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Date : 20150309


Dossier : IMM-6162-14

Référence : 2015 CF 294

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2015

En présence de madame la juge Bédard

ENTRE :

MIRNA MAJDALANI et

TRACY HAWCHAR

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR] en vue de contester une décision (la décision relative aux considérations d’ordre humanitaire) par laquelle une agente principale d’immigration (l’agente) a rejeté la demande que les demanderesses avaient présentée en vue d’être dispensées, pour des considérations d’ordre humanitaire, en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, de l’obligation de présenter leur demande de visa de résidentes permanentes depuis l’extérieur du Canada (la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire). Bien que je reconnaisse la situation regrettable des demanderesses et l’habile plaidoyer de leur avocat, j’estime que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée et je conclus que la demande doit être rejetée.

I.                   Le contexte

[2]               Les demanderesses Mirna Majdalani (la demanderesse) et Tracy Hawchar, sa fille maintenant adulte, sont des citoyennes libanaises.

[3]               La demanderesse est arrivée à Montréal le 1er décembre 2006 en compagnie de ses deux filles, Natacha et Tracy. À l’époque, Natacha était âgée de 16 ans et Tracy, de 11 ans. La demanderesse a demandé l’asile en alléguant qu’elle craignait d’être persécutée au Liban en raison de sa foi chrétienne et du climat de violence qui régnait dans la région. Au cours du processus de demande d’asile, la fille aînée de la demanderesse, Natacha, est retournée au Liban. La demande d’asile de la demanderesse a été rejetée le 31 décembre 2009 et une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour le 22 avril 2010.

[4]               En 2009, la demanderesse a épousé un citoyen canadien et elle a vécu en Ontario avec Tracy de 2009 à 2012. En 2010, elle a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des époux et des conjoints de fait, mais son conjoint a retiré son parrainage en 2011 par suite d’une détérioration de leur relation qui s’est soldée par un divorce qui a été prononcé en 2013.

[5]               Les demanderesses sont retournées en mars 2012 s’installer à Montréal, où elles vivent depuis.

[6]               Le 23 mars 2012, la demanderesse a déposé une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et, le 25 octobre 2012, elle a présenté une demande d'examen des risques avant le renvoi (la demande d’ERAR).

[7]               Les motifs invoqués au soutien de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire sont l’établissement des demanderesses au Canada, et notamment le fait que la demanderesse s'occupe de sa mère, Mme Gedeon, qui est une citoyenne canadienne, l'intérêt supérieur de Tracy et les risques auxquels la demanderesse serait exposée au Liban en tant que chrétienne et que femme seule. À l’appui de sa demande, la demanderesse a déposé des éléments de preuve documentaire, y compris son propre affidavit, une lettre signée par Tracy, une lettre signée par Mme Gedeon, un billet médical signé le 9 mars 2012 par le médecin de Mme Gedeon, le DJuan‑Francisco Asenjo, ainsi que des éléments de preuve documentaire concernant la situation générale au Liban.

[8]               La demande d’ERAR et la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ont toutes les deux été rejetées le 30 avril 2014. Les demanderesses sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue en réponse à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[9]               Le 6 août 2014, les demanderesses ont été avisées que leur renvoi au Liban était prévu pour le 8 septembre 2014. Le 18 août 2014, elles ont demandé un report administratif qui leur a été refusé le 22 août 2014 par un agent chargé d’appliquer la loi. Autant que je sache, les demanderesses n’ont pas déposé de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire pour contester la décision de l’agent chargé d’appliquer la loi.

[10]           Toutefois, le 26 août 2014, elles ont saisi la Cour d’une requête en vue de surseoir à leur renvoi en attendant qu’une décision soit rendue au sujet de la demande en l’espèce. Le 5 septembre 2014, le juge Shore a fait droit à leur requête en sursis de leur renvoi en attendant l’issue du présent contrôle judiciaire.

[11]           En ce qui concerne la question du préjudice irréparable, les demanderesses allèguent qu’elles seraient exposées à des risques en tant que chrétiennes libanaises compte tenu du contexte géopolitique actuel au Liban découlant des retombées des troubles en Syrie, des avancées des insurgés provenant des militants de l'État islamique en Syrie et au Levant (l'EISL) et des tensions croissantes entre les communautés religieuses. Elles ont déposé des preuves documentaires concernant l’escalade des affrontements sectaires et l’instabilité croissante découlant des tensions politiques en Syrie. Elles allèguent également que leur renvoi aurait des répercussions négatives sur la mère de la demanderesse en raison de la détérioration de son état de santé. À l’appui de cette allégation, les demanderesses ont déposé un billet médical du Dr Asenjo, daté du 18 août 2014, dans lequel ce dernier donne un compte rendu récent de l’état de santé de Mme Gedeon et fait état de son besoin d’aide.

[12]           Dans son ordonnance, le juge Shore a discuté de la question du préjudice irréparable et a constaté l’instabilité de la situation actuelle au Liban, sans toutefois se dire convaincu que les demanderesses seraient en danger au Liban. Il a toutefois reconnu la détérioration récente de l’état de santé de Mme Gedeon et il a par conséquent accordé le sursis demandé.

II.                La décision relative aux considérations d’ordre humanitaire faisant l’objet du présent contrôle

[13]           L’agente a examiné la situation professionnelle et financière de la demanderesse au Canada, la famille de la demanderesse au Canada, et plus particulièrement l'état de santé de sa mère, l’intérêt supérieur de Tracy et notamment l’allégation qu’elle ne recevrait pas une éducation appropriée au Liban, les problèmes de santé des demanderesses et les risques et les conditions défavorables au Liban. L’agente a examiné l’ensemble des arguments présentés par la demanderesse, ainsi que les nombreuses mises à jour fournies. Elle a conclu que les demanderesses n’avaient pas démontré qu’elles seraient exposées à des difficultés inusitées et injustifiées ou excessives au Liban et elle a estimé qu’il n’existait pas de motifs d’ordre humanitaire suffisants qui justifieraient de dispenser les demanderesses de leur obligation d’obtenir un visa de résidentes permanentes depuis l’extérieur du Canada.

III.             Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[14]           Les deux questions suivantes se posent en l’espèce :

1)      L’agente a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale en se fondant sur des renseignements trouvés sur le site Internet du gouvernement du Québec et sur celui du ministre de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur du Liban sans accorder aux demanderesses la possibilité de répondre à ces renseignements avant de rendre sa décision?

2)      L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve et de la situation des demanderesses?

[15]           La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502). À cet égard, je souscris à la démarche retenue par le juge Mosley lorsqu’il affirme qu’il ne s’agit pas tant de savoir si la décision était « correcte », mais plutôt de savoir si la procédure suivie par l’auteur de la décision était équitable (Hashi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 154, au paragraphe 14, [2014] ACF no 167; Makoundi c Canada (Procureur général), 2014 CF 1177, au paragraphe 35, [2014] ACF no 1333).

[16]           En ce qui concerne la seconde question, la décision de l’agente soulève des questions mixtes de fait et de droit et il est de jurisprudence constante que ces décisions sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18, [2009] ACF no 713 [Kisana]; Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113. aux paragraphes 81 à 84, [2014] ACF no 472 [Kanthasamy]; Nicolas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 903, au paragraphe 23, [2014] ACF no 924).

IV.             Question préliminaire – Éléments de preuve dont ne disposait pas l’agente

[17]           Les demanderesses ont soumis cinq documents qui n’avaient pas été soumis à l’agente. Ces documents entrent dans deux catégories : les documents postérieurs à la décision relative aux considérations d’ordre humanitaire et les documents soumis à l’appui des allégations concernant l’équité procédurale. Le défendeur s’oppose à leur admission en preuve.

[18]           Les documents postérieurs à la décision relative aux considérations d’ordre humanitaire ont également été présentés dans le cadre de la requête en sursis des demanderesses. Il s’agit des documents suivants :

  • Billet médical du Dr Asenjo en date du 18 août 2014 faisant le point sur l’état de santé de Mme Gedeon;
  • Lettre de l’employeur de la demanderesse (« My Furnished Apartment ») en date du 13 août 2014 confirmant que la demanderesse y avait travaillé de façon ininterrompue entre 2012 et 2014;
  • Paragraphe 47 du mémoire de la demanderesse : extrait d’un article de journal en date du 13 juillet 2014.

[19]           Les documents suivants ont été soumis à l’appui des allégations formulées par les demanderesses en ce qui concerne l’équité procédurale :

  • Une copie papier du site Internet du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur du Liban;
  • Un rapport du Protecteur du Citoyen intitulé Chez soi : Toujours le premier choix?

[20]           Il est de jurisprudence constante que les éléments de preuve dont ne disposait pas l’auteur de la décision ne sont pas admissibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire à moins de relever d’une des exceptions reconnues, par exemple lorsque les éléments de preuve permettent de connaître le contexte, qu'ils sont déposés à l’appui d’une allégation de manquement à l’équité procédurale de la part de l’auteur de la décision ou qu'ils sont présentés pour démontrer l’absence de preuve (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 19 et 20, [2012] ACF no 93 [AUCC]).

[21]           Les documents postérieurs à la décision de l’agente ne sont pas admissibles en preuve. Ils servent à compléter la preuve soumise à l’agente à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demanderesses et à faire ressortir la situation personnelle des demanderesses. Les demanderesses ne peuvent renforcer le dossier probatoire qui avait été soumis à l’agente pour étayer leur allégation que la décision de l’agente n’était pas raisonnable. Le caractère raisonnable de la décision de l’agente doit être évalué en fonction de la preuve dont elle disposait.

[22]           Les demanderesses affirment que, comme les documents en question avaient été portés à la connaissance du juge saisi de la requête en sursis et que l’ordonnance de sursis fait partie du dossier du défendeur, ils devraient maintenant être considérés comme étant régulièrement admissibles en preuve. Cet argument est mal fondé. La présente situation ne correspond à aucune des exceptions énumérées dans l’arrêt AUCC, précité. De plus, dans le cas d’une requête en sursis, les documents postérieurs à la décision contestée dans la demande principale peuvent être admissibles en preuve lorsque, par exemple, ils sont soumis pour appuyer l’allégation de préjudice irréparable. La mise à jour médicale de 2014 concernant l’état de santé de Mme Gedeon et les documents concernant la situation au Liban étaient pertinents en ce qui concerne l’allégation de préjudice irréparable de la demanderesse, ce qui ne rend pas ces éléments de preuve admissibles dans le cadre de la demande principale dans laquelle la Cour est chargée de déterminer si la décision de l’agente est raisonnable compte tenu de la preuve qui lui était soumise.

[23]           Les deux autres documents sont, comme je l’ai signalé au paragraphe 19, déposés à l’appui des arguments formulés par les demanderesses au sujet de l’équité procédurale. Les demanderesses les soumettent pour répondre à l’utilisation par l’agente de sources « extérieures » et pour réfuter les renseignements que l’agente a trouvés en consultant les deux sites Internet en question. Dans ces conditions, la Cour estime que ces documents entrent dans une des exceptions reconnues et qu’ils sont donc admissibles en preuve dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

V.                Analyse

A.                Principes généraux

[24]           La Cour doit tenir compte du contexte dans lequel une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est présentée lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision d’un agent. Il est de jurisprudence constante que le paragraphe 25(1) de la LIPR prévoit un recours exceptionnel et fortement discrétionnaire étant donné qu'en principe, les personnes qui souhaitent vivre au Canada à titre de résidents permanents doivent soumettre leur demande depuis l’extérieur du Canada et répondre à certaines conditions pour pouvoir obtenir un visa d’immigrant avant d'entrer au Canada. Le régime législatif applicable aux décisions fondées sur des considérations d’ordre humanitaire a été bien analysé par le juge Shore dans le jugement Bhalrhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 49, aux paragraphes 14-17, [2011] ACF no 68:

Les principes législatifs applicables

14        Selon l’article 25 de la LIPR, un étranger peut être dispensé des critères ou des obligations applicables de la LIPR si le ministre « estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ».

15        L’existence d’un examen des motifs CH offre une possibilité spéciale et supplémentaire particulière d’obtenir une dispense de l’application des lois canadiennes en matière d’immigration qui sont, par ailleurs, appliquées universellement. L’octroi d’une dispense en vertu de l’article 25 de la LIPR est un « recours exceptionnel » qui est subordonné au pouvoir discrétionnaire du ministre. Un demandeur n’a pas droit à une issue particulière, même en présence de considérations CH convaincantes

16        Le ministre a le pouvoir discrétionnaire de mettre en balance des considérations CH et les motifs d’intérêt public qui peuvent exister pour refuser de prendre une mesure d’exception (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Legault, 2002 CAF 125, [2002] 4 CF 358, aux paragraphes 14 à 21).

17        L’objet du pouvoir discrétionnaire en matière de motifs CH est d’avoir la latitude nécessaire pour approuver les cas qui le méritent, mais qui ne sont pas prévus dans la loi. Une demande fondée sur des motifs CH « ne peut permettre aux intéressés d’obtenir ce qu’ils souhaitent après avoir été déboutés, conformément au droit canadien, en exerçant tous les recours judiciaires qui s’offr[ent] à eux » (Legault, précité, aux paragraphes 21 à 23; Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 FC 463, [2009] A.C.F. no 582 (QL/Lexis), au paragraphe 17; Mayburov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 183 FTR 280, 98 ACWS (3d) 885, au paragraphe 39).

[Voir également le jugement Kanthasamy, précité, aux paragraphes 40 à 43]

[25]           Il est de jurisprudence constante que, dans le cas d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, le fardeau de la preuve repose sur le demandeur (Rizvi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 463, au paragraphe 21, [2009] ACF no 582; Kanthasamy, précité, au paragraphe 41) et que le demandeur doit démontrer qu’il serait exposé à des difficultés inusitées, injustifiées ou excessives s’il devait présenter sa demande depuis l’extérieur du Canada. Il est également bien établi que l’agent chargé d’examiner une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’est pas obligé de faire ressortir les faiblesses de la demande ou de chercher à obtenir des renseignements complémentaires du demandeur lorsque la preuve soumise est insuffisante. Dans l’arrêt Kisana, précité, au paragraphe 45, la Cour d’appel fédérale a rappelé ces principes de la manière suivante :

45        Il est bien établi en droit que le contenu de la notion d’équité procédurale est variable et tributaire du contexte particulier de chaque affaire (Baker, précité, au paragraphe 21, et Khan c. Canada (MCI), 2002 CAF 413). La question à se poser dans chaque cas est, en fin de compte, celle de savoir si la personne dont les intérêts sont en jeu a eu « une occasion valable de présenter [sa] position pleinement et équitablement » (Baker, précité, au paragraphe 30). Dans le cas des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire, il est de jurisprudence constante que le demandeur a le fardeau d’établir que l’exemption est justifiée et que l’agent n’est pas tenu de signaler les lacunes de la demande et de réclamer d’autres observations (voir, par exemple, la décision Thandal c. Canada (MCI), 2008 CF 489, au paragraphe 9). Dans l’arrêt Owusu, précité, notre Cour a expliqué que l’agent chargé de se prononcer sur une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire n’a aucune obligation positive de s’enquérir davantage de l’intérêt supérieur des enfants lorsque la question est soulevée de façon « trop indirecte, succincte et obscure » (au paragraphe 9). Dans cette affaire, les raisons d’ordre humanitaire étaient exposées dans une lettre de sept pages dans laquelle la seule allusion à l’intérêt supérieur des enfants se trouvait dans la phrase suivante : [traduction] « S’il [M. Owusu] était forcé de retourner au Ghana, il n’aurait aucun moyen de subvenir aux besoins pécuniaires de sa famille et il vivrait dans un état de peur constante chaque jour de sa vie » (au paragraphe 6).

[26]           Gardant ces principes présents à l’esprit je passe maintenant aux questions spécifiques soulevées par la présente demande.

B.                 Équité procédurale

[27]           Les demanderesses allèguent que l’agente a porté atteinte à leur droit à l’équité procédurale en se fondant sur des renseignements qu’elle a trouvés sur deux sites Internet sans les en informer et sans leur accorder la possibilité de formuler des observations sur ces renseignements avant de rendre sa décision. En toute déférence, je ne suis pas de leur avis, et ce, pour les motifs qui suivent.

[28]           Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 32, [1999] ACS no 39, la Cour suprême du Canada a déclaré que les personnes qui présentent une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ont droit à l’équité procédurale et que cette obligation était davantage que simplement minimale. La Cour a fait observer que l’équité procédurale était variable, flexible et contextuelle (Baker, aux paragraphes 21 à 33) et qu'« [a]u cœur de cette analyse, il faut se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, les personnes dont les intérêts étaient en jeu ont eu une occasion valable de présenter leur position pleinement et équitablement » (Baker, au paragraphe 30; Kisana, précité, au paragraphe 45). La Cour suprême n’a pas précisé la teneur de l’équité procédurale, mais a établi certaines balises permettant de circonscrire la portée de cette obligation. Ces facteurs ont été résumés dans l’arrêt Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme-Lafontaine v Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, au paragraphe 5, [2004] 2 RCS 650 :

5          Le contenu de l’obligation d’équité qui incombe à un organisme public varie en fonction de cinq facteurs : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi par l’organisme public pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les dispositions législatives précises en vertu desquelles agit l’organisme public; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la partie qui conteste la décision; et (5) la nature du respect dû à l’organisme : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.  Je suis d’avis, après avoir examiné les faits et les dispositions législatives en jeu dans le présent pourvoi, que ces facteurs imposent à la municipalité l’obligation d’exprimer les motifs de son refus d’acquiescer à la deuxième et à la troisième demande de modification de zonage présentées par la Congrégation.

[29]           La question du recours à des éléments de preuve « extrinsèques » par des organismes et des tribunaux administratifs, et plus précisément par des agents chargés d’examiner les raisons d’ordre humanitaire, et la question de savoir si l’équité exige que ces éléments de preuve soient divulgués aux demandeurs a été soulevée à plusieurs reprises devant la Cour.

[30]           Un des arrêts de principe antérieurs à l’arrêt Baker sur cette question est l’arrêt Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté), [1998] 3 CF 461, au paragraphe 22, [1998] ACF no 565 (CAF) [Mancia], dans lequel le juge Décary a déclaré que « l'équité exige que le demandeur soit informé de toute information inédite et importante faisant état d'un changement survenu dans la situation générale d'un pays si ce changement risque d'avoir une incidence sur l'issue du dossier ».

[31]           Dans l’arrêt Haghighi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 407. aux paragraphes 27 et 28, [2000] ACF no 854 [Haghighi], rendu après l’arrêt Baker, la Cour d’appel fédérale a examiné la question de l’utilisation d’éléments de preuve documentaire non antérieurement divulgués aux demandeurs par les agents chargés d’examiner les considérations d’ordre humanitaire. Dans cette affaire, la preuve en litige était un rapport d’examen des risques. La Cour d’appel a estimé que le cadre d’analyse approprié n’exigeait plus que la Cour se prononce sur la question de savoir si un élément de preuve devait être qualifié de « preuve extrinsèque ». La Cour d’appel a adopté une méthode contextuelle pour déterminer si l’obligation d’équité exigeait que cet élément de preuve soit divulgué en fonction de la nature de la décision en cause et des éventuelles répercussions de la preuve en question sur la décision. Le juge Evans, qui s’exprimait au nom de la Cour d’appel, a exposé comme suit le cadre contextuel applicable :

27        Ainsi, pour déterminer si la communication du rapport de l'agent de révision est requise, la Cour doit notamment examiner les facteurs énumérés par le juge L'Heureux-Dubé pour situer sur l'échelle de l'équité les obligations incombant à l'agent d'immigration dans une affaire relative au paragraphe 114(2). L'analyse de ce qui est requis pour satisfaire à l'obligation d'équité doit être contextualisée : se demander, comme l'exigeait l'arrêt Shah, précité, si le rapport peut être qualifié d' « élément de preuve extrinsèque » ne constitue plus une méthode analytique adéquate.

28        Les considérations contextuelles pertinentes quant à la question de savoir si l'agent d'immigration était tenu, en vertu de l'obligation d'équité, de communiquer le rapport de l'agent de révision à l'intimé à des fins de commentaires sont notamment les suivantes :

a) Étant donné qu'une fonction importante de l'obligation d'équité est de minimiser le risque de décisions incorrectes ou mal fondées, l'un des éléments de l'évaluation visant à déterminer le contenu procédural de l'obligation d'équité dans une affaire donnée est la mesure dans laquelle le droit procédural invoqué est susceptible d'éviter le risque d'erreur dans la prise de la décision ou dans la résolution de la question particulière en litige. Un autre élément consiste en la gravité des effets d'une décision erronée sur ceux qu'elle touche.

b) Il faut évaluer ces considérations à la lumière des coûts vraisemblablement liés à la reconnaissance du droit procédural invoqué, comme les retards dans le processus de prise de décision et l'utilisation de ressources supplémentaires que peut comporter l'ajout d'un autre niveau procédural.

c) Les caractéristiques du décideur peuvent également fournir un indice des obligations procédurales qui peuvent être imposées de façon opportune au titre de l'équité. On peut s'attendre plus facilement à ce qu'un décideur possédant les caractéristiques d'un organisme décisionnel suive une procédure qui ressemble à celle des tribunaux. D'autre part, lorsque, comme en l'espèce, le législateur a conféré un pouvoir de décision à un agent d'un ministère, il y a lieu de formuler le contenu de l'obligation d'équité applicable en tenant compte du modèle bureaucratique de prise de décision, qui est caractérisé par l'expertise, le travail d'équipe et la division du travail.

d) La place de la décision dans l'ensemble du régime législatif est également pertinente. En l'espèce, le paragraphe 114(2) confère un important élément de pouvoir discrétionnaire permettant aux agents d'immigration de tenir compte de la situation individuelle des personnes qui ne sont pas admissibles au droit d'établissement dans d'autres catégories d'immigrants pour lesquelles des exigences plus objectives s'appliquent. Bien qu'elles fassent partie intégrante d'un régime d'immigration guidé par des règles, les décisions prises dans le contexte d'allégations de raisons d'ordre humanitaire sont de nature discrétionnaire et résiduelle, de sorte qu'elles ne donnent pas droit au même degré de protection procédurale que les décisions comportant la détermination des droits d'une personne.

e) Dans la mesure où la pratique de l'organisme prescrit la régularité de la procédure, il est pertinent de souligner que même si les agents d'immigration ne communiquent pas de façon habituelle les rapports d'évaluation des risques des agents de révision de manière à ce que ceux qui présentent une demande aux termes du paragraphe 114(2) puissent y répondre, cette communication a parfois lieu.

[[Non souligné dans l’original.]

[32]           Les principes énoncés tant dans l’arrêt Mancia que dans l’arrêt Haghighi ont depuis été appliqués par la Cour, parfois avec certaines nuances.

[33]           Dans certains cas, la Cour a jugé que des renseignements accessibles au public, par exemple des documents consultables sur Internet et émanant de sources crédibles, fiables et bien connues, n’étaient pas considérés comme des « preuves extrinsèques » ou comme des renseignements « inédits et importants » (Sinnasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 67. aux paragraphes 39 et 40, [2008] ACF no 77; Pizarro Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 623, au paragraphe 46, [2013] ACF no 692).

[34]           Dans d’autres affaires, la Cour a appliqué le critère de la preuve « inédite et importante » et a conclu que l’obligation de divulguer s’appliquait lorsque les renseignements contenus dans le document sur lequel l’agent s’était fondé n’étaient pas disponibles et n’auraient pas été facilement accessibles pour le demandeur ou lorsque cet élément de preuve n'était pas prévisible (Jiminez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1078, aux paragraphes 17 à 19, [2010] ACF no 1382; Stephenson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 932, aux paragraphes 35 et 39, [2011] ACF no 1156; Adetunji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 708, au paragraphe 38, [2012] ACF no 698).

[35]           Dans le jugement Molina de Vazquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 530, aux paragraphes 27 et 28, [2014] ACF no 548 [Molina de Vazquez], le juge de Montigny a souligné que ce ne sont pas tous les renseignements consultables en ligne qui peuvent être considérés comme accessibles au public. Il a toutefois estimé que l’agent chargé d’examiner les considérations d’ordre humanitaire n’était pas tenu de communiquer des renseignements généraux concernant le système scolaire argentin même s’il avait obtenu ces renseignements en consultant un site Web quelque peu inhabituel étant donné qu’il contenait des informations qui auraient été raisonnablement accessibles et que les demandeurs auraient pu trouver facilement ailleurs :

27        Je suis d’accord avec l’affirmation des demandeurs selon laquelle tout ce qui se trouve en ligne ne peut être considéré comme accessible au public. S’il en était autrement, comme je l’ai affirmé dans Sinnasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 67 (au paragraphe 39), cela « imposerait un fardeau insurmontable pour le demandeur étant donné que, de nos jours, presque tout est accessible en direct ». Un agent devrait donc user de prudence lorsqu’il examine et prend acte « des éléments qui ne pourraient être qualifiés de documents courants dont les demandeurs peuvent raisonnablement s’attendre à ce qu’ils soient consultés par les agents » (Mazrekaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 953, au paragraphe 12) […]

28        Cela dit, la nature « extrinsèque » d’une preuve – et l’obligation de la divulguer d’avance à un demandeur – n’est pas établie en fonction du document en soi, mais plutôt de la question de savoir si l’information que renferme le document devrait être connue par le demandeur, compte tenu de la nature des observations présentées : Jiminez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1078, au paragraphe 19; Stephenson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 932, aux paragraphes 38 et 39. En l’espèce, même si les sites Web consultés par l’agent peuvent être considérés comme quelque peu inhabituels et même s’il ne s’agit manifestement pas de sources typiques, ils contenaient des informations générales sur le système scolaire argentin qui auraient été raisonnablement accessibles aux demandeurs. Ils fournissent de l’information générale sur le système scolaire argentin que les demandeurs auraient pu trouver ailleurs, et cette information ne doit certainement pas être qualifiée d’« inédite et [d’]importante [ni considérée comme faisant] état d’un changement survenu dans la situation générale d’un pays si ce changement risque d’avoir une incidence sur l’issue du dossier », ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans Mancia.

[Voir également Lopez Arteaga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 778, au paragraphe 24, [2013] ACF no 833 (la juge Gagné); Begum c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 824, au paragraphe 36, [2013] ACF no 896 (la juge Strickland).]

[36]           D’autres juges ont analysé la portée de l’obligation des agents chargés d’examiner les considérations d’ordre humanitaire de divulguer des documents en vue de répondre à la question de savoir si la divulgation était nécessaire pour accorder au demandeur la possibilité de participer de manière significative au processus. Dans la décision Priyanta Jayasinghe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 193, [2007] ACF no 275, le juge Shore a déclaré ce qui suit :

26        Le respect par un agent du bureau des visas de son obligation d’équité doit s’apprécier au cas par cas. Dans les dossiers où l’on invoque la violation de l’obligation d’équité pour défaut de produire des rapports qui sont du domaine public, la question qui se pose est de savoir si la communication des rapports ou des références à certains de leurs passages spécifiques était requise pour qu’ait été fournie au demandeur « ...une possibilité raisonnable, vu l'ensemble des circonstances, de participer de manière significative au processus de prise de décision ». (Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 854 (QL), par. 26).

[37]           Toutefois, la Cour a dans tous les cas reconnu que, pour que l’obligation de divulgation s’applique, les renseignements doivent être importants, en ce sens qu’ils doivent avoir une incidence sur l’issue de la décision. Dans le jugement Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 20, [2013] ACF no 25, le juge Mosley a discuté de l’exigence que la preuve ait éventuellement des répercussions sur la décision :

17        La Cour d’appel fédérale a donné des directives quant à l’utilisation d’éléments de preuve extrinsèques dans les décisions administratives en matière d’immigration dans les arrêts Muliadi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 CF 205 (CAF) et Haghighi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 407 (CAF). La question est de savoir si des faits concrets, essentiels ou potentiellement cruciaux pour la décision ont été utilisés à l’appui d’une décision, sans que la partie visée ait eu la possibilité de répondre à ces faits ou de les commenter.

[…]

25        La question clé dans les circonstances de la présente affaire est de savoir si l’équité procédurale exigeait que l’agent communique l’article de Xinhua et qu’il invite la demanderesse à présenter des observations supplémentaires, parce que le contenu de l’annonce était « inédit[…] et important[…] et qu’[il faisait] état de changements survenus dans la situation du pays qui risquent d’avoir une incidence sur sa décision » (Mancia, au paragraphe 27). […]

29        Par conséquent, je conclus que l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale en omettant de communiquer l’article de presse et d’inviter la demanderesse à présenter des observations supplémentaires. Même si j’étais parvenu à une conclusion différente quant à cette question, je ne crois pas que cela aurait eu une grande incidence sur l’issue. Toute observation que la demanderesse aurait pu formuler au sujet de la source et de la qualité de l’information n’aurait pas écarté les conclusions de l’agent relativement aux autres éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé pour rendre sa décision.

[Non souligné dans l’original.]

[Voir également Garnett c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 31, au paragraphe 31, [2012] ACF no 28.]

[38]           Dans le cas qui nous occupe, l’agente a recueilli des renseignements en ligne à partir de deux sources. Premièrement, elle a cité des renseignements obtenus auprès du site Web du gouvernement du Québec concernant les services de soutien à domicile. En second lieu, elle a mentionné les renseignements qu’elle avait trouvés en consultant le site Internet du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur du Liban au sujet du système d'enseignement libanais.

[39]           À mon avis, l’agente n’a pas violé son obligation d’agir avec équité en ne divulguant pas ces renseignements aux demanderesses.

[40]           Il importe d’évaluer l’obligation d’équité de l’agente en fonction des allégations des demanderesses et en tenant compte du fardeau de la preuve qui leur incombe. Les recherches effectuées par l’agente sur Internet avaient trait à deux des principales allégations formulées par les demanderesses.

(1)               Il est nécessaire que la demanderesse soit présente pour prendre soin de Mme Gedeon

[41]           En premier lieu, la demanderesse affirmait qu’elle devait demeurer au Canada pour prendre soin de sa mère âgée.

[42]           À l’appui de cette allégation, elle a déposé un affidavit qu’elle a souscrit le 29 mai 2012. Dans cet affidavit, la demanderesse déclarait que sa mère vieillissait, qu’elle n’avait pas d’autre famille au Canada et qu’elle avait besoin de sa présence de plus en plus avec l’âge. De plus, elle déclarait que sa mère ne pouvait plus voyager en raison de sa santé et de son âge et que son retour au Liban impliquerait une séparation définitive de sa mère.

[43]           La demanderesse a également soumis une lettre de sa mère, Mme Souheila Gedeon, datée du 24 avril 2012 dans laquelle cette dernière déclarait qu’elle était citoyenne canadienne, qu’elle vivait au Canada depuis plus d’une vingtaine d’années et qu’elle espérait que sa fille pourrait demeurer au Canada parce que sa fille prenait soin d’elle et sa fille et sa petite-fille lui gardaient compagnie. Mme Gedeon insistait pour dire qu’elle n’avait pas d’autres membres de sa famille au Canada et qu’elle comptait sur sa fille pour s’occuper de ses divers besoins quotidiens de base.

[44]           La demanderesse a également soumis un billet médical du Dr Asenjo daté du 9 mars 2012. Dans ce billet, le Dr Asenjo expliquait que Mme Gedeon était sa patiente au Pain Centre du General Hospital depuis six ans. Il déclarait que Mme Gedeon avait plus de 80 ans, qu’elle était atteinte d’une ostéoarthrite dégénérative sévère de la colonne vertébrale et qu’elle avait subi de nombreuses opérations aux extrémités inférieures ainsi que plusieurs interventions pour atténuer la douleur. Le Dr Asenjo expliquait également que Mme Gedeon devenait progressivement de plus en plus dépendante de l’aide extérieure pour s’acquitter de ses tâches ordinaires à domicile. Il a recommandé qu’elle prenne des dispositions pour que quelqu’un, idéalement quelqu’un de la famille, vienne vivre avec elle afin qu’elle puisse rester chez elle.

[45]           L’agente n’était pas convaincue que la demanderesse avait démontré que sa présence au Canada était nécessaire pour s’occuper de Mme Gedeon. Elle a examiné l’affidavit de la demanderesse, la lettre de Mme Gedeon ainsi que la lettre du Dr Asenjo et conclut que [traduction] « ces lettres ne sont pas en soi suffisantes pour démontrer que la présence de la demanderesse au Canada serait la seule solution qui existe pour le moment pour s’occuper de Mme Gedeon et qu’une dispense de l’obligation d’obtenir un visa de résident permanent depuis l’étranger serait justifiée ».

[46]           Elle a ensuite fait observer que les frères et sœurs de la demanderesse étaient des citoyens canadiens et qu’il n’avait pas été démontré que d’autres membres de la famille ne pouvaient pas ou ne voulaient pas aider Mme Gedeon.

[47]           Il ressort à l’évidence de la décision de l’agente que cette dernière était d’avis que la demanderesse n’avait pas démontré que l’état de santé de Mme Gedeon était grave au point où il n’existait aucune solution autre que celle consistant pour la demanderesse de demeurer au Canada pour s’occuper de sa mère. L’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’en son absence, Mme Gedeon se retrouverait sans l’aide et sans le soutien dont elle a besoin. Ce n’est qu’après avoir tiré sa conclusion suivant laquelle la preuve de la demanderesse était insuffisante que l’agente a poursuivi en signalant que d’autres solutions existaient pour s’occuper de Mme Gedeon. Elle a cité par exemple les Services de soutien à domicile et les Services d’aide domestique et a renvoyé au site Internet du gouvernement du Québec où l’on peut trouver des renseignements sur ces programmes.

(2)               Tracy ne pourrait recevoir une éducation appropriée si elle devait retourner au Liban

[48]           Les demanderesses allèguent également que Tracy ne pourrait recevoir une bonne éducation au Liban parce qu’elle ne peut plus parler arabe.

[49]           À l’appui de cette allégation, la demanderesse a soumis son propre affidavit dans lequel elle déclarait que Tracy avait fait toutes ses études secondaires au Canada, qu’elle est parfaitement bilingue en français et en anglais, mais qu’elle ne parle plus l’arabe avec facilité et aisance.

[50]           La demanderesse a également déposé une lettre de Tracy datée du 14 avril 2012 dans laquelle Tracy déclarait qu’elle ne parlait plus la langue nationale et qu’elle ne serait donc pas en mesure de recevoir une éducation appropriée au Liban. Elle ajoutait que seuls les étudiants étrangers titulaires de passeports étrangers peuvent être dispensés de « l’arabe » ce qui ne serait pas son cas. Dans sa lettre, Tracy déclarait également qu’elle était proche de sa grand-mère et que cette dernière a besoin de quelqu’un pour prendre soin d’elle étant donné qu’elle ne peut plus voyager à l’étranger en raison de son état de santé.

[51]           Dans sa décision, l’agente a fait observer qu’aucun élément de preuve à l’appui n’avait été soumis pour démontrer que le programme d’études arabe était obligatoire au Liban et que les études de Tracy seraient compromises si elle devait y retourner. L’agente était nettement d’avis que les demanderesses ne s’étaient pas acquittées du fardeau de la preuve sur ce point. Elle est allée plus loin et a ajouté ce qui suit :

[traduction]

Malgré cela, j’ai consulté le site Internet du Ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur du Liban. Suivant cette source d’information publique, les étudiants libanais peuvent demander une dispense du programme d’études arabe et poursuivre leurs études dans un système d’enseignement différent.

[52]           Il ressort de la décision de l’agente que les renseignements qu’elle a recueillis tant sur le site Internet du gouvernement du Québec que sur celui du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur du Liban n’ont pas influencé ses conclusions principales suivant lesquelles les demanderesses n’avaient pas fourni d’éléments de preuve suffisants à l’appui de leurs allégations. Je suis par conséquent d’avis que les renseignements en question n’étaient pas déterminants et qu’ils n’ont pas influencé la décision de l’agente.

[53]           J’estime également que, dans les deux cas, les renseignements provenaient de sources courantes et publiques bien connues et que les demanderesses auraient aisément pu les consulter. En outre, compte tenu des allégations formulées par les demanderesses au sujet des besoins de Mme Gedeon et de l’éducation de Tracy, les renseignements mentionnés par l’agente font partie de ceux dont les demanderesses pouvaient s’attendre que l’agente consulte.

[54]           Les deux sites Internet en question sont des sites officiels et des sources facilement accessibles qu'on pouvait raisonnablement s’attendre que les demanderesses connaissent. De plus, ces renseignements, qui sont de notoriété publique, n’ont rien de particulièrement inédit ou important.

[55]           L’agente a mentionné deux services de soutien à domicile pour appuyer son affirmation que, même si la demanderesse n’avait pas démontré que Mme Gedeon se retrouverait sans le soutien dont elle a besoin si la demanderesse quittait le Canada, elle était convaincue qu’il existait des services pour aider et soutenir des personnes se trouvant dans la situation de Mme Gedeon. Elle a mentionné les Services de soutien à domicile et les Services d’aide domestique et n’a pas discuté davantage de ces services, mais a mentionné les pages des sites Web du gouvernement du Québec où l’on pouvait trouver des renseignements au sujet de ces services. Il est bien connu que les services de soutien à domicile et les services d’aide domestique existent au Canada, en particulier au Québec, et il incombait aux demanderesses de démontrer que de tels services publics ne seraient pas disponibles ou ne conviendraient pas aux besoins de Mme Gedeon.

[56]           Les demanderesses ont soumis un rapport du Protecteur du Citoyen pour appuyer une allégation relative à l’accessibilité des services auxquels Mme Gedeon aurait droit. À mon avis, ce rapport ne réfute pas vraiment l’assertion générale de l’agente suivant laquelle d’autres options existent pour s'assurer que l'on s’occupe de Mme Gedeon. De plus, après avoir affirmé que la présence de la demanderesse était nécessaire pour s’occuper de Mme Gedeon, il incombait aux demanderesses de déposer des éléments de preuve permettant de conclure qu’il n’existait aucune autre option pour s’occuper de Mme Gedeon. De plus, comme je suis convaincu qu’aucun manquement à l’équité procédurale ne s’est produit du fait que l’existence de ces programmes n’a pas été divulguée aux demanderesses, je ne vois pas en quoi le rapport du Protecteur du Citoyen serait de quelque utilité que ce soit.

[57]           En ce qui concerne les études de Tracy, la demanderesse affirme que l’agente n’a pas tenu compte d’une autre page du site Web du gouvernement du Liban qui démontre qu’il pourrait être difficile pour Tracy d’obtenir une dispense du programme d’études libanais. Comme elles avaient soulevé la question de la langue d’enseignement de Tracy, il incombait aux demanderesses de démontrer dans leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire que Tracy n’était pas admissible à une telle dispense; or, l’agente n’était pas convaincue que les demanderesses avaient soumis des éléments de preuve suffisants pour appuyer leur allégation. De plus, les renseignements recueillis sur le site Web du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur du Liban ne sont certainement pas inédits, les demanderesses pouvaient aisément les obtenir et elles auraient dû les prévoir compte tenu de leurs arguments. Si les demanderesses estiment que le site Internet en question contient des renseignements qui appuient leurs arguments selon lesquels Tracy ne serait pas en mesure d’avoir accès à une éducation appropriée au Liban, elles auraient dû les soumettre à l’agente dans le cadre de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[58]           Dans le contexte de l’affaire en l’espèce, je conclus que la divulgation de renseignements émanant de deux sites Web n’était pas requise pour permettre aux demanderesses de participer de façon significative au processus de prise de décision de l’agente.

[59]           Les circonstances de la présente affaire se distinguent aisément de celles de l’affaire Bailey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 315, [2014] ACF no 352, dans laquelle l’agent chargé d’examiner les considérations d’ordre humanitaire était appelé à déterminer si le demandeur, un quadriplégique, pouvait accéder à des soins médicaux adéquats en Jamaïque. Pour ce faire, l’agent s’était fondé sur un site Web appelé « The Mustard Seed Communities of Jamaica » qui décrivait deux organismes offrant des soins aux personnes handicapées en Jamaïque, mais qui ne faisaient aucune mention des personnes quadriplégiques. Le juge Russell a conclu qu’il s’agissait « de renseignements assez vagues d’une pertinence discutable » et qu'il y avait eu un manquement flagrant à l’équité procédurale (au paragraphe 70).

[60]           Les circonstances de la présente affaire s’apparentent davantage à celles de l’affaire Molina de Vazquez, précitée, au paragraphe 28 (citée au paragraphe 35 des présents motifs), dans laquelle le juge de Montigny a estimé que l’agent chargé d’examiner les considérations d’ordre humanitaire n’avait pas manqué à son obligation d’équité en se fondant sur des renseignements concernant le système scolaire argentin qu’il avait obtenus en ligne sans les divulguer au demandeur.

C.                 Le caractère raisonnable de la décision

[61]           Les demanderesses n’ont pas invoqué de raison sérieuse pour contester le caractère raisonnable de la décision de l’agente. L’agente a de toute évidence appliqué les bons critères et elle a dûment tenu compte de l’ensemble de la preuve et de la situation personnelle des demanderesses.

[62]           En ce qui concerne les allégations de risque des demanderesses, la Cour d’appel fédérale a, dans l’arrêt Kanthasamy, précité, confirmé l’interprétation qu’il convient de donner à la combinaison des paragraphes 25(1) et 25(1.3) de la LIPR :

73        C’est là à mon avis un exposé utile de ce que commande l’article 25 depuis qu’a été adopté le paragraphe 25(1.3) : les éléments de preuve produits dans le cadre d’une procédure antérieure fondée sur les articles 96 et 97, ainsi que tout autre élément que le demandeur pourra vouloir présenter, est admissible dans une procédure au titre du paragraphe 25(1). Les agents doivent toutefois apprécier ces éléments à travers le prisme du critère du paragraphe 25(1) et ainsi rechercher si le demandeur fait face personnellement et directement à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[63]           L’agente a indiqué le critère qu’elle entendait appliquer pour évaluer l’allégation de risque de la demanderesse dans le contexte de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Elle a expliqué que l’évaluation du risque dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a une portée plus large et un seuil différent que dans le cas de l’évaluation du risque dans le contexte d’une demande d’asile et elle a ajouté qu’elle analyserait les allégations de la demanderesse en fonction des difficultés. Le critère énoncé par l’agente concorde de toute évidence avec l’interprétation confirmée dans l’arrêt Kanthasamy.

[64]           De plus, la décision de l’agente est claire, détaillée et cohérente. L’agente a tenu compte de l’ensemble des circonstances et des arguments avancés par les demanderesses et elle a analysé en profondeur la preuve.

(1)               Situation professionnelle et financière de la demanderesse au Canada

[65]           L’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle s’était solidement établie au Canada. Elle a également conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle avait atteint ou avait été en mesure d’atteindre un degré convenable d’indépendance financière. L’agente a fait observer que les éléments de preuve concernant les emplois que la demanderesse avait exercés au Canada étaient très limités et que les relevés d’emploi qu’elle avait fournis ne correspondaient qu’à six des 88 mois de travail qu’elle avait passés au Canada. L’agente a conclu que les revenus de la demanderesse ne lui permettaient pas de subvenir à ses besoins et à ceux de sa fille.

[66]           L’agente a évalué de façon raisonnable la preuve concernant les emplois exercés par la demanderesse. La preuve démontrait diverses courtes périodes de travail suivies de longues périodes de chômage pour toute la période comprise entre 2006 et 2014. La seule mise à jour fournie au sujet de son travail est celle du 12 novembre 2012, qui faisait état d'une offre d’emploi. Cette lettre montre seulement que la demanderesse avait obtenu un emploi à temps plein en octobre 2012. Rien dans cette lettre ne permet de qualifier de déraisonnable la décision de l’agente. Comme je l’ai déjà signalé, la nouvelle lettre du même employeur (13 août 2014) est postérieure à la décision de l’agente et n’est par conséquent pas admissible en preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

(2)               Famille au Canada

[67]           L’agente a tenu compte des arguments de la demanderesse ainsi que de l’ensemble de la preuve qu’elle avait soumise. La preuve est résumée dans la section des motifs concernant l’équité procédurale et il n’est pas nécessaire de la répéter.

[68]           L’examen que l’agente a fait dans la situation de Mme Gedeon était dans l’ensemble raisonnable. L’agente a examiné la preuve soumise par le Dr Asenjo et par Mme Gedeon. Le billet médical du Dr Asenjo du 9 mars 2012 était très général et ne permettait pas de conclure que la présence de la demanderesse était indispensable. Il n’a fourni aucun détail au sujet des besoins précis de Mme Gedeon et il n’a pas déclaré qu’elle ne serait pas en mesure de recevoir des services de santé publique. Il a simplement recommandé que Mme Gedeon prenne des dispositions pour que quelqu’un [traduction] « idéalement un membre de la famille » vienne vivre avec elle chez elle.

[69]           Au moment où ce billet médical a été écrit, la demanderesse vivait en Ontario depuis 2009 et elle n’était revenue vivre à Montréal que depuis mars 2012. Ce billet médical, ainsi que l’affidavit de la demanderesse et la lettre de Mme Gedeon étaient les seuls éléments de preuve dont disposait l’agente et, à mon avis, la conclusion tirée par l’agente sur la base de ces éléments de preuve était raisonnable. Il était raisonnable de la part de l’agente de conclure que la demanderesse n’avait pas démontré qu’il n’existait aucune autre option pour s’occuper de Mme Gedeon et que la preuve était insuffisante pour justifier une dispense des exigences de la LIPR. Il incombait à la demanderesse de démontrer qu’il n’existait aucune autre solution que celle consistant pour elle de demeurer au Canada pour s’occuper de sa mère. Rien dans la preuve soumise ne permettait de penser que Mme Gedeon se retrouverait sans ressource si la demanderesse devait quitter le Canada. De plus, hormis les déclarations des demanderesses et celles de Mme Gedeon, rien dans la preuve ne permet de penser que Mme Gedeon ne pourrait pas accompagner les demanderesses au Liban.

[70]           Le billet médical du 18 août 2014 du Dr Asenjo fournit une mise à jour sur l’état de santé actuel de Mme Gedeon. Il est un peu plus détaillé que le billet médical de mars 2012 en ce qui concerne son état de santé actuel, ses besoins précis et les répercussions que le renvoi de la demanderesse aurait sur elle. Toutefois, ses éléments de preuve sont postérieurs à la décision de l’agente et, comme je l’ai déjà expliqué, on ne peut en tenir compte pour évaluer le caractère raisonnable de la décision de l’agente.

(3)               Intérêt supérieur de l’enfant

[71]           L’agente n’était pas convaincue qu’un renvoi au Liban aurait des répercussions directes importantes sur la fille de la demanderesse, Tracy, qui était mineure au moment de la présentation de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Tracy est maintenant une jeune adulte qui fréquente l’université.

[72]           Comme je l’ai déjà signalé, l’agente a examiné l’allégation de la demanderesse suivant laquelle, au Liban, Tracy ne serait pas dispensée du programme d’études en arabe et qu’elle ne pourrait donc pas obtenir une éducation appropriée étant donné qu’elle ne parle plus l’arabe avec aisance et facilité. Elle a conclu que cette allégation ne reposait sur aucun élément de preuve démontrant que le programme d’études arabe était obligatoire au Liban et que l’éducation de Tracy s’en trouverait compromise.

[73]           De plus, l’agente a fait observer que, si l’on tenait compte de la facilité avec laquelle Tracy s’était adaptée après s’être installée au Canada, la demanderesse n’avait pas démontré que Tracy ne serait pas capable de s’adapter à son nouvel environnement au Liban.

[74]           La lettre de Tracy était le seul élément de preuve fourni à l’appui de l’allégation de la demanderesse, ce qui était clairement insuffisant. La conclusion tirée par l’agente sur ce point était raisonnable.

(4)               Risques et conditions défavorables au Liban

[75]           L’agente a examiné les allégations formulées par la demanderesse au sujet des risques, mais elle n’était pas convaincue que la demanderesse s’était acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’elle et Tracy seraient exposées à une telle adversité au Liban parce qu’elles sont chrétiennes et qu’elle est une femme seule. L’agente n’était pas convaincue que les demanderesses seraient exposées à des difficultés inusitées, injustifiées ou excessives si elles devaient retourner au Liban. La conclusion de l’agente était raisonnable et elle reposait sur plusieurs éléments.

[76]           L’agente a fait observer que la demanderesse répétait des faits et des arguments que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) avait déjà examinés. Elle a fait observer que la SPR avait conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer l’existence d’un risque et qu’elle avait admis la possibilité de se réinstaller dans un secteur chrétien tel que la région de Broumana. La SPR a également envisagé la possibilité pour les demanderesses de retourner à Mansourieh, une autre région chrétienne où la fille plus âgée de la demanderesse était retournée vivre de son plein gré. L’agente a fait observer qu’on ne lui avait soumis aucun élément de preuve qui démontrerait qu’il n’était plus possible pour les demanderesses de vivre dans des régions comme Broumana ou Mansourieh.

[77]           L’agente a fait observer que l’allégation de la demanderesse suivant laquelle la situation au Liban s’était depuis détériorée en raison de la crise qui existe présentement en Syrie, que l’avenir immédiat du Liban était incertain et qu’elle craignait la violence sectaire en tant que membre d’une minorité religieuse. L’agente a pris acte de la preuve documentaire soumise par la demanderesse à l’appui de ces allégations et tout en reconnaissant qu’il existait des problèmes touchant l’ensemble de la population libanaise, elle a conclu que la preuve soumise était de nature générale et qu’elle ne concernait pas la situation particulière de la demanderesse. Elle a également fait observer que la preuve montrait que la crise syrienne pouvait éventuellement avoir des répercussions sur la sécurité et la stabilité du Liban et qu’elle risquait de perturber le fragile équilibre qui existait entre les sunnites, les chiites et les chrétiens, mais elle a conclu que la preuve était spéculative et insuffisante pour démontrer un risque effectif et concret.

[78]           L’agente a également examiné l’allégation formulée par la demanderesse au sujet de difficultés fondées sur le sexe, mais elle n’était pas convaincue que la demanderesse serait exposée à des difficultés importantes directes en raison de sa situation de femme divorcée. L’agente a reconnu que la situation des femmes au Liban n’était pas parfaite. Elle a toutefois estimé que la demanderesse n’avait pas démontré en quoi sa situation les affecterait elle et sa fille en particulier. L’agente a fait observer que la demanderesse était instruite et qu’elle avait travaillé au Liban avant de déménager au Canada et qu’elle n’avait pas démontré qu’elle avait été victime de discrimination dans le passé. La demanderesse n'est pas d’accord avec le qualificatif que l’agente avait donné de la situation des femmes en la qualifiant de « pas parfaite », mais elle n’a pas réfuté la conclusion de l’agente suivant laquelle la demanderesse n’avait pas démontré en quoi cette situation aurait une incidence sur elle personnellement. De plus, l’agente a examiné et rejeté les arguments de la demanderesse suivant laquelle elle serait exposée à des difficultés indues en raison de son statut de femme divorcée sans parent de sexe masculin ou serait exposée à un conflit en matière de garde avec son ex‑mari.

[79]           L’agente a également fait observer que la demanderesse alléguait que son ex‑mari au Liban était violent, en ajoutant toutefois que cette allégation ne reposait sur aucune preuve. L’agente a également examiné l’allégation de la demanderesse suivant laquelle son ex‑mari obtiendrait des droits de garde plus grands qu’elle au Liban, ce qui contredit toutefois le jugement de divorce qu’elle avait obtenu au Liban et qui lui accordait la garde exclusive de Tracy. Enfin, l’agente a fait observer que la demanderesse alléguait qu’elle serait exposée à des difficultés parce qu’elle n’a pas de membre de sa famille de sexe masculin pour la protéger, sans toutefois expliquer davantage en quoi cela lui causerait des difficultés et sans soumettre d’éléments de preuve pour corroborer ses dires.

(5)               Problèmes de santé des demanderesses

[80]           L’agente a conclu que, malgré le fait que la demanderesse et sa fille prenaient des médicaments sur ordonnance en 2012, il n’y avait aucun élément de preuve récent concernant un traitement en cours ni d’éléments de preuve démontrant leur incapacité de se faire soigner au Liban. Cette conclusion était de toute évidence raisonnable compte tenu du peu d’éléments de preuve soumis.

[81]           Les demanderesses ne sont pas d’accord avec les conclusions de l’agente, mais ce désaccord n’est pas suffisant pour justifier l’intervention de la Cour. Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve et les facteurs analysés par l’agente. En l’espèce, la conclusion de l’agente fait partie des issues pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). De plus, la décision de l’agente est transparente, bien motivée et intelligible.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Marie-Josée Bédard »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6162-14

 

INTITULÉ :

MIRNA MAJDALANI et TRACY HAWCHAR c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 FÉVRIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Mitchell Goldberg

 

pour les demanderesses

 

Guillaume Bigaouette

 

PoUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mitchell Goldberg

Avocat

Montréal (Québec)

 

PoUR LES DEMANDERESSES

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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