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Date : 20150408


Dossier : T-1457-14

Référence : 2015 CF 427

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2015

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

NADA ASHRAF SALLAM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Survol

[1]               Mme Nada Ashraf Sallam, une citoyenne de l’Égypte et de la Belgique, interjette appel de la décision datée du 17 avril 2014 par laquelle un juge de la citoyenneté a conclu qu’elle ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve relativement à l’obligation de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985 c C-29 [la Loi] et a donc rejeté sa demande de citoyenneté.

[2]               Le juge de la citoyenneté a conclu que la crédibilité en général de la demanderesse était minée du fait qu’elle avait omis de déclarer sa citoyenneté belge lorsqu’elle a présenté sa demande en vue d’obtenir la citoyenneté canadienne et qu’elle s’est présentée à l’examen de citoyenneté.

[3]               La demanderesse prétend qu’elle était mineure pendant 31 des 48 mois de la période pertinente pour les besoins de la résidence (du 9 avril 2006 au 9 avril 2010) et qu’elle s’en était remise à sa mère et à son avocat, qui lui avaient recommandé qu’elle ne déclare pas sa citoyenneté belge, de crainte de la perdre. Elle renchérit en mentionnant qu’elle a corrigé l’omission lors de son entrevue avec l’agent de citoyenneté et qu’elle a présenté son passeport belge actuel, lequel est valide du 8 novembre 2010 au 7 novembre 2015. La demanderesse prétend de plus qu’elle était étudiante à l’Académie Kells, au collège Marianopolis ainsi qu’à l’Université McGill lors de la période de résidence et que le contenu de ses dossiers scolaires, excellents d’ailleurs, devrait constituer une preuve suffisante qu’elle était effectivement présente au Canada lors de ces années scolaires, surtout au vu du fait que cela correspond aux renseignements qui figurent sur son passeport égyptien. Son passeport belge qui était valide lors de la période de résidence, lequel pourrait faire état d’absences lors des étés et des autres congés scolaires, n’a pas été produit.

[4]               Le présent appel sera rejeté, et ce, pour les motifs exposés ci-dessous.

II.                Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[5]               Le présent appel soulève les questions suivantes :

         Le juge de la citoyenneté a‑t‑il commis une erreur en concluant que la demanderesse ne répondait pas à l’obligation relative à la résidence?

         Le juge de la citoyenneté a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale?

[6]               La première question en litige doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité, puisqu’elle a trait à l’appréciation de la preuve et qu’elle consiste en une question mixte de faits et de droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 408). D’un autre côté, la question concernant l’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir; Navidi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 372, aux paragraphes 12‑13).

III.             Analyse

A.                L’exigence relative à la résidence

[7]               Bien qu’il ne l’ait pas mentionné expressément, le juge de la citoyenneté a choisi d’appliquer le critère de résidence exposé par la Cour dans la décision Pourghasemi (Re), [1993] ACF no 232, lequel exige une présence effective au Canada pendant 1 095 jours dans les quatre années précédant la date de la demande. La question dont la Cour est saisie est donc celle de savoir si ce critère a été bien appliqué ou non.

[8]               Dans l’affidavit qu’elle a déposé à l’appui de son appel, la demanderesse énonce premièrement que [traduction] « le sujet de son passeport belge n’a pas fait l’objet de discussion au cours de la rencontre qu’elle a eue avec l’agent de citoyenneté le 1er juin 2011 » (aux paragraphes 8 et 10) et, deuxièmement, que la lettre datée du 3 juin 2011 [traduction] « contient la première demande expresse et sans équivoque de Citoyenneté et Immigration Canada en vue qu’elle fournisse des copies de ses passeports » (au paragraphe 13), et troisièmement, que [traduction« lorsqu’on lui a expressément et sans équivoque demandé de produire une copie de tout passeport “qui lui a été donné depuis son entrée au Canada”, elle a donné les passeports en question à Citoyenneté et Immigration Canada le ou vers le 18 juin 2011 » (au paragraphe 26).

[9]               La demanderesse a, devant le juge de la citoyenneté, blâmé sa mère et son avocat de lui avoir dit de ne pas divulguer sa citoyenneté belge dans sa demande de citoyenneté; devant la Cour, elle blâme Citoyenneté et Immigration Canada ainsi que l’agent de citoyenneté de ne pas lui avoir demandé expressément et sans équivoque, avant le 3 juin 2011, de produire ses passeports belges.

[10]           La demanderesse avait 19 ans au moment où elle a signé sa demande de citoyenneté, laquelle contenait, dans la case de signature, l’énoncé suivant :

Je comprends le contenu de ce formulaire et je déclare que les renseignements que j’ai fournis sont vrais, exacts et complets, et que les photographies jointes sont effectivement de moi. Je comprends que, si je fais une fausse déclaration ou si je ne divulgue pas tous les renseignements dans ma demande, je pourrais perdre la citoyenneté canadienne et faire face à des accusations en vertu de la Loi sur la citoyenneté.

[11]           La section 6 C demande au requérant s’il est citoyen de quelque autre pays; la demanderesse a coché oui et elle a mentionné l’Égypte. Il n’est aucunement fait mention de sa citoyenneté belge dans son formulaire de demande.

[12]           Elle a aussi déclaré à la section 9 qu’elle n’avait pas reçu d’assistance pour remplir son formulaire de demande.

[13]           De plus, la demanderesse a omis de mentionner dans son affidavit que l’avis de comparution concernant l’examen écrit de citoyenneté devant se dérouler le 1er juin 2011, lequel lui a été envoyé le 17 mai 2011, [traduction] « mentionne expressément et sans équivoque » qu’elle doit apporter avec elle [traduction] « tous les passeports et documents de voyage en sa possession (en vigueur et expirés) ».

[14]           Compte tenu des circonstances mentionnées ci‑dessus, on ne peut reprocher à l’agent de citoyenneté de ne pas avoir soulevé la question du passeport belge de la demanderesse au cours de l’entrevue du 1er juin 2011; tout d’abord, la demanderesse a déclaré uniquement 18 juin 2011 qu’elle avait la citoyenneté belge, et deuxièmement, elle ne s’était pas conformée à la demande expresse de produire tous les passeports en sa possession pour l’examen et pour l’entrevue. À ce moment‑là, elle avait deux passeports égyptiens, celui en vigueur et l’ancien, lesquels elle a produits, mais elle avait aussi son passeport belge en vigueur, qu’elle a choisi de ne pas produire.

[15]           Par conséquent, la déclaration de la demanderesse selon laquelle elle a bel et bien déclaré sa citoyenneté belge dès qu’on lui a demandé de le faire de manière expresse et sans équivoque est donc inexacte et trompeuse.

[16]           Le juge Lemieux a mentionné ce qui suit dans la décision Raslan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 189 :

[14] Il est clair en droit que l’octroi d’un contrôle judiciaire est un recours discrétionnaire qui peut être refusé pour des motifs d’équité – l’absence de mains nettes.

[…]

[18] […] Comme il a été souligné dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Wysocki, 2003 CF 1172, [2003] A.C.F. no 1505, une fausse déclaration d’un fait essentiel comprend une déclaration contraire à la vérité, la non-révélation de renseignements véridiques ou la réponse trompeuse […]

[17]           Je suis d’avis qu’en l’espèce, l’omission de la demanderesse de donner une explication satisfaisante à savoir pourquoi elle n’avait pas déclaré sa citoyenneté belge, que ce soit dans son formulaire de demande ou au cours de son entrevue du 1er juin avec l’agent de citoyenneté, conjuguée au fait qu’elle n’avait pas été franche quant à cette question dans son affidavit devant la Cour, est suffisante pour entraîner le rejet de sa demande.

[18]           Je suis aussi d’avis que compte tenu de la totalité de la preuve produite devant le juge de la citoyenneté, sa décision était raisonnable. La demanderesse n’a pas produit son passeport belge qui était en vigueur au cours de la période de résidence, parce que celui‑ci aurait prétendument été retenu par les autorités belges lorsqu’elles ont délivré son passeport actuel. Puisque la demanderesse a voyagé à l’étranger en vertu de son actuel passeport belge, elle aurait pu voyager avec son passeport belge au cours de la période pertinente. Il était donc loisible au juge de la citoyenneté de se poser des questions en ce qui concerne les absences déclarées par la demanderesse et de conclure qu’elle ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve.

B.                 L’équité procédurale

[19]           La demanderesse soutient que le juge de la citoyenneté [traduction] « n’a pas respecté un principe de justice naturelle, l’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il avait l’obligation de respecter conformément à la loi en omettant de lui donner la possibilité de produire des documents ou des éléments de preuve supplémentaires » à l’appui de toute question factuelle liée à la résidence.

[20]           Dans ses observations écrites, la demanderesse ne mentionne rien au sujet des éléments de preuve qu’elle aurait pu produire dans l’éventualité où elle avait eu l’occasion de le faire. Elle prétend au contraire que, compte tenu de son âge et de son statut, ses bulletins scolaires constituaient une preuve suffisante de sa présence effective au Canada. De plus, elle cite le passage suivant de la décision que j’ai rendue dans l’affaire Saad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 570 [Saad 1], à l’appui de la thèse selon laquelle l’omission, par un juge de la citoyenneté, d’obtenir auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada les renseignements contenus dans son Système intégré d’exécution des douanes (SIED) constituerait un manquement à l’équité procédurale :

[25] […] Lors de l’audition devant la Cour, le défendeur soumet qu’il est possible que le demandeur ait visité d’autres pays durant la période de référence, les États-Unis par exemple, et que son passeport n’ait été étampé ni à la sortie du Canada ni au retour. Cela est très spéculatif et il aurait été relativement facile pour le défendeur de vérifier auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada si les entrées et sorties du demandeur, pendant la période de référence, correspondaient à celles apparaissant sur son passeport. Aucune vérification en ce sens n’a été faite.

[21]           Lors de l’audience, l’avocat de la demanderesse a tenté de produire un imprimé du rapport du SIED que la demanderesse avait obtenu il y a de cela plusieurs mois, mais qui avait été communiqué à l’avocate du défendeur uniquement quelques jours avant l’audience. L’avocate du défendeur s’est opposée au dépôt de ce document et j’ai maintenu son objection.

[22]           Tout d’abord, la raison pour laquelle j’ai fait droit à la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Saad dans la décision Saad 1 est que le juge de la citoyenneté a simultanément appliqué deux critères différents en ce qui a trait à la résidence. Après ma décision, la demande de citoyenneté de M. Saad a fait l’objet d’une nouvelle décision par un juge de la citoyenneté, qui l’a accueillie. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a interjeté appel de cette décision et, il y a de cela quelques semaines, j’ai rendu ma décision : Saad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 245 [Saad 2]. Dans Saad 2, j’ai accueilli l’appel du ministre, au motif que le deuxième juge de la citoyenneté n’a pas fourni des motifs adéquats à l’appui de sa décision et que, de plus, il n’avait pas tenu compte de la preuve produite par le ministre et par l’agent de citoyenneté, plus particulièrement l’avertissement se rapportant au manque de fiabilité des renseignements contenus dans le SIED de l’ASFC. Au paragraphe 21 de Saad 2, j’ai reproduit le passage suivant des notes de l’agent de citoyenneté :

[traduction]
[…]

Note : Le rapport de l’ASFC a ses limites. Même si le client avait produit un dossier de l’ASFC, les sorties du Canada ne sont pas consignées par l’ASFC. De plus, les entrées sont uniquement mentionnées dans le rapport si un document de voyage (passeport ou carte de résident permanent) a été balayé. Les documents de voyage ne sont pas systématiquement balayés aux points d’entrée canadiens. De plus, nous ne pouvons pas nous fonder uniquement sur le passeport, puisque nombre de pays n’estampillent pas le passeport lorsque les voyageurs entrent et sortent d’un pays, mais qu’ils étampent plutôt, exemple, des cartes de voyage. C’est le cas du Liban. De plus, il est possible que des clients puissent avoir plus d’un passeport valide au même moment.

[23]           Deuxièmement, la question relative à l’équité procédurale, telle que présentée par la demanderesse, n’a aucune incidence quant à la question déterminante dont était saisi le juge de la citoyenneté et dont je suis saisie, soit le fait que la demanderesse n’a pas divulgué sa citoyenneté belge en temps opportun et qu’elle a omis de produire une copie de son passeport belge qui était valide au cours de la période de résidence. Ce passeport était en sa possession lorsqu’elle a produit sa demande de citoyenneté, mais il n’était prétendument pas en sa possession lorsqu’elle a produit le questionnaire sur la résidence. En outre, elle n’a pas donné à la Cour une explication satisfaisante à savoir pourquoi elle n’avait pas apporté son passeport belge pour son examen de la citoyenneté ainsi que pour son entrevue avec l’agent de citoyenneté. Je rejetterai donc aussi cet argument.

IV.             Conclusion

[24]           Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, l’appel interjeté par la demanderesse sera rejeté.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  L’appel interjeté par la demanderesse est rejeté.

2.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Jocelyne Gagné »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1457-14

INTITULÉ :

NADA ASHRAF SALLAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 FÉVRIER 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 8 avril 2015

COMPARUTIONS :

Me Rami Kaplo

POUR LA DEMANDERESSE

Me Anne-Renée Touchette

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Kaplo

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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