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Date : 20150409


Dossier : T-1606-14

Référence : 2015 CF 439

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2015

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

RNC MÉDIA INC.

demanderesse

et

DENIS CÔTÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre nommé en vertu de la section XIV de la Partie III du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 [Code], rendue en date du 13 juin 2014, et par laquelle l’arbitre a accueilli la plainte en congédiement injuste du défendeur et confirmé son droit d’être réintégré dans son emploi de représentant aux ventes auprès de la demanderesse.

[2]               La demanderesse plaide essentiellement que l’arbitre était partial, qu’il n’a pas respecté les principes de justice naturelle et d’équité procédurale en ne lui permettant pas de contre-interroger le défendeur et qu’il a erré en concluant que le défendeur avait fait l’objet d’un congédiement injuste. La demanderesse plaide également que puisque l’arbitre a scindé l’audition, il ne devait pas se prononcer à ce stade-ci sur le droit du défendeur à la réintégration dans son emploi, ce qu’il a fait.

[3]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de l’employeur sera rejetée.

I.                   Les faits

[4]               La demanderesse est une entreprise de radiodiffusion propriétaire de plusieurs stations de radio et de télévision.

[5]               En avril 2008, elle a embauché le défendeur comme représentant sénior aux ventes locales. Son premier contrat d’emploi était pour une période de quatre mois et il a été suivi de quatre contrats consécutifs d’une durée d’un an. Le 7 septembre 2012, le défendeur a reçu une lettre de la demanderesse à laquelle était joint son contrat d’emploi pour l’exercice financière 2012-2013. La lettre prévoyait qu’il avait 48 heures pour signer le contrat, à défaut de quoi on considérerait qu’il entend démissionner. Le contrat joint à cette lettre contenait la clause suivante :

Le contrat convenu entre les parties est à durée déterminée de trois (3) mois et pourra être par la suite renouvelé si l’employé atteint les objectifs de 15% de développement de nouveaux clients et est cependant sujet aux dispositions de résiliation prévues aux présentes.

[6]               Le défendeur a signé ce contrat le 12 septembre 2012 et il a déposé une plainte pour congédiement déguisé le 25 octobre 2012. Dans cette plainte il fait valoir que suite à son absence de 7 semaines pour cause de maladie à l’été 2011, la demanderesse a engagé des représentants aux ventes juniors, elle leur a transféré sans justification valable près de 50% de sa clientèle, elle a changé le titre de son poste pour celui de conseiller publicitaire et elle a modifié son contrat de travail pour en faire un contrat à durée déterminée de 3 mois.

[7]               Le 13 novembre 2012, la demanderesse a mis fin à l’emploi du défendeur. Sa lettre de congédiement se lit comme suit :

En date du 31 octobre 2012, vous avez déposé une plainte aux Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC), plainte qui se devait d’être confidentielle.  Aujourd’hui nous constatons, malgré l’entente verbale que vous aviez avec [la demanderesse], que vous n’avez malheureusement pas respecté cet engagement.  Vous-même avez mentionné en avoir parlé à certains de vos collègues.  Or, la divulgation de votre démarche auprès de ceux-ci a créé un important climat d’insécurité et généré une influence négative généralisée auprès de plusieurs d’entre eux.

[8]               Le 21 novembre 2012, le défendeur a déposé une seconde plainte, cette fois pour congédiement injuste en vertu des articles 240 et suivants du Code.

[9]               L’arbitre a accueilli la plainte en congédiement injuste du défendeur et conclu qu’il avait été congédié sans cause juste et suffisante. L’arbitre est d’avis que la preuve de la demanderesse ne démontre pas que le défendeur avait une piètre performance, ni une attitude négative, ou qu’en parlant de sa première plainte avec ses collègues de travail, il aurait créé un « important climat d’insécurité ». Le fait que le défendeur ait exercé son droit de déposer une plainte et qu’il en ait parlé à des collègues ne constitue pas un motif valable de congédiement. L’arbitre a conclu que le défendeur avait droit à la réintégration et a réservé sa compétence quant aux modalités de cette réintégration ou à la possibilité de prendre toute autre mesure.

II.                Les questions en litige et la norme de contrôle

[10]           Devant la Cour, la demanderesse n’attaque pas tant la décision de l’arbitre sur le fond, mais plutôt le processus suivi. Elle soulève les questions en litige suivantes :

1. L’arbitre a-t-il fait défaut de respecter les principes d’équité procédurale?

2. L’arbitre a-t-il outrepassé sa compétence en décidant que le défendeur avait le droit d’être réintégré dans son emploi ?

[11]           Puisqu’il s’agit de questions d’équité procédurale et de compétence, la norme applicable est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 ; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12).

III.             Analyse

A.                L’équité procédurale

[12]           La demanderesse invoque plusieurs manquements de la part de l’arbitre aux principes d’équité procédurale. Premièrement, elle plaide que le comportement de l’arbitre, tout au long de l’audition de la plainte du défendeur qui a duré 4 jours, a fait naître chez elle une crainte raisonnable de partialité. Deuxièmement, elle reproche à l’arbitre d’avoir substantiellement limité son droit au contre-interrogatoire du défendeur, ce qui en soit constitue un manquement à l’équité procédurale (BREST Transportation Ltd c Noon, 2009 CF 630 aux paras 7-8). Troisièmement, elle lui reproche de ne pas avoir considéré le subpoena duces tucem transmis au défendeur et de ne pas l’avoir forcé à s’y contraindre et à produire les documents demandés.

[13]           La demanderesse a soumis les affidavits de son directeur général, M. Philippe Lefebvre, et de son directeur des ventes, M. Steve Hayes. Ces affidavits sont presque identiques et contiennent les allégations suivantes (extraits de l’affidavit de M Lefebvre) :

16. J’ai rapidement constaté que Me Bruno Leclerc [l’arbitre] avait une idée préconçue, dans le présent dossier et qu’il était, en apparence, partial, favorisant la thèse du défendeur Côté, dès les premiers instants de l’audience (mon témoignage) ;

17. J’ai constaté qu’il ne prenait pas de notes, lorsque je livrais des éléments importants pour la position de la demanderesse, et, qu’en revanche, il prenait beaucoup de notes lorsque des éléments pouvaient nuire à la position de RNC Média inc.;

18. Il intervenait systématiquement, lorsque les témoins étaient interrogés ou contre-interrogés, afin de poser des questions toujours comme s’il était le procureur du défendeur Côté ;

19. J’ai rapidement perdu confiance en l’équité du processus et en l’impartialité du décideur ;

[…]

21.  Au cours des deux (2) derniers jours, Me Bruno Leclerc a complètement perdu, à mon avis, son sang froid et sa partialité ne faisait plus aucun doute ;

22. Il intervenait constamment, dans les interrogatoires et contre-interrogatoires de notre procureur ;

23. Il s’est systématiquement objecté à la quasi-totalité des questions posées par notre procureur à l’endroit du défendeur Côté ;

24. Il a refusé que notre procureur contre-interroge le défendeur Côté ;

25. Il a déclaré qu’il n’était pas possible, pour l’Employeur, de contre-interroger le plaignant ;

26. Il a déclaré que l’Employeur devait se limiter à poser des questions non suggestives, des questions ouvertes ;

[…]

28. L’arbitre Me Leclerc a refusé de rendre une décision formelle, même à la demande du procureur de RNC Média inc., à l’effet qu’il n’avait pas le droit de contre-interroger le défendeur Côté ;

[…]

30. L’arbitre n’a jamais ordonné au défendeur de répondre aux questions du procureur de RNC Média inc., malgré qu’il n’y avait aucune objection, du procureur du défendeur, et, ce, même à la demande du procureur de la demanderesse à la faire (obliger le témoin de répondre) ;

[…]

37. L’arbitre Leclerc a réitéré que peu importe les points qu’il pourrait soulever et peu importe l’instance, il continuerait ex parte tel il avait le droit de le faire;

[14]           De son côté, le défendeur a soumis un affidavit dans lequel il allègue que le procureur de la demanderesse a eu le loisir de le contre-interroger sur les questions posées par son avocat, que l’arbitre prenait autant de notes lorsque les représentants de la demanderesse témoignaient, que l’avocat de la demanderesse argumentait constamment avec l’arbitre et qu’il a menacé de quitter si on ne le laissait pas poser des questions suggestives. C’est d’ailleurs à ce moment que l’arbitre aurait indiqué que si la demanderesse et son procureur quittaient la salle, ils poursuivraient ex parte. Finalement, l’arbitre n’aurait pas refusé une suspension de l’audience, il l’aurait plutôt proposée.

[15]           Je vais d’abord traiter du refus de l’arbitre de rendre une décision interlocutoire sur la portée du contre-interrogatoire du défendeur par l’avocat de la demanderesse. Comme nous le verrons plus loin, l’arbitre a plutôt choisi de trancher cette question dans le cadre de sa sentence arbitrale. Il avait totale discrétion pour le faire et même s’il avait rendu une décision interlocutoire séance tenante, cette dernière n’aurait pas pu faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant cette Cour, elle n’aurait pu être attaquée que sur demande de contrôle judiciaire de la décision finale de l’arbitre (Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, au para 31). L’arbitre avait donc raison d’informer la demanderesse que si elle et son procureur choisissaient de quitter avant la fin de l’audience, ils le faisaient à leur risque puisque l’audition pourrait se poursuivre sans eux.

[16]           Comme on le voit couramment en pareille matière, la demanderesse a choisi de faire témoigner le défendeur dans le cadre de sa preuve. C’est dans ce contexte que l’arbitre a d’abord restreint ce que le procureur de la demanderesse qualifie de contre-interrogatoire du défendeur et qui est, en fait, un interrogatoire en chef. L’arbitre revient sur cette question dans sa décision et, se fondant sur les alinéas 242(2) b) et c) du Code, il soutient qu’il est maître de la procédure et de la preuve présentée devant lui et qu’il n’est pas soumis aux règles édictées par le Code de procédure civile du Québec. Il n’était donc pas tenu de permettre au procureur de la demanderesse de poser des questions suggestives à son propre témoin, le défendeur. Voici comment il dispose de la question :

[102] Ainsi, lorsque l’Employeur ou son procureur produit le plaignant comme témoin pour établir les faits qui soutiennent ses prétentions, il ne peut, à mon avis, invoquer l’article 306 du Code de procédure civile pour poser des questions d’une manière qui suggère la réponse désirée, c’est-à-dire des questions suggestives, ni le reprocher, ni en définitive le contre-interroger comme s’il était une partie adverse, au sens du Code de procédure civile, ayant des intérêts opposés à la partie qui l’interroge, comme l’a fait le procureur de l’Employeur dans le présent dossier.

[17]           Avec respect, je suis d’avis qu’il faille distinguer entre le fait de poser des questions suggestives au témoin et le fait de le reprocher ou de mener un contre-interrogatoire en règle. Je vois difficilement comment l’interrogatoire du plaignant par le procureur de l’employeur peut être efficace et favoriser la découverte des faits pertinents à la plainte si ce procureur n’a pas une certaine latitude et qu’il ne peut poser de questions d’une manière qui suggère la réponse désirée. Bien que l’arbitrage d’une plainte de congédiement injuste s’apparente davantage à une enquête qu’à un procès civil, il n’en demeure pas moins que le plaignant à des intérêts opposés à ceux de l’employeur. La demanderesse plaide qu’elle avait le droit de contre-interroger le demandeur dans le cadre de sa preuve alors que le défendeur plaide qu’elle n’avait même pas le droit de poser de questions suggestives. Je suis d’avis, à l’instar de l’arbitre Weatherill dans Re Royal Canadian Mint and Public Service Alliance of Canada, [1978] OLAA No 100, 20 LAC (2d) 127 (cité avec approbation par l’arbitre Bastien dans National Bank of Canada v Paitich, 2011 CanLII 89184 (CA LA) au para 57), que l’équilibre se trouve entre ces deux positions :

There is no doubt, and the board has already ruled, that the employer is entitled to call the grievor as its witness. In doing so, the employer puts that person forward as a credible witness, and while he is obviously adverse in interest to the employer, he is not necessarily a hostile witness. Unless it is established, either by the witness's behaviour and demeanour (and we would add that it would take an extreme case to lead us to the conclusion required), or by proof of his having made a prior inconsistent statement which he has denied, that he is a hostile witness, then he is not subject, on examination by the party calling him, to the sort of rigorous cross-examination to which one might subject a witness called by the other side. Leading questions which attack his credibility or his powers of observation, for example, may not be put. Counsel may, however, since the witness is adverse (although not hostile), put questions which are leading to a certain degree. We think the criteria for judgment in these circumstances must be realism and fairness. It is not fair, especially in a labour arbitration, to make one's own case by cross-examining the other party whom one calls as one's own witness. On the other hand, it is not realistic to expect enthusiastic and voluminous response from a witness called in such circumstances. Leading questions may be put, then, but with restraint.

[18]           Le professeur Léo Ducharme explique d’ailleurs bien cette nuance et l’origine de la règle :

[…] En droit québécois, il n`est pas nécessaire que le témoin soit déclaré « hostile » pour qu’on puisse lui poser des questions suggestives, il suffit qu’il cherche à éluder les questions ou encore à favoriser une autre partie. C’est au tribunal, toutefois, qu’il incombe d’apprécier la conduite du témoin, et son autorisation est requise pour pouvoir lui poser des questions suggestives….Cette exception est inspirée des règles de la common law concernant ce qu’on appelle le témoin « hostile ». (Léo Ducharme, « L’administration de la preuve » 4e édition (Léo Ducharme et Charles-Maxime Panaccio (Wilson & Lafleur ltée, Montréal : 2010), au  para682) 

[19]           Quoi qu’il en soit, cet argument a peu d’impact en l’instance.

[20]           Premièrement, dans les faits, l’arbitre a donné une certaine latitude à l’avocat de la demanderesse en lui laissant poser des questions suggestives au défendeur, sous réserve de leur pertinence. C’est du moins ce qui ressort du paragraphe 58 de sa décision.

[21]           Deuxièmement, le procureur du défendeur a finalement décidé de faire entendre ce dernier dans le cadre de sa preuve, de sorte que le procureur de la demanderesse a eu loisir de le contre-interroger. Bien que dans son mémoire des faits et du droit, la demanderesse ne plaide pas que son procureur a également été restreint dans le cadre de son contre-interrogatoire du défendeur, elle l’a fait lors de l’audition, en réponse aux questions de la Cour. Le procureur de la demanderesse a répondu qu’il a été limité aux questions posées au défendeur par son procureur et qu’on l’a empêché d’aborder les sujets déjà traités dans le cadre de sa propre preuve. Le procureur de la demanderesse a reconnu que compte tenu de la façon dont son interrogatoire du défendeur avait été limité dans le cadre de sa preuve, il n’a pas insisté et son contre-interrogatoire fût plutôt court. Dans son affidavit, le défendeur affirme avoir été contre-interrogé par le procureur de la demanderesse alors que les paragraphes 74 et 75 de la décision de l’arbitre traitent de ce contre-interrogatoire.

[22]           Il est faux de prétendre qu’un contre-interrogatoire doive se limiter aux sujets traités en chef par le témoin. Le fait de se voir refuser certaines questions pertinentes ou de ne pouvoir contre-interroger sur un élément important du dossier constitue généralement une violation aux principes de justice naturelle (Imperial Oil Ltd. v Alberta (Minister of Environment), 2003 ABQB 388, au para 70). Cependant, je n’ai aucune raison de croire, à la lumière de la preuve au dossier, qu’il a été ainsi limité en l’espèce ou que le procureur de la demanderesse n’a pas eu la chance et la latitude de contre-interroger le défendeur dans le cadre de la preuve de ce dernier.

[23]           Troisièmement, l’objectif visé par le contre-interrogatoire du défendeur était de démontrer qu’il avait été congédié en conséquence d’un problème d’attitude et du fait qu’il refusait de faire du développement de clientèle et du mentorat auprès des vendeurs juniors. Or, ces faits ne sont aucunement invoqués dans la lettre de congédiement du défendeur, ils n’ont fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire préalable à l’endroit du défendeur et les deux représentants de la demanderesse admettent dans leur affidavit qu’en aucun temps avant que le défendeur ne parle de sa première plainte à ses collègues de travail, la demanderesse n’avait-elle considéré le congédier. Même si le défendeur avait un problème d’attitude, l’arbitre était bien fondé de conclure que ce problème ne justifiait pas un congédiement dans les circonstances et que ce n’est pas, dans les faits, ce qui a motivé la demanderesse à le congédier.

[24]           Pour ce qui est du subpoena duces tecum transmis au défendeur, la preuve est silencieuse quant à son contenu, quant à la pertinence des documents demandés ou quant à la preuve que la demanderesse aurait été empêchée de faire. La seule référence à ce document se trouve dans le mémoire de la partie demanderesse et aucune mention n’en est faite dans les affidavits ou dans la décision contestée. La Cour ne peut donc pas se prononcer sur cette question.

[25]           Finalement, le critère applicable pour déterminer si le comportement d’un décideur soulève une crainte raisonnable de partialité est celui énoncé par la Cour suprême dans Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1976] 6 SCJ 118 au para 40 :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander «à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [l’arbitre], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?»

[26]           Dans le contexte où l’audition de la plainte devant l’arbitre n’a fait l’objet d’aucun enregistrement ni notes sténographiques, la Cour se trouve dans une position bien difficile pour évaluer l’attitude et l’impartialité du décideur. La preuve à ce sujet est contradictoire. D’un côté, les deux représentants de la demanderesse affirment, dans des affidavits quasi-identiques, que l’arbitre était partial, qu’il intervenait constamment lorsque leur procureur interrogeait les témoins et ne prenait aucune note. D’un autre côté, le défendeur affirme le contraire et prétend plutôt que c’est l’attitude de l’avocat de la demanderesse qui posait problème. L’analyse de cette preuve est d’autant limitée qu’il n’y a eu aucun interrogatoire sur affidavit ni témoignage devant la Cour.

[27]           Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Gravel c Telus Communications Inc, 2012 CAF 43 au para 10, il est périlleux de conclure à un manquement à l’équité procédurale sur la foi d’affidavits contradictoires.

[28]           Dans les circonstances de la présente affaire, je suis d’avis que la demanderesse n’a pas démontré que le comportement de l’arbitre faisait naître une crainte raisonnable de partialité. De plus, s’il était nécessaire pour la Cour de préférer une version des faits à l’autre, je suis d’avis que celle du défendeur est davantage conforme aux constats de l’arbitre, notamment quant à l’attitude du procureur de la demanderesse à l’endroit du défendeur :

[62] Le procureur du plaignant s’objecte à la poursuite de l’interrogatoire soulevant que le procureur de l’Employeur harcèle le témoin.  Un débat s’engage sur le contre-interrogatoire que fait subir le procureur de l’Employeur au témoin qu’il a lui-même produit.  Il laisse croire qu’il veut quitter l’audience avec son client si l’arbitre ne permet pas ses questions.  L’arbitre mentionne au procureur de l’Employeur que l’audience peut se poursuivre ex parte, en rappelant à ce dernier le texte du paragraphe 242(2) et de l’alinéa c) de l’article 16 du Code canadien du travail.  Le procureur du plaignant est disposé à poursuivre l’audience ex parte s’il le faut.

[63] L’audience est suspendue afin de permettre au procureur de l’Employeur de consulter sa cliente et de décider s’il désire quitter l’audience ou rester.

[29]           Pour tous ces motifs, je suis d’avis que ce premier moyen de la demanderesse doit être rejeté.

B.                 L’arbitre a-t-il outrepassé sa compétence ?

[30]           La demanderesse plaide que l’arbitre a outrepassé sa compétence en décidant que le défendeur avait droit d’être réintégré dans son emploi, alors même qu’il a scindé l’audience et précisé qu’il se limiterait à déterminer si le congédiement était juste ou non.

[31]           Voici l’extrait pertinent de ses motifs :

[15] La preuve présentée par les parties a porté principalement sur les faits qui ont amené l’Employeur à mettre fin à l’emploi du plaignant et sur les faits qui, selon le plaignant, démontrent que le congédiement était injuste. Cela signifie qu’aucune preuve n’a été présentée sur les faits qui permettraient à l’arbitre, s’il décide que le congédiement était injuste, d’émettre les ordonnances prévues au paragraphe 242(4) du Code. Comme il est d’usage de le faire, je réserverai donc compétence pour entendre postérieurement cette preuve s’il y a lieu et d’émettre les ordonnances prévues à cette disposition du Code le cas échéant.

[32]           Voici maintenant les conclusions de sa décision, pertinentes à l’examen de cette question:

[…]

DÉCLARE que Denis Côté a le droit d’être réintégré dans son emploi;

RÉSERVE compétence pour ordonner cette réintégration à la demande d’une partie, fixer les modalités de la réintégration du plaignant et résoudre toute difficulté découlant de l’ordonnance de réintégration;

[…]

[33]           Avec respect, je ne vois aucune contradiction entre ce que l’arbitre a annoncé dans ses motifs et ce qu’il a rendu comme ordonnance. Puisqu’il ne s’est pas prononcé sur la plainte de congédiement déguisé du défendeur, il devra nécessairement entendre la preuve qui lui permettra de compléter sa sentence arbitrale et de rendre les ordonnances que le Code lui permet de rendre. Je suis d’avis que l’arbitre pouvait se prononcer sur le droit du défendeur à la réintégration dans son emploi, en réservant sa compétence quant aux modalités de cette réintégration et quant à toute autre ordonnance que lui permet de rendre le paragraphe 242(4) du Code.

IV.             Conclusion

[34]           Je suis donc d’avis que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse doit être rejetée avec dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Les dépens sont accordés au défendeur.

« Jocelyne Gagné »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1606-14

INTITULÉ :

RNC MÉDIA INC. c DENIS CÔTÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 février 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 9 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

Me René Dion

Pour la demanderesse

Me David Gervais

Me Ronald Sirard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me René Dion

Avocat(e)

Québec (Québec)

Pour la demanderesse

Picard Sirard Poitras

Avocat(e)s

Québec (Québec)

Pour le défendeur

 

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