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Date : 20150416


Dossier : IMM‑4306‑13

Référence : 2015 CF 478

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

LOICK KALALA KANKIENZA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur (Loick) est un citoyen de la République démocratique du Congo (le Congo). Il avait huit ans quand il est arrivé au Canada en septembre 2010. Il était accompagné de sa tante maternelle, Belle‑Grace Kankienza (Grace), qui vit au Canada depuis 2004 et qui a le statut de réfugiée.

[2]               En décembre 2010, Grace a déposé une demande d’asile au nom de Loick en se fondant sur les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), car elle craignait que, en raison de la situation familiale de Loick, il n’y ait personne pour s’occuper de lui s’il devait retourner au Congo. Plus précisément, elle craignait pour Loick parce que (i) le père de Loick était un homme recherché et très en vue au Congo, (ii) n’ayant personne pour s’occuper de lui au Congo, Loick deviendrait un enfant des rues dans un pays où le système public de protection des orphelins ou des enfants abandonnés est inexistant ou déficient, et (iii) le Congo est un pays instable.

[3]               Le 10 mai 2013, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SPR) a rejeté la demande d’asile au motif qu’il n’existait dans le dossier aucune preuve digne de foi validant une telle crainte. Loick soutient que cette conclusion est déraisonnable et qu’elle a été tirée au mépris des règles de l’équité procédurale, car il lui avait fallu exposer son cas sans être représenté à l’étape cruciale de l’audition de sa demande d’asile.

[4]               Pour les motifs exposés ci‑après, je suis d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire.

II.                Contexte

[5]               Loick est né le 23 janvier 2002, à Kinshasa, au Congo. Il est le fils de Favie Kankienza, la sœur de Grace, et de John Bahati. Son père, John Bahati, était membre de la garde prétorienne de l’ancien président Laurent‑Désiré Kabila, qui a été assassiné en janvier 2001. M. Bahati a été accusé d’avoir pris part à l’assassinat et il vit depuis en exil avec la mère de Loick.

[6]               Selon la demande d’asile, la mère serait retournée à Kinshasa pour donner naissance à Loick puis revenue auprès de son mari en exil quand les autorités se sont mises à la poursuivre. Avant de revenir auprès de son mari, elle a confié Loick à son propre père, M. Kankienza, qui aurait alors enregistré Loick sous le patronyme de Kankienza afin d’empêcher toute attribution de paternité à son père biologique.

[7]               Au décès de M. Kankienza en 2010, Grace a assisté aux funérailles et a ramené Loick avec elle au Canada, en se servant d’un faux passeport belge qu’elle avait obtenu grâce à un « ami de la famille ». Grace avait déjà fui le Congo en 2004, après que les autorités s’étaient mises à la persécuter en raison de sa relation avec sa sœur et avec M. Bahati. C’est sur ce fondement qu’elle avait obtenu le statut de réfugiée au Canada.

III.             La décision de la SPR

[8]               Il convient d’emblée de noter que l’audience tenue devant la SPR s’est étalée sur six séances, réparties sur un peu plus d’un an. Un conseil a représenté Loick au cours des deux premières séances, un autre au cours des deux suivantes, et aucun ne l’a représenté pour les deux dernières. Grace a d’abord agi comme représentante désignée de Loick, mais, après avoir estimé ne pas pouvoir se fier à elle, la SPR a décidé de lui retirer cette qualité. Elle a été remplacée comme représentante désignée de Loick par une avocate bénévole, Michèle Brady (Mme Brady), qui s’est présentée la première fois à la troisième séance de l’audience, en février 2012.

[9]               Dans sa décision, la SPR s’est d’abord déclarée satisfaite du document établissant l’identité de Loick, à savoir son dossier scolaire, une question qui lui avait posé des difficultés. Bien que Grace eût affirmé que le grand‑père maternel de Loick lui avait donné son patronyme pour éviter tout lien avec son père recherché, a ensuite relevé la SPR, les autres documents d’identité, à savoir l’acte de naissance, le dossier de santé et l’autorisation parentale, désignaient bien John Bahati et Favie Kankienza comme les parents de Loick. La SPR a aussi relevé que, dans son témoignage, Loick avait affirmé qu’il vivait avec ses parents, qu’il avait visité M. Kankienza avant son arrivée au Canada et qu’il parlait souvent au téléphone avec sa mère depuis qu’il était au Canada.

[10]           En raison de ces constatations, la SPR a refusé de croire que Loick avait grandi au Congo aux côtés de son grand‑père maternel. Elle a conclu en fait que la seule personne apte à le confirmer était Grace, qu’elle avait jugée non crédible. La SPR s’est exprimée durement sur le comportement de Grace, tantôt à propos du faux passeport, tantôt à propos du fait qu’elle aurait encouragé Loick à mentir aux autorités, ou encore à propos de l’autorisation parentale maquillée qu’elle avait obtenue pour obtenir la garde de Loick à leur arrivée au Canada.

[11]           La SPR a donc estimé que la preuve produite ne montrait pas que Loick n’avait pas de proches parents pouvant s’occuper de lui au Congo. Elle a aussi retenu que Grace avait au Congo deux enfants qu’elle avait confiés à une amie au moment de quitter le pays en 2004 pour demander l’asile au Canada. Elle a jugé absurde que Grace ait pu laisser ses propres enfants à une amie, mais n’ait pas pris de dispositions pour que son neveu soit confié à des proches au Congo.

[12]           La SPR a conclu que les raisons invoquées dans la demande d’asile pour expliquer la crainte de Loick de retourner au Congo n’étaient pas les véritables raisons de la présence de Loick au Canada et que, par conséquent, Loick n’était pas une personne exposée à des risques au sens des articles 96 ou 97 de la Loi.

IV.             Points en litige et norme de contrôle

[13]           La présente affaire soulève la question de savoir si la SPR a tiré des conclusions déraisonnables en laissant de côté des éléments de preuve qui lui avaient été présentés, ou en rattachant ses conclusions de fait à des postulats juridiques erronés. Il n’est pas contesté que les décisions portant sur la crédibilité et les conclusions de fait sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190; Golesorkhi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 511, au paragraphe 8, [2008] ACF n° 637 (QL); Zavalat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1279, au paragraphe 18, [2009] ACF n° 1639 QL).

[14]           Loick affirme aussi que la SPR a transgressé les règles de la justice naturelle en l’obligeant à exposer son cas sans être représenté à l’étape cruciale de l’audience. Vu ma réponse à la première question, il ne sera pas nécessaire d’examiner ce deuxième point.

V.                Arguments des parties

[15]           Selon Loick, la décision tout entière de la SPR procède du postulat selon lequel il peut vivre avec ses parents ou d’autres membres de sa famille au Congo. Il affirme que le raisonnement de la SPR est trop vague. Plus précisément, il dit que la SPR n’a pas tenu compte du témoignage de Mme Brady selon lequel aucun proche parent ne pouvait être trouvé au Congo, et qu’elle n’a pas fait état de ce témoignage dans ses motifs. Bien que la SPR ait noté qu’il avait témoigné avoir communiqué avec sa mère par téléphone, ajoute‑t‑il, la SPR n’a pas tenu compte du fait que, pour lui, les mots « mère » et « père » n’avaient pas le sens de parents biologiques.

[16]           Loick fait valoir aussi que les doutes de la SPR concernant la crédibilité de Grace sont déraisonnables, parce que la SPR a refusé d’ajouter foi au témoignage tout entier de Grace au motif que celle‑ci avait au départ menti aux autorités frontalières canadiennes et à la Société d’aide à l’enfance à propos de l’identité de Loick, bien qu’il ait été reconnu plus tard que la Société d’aide à l’enfance avait la certitude que Grace était le parent‑substitut de Loick. Il soutient aussi que la SPR a tiré des conclusions de fait injustifiées et conjecturé les raisons pour lesquelles Grace avait laissé ses propres enfants à une amie au Congo au moment de partir au Canada pour demander l’asile. Invoquant la décision Gracielome c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 9 Imm. LR (2d) 237, [1989] ACF n° 463 (QL) (la décision Gracielome), Loick affirme qu’il s’agit là d’un vice fondamental de la décision puisqu’elle repose largement sur cette conclusion et que Grace n’a jamais été à même de dissiper les doutes de la SPR sur ce point.

[17]           Le défendeur soutient que la conclusion de la SPR selon laquelle Loick pouvait vivre au Congo auprès d’un membre de sa famille repose sur la crédibilité et sur l’absence de preuve contraire digne de foi et qu’elle est donc raisonnable. Il affirme aussi que, même si la SPR ne fait pas référence dans sa décision au témoignage de Mme Brady, il est présumé que la SPR a examiné toute la preuve qui lui a été présentée. Il ajoute qu’il était loisible à la SPR de préférer le témoignage de Loick à celui de Mme Brady ou de Grace, même si Loick venait tout juste d’avoir 10 ans au moment de l’audience.

[18]           Le défendeur dit aussi que les conclusions de la SPR touchant les propres enfants de Grace et leur placement auprès d’un autre membre de la famille au Congo étaient raisonnables et que la SPR n’était pas tenue d’inviter Grace à s’en expliquer.

VI.             Analyse

[19]           Selon moi, la difficulté que soulève la décision de la SPR n’est pas tant l’imprécision des motifs que la distinction floue entre le témoignage de Grace et celui de Loick. Certes, la décision expose, à mon avis, les raisons qui ont conduit la SPR à tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité : le témoignage de Loick selon lequel il communiquait avec sa mère au Congo, et l’absence de crédibilité de Grace en raison des actes commis lorsqu’elle a emmené Loick avec elle au Canada, après les funérailles de M. Kankienza.

[20]           Cependant, je crois que la SPR a commis l’erreur fatale de ne pas évoquer le témoignage tout entier de Loick ni d’en expliquer l’incidence, en particulier compte tenu des directives de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sur les questions relatives à la preuve en ce qui concerne les enfants qui revendiquent le statut de réfugié (Directives numéro 3 du président : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié) (les Directives), lesquelles ne sont même pas mentionnées dans la décision. Il est manifeste en effet que c’est le témoignage de Loick qui a déterminé la conclusion selon laquelle la demande de protection n’était pas crédible, mais certains aspects troublants de son témoignage ne sont pas examinés par la SPR. Ainsi, la SPR oublie que Loick avait affirmé que sa mère était Grace quelques minutes après avoir dit qu’il parlait souvent avec sa « mère » au téléphone depuis qu’il était au Canada. Elle oublie aussi qu’il avait affirmé vivre auprès de sa mère au Congo alors que, en fait, la femme qu’il reconnaissait comme étant sa mère – Grace – vit au Canada. Et la SPR oublie que, interrogé sur le patronyme de son père, il avait donné un nom autre que John Bahati, et avait finalement dit qu’il ne se souvenait pas en réalité des noms de ses parents. La décision ne dit rien du témoignage de Loick qui affirmait vivre seul avec sa mère, tandis que, questionné sur l’endroit où se trouvait son père, Loick avait répondu parallèlement que ses deux parents vivaient ensemble.

[21]           La SPR ne peut pas jouer sur les deux tableaux, c’est‑à‑dire se fonder sur une partie du témoignage qui cadre avec sa conclusion touchant la crédibilité du récit (par exemple le fait que Loick parlait au téléphone avec sa mère) sans tenir compte des évidentes contradictions avec le reste du témoignage (par exemple, aucun des noms donnés par Loick pour ses parents ne correspondait à son acte de naissance). Plus précisément, la SPR ne s’est pas demandé si Loick pouvait être considéré comme un témoin convenable d’après les Directives, qui énumèrent les facteurs à prendre en compte pour déterminer si un enfant qui demande l’asile est apte à témoigner, et elle n’analyse pas non plus les facteurs qui, selon les Directives, peuvent être pris en considération dans l’évaluation du poids devant être accordé à un tel témoignage, lorsqu’il est produit.

[22]           Dans sa décision, la SPR ne mentionne pas le témoignage de Mme Brady selon lequel Loick ne donnait pas aux mots « mère » et « père » le sens de parents biologiques. La décision passe également sous silence le fait qu’on avait dit à Loick, à son arrivée au Canada, de raconter aux autorités une histoire qui n’était pas la sienne. Tous ces facteurs étaient pertinents pour l’évaluation du témoignage de Loick, mais ils ont été laissés de côté par la SPR, ce qui donne à penser que son analyse et ses conclusions ne sont pas raisonnables.

[23]           Il est vrai que, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, la Cour suprême du Canada limite le champ d’intervention de la cour de révision quand la décision attaquée repose sur des motifs incomplets. Cependant, il reste que la cour de révision doit être en mesure de comprendre ce qui a conduit le tribunal administratif à la conclusion qu’il a tirée. En l’espèce, je trouve difficile pour la Cour de déterminer quels éléments du témoignage de Loick ont été retenus et lesquels ont été récusés, et pourquoi.

[24]           Le défendeur soutient que les conclusions de la SPR étaient raisonnables parce qu’il n’était pas établi que les autres membres de la famille de Loick au Congo ne pourraient pas s’occuper de lui. Toutefois, le défendeur ne s’étend guère sur cet aspect. Il est constant en droit qu’il incombe au demandeur d’asile d’établir le bien‑fondé de sa demande (arrêt Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] 3 RCF 239). Toutefois, la Cour a également jugé que, lorsque le fardeau de preuve auquel a été astreint le demandeur d’asile est trop strict, l’affaire doit être renvoyée pour nouvelle décision à un tribunal différemment constitué (Rajadurai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 532, au paragraphe 48, [2013] ACF n° 566 (QL); Alam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4, au paragraphe 9, 41 Imm LR (3d) 263; Leal Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 154, au paragraphe 5, 96 Imm LR (3d) 334).

[25]           Je suis d’avis que l’argument du défendeur n’est pas recevable. Grace a témoigné n’avoir aucune relation avec les membres de sa famille au Congo. Elle a tenu maintes fois les mêmes propos devant la SPR concernant ses frères et sœurs au Congo. Elle ne s’est pas contredite. Il est difficile de comprendre ce qu’espérait la SPR, au‑delà du témoignage très problématique d’un enfant de 10 ans, pour avoir la preuve que personne n’était en mesure de s’occuper de Loick au Congo.

[26]           Selon le défendeur, l’appréciation de la crédibilité de Grace relevait tout à fait de la compétence de la SPR. D’ailleurs, dans la décision Nour c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 805, [2012] ACF n° 761, un précédent portant lui aussi sur un enfant qui demandait l’asile, la Cour a confirmé que l’appréciation du témoignage des membres de la famille fait partie de l’analyse globale de la demande d’asile. Cependant, cette appréciation doit quand même être raisonnable :

44.       La Cour constate que la commissaire attribue une très grande importance à la portée de quelques contradictions concernant le témoignage des membres de la famille. Sa fixation « sur les détails de l’histoire [lui] a fait oublier, il nous semble, l’essentiel de ce sur quoi [A. Nour] fondait sa réclamation » (voir Djama c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF n° 531).

[27]           De même, la seule fois que Grace a témoigné – hormis la première audience où elle agissait comme représentante désignée de Loick – c’est durant la dernière séance de l’audience. La SPR l’a harcelée de questions sur le testament de M. Kankienza. Aucune question ne lui a été posée sur ses propres enfants, ni sur son comportement à la frontière ou auprès de la Société d’aide à l’enfance quant aux raisons qu’elle avait d’agir comme elle avait agi.

[28]           Dans l’espèce Gracielome, précitée, un précédent invoqué par les deux parties, la Commission d’appel de l’immigration avait trouvé des contradictions dans la preuve, mais les actes des demandeurs d’asile auraient pu être expliqués si seulement la question leur avait été posée à l’audience. Je suis d’avis que la présente espèce s’apparente à ce précédent.

[29]           Le défendeur soutient que la SPR n’avait pas l’obligation de signaler à Grace les [traduction« contradictions évidentes » de son témoignage. Je ne puis déceler de « contradictions évidentes » dans la transcription de l’audience. Que Grace ait deux enfants au Congo est une simple question de fait. Elle n’a même pas présenté ce fait, et il ne lui a pas été signalé. Il ne saurait y avoir de contradictions quand le fait en question n’a pas même été étudié par la SPR. Comme on peut le lire dans la décision Shaiq c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 149, au paragraphe 77, [2009] ACF n° 149 (QL) :

77.       Bien que la SPR ne soit pas tenue de faire part au demandeur de toutes ses réserves qui ont trait à la Loi et au règlement, l’équité procédurale exige effectivement qu’elle accorde au demandeur la possibilité d’aborder les problèmes soulevés au sujet de la crédibilité, de l’exactitude ou de l’authenticité des renseignements soumis (voir, par exemple, le jugement Kuhathasan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 587, au paragraphe 37). En conséquence, j’estime que la SPR aurait dû en l’espèce accorder au demandeur la possibilité d’aborder une question qui jouait un rôle essentiel en ce qui concerne la conclusion défavorable tirée quant à la crédibilité.

[30]           Il est d’ailleurs bien établi que les conclusions de fait fondées sur de simples conjectures sont intrinsèquement déraisonnables, car elles sont en général qualifiées de simples suppositions et sont donc dénuées de valeur juridique (Ukleina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1292, aux paragraphes 8 et 14, [2009] ACF n° 1651 (QL)). Ici, le constat selon lequel Grace avait des enfants qu’elle avait laissés chez une amie au moment de quitter le Congo reposait sur des dossiers du défendeur qui remontaient à la demande d’asile déposée par Grace en 2004. Il est impossible de savoir ce qui est arrivé à ces enfants au Congo. Peut‑être ne sont‑ils plus dans ce pays, ou peut‑être leur père les a‑t‑il pris en charge, ou peut‑être ne souhaitent‑ils pas quitter le Congo. Néanmoins, ce point n’a pas été signalé à Grace, et les présomptions qu’en a induites la SPR doivent alors être qualifiées de simples conjectures, et elles sont donc déraisonnables.

[31]           La SPR n’était nullement habilitée à conjecturer sur quoi que ce soit, et je suis d’avis que cet aspect n’aurait dû avoir aucune incidence sur la demande d’asile de Loick et sur l’appréciation de la crainte qu’il avait de retourner au Congo, crainte fondée, comme je l’ai indiqué plus haut, sur le statut de son père au Congo, sur le fait qu’il deviendrait un enfant des rues et sur l’instabilité générale de ce pays, considérations qui toutes sont absentes de la décision de la SPR.

[32]           La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie, puisqu’elle ne répond pas aux critères d’une décision justifiable, intelligible et transparente (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47), et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la SPR pour nouvelle décision. Loick sera alors plus âgé, et il est à espérer que, s’il témoigne à nouveau, il sera informé des points soulevés et de la preuve antérieure.

[33]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                  La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 10 mai 2013, est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision à une autre formation de la SPR;

3.                  Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4306‑13

INTITULÉ :

LOICK KALALA KANKIENZA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 octobRe 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 16 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

POUR LE demandeur

Melissa Mathieu

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE défendeur

 

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