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Date : 20150410


Dossier : T‑1151‑14

Référence : 2015 CF 446

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 10 avril 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

LYNN CHMELNITSKY MOORS

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 15 avril 2014 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne [la CCDP], sur examen du rapport d’un enquêteur et en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 [la LCDP], a rejeté la plainte en discrimination sur les fondements du sexe et de la situation de famille déposée par la demanderesse contre l’Agence du revenu du Canada [l’ARC].

[2]               La demanderesse, Mme Moors, est une institutrice de Brampton (Ontario) et une participante au Régime de retraite des enseignantes et enseignants de l’Ontario [le RREO]. Elle est partie en congé de maternité en novembre 1998 après la naissance de son premier enfant. Elle a eu deux autres enfants, respectivement en décembre 2000 et novembre 2002, puis elle a repris l’enseignement en septembre 2006. C’est à ce moment qu’elle a essayé de racheter des droits à pension correspondant au temps passé en congé de maternité. L’ARC a alors avisé Mme Moors que, étant donnée sa situation, elle lui appliquerait un facteur d’équivalence pour services passés [FESP], dont les conséquences, soutient la demanderesse, ont entravé de manière discriminatoire sa capacité à épargner en vue de la retraite. J’examinerai les prétentions de la demanderesse concernant le traitement discriminatoire qu’elle aurait subi du fait du FESP après avoir donné un aperçu de la structure de pension ici en cause.

II.                Le contexte : structure financière des REER et des RPA

[3]               Les régimes enregistrés d’épargne-retraite [les REER] et les régimes de pension agréés [les RPA] sont des instruments de placement conçus pour inciter les Canadiens à épargner en vue de la retraite en permettant le report de l’impôt sur le revenu gagné dans leur cadre. Les REER sont des régimes d’épargne qu’établissent les personnes physiques qui en bénéficieront, tandis que les RPA sont issus d’accords par lesquels l’employeur ou le syndicat s’engage à verser des sommes périodiques aux salariés après leur départ à la retraite. Les Canadiens sont autorisés à participer à des régimes de ces deux types simultanément; cependant, le total des cotisations versées à de tels plans ne peut dépasser 18 % du revenu annuel gagné par le participant, jusqu’à hauteur d’un montant déterminé.

[4]               On appelle facteur d’équivalence [FE] la valeur des prestations acquises dans un RPA au cours d’une année. Le FE réduit le maximum déductible au titre du REER pour l’année suivante. Les prestations de pension liées à l’accomplissement de tâches contractuelles pour l’employeur, accumulées au titre des services rendus au cours de l’exercice, sont dites prestations « pour services courants ». Elles s’opposent aux prestations de pension « pour services passés », que l’employé acquiert rétroactivement, au titre de services rendus avant l’année ou les années de leur acquisition.

[5]               Lorsque le participant cotise à son régime au titre de prestations de pension pour services passés, son employeur est tenu de déclarer un FESP, lequel doit faire l’objet d’une attestation de l’ARC. Le FESP est au maximum égal au total des FE que l’employé aurait accumulés au titre des services courants. Le participant a tout intérêt à verser à son régime de retraite des cotisations correspondant au temps passé en congé, c’est‑à‑dire à « racheter des prestations de pension », car il peut ainsi augmenter le montant qu’il recevra à la retraite de son RPA à prestations déterminées. Pour dire les choses plus simplement, plus longue sera la durée de service ouvrant droit à pension qu’il aura accumulée au moment de sa retraite, plus généreuses seront les prestations qu’il touchera. L’achat de prestations pour services passés permet au participant d’accroître rétroactivement sa durée de service ouvrant droit à pension.

[6]               Il faut cependant souligner que l’attestation du FESP est subordonnée à la condition que le participant puisse faire état de déductions inutilisées au titre de son REER. L’attestation a pour objet d’éviter la double comptabilisation des prestations de retraite, de sorte que le participant ne se voie pas accorder un avantage par rapport aux prestations qu’il aurait acquises au moyen de cotisations pour services courants. Autrement dit, l’ARC veut éviter la situation où l’employé verserait le maximum des cotisations permises à son REER et, par l’achat de prestations pour services antérieurs, verserait aussi, encore que rétroactivement, l’équivalent à son RPA. Dans un tel cas, l’employé aurait cotisé à hauteur de 36 % de son revenu annuel, soit le double des 18 % autorisés, à ces deux instruments d’épargne-retraite, ce qui constituerait un cumul illégitime de cotisations de pension.

[7]               Donc, le montant des déductions inutilisées au titre du REER doit être égal ou supérieur au FESP pour que celui‑ci fasse l’objet d’une attestation. Le participant qui ne dispose pas d’une marge suffisante de déductions inutilisées au titre de son REER doit en retirer les fonds nécessaires pour la créer. Or ce retrait du REER peut entraîner pour lui des incidences fiscales à la fois immédiates et défavorables.

[8]               L’employé qui prend un congé, par exemple un congé parental, de maternité ou d’invalidité, ne reçoit pas de rémunération de l’employeur pendant ce congé, de sorte qu’il se trouve alors incapable d’acquérir des prestations au titre des services courants dans son RPA. Afin de lui éviter les conséquences défavorables qu’entraînerait l’impossibilité d’acquérir des prestations au titre des services courants durant son congé, la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) [la LIR], permet l’attribution à cet employé d’une rémunération théorique applicable à cette période. Cette rémunération, dite « rétribution visée », est en général égale à celle qu’il aurait reçue pendant la durée de son congé s’il ne l’avait pas pris. Grâce à la rétribution visée, le participant peut continuer à acquérir des prestations au titre des services courants jusqu’à son retour au travail.

[9]               La LIR ne fait pas obligation à l’employeur d’offrir à ses employés la possibilité d’accumuler des prestations de pension pour services courants durant leurs congés, pas plus qu’elle ne prévoit à qui incombent les cotisations pendant ces périodes. Ces points doivent être négociés entre l’employeur et l’employé.

[10]           L’employé en congé peut acheter les prestations pour services courants simultanément à leur accumulation. La LIR permet aussi à l’employé d’acheter les prestations pour services courants après son retour au travail. S’il choisit cette dernière possibilité, il doit l’exercer avant le 30 avril de l’année suivant l’année civile où son congé a pris fin.

[11]           Si le participant exerce cette option dans le délai prescrit, son achat sera considéré comme s’il avait été fait simultanément à l’acquisition des prestations, et on lui attribuera en conséquence un FE. L’exercice de l’option avant le 30 avril n’oblige pas nécessairement le participant à verser une somme forfaitaire au titre de la période de congé : ce sont les conditions du RPA, et non les dispositions de la LIR, qui décident le point de savoir si les cotisations correspondant à ces prestations feront l’objet d’un paiement forfaitaire ou échelonné. Autrement dit, c’est à l’employeur qu’il appartient d’établir la durée pendant laquelle les cotisations afférentes à la rétribution visée peuvent rester en attente de versement.

[12]           Le participant qui décide de ne pas exercer l’option dans le délai prescrit devra acheter les prestations de pension au titre des services passés et, comme nous l’avons vu plus haut, faire attester à cette fin un FESP par l’ARC.

III.             Rappel des faits de la présente espèce

[13]           Lorsqu’on a autorisé le congé de maternité de Mme Moors, on lui a donné le choix entre trois formules :

a)                  Cotiser au régime durant son congé, auquel cas ses FE seraient déclarés.

b)                 Opter, une fois de retour au travail, de cotiser au régime au plus tard le 30 avril de l’année suivant son retour, auquel cas ses FE seraient aussi déclarés.

c)                  Ne pas cotiser au régime durant son congé ni opter d’y cotiser au plus tard le 30 avril de l’année suivant son retour au travail, mais racheter ses droits à pension, auquel cas il lui faudrait faire attester un FESP par l’ARC, cette attestation étant subordonnée à la condition que ses déductions inutilisées au titre de son REER dépassent le FESP de plus d’un montant déterminé (qui est actuellement de 8 000 $).

[14]           De novembre 1998 à août 1999, la demanderesse a cotisé mensuellement à son régime (formule A). Mais à partir de 1999 jusqu’à la fin de son congé de maternité, elle n’a plus eu les moyens de verser ses cotisations mensuelles.

[15]           La demanderesse a repris son travail d’institutrice en septembre 2006. Elle n’a pas exercé avant le 30 avril 2007 sa faculté de rachat des droits à pension accumulés au cours de son congé, croyant qu’elle disposait pour ce faire de cinq ans à compter de son retour au travail. Lorsqu’elle a plus tard essayé de racheter les droits à pension correspondant à la période de septembre 1999 à août 2006, l’ARC l’a avisée, le 3 février 2011, qu’il lui fallait opérer un retrait admissible de son REER pour obtenir l’attestation d’un FESP et effectuer le rachat souhaité.

[16]           La demanderesse fait valoir que, même après avoir retiré des fonds de son REER, elle s’est trouvée empêchée de racheter les droits à pension correspondant à la totalité de son congé de maternité parce qu’elle ne disposait pas de suffisamment de déductions inutilisées au titre de ce REER.

[17]           Mme Moors soutient que les dispositions de la LIR qui subordonnent au plafond de cotisations au REER l’admissibilité au bénéfice du rachat des droits à pension sont discriminatoires, sur les fondements du sexe et de la situation de famille. Comme seules les femmes prennent des congés de maternité, raisonne‑t‑elle, le fait que la LIR ne prévoit pas dans le cas des REER la possibilité de cotisations fondées sur un revenu théorique fixé par le fisc (c’est‑à‑dire une « rétribution visée »), ainsi qu’elle la prévoit pour les RPA, a un effet discriminatoire sur les femmes, dont il entrave la capacité à épargner en vue de leur retraite. La demanderesse a étendu, à l’audience devant la Cour, le champ d’application de ce moyen aux hommes qui prennent un congé parental pour s’occuper de leurs enfants.

[18]           Mme Moors a déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne en septembre 2011. Un enquêteur a été désigné et il a rendu son rapport le 27 janvier 2014. La CCDP, adoptant les conclusions de l’enquêteur, a rejeté la plainte le 15 avril 2014. Elle a statué que, s’il était vrai que les dispositions de la LIR relatives aux FESP défavorisaient la plaignante, ces [traduction] « effets défavorables n’avaient pas de rapport avec les facteurs relatifs au sexe et/ou à la situation de famille de la plaignante » (voir le dossier de la demanderesse [DD], à la page 153).

IV.             La norme de contrôle

[19]           Comme l’expliquait récemment le juge Webb dans l’arrêt Attaran c Canada (Procureur général), 2015 CAF 37 [Attaran], les conclusions de fait formulées dans une décision de la CCDP portant refus de renvoyer une plainte au Tribunal canadien des droits de la personne sont contrôlables selon la norme de la raisonnabilité (Attaran, au paragraphe 14). Si ces conclusions de fait sont raisonnables, la cour de révision doit ensuite se demander si le rejet de la plainte prononcé par la CCDP est raisonnable, en tenant compte de ce que la nature définitive de cette décision limite la retenue judiciaire à y appliquer (Attaran, au paragraphe 14).

V.                Analyse

[20]           Le plaignant en matière de droits de la personne doit s’acquitter de la charge initiale d’établir à première vue l’existence de discrimination au sens de la LCDP. Une fois qu’il s’en est acquitté, c’est à la partie adverse qu’il incombe de justifier l’acte ou la conduite en cause. Pour établir à première vue l’existence de discrimination, la demanderesse doit démontrer i) qu’elle possède une caractéristique protégée par la LCDP contre la discrimination; ii) qu’elle a subi un effet préjudiciable relativement au service concerné; et iii) que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (Moore c Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au paragraphe 33). 

[21]           Une fois que le plaignant a établi l’existence de la discrimination à première vue, la partie adverse doit démontrer par une explication raisonnable que, malgré les apparences, l’acte en cause n’est pas réellement discriminatoire. Si une telle explication raisonnable est fournie, la charge pèse sur le plaignant d’établir que cette explication est un prétexte visant à justifier un acte qui est en fait discriminatoire (Attaran, au paragraphe 25). Si la partie adverse se trouve incapable de fournir une explication raisonnable du traitement apparemment discriminatoire, elle peut encore éviter de se voir imputer un acte discriminatoire en démontrant l’applicabilité à son cas de l’une des dérogations que prévoit la LCDP, par exemple l’existence d’un motif justifiable (Attaran, au paragraphe 24; Canada (Commission des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2014 CAF 131, au paragraphe 21).

[22]           Je souligne que bien que la CCDP ait rendu sa décision sans avoir pu bénéficier des explications données par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Attaran, celle-ci me paraît raisonnable. L’incapacité de la demanderesse à acheter des droits à pension n’était pas attribuable à une discrimination fondée sur son sexe ou sa situation de famille. En effet, on peut lire les passages suivants dans le rapport de l’enquêteur, dont la CCDP a adopté les conclusions :

[traduction]

La preuve n’étaye pas la thèse selon laquelle les règles de la LIR relatives aux FESP auraient défavorisé la plaignante sur les fondements du sexe et/ou de la situation de famille. Quiconque a besoin d’un FESP doit subir ces conséquences fiscales.

(DD, à la page 152.)

La preuve indique aussi que les règles de la LIR relatives aux FESP ont défavorisé la plaignante. Cependant, ces effets défavorables n’avaient aucun rapport avec les facteurs liés au sexe et/ou à la situation de famille de la plaignante.

(DD, à la page 153.)

[23]           À mon sens, ces passages montrent que la CCDP a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à établir à première vue l’existence d’une discrimination. Autrement dit, son sexe et sa situation de famille n’étaient pas des facteurs qui ont contribué aux difficultés qu’elle a subies dans la planification de sa retraite.

[24]           L’alinéa 5b) de la LCDP dispose que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait pour le fournisseur de services de défavoriser un individu à l’occasion de leur fourniture. Défavoriser le plaignant consiste à le traiter différemment en établissant une distinction formelle entre lui et d’autres, ou à omettre de tenir compte de la situation défavorisée qui est déjà la sienne dans la société canadienne (Québec (Procureur général) c A, 2013 CSC 5, au paragraphe 151). Dans la présente espèce, le service fourni par l’ARC est l’attestation d’un FESP pour un participant à un RPA qui souhaite acheter des droits à pension après un congé autorisé.

[25]           J’éprouve de la compassion pour la demanderesse en ce qui concerne l’incapacité où elle s’est trouvée de compléter l’achat des droits à pension accumulés durant son congé de maternité autorisé, mais il me faut attribuer cette incapacité à l’exercice incomplet de sa faculté d’acheter ces droits dans le délai prescrit. Si elle avait exercé sa faculté d’acheter les droits en question avant le 30 avril 2007, il n’aurait pas été nécessaire que l’ARC attestât un FESP, et l’insuffisance des déductions inutilisées au titre du REER n’aurait pas empêché le versement de cotisations. Par conséquent, la cause des difficultés de la demanderesse est attribuable à un regrettable incident afférent à sa propre planification de retraite pour ce qui concerne son RPA, plutôt qu’à un effet discriminatoire de la LIR. En fait, après l’époque visée en l’espèce, on a modifié le RREO de manière à offrir des délais de cotisation plus souples que ce n’était le cas lorsque la demanderesse a pris son congé de maternité.

[26]           En résumé, les choses auraient pu se passer autrement pour la demanderesse si elle avait pris son congé après la mise en œuvre de la modification susdite du RREO, mais les règles en vigueur au moment où elle a pris ce congé ont eu un effet défavorable sur la réalisation de son objectif. Je ne puis conclure que cette issue défavorable pour elle soit attribuable à une discrimination au sens légal, dont il soit possible d’obtenir réparation par la présente demande de contrôle judiciaire.

[27]           Comme l’enquêteur l’a souligné, la demanderesse explique qu’elle ait laissé passer la date limite du 30 avril 2007 sans exercer sa faculté de rachat par le fait qu’elle ne disposait pas de fonds suffisants pour acheter les droits au moyen d’une cotisation forfaitaire. Or cette situation ne relevait pas de la LIR, mais du RPA de la demanderesse. En effet, ce RPA obligeait en l’espèce ses participants à cotiser au plus tard à une date déterminée (le 30 avril 2007 dans le cas de la demanderesse) pour que le rachat fût validé au titre de services courants théoriques, alors que la LIR, elle, ne précise pas le moment où doivent être versées les cotisations liées à l’exercice de l’option de rachat, mais dispose seulement que cette option doit être exercée.

[28]           La demanderesse soutient que la date limite fixée pour le rachat par le paragraphe 8308(4) du Règlement de l’impôt sur le revenu [le RIR], soit le 30 avril de l’année suivant la fin du congé, est arbitraire et discriminatoire. Or je pense comme les défendeurs que ce n’est pas cette date limite qui a empêché la demanderesse d’acheter ses droits à pension, mais plutôt son incapacité à verser une cotisation forfaitaire à son plan avant ladite date limite. En d’autres termes, il aurait été loisible au RREO de prendre acte de l’option de la demanderesse et de lui permettre d’échelonner ses cotisations : les restrictions qui l’en ont empêchée sont attribuables aux conditions de ce régime, et non aux dispositions de la LIR ou du RIR. Comme je le disais plus haut, le RREO a depuis révisé ses règles et n’exige plus le versement du montant complet des cotisations avant la date limite; il ne demande maintenant qu’une déclaration de l’intention d’acheter les droits à pension, sans égard pour le moment où les cotisations nécessaires seront versées (la Cour reste cependant consciente que tel n’était pas le cas pour le régime de retraite de la demanderesse à l’époque où elle a subi les difficultés en question).

[29]           Concernant la date limite, la demanderesse soutient que [TRADUCTION] « la fixation de cette date n’a pas de rapport logique avec les facteurs pertinents et est en soi discriminatoire à l’égard d’une femme qui a pris un congé de maternité » (DD, page 213, au paragraphe 48).

[30]           Il se déduit de la nécessité pratique que la simple fixation d’une date limite d’application générale ne peut être en soi discriminatoire. Les dates limites que fixent la LIR et le RIR sont essentielles à l’efficacité administrative (1057513 Ontario Inc c La Reine, 2014 CCI 272, aux paragraphes 29 et 30). Aucun élément du dossier ne tend à établir que la fixation d’une date limite ait eu un effet discriminatoire sur des participants ayant pris des congés familiaux ou d’invalidité. Par conséquent, le paragraphe 8308(4) de la LIR n’exerce pas de discrimination à l’égard des femmes enceintes ou des mères dont les congés de maternité entrent dans son champ d’application.

[31]           Je me trouve ainsi amené à examiner le point capital de la thèse de la demanderesse, à savoir que la LIR serait en fait discriminatoire, au motif que les REER ne prévoient pas de mécanisme de rétribution visée comme les RPA.

[32]           Je ferai d’abord remarquer que le REER n’était pas en l’espèce le seul moyen dont disposait la demanderesse pour épargner en vue de sa retraite. Elle aurait pu, par exemple, cotiser à son RPA sans la nécessité de l’attribution d’un FESP au titre de services courants théoriques, soit en y versant des montants mensuels pendant son congé, soit en exerçant l’option d’acheter les droits à pension dans le délai prescrit. De ce fait, sa situation diffère de celle de la personne ayant pris un congé dont un REER serait le seul instrument de placement en vue de la retraite.

[33]           En outre, cet effet supposé discriminatoire de la LIR que la demanderesse avance comme moyen dans la présente demande de contrôle judiciaire ne constituait pas le fondement de la plainte qu’elle a déposée devant la CCDP. Dans cette plainte, en date du 6 septembre 2011, elle déclarait ce qui suit :

[traduction]

J’estime avoir fait l’objet d’une discrimination fondée sur mon sexe. Je pense que, du fait d’être partie en congé de maternité/parental, j’ai subi un désavantage pécuniaire et me suis trouvée incapable de remplir les critères des formules 1 et 2 [c’est‑à‑dire l’acquisition de prestations au titre des services courants et le rachat dans le délai prescrit], et que je resterai défavorisée au cours de mes années de service ouvrant droit à pension jusqu’à ma mort en raison des règles relatives aux FESP.[Le soulignage et le passage entre crochets sont de moi.]

(DD, page 56, au paragraphe 6.)

[34]           En conséquence, l’enquêteur a consacré son rapport à l’examen du point de savoir si les règles relatives aux FESP ont un effet discriminatoire sur la demanderesse. Or la compétence de la Cour se limite à l’appréciation de l’analyse effectuée par l’enquêteur en fonction du contenu de la plainte. L’examen de questions accessoires ou connexes, si bien fondées qu’elles soient, outrepasserait le rôle assigné à la Cour agissant en tant qu’instance de contrôle judiciaire (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 55).

[35]           Si la demanderesse veut dire que la LIR et les règles régissant les FESP dans le cadre des RPA ont un effet discriminatoire disproportionné sur les femmes au motif que seules celles‑ci prennent des congés de maternité, je ne pense pas que ce soit là une manière appropriée de formuler la question. Les règles relatives aux FESP s’appliquent à toutes sortes de personnes, y compris à celles (de l’un ou l’autre sexe) qui prennent un congé familial ou un congé d’invalidité, et ne sont d’application que lorsque l’option de rachat n’a pas été exercée dans le délai prescrit. Le dispositif des FESP est le régime applicable par défaut au rachat de droits à pension au titre de services passés, sous réserve des dispositions de la LIR et du RIR qui permettent le rachat au titre de services courants théoriques. La LIR prend acte de l’importance particulière des congés de maternité et de paternité pour ce qui concerne les RPA en permettant aux participants d’acquérir des prestations de pension sur la base d’un salaire équivalent temps plein pendant une durée de congé admissible allant jusqu’à huit années, soit trois années de plus que dans le cas des autres sortes de congés. Les dispositions régissant les RPA sont donc plus favorables, et non moins, aux femmes en congé de maternité qu’aux participants qui prennent congé pour d’autres motifs.

[36]           Les défendeurs attirent l’attention de la Cour sur le paragraphe 9 de l’arrêt Sollbach c Canada, [1999] ACF no 1912 [Sollbach], où la Cour d’appel fédérale a conclu que les femmes enceintes demandant des prestations d’emploi n’étaient pas victimes de discrimination, au motif que la disposition limitant les prestations de cette nature était appliquée de manière neutre. Le juge McDonald formulait cette conclusion comme suit au nom de la Cour d’appel :

[9]        Nous concluons que la demanderesse n’a pas démontré que la législation en cause crée une discrimination à l’égard du groupe des femmes enceintes. Les femmes enceintes sont traitées exactement de la même façon que les hommes et les femmes en congé parental, et que les hommes et les femmes qui son atteints d’une incapacité. Tous sont soumis à la limite de 30 semaines de prestations.

(voir aussi Miller c Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, aux paragraphes 5 et 23).

[37]           Même si la jurisprudence canadienne des droits de la personne a évolué pendant les deux décennies qui nous séparent de l’arrêt Sollbach de la Cour d’appel fédérale, cet arrêt reste contraignant, et il confirme la conclusion de l’enquêteur selon laquelle il n’y a eu en l’espèce aucune discrimination réelle ou effective.

VI.             Dispositif

[38]           La décision de la CCDP, selon laquelle l’incapacité de la demanderesse à acheter des droits à pension n’était pas attribuable à une discrimination fondée sur son sexe ou sa situation de famille, était à mon sens raisonnable. Je conclus dans ce sens malgré les très habiles conclusions orales et écrites de la demanderesse, et les efforts consciencieux qu’elle a déployés pour me convaincre du contraire.

[39]           En conséquence, la présente demande est rejetée. Il ne sera pas adjugé de dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et n’adjuge aucuns dépens.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T‑1151‑14

 

INTITULÉ :

LYNN CHMELNITSKY MOORS c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL, L’AGENCE DU REVENU DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 NOVEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 10 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

Lynn Chmelnitsky Moors

LA DEMANDERESSE

Victoria Yankou

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sans objet

pouR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

pour les défendeurS

 

 

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