre Mme Clément et l’ASFC. Dans sa lettre de départ, Mme Clément a entre autres adressé des remerciements à ses collègues de l’ASFC pour leur collaboration et leur partenariat. Le demandeur soutient que ce document démontre l’importante influence que Mme Clément exerçait auprès des gestionnaires de l’ASFC.

[55]           Je traiterai d’abord de la pièce CF-32. Il ressort du paragraphe 50 de sa décision, que le Tribunal a bien saisi l’argument du demandeur :

50        Le plaignant soutient que Mme Clément n'était pas impartiale à son égard parce qu'elle avait été présidente d'un comité d'évaluation dans un autre processus de nomination et qu'il a porté plainte au Tribunal au sujet de ce processus. Il a par la suite retiré sa plainte. Selon le plaignant, Mme Clément a fourni des observations négatives à son sujet en guise de représailles à cause de sa plainte dans cet autre processus de nomination.

[56]           J’ai pris connaissance des documents produits en liasse sous la pièce CF-32. On peut en inférer que Mme Clément a effectivement été impliquée dans le processus de nomination ayant fait l’objet de la plainte en 2009 et dans le processus de médiation ayant mené au retrait de cette plainte. Les documents ne démontrent toutefois pas qu’elle avait agi à titre de présidente du comité d’évaluation, mais ce détail est sans importance. Le protocole d’entente, quant à lui, démontre que le demandeur a retiré sa plainte dans un contexte de règlement et dans « une optique de maintenir une collaboration entre le ministère et le plaignant ».

[57]           Je conviens que le Tribunal a indiqué que le demandeur n’avait pas présenté de preuve démontrant que Mme Clément faisait partie de ce comité d’évaluation. Il a toutefois ajouté que même s’il avait été établi que Mme Clément faisait partie de ce comité d’évaluation, ce fait n’établissait pas une apparence de partialité. Le Tribunal a également noté que Mme Clément avait déclaré lors de son témoignage qu’elle n’avait jamais eu de conflit avec le demandeur.

[58]           Je considère que le refus de permettre le dépôt de cette pièce n’a pas entraîné une violation des règles d’équité procédurale. D’abord, le Tribunal a, dans sa conclusion subsidiaire sur le sujet, jugé que la participation de Mme Clément au processus de nomination ayant mené à la plainte ne démontrait pas une apparence de partialité. Je partage son point de vue. Rien ne permet d’inférer des documents contenus dans la pièce CF-32 une apparence de partialité ou une crainte raisonnable de partialité de la part de Mme Clément à l’endroit du demandeur. On peut tout au plus en inférer que Mme Clément a été impliquée dans un processus de nomination en 2009 qui a mené au dépôt d’une plainte par le demandeur et que cette plainte a par la suite été réglée. Ce type de situation est courant dans le contexte des relations de travail et on ne peut en inférer qu’un gestionnaire perd son impartialité à l’endroit d’un employé parce que ce dernier a déposé une plainte, un grief ou un autre recours.

[59]           Je considère donc que même si les documents contenus dans la pièce CF-32 avaient été admis en preuve, ils ne permettent pas d’appuyer les allégations du demandeur et ils n’auraient pas été susceptibles d’influer sur la décision rendue par le Tribunal.

[60]           J’estime que les mêmes conclusions s’appliquent à l’égard des courriels contenus à la pièce CF-53. Il n’est pas contesté que Mme Clément était une gestionnaire de niveau supérieur. Le fait qu’elle occupait depuis 2008 un poste de directrice et qu’elle avait des liens professionnels avec des gestionnaires de l’ASFC ne permet pas d’inférer qu’elle a fait preuve de partialité lorsqu’elle a donné des références à l’égard du rendement du demandeur ou que ses observations suscitent une crainte raisonnable de partialité. De plus, la décision du Tribunal de ne pas permettre le dépôt de cette pièce au stade des plaidoiries parce qu’elles n’avaient été introduites par aucun témoin était raisonnable. Enfin, le refus d’admettre ces documents en preuve était sans conséquence parce les documents en cause ne permettent pas d’appuyer les allégations du demandeur.

(2)               Le Tribunal a-t-il violé ses obligations en matière d’équité procédurale en n’accordant pas au demandeur la possibilité de présenter adéquatement ses arguments ayant trait au contexte de représailles?

[61]           Le demandeur prétend que le Tribunal ne lui a pas permis de mettre en preuve et de faire valoir d’une façon complète ses allégations ayant trait au contexte de représailles dont il prétend avoir été victime, et que le Tribunal n’a pas considéré la preuve de ce contexte de représailles, alors que cet élément était au cœur de son allégation de partialité de la part de Mmes Giroux et Clément. De plus, le demandeur soutient que le Tribunal a à tort refusé sa demande de suspendre l’instance jusqu’à ce que sa plainte de pratiques déloyales concernant l’adjointe de Mme Clément soit tranchée par la CRTFP.

[62]           Dans la mesure où le demandeur invoque une erreur dans l’appréciation de la preuve, soit que le Tribunal a omis de considérer certains éléments de preuve relatifs au contexte de représailles ou qu’il n’a pas suffisamment traité de ces allégations dans sa décision, j’estime que ces arguments concernent plutôt le caractère raisonnable de la décision, et non l’équité procédurale. J’en traiterai donc plus loin dans le cadre de mon analyse de la raisonnabilité de la décision.

[63]           Je traiterai par ailleurs des deux autres arguments du demandeur qui ont trait à l’équité procédurale, soit que le Tribunal a empêché le demandeur de présenter ses arguments, et que le Tribunal aurait dû suspendre l’instance en attendant une décision du CRTFP.

[64]           Dans un premier temps, il n’y a rien au dossier qui permet de conclure que le demandeur n’a pas été en mesure de soumettre de façon efficace sa position au Tribunal. Tel que discuté précédemment, les pièces qui ont été jugées irrecevables par le Tribunal n’auraient pas eu d’incidence sur sa décision, et rien au dossier n’indique que le demandeur n’a pas été en mesure de présenter ses arguments. Au contraire, les paragraphes 50 à 56 de la décision traitent des arguments du demandeur concernant la plainte de pratiques déloyales et les allégations de représailles du demandeur, indiquant que le Tribunal a bien saisi l’argument du demandeur à cet égard.

[65]           Deuxièmement, je considère que le Tribunal était bien fondé de ne pas suspendre l’instance en attendant que la CRTFP traite une plainte déposée par le demandeur après que Mmes Giroux et Clément eurent donné les références concernant son rendement.

[66]           Je considère donc, pour les motifs exprimés, que le Tribunal n’a pas violé ses obligations en matière d’équité procédurale.

B.                 La décision du Tribunal est-elle déraisonnable?

[67]           La thèse de fond que défend le demandeur peut se résumer comme suit. Jusqu’à son arrivée à la division d’ERAR, sa carrière au sein de CIC était exemplaire et il a toujours reçu des évaluations de rendement hautement favorables. Il prétend que sa situation a changé de façon radicale lorsqu’il a commencé à revendiquer certains droits, notamment l’égalité des chances. Il soutient qu’il a été victime de représailles et que c’est dans ce contexte de représailles que Mmes Giroux et Clément ont fourni des références sur son rendement qui étaient fausses et partiales et qui ont porté atteinte à sa réputation.

[68]           Le demandeur soutient que la décision du Tribunal est déraisonnable, et ce, pour une multitude de raisons. Il prétend en outre que le Tribunal aurait dû constater que le comité d’évaluation avait erré en retenant Mmes Clément et Giroux à titre de répondantes et qu’il aurait dû reconnaître que les références qu’elles avaient données n’étaient pas fiables parce qu’elles étaient partiales. Il reproche aussi au Tribunal de ne pas avoir reconnu que le comité d’évaluation avait lui aussi fait preuve de partialité à son endroit. De plus, il reproche au Tribunal d’avoir banalisé l’importance des irrégularités commises par le comité d’évaluation et de ne pas avoir reconnu qu’il avait été victime d’un traitement discriminatoire.

[69]           Avant de procéder à l’analyse détaillée des arguments du demandeur, il convient de rappeler quelques principes généraux. Tout d’abord, le rôle de la Cour lorsqu’elle révise une décision en appliquant la norme de la raisonnabilité a été clairement circonscrit par la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir au para 47 :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l'origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[70]           Il est également clairement établi qu’il n’appartient pas à la Cour de réexaminer la preuve et de soupeser à nouveau sa valeur probante. Dans Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113 au para 99, [2013] ACF no 472, la Cour d’appel fédérale a rappelé le rôle limité de la Cour a cet égard :

[99] Lorsqu'elle effectue un examen selon la norme de la raisonnabilité de conclusions de fait telles que celles-ci, la Cour n'a pas pour mission d'apprécier de nouveau les éléments de preuve versés aux débats. Elle doit alors plutôt se limiter à rechercher si une conclusion a un caractère irrationnel ou arbitraire tel que sa compétence, reposant sur la primauté du droit, est engagée, comme l'absence totale de recherche des faits, le défaut, lors d'une telle recherche, de respecter une exigence expresse de la loi, le caractère illogique ou irrationnel du processus de recherche des faits ou l'absence de tout fondement acceptable à la conclusion de fait tirée (Conseil de l'éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., District 15, [1997] 1 R.C.S. 487, aux paragraphes 44 et 45; Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644, à la page 669).

[71]           La juridiction du Tribunal est également limitée, puisque son rôle consiste uniquement à déterminer s’il y a eu abus de pouvoir dans le cadre d’un processus de nomination sous la LEFP. À cet égard, le Tribunal a noté, outre sa référence au paragraphe 4(2) de la LEFP, que la jurisprudence avait interprété le concept d’abus de pouvoir d’une manière libérale et que l’abus de pouvoir ne se limitait pas à la mauvaise foi et au favoritisme personnel. Le Tribunal a reconnu que selon sa nature et sa gravité, une erreur, une omission ou une conduite irrégulière pouvait également constituer un abus de pouvoir. Le Tribunal a également indiqué qu’il n’avait pas comme rôle de réévaluer la candidature du plaignant, et que le demandeur avait le fardeau de démontrer, selon la balance des probabilités, que l’administrateur général de l’ASFC avait abusé de son autorité. J’estime que cette analyse est conforme à l’état du droit (Makoundi au para 16, Lavigne aux para 61-62), et que le Tribunal a donc énoncé et appliqué les bons critères juridiques pour trancher la plainte d’abus de pouvoir. Ainsi, il est important de garder à l’esprit que le rôle du Tribunal ne consistait pas à refaire un examen de la candidature du demandeur, mais bien à déterminer si le demandeur avait établi que le comité d’évaluation avait commis un abus de pouvoir dans le processus de nomination en cause.

[72]           À la lumière de ces principes, je traiterai maintenant de chaque argument soulevé par le demandeur.

(1)               Disqualification de Mme Kobrynsky comme répondante

[73]           Le demandeur soutient que le comité d’évaluation a erré en disqualifiant Mme Kobrynsky à titre de répondante et qu’il a appliqué le mauvais critère pour justifier sa décision de ne pas retenir les références qu’elle a fournies. Le demandeur allègue que tous les candidats devaient soumettre à titre de premier répondant le nom de la personne qui était leur supérieur immédiat, mais qu’ils pouvaient soumettre une personne de leur choix à titre de deuxième répondant. Cette deuxième personne devait avoir eu un lien professionnel avec le candidat au cours des quatre années précédant le dépôt du dossier de candidature. Le demandeur soutient que Mme Kobrynsky répondait à ce critère et que, par conséquent, le comité ne pouvait ultérieurement écarter les références qu’elle avait fournies au profit de celles fournies par Mmes Giroux et Clément au motif que les références fournies par ces dernières étaient plus contemporaines.

[74]           Le Tribunal a indiqué que la preuve démontrait que le comité d’évaluation n’avait pas ignoré les références données par Mme Kobrynsky, mais qu’il avait plutôt considéré les informations fournies par les trois répondantes et qu’il avait ensuite attribué par consensus une note au demandeur pour chacune des qualifications essentielles. Le Tribunal a estimé que le comité d’évaluation n’avait pas fait preuve de partialité en accordant plus d’importance aux références fournies par Mmes Giroux et Clément. Il a retenu le fait que les références de Mmes Giroux et Clément concordaient et que Mme Giroux avait supervisé le demandeur pendant une période plus longue que Mme Kobrynsky. Il a également jugé que les références fournies par Mmes Giroux et Clément contenaient plus d’exemples spécifiques que celles fournies par Mme Kobrynsky.

[75]           Ces conclusions sont étayées par la preuve et sont raisonnables. La preuve démontre effectivement que Mme Kobrynsky n’a pas été disqualifiée à titre de répondante. Les références qu’elle a fournies ont été considérées, mais le comité d’évaluation a choisi d’accorder plus de poids aux références fournies par Mmes Giroux et Clément, et ce, notamment parce qu’elles contenaient plus d’exemples et qu’elles étaient concordantes. Le comité a aussi considéré le fait que la période de supervision par Mmes Giroux et Clément était plus contemporaine et plus longue.

[76]           Je considère qu’il n’était pas déraisonnable de la part du Tribunal de conclure que cette décision du comité d’évaluation ne constituait pas un indice de partialité ou d’abus de pouvoir de sa part. Le comité d’évaluation faisait face à une situation particulière alors que la première répondante avait fourni des références défavorables qui contrastaient de façon importante avec la performance du demandeur en entrevue. Le comité a agi avec prudence et diligence en ne se limitant pas aux références fournies par Mme Giroux et en poursuivant sa cueillette d’information auprès de Mme Kobrynsky. Je considère également que face aux références contradictoires de Mme Giroux et de Mme Kobrynsky, le comité avait une raison objective pour décider de recueillir des observations additionnelles auprès d’une gestionnaire de niveau supérieur.

[77]           De plus, face aux contradictions entre les références fournies par Mme Kobrynsky et celles fournies par Mmes Giroux et Clément, le comité d’évaluation devait ensuite faire un choix et les raisons pour lesquelles il a retenu les références de Mmes Giroux et Clément ne sont ni déraisonnables ni dénuées de sens. D’abord, les références qu’elles ont fournies étaient concordantes. De plus, les autres critères de comparaison utilisés par le comité d’évaluation sont raisonnables, y incluant celui relatif à la durée et à la période au cours de laquelle Mme Kobrynsky a supervisé le demandeur. Il n’est pas déraisonnable de penser qu’une personne qui a récemment supervisé un employé pendant une période d’un an soit en mesure de donner une appréciation plus globale de sa performance que celle que peut donner une personne qui a supervisé ce même employé pendant quelques mois. J’ai également pris connaissance des notes consignées par Mme Raymond lors de la prise de références de Mmes Giroux et Krobynsky, de même que le résumé des observations de Mme Clément, et rien ne laisse croire que la décision d’accorder plus de poids aux références fournies par Mmes Giroux et Clément a été influencée par une quelconque partialité de la part des membres du comité, ou qu’elle découlait d’un abus de pouvoir.

[78]           Le demandeur soutient également que le comité d’évaluation a erré en déterminant que le poste d’agent d’ERAR correspondait davantage au poste d’agent d’audience à doter qu’au poste d’agent d’immigration et de citoyenneté qu’il occupait lorsqu’il était sous la supervision de Mme Kobrynsky. Le demandeur soutient que le comité a appliqué le mauvais critère et que son rôle n’était pas de comparer les postes.

[79]           Le Tribunal a noté que Mme Raymond avait expliqué, lors de son témoignage, qu’elle avait déjà occupé les postes d’agent d’ERAR et d’agent d’audience et qu’elle estimait que les deux postes exigeaient des qualités interpersonnelles et des connaissances similaires. Le Tribunal a également noté le témoignage de Me Darin Jacques qui a occupé les postes d’agent d’ERAR et d’agent d’audience. Me Jacques était d’avis que les fonctions d’un agent d’ERAR à CIC et celles d’un agent d’audience à l’ASFC étaient différentes. Au final, le Tribunal a estimé qu’il n’avait pas à trancher la question puisque la ressemblance entre les fonctions d’agent d’ERAR et d’agent d’audience n’était pas le seul critère que le comité d’évaluation avait utilisé pour accorder plus d’importance aux observations de Mmes Giroux et Clément qu’à celles de Mme Kobrynsky.

[80]           Cette conclusion m’apparaît raisonnable à la lumière de la preuve. Il n’était pas nécessaire que le Tribunal tranche la question de savoir si le poste d’agent d’audience s’apparentait davantage à un poste d’agent d’ERAR qu’à celui d’agent d’immigration et de citoyenneté, puisque le comité d’évaluation a fondé sa décision sur plusieurs autres considérations pertinentes et que, de toute façon, ses conclusions à cet égard ne donnaient pas lieu à une crainte d’abus de pouvoir.

[81]           Le demandeur soutient aussi que si le comité d’évaluation jugeait que les références de Mme Kobrynsky étaient insuffisantes, il aurait dû soit lui permettre de fournir le nom d’une autre répondante ou poursuivre plus à fond sa cueillette d’information auprès de Mme Kobrynsky. Cet argument n’a pas de mérite. Il ressort des notes d’entrevues prises par Mme Raymond que les questions posées aux répondantes étaient les mêmes et que le comité d’évaluation demandait des exemples concrets; il n’était donc pas nécessaire ou utile de demander plus de précisions de Mme Kobrynsky. De plus, le comité n’avait aucune obligation de permettre au demandeur de fournir le nom d’une autre personne à titre de répondante. Comme je l’ai déjà indiqué, la décision du comité d’évaluation de recueillir des observations additionnelles auprès de Mme Clément était, dans les circonstances, logique et raisonnable. J’estime donc que les conclusions du Tribunal à l’égard des arguments concernant la « disqualification » de Mme Kobrynsky sont raisonnables.

(2)               Non-disqualification de Mme Giroux à titre de répondante

[82]           Le demandeur soutient que les références fournies par Mme Giroux n’auraient pas dû être retenues. Il avance, dans un premier temps, que de forts indices de partialité se dégageaient de ses propos. Au soutien de sa position, il décortique toutes les observations faites par Mme Giroux lors de la prise de références pour remettre en cause leur fiabilité. Le Tribunal a rejeté cette allégation.

[83]           Le Tribunal a traité de la fiabilité des références données tant par Mme Giroux que par Mme Clément. D’abord il a bien noté, au paragraphe 43 de sa décision, que le demandeur remettait en cause la fiabilité des références qu’elles avaient fournies aux motifs qu’elles n’étaient pas impartiales à son endroit et que leurs observations ne cadraient pas avec ses évaluations de rendement antérieures. Le Tribunal a ensuite indiqué que la partialité d’un répondant ne signifie pas que le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir et il a précisé que l’alinéa 77(1)a) de la LEFP stipule que l’abus de pouvoir doit avoir été commis par la personne à qui la CFP a délégué son pouvoir de nomination. Il a par ailleurs indiqué qu’un comité d’évaluation devrait tenir compte de tout élément qui remettrait en question la fiabilité des renseignements fournis par un répondant, mais il a ajouté que le désaccord d’un candidat avec les observations d’un répondant ne prouve pas que les références fournies par ce répondant ne sont pas fiables. Le Tribunal a indiqué que pour établir que le comité d’évaluation avait abusé de son pouvoir, le demandeur devait démontrer qu’il était évident que les renseignements fournis par les répondantes étaient peu fiables en raison d’un manque évident d’impartialité de leur part ou pour toute autre raison.

[84]           Le Tribunal a également noté que le demandeur n’avait pas informé le comité d’évaluation de ses préoccupations à l’endroit de Mme Giroux lors de l’entrevue et qu’il n’avait soulevé cet élément qu’après avoir été informé que Mme Giroux avait fourni des références défavorables.

[85]           Le demandeur invoquait que Mme Giroux n’était pas impartiale à son endroit parce qu’il avait déjà contesté deux évaluations de rendement qu’elle avait préparées. Le Tribunal a rejeté cet argument et indiqué que le fait pour un employé de contester une évaluation de rendement faite par son supérieur faisait partie du schème normal des relations de travail et qu’il faisait partie des responsabilités des supérieurs immédiats de traiter de telles contestations. Le Tribunal a jugé qu’en l’espèce, le demandeur n’avait pas établi que le fait qu’il ait contesté des évaluations de son rendement préparées par Mme Giroux avait affecté l’impartialité de cette dernière.

[86]           Le Tribunal a ensuite traité d’un courriel que Mme Raymond a envoyé à M. Meniaï et à d’autres personnes le 16 décembre 2011 dans lequel elle a écrit que Mme Giroux avait eu des « problèmes personnels » avec le demandeur. Le demandeur invoquait le contenu de ce courriel pour appuyer son allégation de partialité de la part de Mme Giroux. Le Tribunal n’a tiré aucune inférence à partir de ce courriel parce que Mme Raymond a indiqué, lors de son témoignage, qu’elle s’était mal exprimée et que Mme Giroux n’avait pas mentionné qu’elle avait des problèmes de nature personnelle avec le demandeur, mais qu’il s’agissait plutôt de problèmes reliés à son rendement. Le Tribunal a également noté que lors de son témoignage, Mme Giroux avait indiqué ne pas avoir de problèmes personnels avec le demandeur. Le Tribunal a ajouté que lors de son témoignage, Mme Signori avait affirmé avoir demandé à Mme Clément s’il existait un conflit entre Mme Giroux et le demandeur et déclaré que Mme Clément lui avait répondu que Mme Giroux avait des problèmes avec le rendement du demandeur.

[87]           Il ressort clairement de la décision que le Tribunal a analysé avec soin la preuve relative aux reproches formulés par le demandeur à l’égard de la fiabilité des références fournies par Mme Giroux. Il n’appartient pas à la Cour de refaire cet examen et rien ne permet de conclure que l’examen fait par le Tribunal a mené à des conclusions déraisonnables. De plus, je n’ai rien vu au dossier qui permet de penser que Mme Giroux n’était pas impartiale ou que le comité d’évaluation a fait preuve d’un esprit fermé dans son appréciation des références fournies par Mme Giroux.

(3)               Sélection de Mme Clément à titre de répondante

[88]           Le demandeur soutient que le Tribunal a erré en ne reconnaissant pas que la sélection de Mme Clément était problématique à plusieurs égards.

[89]           Dans un premier temps, le demandeur a soumis que le comité d’évaluation ne pouvait pas retenir Mme Clément à titre de répondante sans son consentement. Le demandeur s’est appuyé sur le document Vérification structurée des références - Guide des pratiques exemplaires de la CFP pour soutenir que les candidats doivent pouvoir choisir les répondants et qu’ils doivent jouer un rôle actif dans leur sélection et leur préparation. Il a également invoqué un autre document de la CFP intitulé La vérification des références qui prévoit que le Conseil du Trésor doit obtenir le consentement du candidat lorsque la vérification des références est utilisée pour évaluer la fiabilité/sécurité.

[90]           Le Tribunal a rejeté cet argument. Il a d’abord reconnu que le demandeur avait eu l’obligation de fournir le nom de Mme Giroux et qu’il n’avait pas été consulté quant au choix de Mme Clément comme troisième référence. Il a toutefois jugé qu’il était approprié, dans les circonstances, que le comité ait demandé à Mme Clément, qui était la supérieure immédiate de Mme Giroux, de fournir ses observations quant au rendement du demandeur.

[91]           Ensuite, le Tribunal a conclu que rien n’obligeait le comité d’évaluation à obtenir l’aval d’un candidat pour le choix d’un répondant. Il a noté que le document Vérification structurée des références - Guide des pratiques exemplaires de la CFP suggère que le candidat participe au choix des répondants, mais il n’oblige par le comité à accepter les suggestions d’un candidat. Le Tribunal a en outre noté que le document était un guide et non des lignes directrices qui elles lient l’administrateur général à qui la CFP a délégué le pouvoir de dotation (art. 16 et 29(3) de la LEFP). Le Tribunal a également renvoyé à des décisions dans lesquelles il a été établi que le consentement des candidats n’est pas nécessaire lorsqu’il s’agit de communiquer avec des répondants qui travaillent dans la fonction publique. Quant au deuxième document invoqué par le demandeur, La vérification des références, le Tribunal a indiqué qu’il s’agissait d’un guide qui fournit des conseils pratiques et qui, de toute façon, ne trouvait pas application en l’espèce. Le Tribunal a indiqué que ce guide traitait des références obtenues dans le contexte précis de la fiabilité liée à la cote de sécurité d’un candidat, ce qui n’était pas en cause dans le cas du demandeur.

[92]           Le raisonnement du Tribunal est étayé, articulé et ses conclusions sont tout à fait raisonnables à la lumière de la preuve. Le demandeur soutient que le Tribunal a banalisé les règles et les guides. Je ne suis pas de cet avis. Le Tribunal a reconnu l’importance des guides et expliqué pourquoi le comité d’évaluation était justifié, en l’espèce, de recueillir des références auprès de Mme Clément, qui était une gestionnaire de niveau supérieur et la supérieure immédiate de Mme Giroux.

[93]           Deuxièmement, le demandeur soutenait qu’en communiquant avec Mme Clément sans son consentement, le comité d’évaluation avait enfreint les articles 7 et 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21 [LPRP] qui prévoient que les renseignements personnels recueillis au sujet d’une personne ne peuvent être communiqués sans son consentement.

[94]           Le Tribunal a rejeté cet argument et il a invoqué l’alinéa 8(2)a) de la LPRP qui prévoit que les renseignements personnels d’une institution fédérale peuvent être communiqués lorsqu’ils servent à un usage qui est compatible avec les fins pour lesquelles ils ont été recueillis. Il a jugé que l’utilisation de renseignements au sujet du rendement au travail d’un candidat dans le cadre d’un processus de nomination constituait un tel usage permis.

[95]           Le raisonnement du Tribunal et la conclusion qu’il a tirée sont raisonnables et ne justifient pas l’intervention de la Cour.

[96]           Troisièmement, le demandeur soutenait que le comité d’évaluation aurait dû l’informer à l’avance qu’il entendait communiquer avec Mme Clément pour obtenir des références à son sujet et qu’il aurait ainsi pu lui faire part de ses préoccupations quant à l’impartialité de Mme Clément.

[97]           Le Tribunal a noté qu’il aurait été préférable que le comité d’évaluation informe le demandeur de sa démarche puisqu’un tel préavis aurait assuré une plus grande transparence du processus de nomination et aurait effectivement permis au demandeur de faire part de ses appréhensions concernant Mme Clément. Le Tribunal a par ailleurs conclu que bien qu’une telle façon de procéder constituait une bonne pratique, il ne s’agissait pas d’une obligation. Le Tribunal a ajouté que le demandeur avait eu l’occasion d’informer le comité d’évaluation de ses préoccupations relativement à l’impartialité de Mme Clément lors de la discussion informelle, mais que le comité avait décidé de ne pas retenir ses allégations.

[98]           Tout comme le Tribunal, j’estime qu’il aurait été préférable que le comité d’évaluation informe le demandeur à l’avance qu’il entendait communiquer avec Mme Clément pour obtenir son appréciation du rendement du demandeur. Toutefois, le demandeur a eu l’occasion de soulever ses préoccupations au niveau de l’impartialité de Mme Clément lors de la discussion informelle qui a eu lieu avant la fin du processus de nomination. Or, le comité d’évaluation n’a pas retenu les allégations de partialité avancées par le demandeur. Ainsi, le fait que le demandeur n’ait pas eu l’occasion d’informer le comité d’évaluation de ses appréhensions avant la prise de références n’a pas eu d’incidence puisque le comité a été informé des appréhensions du demandeur avant la fin du processus de nomination et il ne les a pas retenues.

[99]           Quatrièmement, le demandeur soutenait que Mme Clément n’aurait pas dû agir à titre de répondante parce qu’elle n’était pas sa supérieure immédiate.

[100]       Le Tribunal a noté que lors de son témoignage, Mme Clément avait indiqué être la gestionnaire des employés de la division d’ERAR dans laquelle travaillait le demandeur. Le Tribunal a rapporté que Mme Clément avait déclaré avoir basé ses observations sur des rapports de décisions préparés par le demandeur qu’elle avait lus en partie, sur les rapports des « coachs » du demandeur, sur les évaluations de rendement du demandeur et sur ses échanges avec le demandeur et avec Mme Giroux.

[101]       Le Tribunal a jugé que le demandeur n’avait pas établi que la personne répondante doit nécessairement être la supérieure immédiate du candidat et qu’une personne pouvait agir à titre de répondante si elle avait une connaissance suffisante du rendement du candidat. Il a noté que la preuve, y incluant celle soumise par le demandeur, démontrait que Mme Clément avait une bonne connaissance du rendement du demandeur.

[102]       Je considère que cette conclusion est raisonnable et trouve appui dans la preuve. Il ressort clairement de la preuve, et plus particulièrement des nombreux courriels échangés entre Mme Clément et le demandeur, que Mme Clément avait une connaissance du rendement du demandeur qui était amplement suffisante pour qu’elle puisse être retenue à titre de répondante.

[103]       Cinquièmement, le demandeur soutenait que les observations de Mme Clément étaient très générales et n’étaient pas appuyées par des exemples concrets. Le Tribunal a traité de la fiabilité et du contenu des observations de Mme Clément et il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve que le Tribunal a examinée. De plus, il est important de garder à l’esprit le cadre de la plainte déposée par le demandeur. Le Tribunal n’avait pas comme rôle de refaire l’évaluation des qualifications du demandeur. Il avait comme mandat de vérifier si le processus d’évaluation suivi par le comité et l’appréciation qu’il avait faite des qualifications du demandeur étaient entachés par un abus de pouvoir. C’est ce qu’il a fait. Le Tribunal a analysé la preuve avec soin. Il avait en sa possession les notes prises lors de la vérification des références et il a entendu les témoignages des membres du comité d’évaluation, de même que ceux de Mmes Giroux et Clément. Son examen de l’ensemble de la preuve l’a amené à conclure que le demandeur n’avait pas démontré que les références données par Mme Clément n’étaient pas fiables. Cette conclusion était suffisante et raisonnable et le Tribunal n’avait pas à procéder à un examen détaillé de chacune des observations du demandeur.

[104]       Sixièmement, le demandeur a mis en doute l’impartialité de Mme Clément en raison de la plainte qu’il avait déposée auprès du Tribunal relativement au processus de nomination en 2009. À son avis, Mme Clément a fourni des références défavorables à son endroit en guise de représailles. Le Tribunal n’a pas retenu cet argument et j’estime que sa conclusion est tout à fait raisonnable.

[105]       Le Tribunal a d’abord noté que lors de son témoignage, Mme Clément avait indiqué ne jamais avoir eu de conflit avec le demandeur. Il a ajouté que le demandeur n’avait pas présenté de preuve établissant que Mme Clément avait fait partie de cet autre comité de nomination. Le Tribunal a ajouté que même si Mme Clément avait effectivement fait partie du comité d’évaluation pour cet autre processus, cela n’établissait pas une apparence de partialité de sa part.

[106]       Je conviens que si le Tribunal avait accepté le dépôt de la pièce CF-32, il aurait constaté qu’elle contenait des éléments qui démontraient que Mme Clément avait effectivement été impliquée dans le processus de nomination de 2009 ayant mené au dépôt de la plainte. Tel que discuté précédemment, ceci est toutefois sans conséquence parce que le Tribunal a de toute façon jugé que le fait que Mme Clément ait participé au processus de nomination et que le demandeur ait déposé une plainte ne permettait pas d’inférer que ce contexte avait eu une influence sur l’impartialité de Mme Clément. Cette conclusion est raisonnable. La preuve ne contient aucun indice de partialité ou même d’animosité de la part de Mme Clément à l’endroit du demandeur. La preuve démontre que Mme Clément avait des préoccupations relativement au rendement du demandeur et qu’elle a fait part de ses observations au comité d’évaluation. Rien ne permet de conclure que les préoccupations de Mme Clément n’étaient pas objectives, légitimes ou qu’elles étaient teintées d’une quelconque partialité à l’endroit du demandeur.

[107]       Septièmement, le demandeur soulève des doutes quant à l’impartialité de Mme Clément en raison de la plainte qu’il a déposée auprès de la CRTFP. Dans cette plainte, le demandeur invoquait des pratiques déloyales de la part de l’employeur parce que l’adjointe de Mme Clément avait été en possession de la clé d’un classeur qui appartenait au syndicat et qui contenait des renseignements confidentiels au sujet de ses membres.

[108]       Le Tribunal a jugé qu’il ne pouvait tirer aucune conclusion quant à cette allégation parce qu’il disposait de trop peu d’information. Il a indiqué que le demandeur n’avait pas fourni plus d’explications au sujet de cette plainte et qu’il s’était limité à déposer une lettre provenant de la CRTFP dans laquelle elle accusait réception d’une plainte datée du 22 février 2012 déposée par le demandeur. Le Tribunal a estimé que cette plainte n’avait pas pu influencer les références données par Mme Clément puisqu’elle avait fourni ses observations le 19 décembre 2011, soit avant le dépôt de la plainte.

[109]       Cette conclusion est tout à fait raisonnable. Lors de l’audience, le demandeur a soutenu que la plainte n’était qu’un élément qui s’inscrivait dans un continuum de représailles qui avait débuté en 2009 lorsqu’il avait contesté un autre processus de nomination. J’ai déjà conclu que le Tribunal n’avait pas empêché le demandeur d’introduire des éléments de preuve pertinents au contexte de représailles qu’il allègue. Le Tribunal a apprécié la thèse du demandeur mais il ne l’a pas retenue.

[110]       De plus, aucune des pièces déposées par le demandeur n’appuie ses prétentions. J’ai pris connaissance de toutes les pièces que le demandeur prétend avoir déposé pour démontrer qu’il faisait l’objet de représailles et d’animosité de la part de Mme Clément et plus particulièrement des pièces CF-33, CF-34, CF-36, CF-37, CF-38, CF-39, CF-41, CF-42, CF-43, CF-44, CF-45, CF-48, CF-49, CF-50, CF-52, CF-54, CF-55, CF-56, CF-57 et CF-58. Le demandeur soutient que le Tribunal n’a pas adéquatement apprécié ces éléments de preuve. Avec égards, j’estime qu’aucun de ces documents ne permet d’inférer ou d’appuyer ses allégations suivant lesquelles il aurait fait l’objet de représailles de la part de Mme Clément ou qu’elle n’était pas impartiale à son endroit. La preuve que le demandeur a déposée démontre que Mme Clément avait des préoccupations et des insatisfactions quant au rendement du demandeur dans le poste d’agent d’ERAR. Toutefois, rien ne permet d’inférer à partir des documents déposés que les préoccupations de Mme Clément n’étaient pas légitimes ou qu’elle ait manqué d’impartialité lorsqu’elle a fourni ses observations au comité d’évaluation relativement au rendement du demandeur.

[111]       Par ailleurs, il est bien établi que le Tribunal est présumé avoir considéré et soupesé l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée (Boulos c Alliance de la fonction publique du Canada, 2012 CAF 193 au para 11, [2012] ACF no 832), et qu’il n’a pas l’obligation de mentionner dans sa décision chaque document déposé en preuve, surtout lorsque la preuve est volumineuse. À cet égard, je fais miens les propos suivants du juge Mosley dans Makoundi au para 30 :

[30] Il est bien établi qu’un tribunal n’est pas tenu d’énumérer et d’examiner chaque élément de preuve et chaque argument soulevé par le demandeur : Jia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 422, au paragraphe 20. Le dossier de l’instance devant le Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP) est volumineux. Le tribunal a l’obligation d’examiner la preuve et de fonder raisonnablement ses conclusions sur les documents qui lui ont été présentés : Kakurova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 929, au paragraphe 18. Une grande partie de ce que le demandeur a déposé en preuve devant le TDFP et allégué devant la Cour était sans pertinence. J’estime que, dans sa décision, le TDFP a examiné toutes les questions substantielles dont il avait été régulièrement saisi à la fin des audiences. Dans les présents motifs, je n’ai pas l’intention de réexaminer l’ensemble des motifs de la plainte de M. Makoundi qui ont été examinés par le TDFP et que le demandeur a répétés dans les arguments qu’il a soulevés dans la présente demande. [TRADUCTION.]

[112]       Il est également établi qu’un tribunal administratif n’a pas l’obligation de mentionner chacun des arguments soulevés par chacune des parties. Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16, [2011] 3 RCS 708, la Cour suprême du Canada traitait de la suffisance des motifs d’un tribunal administratif et elle a énoncé les principes suivants :

[16] Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l'analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n'est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d'autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[113]       Ainsi, j’estime que la conclusion du Tribunal à l’effet que la preuve concernant la plainte de pratiques déloyales à la CRTFP n’appuyait pas les allégations de représailles du demandeur était raisonnable.

[114]       Huitièmement, le demandeur a invoqué que les observations de Mme Clément et celles de Mme Giroux n’étaient pas fiables parce qu’elles ne cadraient pas avec les évaluations de son rendement faites par d’autres superviseurs tout au long de sa carrière.

[115]       Le Tribunal a indiqué à cet égard qu’une personne pouvait très bien fournir un bon rendement dans un poste et éprouver des difficultés dans un autre poste. Le Tribunal a ajouté que ce constat était également conforme au témoignage de Mme Clément qui avait déclaré avoir informé Mme Signori que le demandeur n’était pas dans un poste qui lui convenait à la division d’ERAR, mais qu’il avait fait un bon travail dans d’autres postes. Le Tribunal a également noté que le poste d’agent d’ERAR était un poste différent de celui d’agent d’immigration et de citoyenneté. Il a jugé que le fait que le demandeur ait eu de bonnes évaluations de rendement dans le poste d’agent d’immigration et de citoyenneté n’indiquait pas que les observations de Mmes Giroux et Clément ne reflétaient pas adéquatement son rendement dans le poste d’agent d’ERAR.

[116]       Je partage tout à fait le point de vue du Tribunal. Le fait qu’un employé soit performant dans un poste n’implique pas nécessairement qu’il sera aussi performant dans un poste différent. Ainsi, le fait que le demandeur ait reçu de bonnes évaluations de rendement dans un poste d’agent d’immigration et de citoyenneté n’indique pas que les évaluations faites par Mmes Giroux et Clément relativement à son rendement dans le poste d’agent d’ERAR ne sont pas fiables. La conclusion du Tribunal à cet égard est tout à fait raisonnable.

[117]       Neuvièmement, le demandeur a allégué que les observations de Mme Clément, tout comme celles de Mme Giroux, étaient incompatibles avec le fait qu’il avait reçu au cours de sa carrière de nombreux certificats de reconnaissance et lettres d’appréciation.

[118]        Le Tribunal a estimé que ces certificats et ces lettres n’établissaient pas que les observations de Mmes Giroux et Clément n’étaient pas fiables puisque ceux-ci avaient trait au rendement du demandeur dans d’autres postes et pour d’autres activités. Je partage tout à fait le point de vue du Tribunal à cet égard.

[119]       Dixièmement, le demandeur a soutenu que les commentaires de Mme Clément, tout comme ceux de Mme Giroux, au sujet de ses relations avec certaines personnes en position d’autorité et avec les gestionnaires étaient faux, et portaient atteinte à son droit à la sauvegarde de sa réputation en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c C-12 et le Code civil du Québec.

[120]       Le Tribunal a noté qu’il n’avait pas à se prononcer sur cette allégation puisque les commentaires en cause avaient été faits dans le contexte de l’évaluation de la qualification « relations interpersonnelles efficaces » pour laquelle le demandeur avait obtenu la note de passage. J’estime que dans ce contexte, il était raisonnable pour le Tribunal de ne pas traiter spécifiquement des observations de Mmes Clément et Giroux qui avaient trait à une qualification qui n’était pas en cause dans le cadre de la plainte.

(4)               Indépendance du comité d’évaluation

[121]       Le demandeur soutient que le comité d’évaluation a perdu son indépendance lorsque Mme Signori s’est impliquée dans le processus et qu’elle a rencontré Mme Clément pour obtenir ses observations quant au rendement du demandeur. Cet argument n’a pas de mérite. Mme Signori était la gestionnaire du poste à doter et rien ne permet de conclure que son implication ait été inappropriée ou qu’elle ait influencé les observations de Mme Clément, ou encore, qu’elle ait indument influencé le processus décisionnel du comité d’évaluation. Ce sont les observations de Mme Clément et de Mme Giroux qui ont eu une incidence dans l’évaluation faite par le comité d’évaluation et non l’implication de Mme Signori qui a recueilli les observations de Mme Clément.

(5)               La partialité de Mme Raymond

[122]       Le demandeur a soutenu devant le Tribunal, et devant la Cour, que Mme Raymond n’était pas impartiale parce qu’elle avait une relation d’amitié et une relation professionnelle étroite avec Mme Giroux. Le demandeur a notamment appuyé son allégation sur le courriel daté du 16 décembre 2011 que Mme Raymond a adressé à M. Meniaï et à d’autres personnes, dans lequel elle a indiqué qu’elle connaissait bien Mme Giroux et respectait son jugement. Le demandeur infère de ce courriel qu’il n’y avait aucune possibilité que Mme Raymond puisse avoir l’ouverture d’esprit nécessaire pour envisager la possibilité que Mme Giroux ait été dans l’erreur ou qu’elle ne soit pas crédible.

[123]       Le Tribunal a rejeté cet argument. Il a d’abord indiqué que les membres de tout comité d’évaluation avaient l’obligation de procéder à une évaluation impartiale et exempte de crainte raisonnable de partialité. Renvoyant à Newfoundland Telephone Co c Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 RCS 623 au para 22, [1992] ACS no 21, le Tribunal a cité le critère de la crainte de partialité énoncé par la Cour suprême du Canada qui consiste « à se demander si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez un décideur », et il a indiqué que ce critère s’applique aux membres des comités d’évaluation formés dans le cadre des processus de nomination assujettis à la LEFP. Le Tribunal a jugé que le demandeur n’avait pas établi qu’il existait une crainte de partialité à son endroit de la part du comité d’évaluation.

[124]       Le Tribunal a aussi noté que Mme Giroux avait affirmé, lors de son témoignage, qu’elle n’avait pas de relation personnelle avec Mme Raymond, qu’elle la connaissait au niveau professionnel, mais qu’elle ne l’avait pas vue depuis 2005.

[125]       Le Tribunal a donc jugé que le demandeur n’avait présenté aucune preuve qui démontrait qu’il y avait une relation d’amitié entre Mmes Raymond et Giroux. Il a ajouté qu’un observateur relativement bien informé ne pourrait raisonnablement percevoir de la partialité de la part de Mme Raymond du fait qu’elle avait travaillé avec Mme Giroux dans le passé et qu’elle respectait son jugement.

[126]       J’estime que le Tribunal pouvait raisonnablement arriver à cette conclusion compte tenu de la preuve au dossier. Le fait que Mme Raymond ait indiqué qu’elle connaissait Mme Giroux et respectait son jugement est nettement insuffisant pour soulever une crainte raisonnable de partialité de la part de Mme Raymond ou pour conclure qu’elle avait un esprit fermé. De plus, rien ne permet de conclure qu’elle n’a pas rapporté fidèlement les propos de Mmes Giroux et Kobrynsky dans ses notes d’entrevue.

[127]       Le demandeur soutient également qu’on lui a intentionnellement caché la déclaration de Mme Raymond (qu’elle connaissait Mme Giroux et respectait son jugement) contenue dans son courriel du 16 décembre 2011. Le demandeur soumet que cette portion du courriel était caviardée dans les documents qu’il a reçus suite à une demande qu’il a formulée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1, et qu’il a pris connaissance de cette déclaration dans le cadre d’échanges d’information et de divulgation devant le Tribunal. Il prétend qu’il a été induit en erreur dans le cadre de sa demande d’accès à l’information lorsqu’on l’a informé à tort que cette portion de l’affidavit avait été caviardée parce qu’elle contenait des informations personnelles. Le demandeur soutient que cette situation démontre une fraude dans le but de masquer une information compromettante qui démontre la partialité de Mme Raymond.

[128]       Cette allégation n’a pas de mérite. D’abord, il n’y a aucune preuve que c’est le comité d’évaluation qui a traité la demande d’accès à l’information du demandeur et il serait plutôt surprenant que ce soit le cas. Le processus d’accès à l’information est indépendant de celui lié à un processus de nomination ou encore à une plainte déposée devant le Tribunal. De plus, comme le courriel non caviardé a été transmis au demandeur dans le cadre de l’échange d’information et de documents par l’ASFC, rien n’indique qu’on ait voulu lui cacher ce document dans le cadre de la plainte déposée devant le Tribunal.

(6)               Insouciance grave et absence de diligence raisonnable

[129]       Le demandeur soutient que face aux « propos calomnieux et tendancieux » de Mmes Giroux et Clément, il a informé le comité d’évaluation de ses préoccupations quant à leur partialité lors de la discussion informelle. Il a également voulu remettre au comité un portfolio comprenant une série de documents, notamment des évaluations de rendement, des certificats de reconnaissance et des lettres d’appréciation reçus au cours de sa carrière pour réfuter les références fournies par Mmes Giroux et Clément.

[130]       Le demandeur soutient qu’en ne retenant pas ses allégations et en refusant de considérer les documents contenus dans son portfolio, le comité d’évaluation a commis plusieurs erreurs, et plus particulièrement :

         Il a entravé son pouvoir discrétionnaire, il a manqué d’ouverture d’esprit et de diligence en se cachant derrière sa volonté de traiter tous les candidats de manière uniforme;

         Il n’a pas tenu compte du Code des valeurs et de l’éthique qui met l’emphase sur le respect de la personne et de la démocratie, ni des valeurs de la fonction publique;

         Il a manqué d’impartialité et d’ouverture d’esprit parce qu’il n’a jamais contemplé la possibilité que ses allégations de partialité à l’égard de Mmes Giroux et Clément puissent être véridiques.

[131]       Le Tribunal a rejeté les arguments du demandeur et estimé que le comité d’évaluation pouvait raisonnablement conclure, lors de la discussion informelle, que les allégations de partialité de Mmes Giroux et Clément avancées par le demandeur n’étaient pas convaincantes et qu’il n’était pas nécessaire de les scruter plus à fond.

[132]       Le Tribunal a également conclu que rien n’obligeait le comité d’évaluation à remplacer les références de Mmes Giroux et Clément par le portfolio du demandeur. Le Tribunal a noté que l’article 36 de la LEFP accorde aux gestionnaires une grande marge de manœuvre dans le choix des méthodes d’évaluation, et que le demandeur n’avait pas démontré au comité d’évaluation que Mmes Giroux et Clément n’étaient pas impartiales à son endroit. Le Tribunal a également indiqué que s’il avait accepté de considérer le portfolio du demandeur, le comité d’évaluation aurait commis une grave injustice envers les autres candidats.

[133]       Les conclusions du Tribunal me paraissent raisonnables. Le comité d’évaluation avait la responsabilité de s’assurer que les références fournies étaient fiables et rien ne permet de conclure qu’il a manqué de diligence, d’ouverture ou de neutralité dans son appréciation des références. Plutôt que de se limiter aux références défavorables fournies par Mme Giroux, le comité d’évaluation a fait preuve de diligence en poursuivant sa cueillette de renseignements en demandant des références à Mme Kobrynsky. Il a à nouveau fait preuve de diligence lorsqu’il a décidé de recueillir les observations d’une gestionnaire de niveau supérieur parce que les références fournies par Mmes Giroux et Clément étaient contradictoires.

[134]       De plus, le comité d’évaluation avait choisi les outils qu’il utiliserait pour évaluer chacune des qualifications personnelles essentielles des candidats, soit une entrevue et la vérification de références, et il n’avait pas l’obligation de substituer les documents contenus au portfolio du demandeur aux références fournies par les répondantes. Il était logique que le comité d’évaluation ait voulu assurer une cohérence en se limitant à utiliser les mêmes outils pour évaluer tous les candidats. De plus, et tel que je l’ai déjà indiqué, le fait que le demandeur ait offert un bon rendement dans son poste d’agent d’immigration et de citoyenneté ne prouve pas que son rendement était tout aussi satisfaisant dans le poste d’agent d’ERAR.

[135]       Enfin, la preuve documentaire et le résumé de la preuve testimoniale rapportée par le Tribunal ne permettent pas raisonnablement d’étayer une conclusion de partialité, de manque de diligence, de parti pris ou de manque d’ouverture d’esprit de la part du comité d’évaluation. Les allégations du demandeur ne sont pas appuyées par la preuve.

(7)               Omission de tenir compte d’une preuve pertinente et déterminante

[136]       Ce reproche s’adresse directement au Tribunal. Le demandeur soutient que le Tribunal a erré en ne considérant pas la preuve qui démontrait que le comité d’évaluation avait omis de s’assurer de la franchise et de la fiabilité des références fournies par Mmes Giroux et Clément. Cet argument ne peut être retenu. Il ressort de la décision du Tribunal qu’il a procédé à un examen rigoureux de la preuve et son appréciation l’a amené à conclure que le demandeur n’avait pas démontré que les références fournies par Mmes Giroux et Clément n’étaient pas fiables. Tel que je l’ai déjà indiqué, il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau la preuve et rien ne laisse croire que le Tribunal a omis de considérer des éléments de preuve pertinents ou que son appréciation de la preuve est déraisonnable.

(8)               Refus d’exercer sa compétence prévue par la loi

[137]       Le demandeur a présenté au Tribunal divers rapports qu’il avait rédigés en tant qu’agent d’ERAR ainsi que des courriels de Mme Giroux dans lesquels elle critiquait certains aspects de ces rapports. Le demandeur a également déposé l’affidavit de Me Jacques, commissaire au sein de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a déjà travaillé comme agent d’ERAR pendant plus de 4 ans. Dans son affidavit, Me Jacques a indiqué qu’il avait été le collègue du demandeur entre novembre 2010 et octobre 2011, et qu’à la demande de ce dernier, il avait examiné une dizaine de ses rapports de décisions. Me Jacques a indiqué qu’à son avis, les rapports de décisions du demandeur étaient excellents.

[138]       Le demandeur soumet que le Tribunal aurait dû considérer cette preuve qui démontrait que les références fournies par Mmes Giroux et Clément n’étaient pas impartiales et que l’évaluation qu’elles faisaient de son rendement était microscopique, périphérique et erronée.

[139]       Le Tribunal a d’abord noté que le comité d’évaluation n’avait pas ces documents en main lorsqu’il a évalué la candidature du demandeur. Il a ensuite souligné que son rôle n’était pas de réévaluer les qualifications du demandeur à la lumière de rapports de décisions déposés par le demandeur ni à la lumière de l’opinion d’un collègue du demandeur, mais bien de déterminer s’il y avait eu abus de pouvoir de la part du comité d’évaluation dans ce processus de nomination.

[140]       J’estime que le Tribunal a bien cadré son mandat qui était celui de déterminer s’il y avait eu abus de pouvoir dans ce processus de nomination. Ayant été satisfait qu’un tel abus n’avait pas été commis, le rôle du tribunal ne consistait pas à déterminer si le demandeur satisfaisait à chacune des qualifications personnelles en cause et il n’avait pas l’obligation de considérer des éléments de preuve qui n'avaient pas été considérés par le comité d’évaluation.

(9)               Analyse sélective des témoignages et de la preuve

[141]       Le demandeur soulève à nouveau son désaccord avec l’appréciation de la preuve faite par le Tribunal. Il reproche en outre au Tribunal d’avoir omis de traiter de plusieurs éléments de preuve qui étaient pertinents.

[142]       Tel que je l’ai déjà indiqué, le Tribunal n’a pas l’obligation de mentionner dans sa décision tous les éléments de preuve qui ont été soumis et tous les arguments invoqués par les parties. L’analyse de la décision et du dossier du demandeur ne permet pas de conclure que le Tribunal a omis de traiter des éléments de preuve qui étaient pertinents ou des principaux arguments soulevés par le demandeur.

(10)           Omission de tenir compte des arguments jurisprudentiels

[143]       Le demandeur reproche également au Tribunal de ne pas avoir mentionné la volumineuse jurisprudence qu’il a invoquée au soutien de ses arguments. Pour les motifs mentionnés au paragraphe précédent, je considère que cet argument n’est pas fondé. Il ressort de la décision que le Tribunal a bien saisi les arguments invoqués par le demandeur et qu’il les a traités en appliquant les bons paramètres juridiques. Il n’avait pas l’obligation de mentionner dans sa décision toutes les autorités soumises de part et d’autre par les parties. Il a mentionné les décisions qui étaient pertinentes aux fins de son analyse et des questions qu’il devait trancher.

(11)           Allégations de discrimination

[144]       Le demandeur a invoqué avoir été victime de discrimination en raison de sa race, de sa couleur et de son origine ethnique, et ce, tant en vertu de la LCDP que de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte], et il soutient que le Tribunal a erré en omettant de traiter de la preuve de discrimination, en omettant de suivre la démarche en trois étapes de l’arrêt Abi-Mansour et en omettant de procéder à une analyse distincte sous la Charte.

[145]       Traitant d’abord des allégations en vertu de la LCDP, le Tribunal a noté que selon l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ontario (Commission des droits de la personne) c Simpsons-Sears Ltd, [1985] 2 RCS 536, 23 DLR (4th) 321, il incombait au demandeur d’établir une preuve prima facie de discrimination et que pour trancher la question, le Tribunal devait déterminer si, en lui donnant foi, la preuve soumise par le demandeur était assez complète et suffisante pour justifier une conclusion de discrimination, en l’absence d’explication de la part de l’ASFC. Le Tribunal a jugé que la preuve soumise par le demandeur était insuffisante pour satisfaire au fardeau de la preuve à première vue.

[146]       Le Tribunal a traité des arguments soulevés par le demandeur et ses conclusions sont étayées et appuyées par la preuve. Il a d’abord noté que le demandeur soutenait que le comité d’évaluation n’aurait pas dû accepter les références de Mmes Giroux et Clément parce que ces dernières avaient fait preuve de discrimination à son endroit lorsqu’il était agent d’ERAR. De façon spécifique, le demandeur a indiqué que la nomination intérimaire du demandeur au poste d’agent d’ERAR avait été renouvelée pour une période de six mois, alors que celle de ses collègues avait été renouvelée pour une période d’un an. Comme deuxième élément, le demandeur invoquait qu’il avait été le seul employé de la division d’ERAR dont les décisions étaient révisées par Mme Giroux.

[147]       Le Tribunal a indiqué que le seul fait que le demandeur croit que des événements sont dus à des motifs illicites de discrimination ne suffit pas à établir une preuve prima facie de discrimination. Au contraire, il s’agit d’une preuve si minimale qu’elle n’a aucun effet juridique. Le Tribunal a indiqué que le demandeur devait démontrer que la distinction fondée sur un facteur illicite (sa race, sa couleur ou son origine ethnique) était un facteur dans la conduite qu’il reproche, en l’occurrence les références défavorables fournies par Mmes Giroux et Clément.

[148]       Le Tribunal a fait mention de plusieurs documents déposés par le demandeur, dont un tableau faisant état de la représentation des minorités visibles dans la région du Québec de l’ASFC. Le Tribunal a jugé que cette preuve était insuffisante pour permettre de conclure que l’ASFC a utilisé des pratiques discriminatoires à l’égard de membres des groupes de minorités visibles qui ont posé leur candidature dans le processus de nomination en cause. Le Tribunal a ajouté que même s’il y avait une preuve statistique de sous-représentation des minorités visibles dans les postes d’agents d’audience de l’ASFC au Québec, il ne s’en suivait pas automatiquement que cette sous-représentation découlait de discrimination systémique.

[149]       À titre subsidiaire, le Tribunal a estimé que l’ASFC avait fourni une explication raisonnable et dénuée de toute considération discriminatoire, pour expliquer sa décision de ne pas nommer le demandeur à l’issue du processus de nomination.

[150]       Le Tribunal a aussi retenu le témoignage de Mme Clément qui a reconnu que la nomination intérimaire du demandeur avait été renouvelée pour une période de six mois, alors que celle des quatre autres employés avait été renouvelée pour une période d’un an, et ce, en raison des faiblesses dans le rendement du demandeur. Le Tribunal a noté que les faiblesses dans le rendement du demandeur avaient été mises en preuve et qu’elles ressortaient même des documents déposés en preuve par le demandeur lui-même.

[151]       Le Tribunal a également retenu l’explication de Mme Clément quant aux raisons pour lesquelles elle avait décidé que Mme Giroux vérifierait les décisions du demandeur. Elle a expliqué que les rapports de décisions des agents d’ERAR étaient souvent révisés par des « coachs » pour en assurer le contrôle de la qualité et que vers la fin de sa nomination intérimaire, le demandeur lui avait demandé la permission de travailler sans coach. Mme Clément a indiqué avoir accepté cette demande à la condition que Mme Giroux vérifie ses décisions parce qu’il n’avait pas établi qu’il pouvait travailler sans supervision.

[152]       Le Tribunal a ensuite traité de l’allégation du demandeur selon laquelle le comité d’évaluation avait fait preuve de discrimination à son endroit parce qu’il a été le seul employé de la division d’ERAR qui avait été éliminé du processus à cause de références défavorables.

[153]       À cet égard, le Tribunal a retenu le témoignage de Mme Raymond suivant lequel le demandeur ne pouvait faire cette affirmation puisqu’il n’avait pas eu accès aux références des autres candidats et qu’il n’avait pas déclaré lors de son témoignage qu’il avait consulté les références des autres candidats.

[154]       Le Tribunal a donc conclu qu’aucun motif illicite de discrimination n’avait joué quelque rôle que ce soit dans la décision du comité d’évaluation d’écarter la candidature du demandeur.

[155]       Le Tribunal a ensuite traité de l’allégation de discrimination du demandeur dans le contexte de l’article 15 de la Charte. Reconnaissant que la façon de déterminer s’il y a eu de la discrimination est différente entre les deux textes de loi, le Tribunal a noté que les deux textes impliquent un traitement différent à cause d’un motif illicite de discrimination. Le Tribunal a indiqué que puisqu’il avait déjà conclu dans le cadre de son analyse sous la LCDP que la race, la couleur ou l’origine ethnique du demandeur n’avaient pas été des facteurs qui avaient influencé la décision de ne pas le nommer au poste d’agent d’audience, il concluait, pour les mêmes raisons, que le demandeur n’avait pas établi que l’ASFC avait enfreint le paragraphe 15(1) de la Charte.

[156]       Je considère que l’examen que le Tribunal a fait des allégations de discrimination du demandeur ne justifie aucunement l’intervention de la Cour, et ce, qu’elles soient envisagées dans le cadre d’un examen selon la norme de contrôle de la décision correcte ou de la décision raisonnable. En effet, le Tribunal a appliqué le critère approprié en exigeant une preuve prima facie de discrimination, et, ayant conclu à une absence d’une preuve minimale de discrimination, il n’avait pas à poursuivre une analyse plus poussée et distincte des facteurs énoncés dans Abi-Mansour ou dans l’arrêt Law c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 RCS 497, 170 DLR (4th) 1.

[157]       D’autre part, le dossier ne permet pas de conclure que le demandeur a établi une preuve prima facie de discrimination et la preuve statistique sur laquelle se fondait le demandeur est nettement insuffisante pour tirer quelque inférence que ce soit relativement à une allégation de discrimination systémique. Enfin, rien dans la preuve ne contient quelque indice que ce soit que des considérations illicites ont influencé les références fournies par Mmes Giroux et Clément ou encore l’appréciation que le comité d’évaluation a fait des qualifications du demandeur et des références fournies par les trois répondantes. Je considère donc que les allégations de discrimination du demandeur sont dénuées de tout fondement.

[158]       Je conclus donc que la décision du Tribunal possède tous les attributs de la raisonnabilité et que les désaccords soulevés par le demandeur sont nettement insuffisants pour justifier l’intervention de la Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse.

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1582-13

 

INTITULÉ :

GANDHI JEAN PIERRE c L'AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 décembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Gandhi Jean Pierre

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Léa Bou Karam

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gandhi Jean Pierre

Laval (Québec)

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

 

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