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Date : 20150420


Dossier : IMM‑6277‑14

Référence : 2015 CF 500

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 20 avril 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

AHMED ALI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés du Canada a rejeté l’appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) rejetant demande d’asile du demandeur. La SPR a relevé un certain nombre de contradictions importantes entre le témoignage du demandeur et diverses déclarations antérieures et documents qu’il avait présentés. La SPR s’est fondée sur ces contradictions pour tirer plusieurs conclusions, notamment que les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles.

[2]  La SAR a rejeté l’appel du demandeur sans tenir d’audience et n’a relevé aucune erreur dans la décision de la SPR.

[3]  Dans la présente demande, les arguments du demandeur portent principalement sur la norme de contrôle appliquée par la SAR pour examiner la décision de la SPR. La SAR a appliqué la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[4]  La question de la norme de contrôle appropriée que doit appliquer la SAR dans le cadre de l’appel d’une décision de la SPR et celle du rôle de la SAR, d’une façon générale, ont été examinées dans un certain nombre de décisions récentes de la Cour. La liste des décisions pertinentes se trouve dans les décisions Allalou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1084 au paragraphe 14 (Allalou), et Akuffo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1063 au paragraphe 32 (Akuffo).

[5]  Comme le juge Luc Martineau le fait remarquer dans la décision Alyafi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 952, dans le cadre d’un examen passablement approfondi de la question, il existe certaines divergences dans les décisions récentes rendues par la Cour au sujet du rôle de la SAR. Comme l’illustre la juge Jocelyne Gagné dans la décision Akuffo, aux paragraphes 17 et suivants, un des points de désaccord porte sur le degré de déférence dont la Cour doit faire preuve lorsqu’elle examine la norme de contrôle appliquée par la SAR dans le cadre de l’appel d’une décision de la SPR.

[6]  Le demandeur soutient que le recours à la norme de la décision raisonnable dans le contexte d’un appel constituait une erreur qui devrait être corrigée par la Cour. Le demandeur affirme que la norme de la décision raisonnable s’applique dans le cadre des contrôles judiciaires, mais pas en appel. Le demandeur soutient également que la SAR doit effectuer une analyse indépendante des preuves et former sa propre opinion plutôt que de simplement examiner le caractère raisonnable de l’opinion de la SPR. Cet argument se fonde sur les décisions Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799 aux paragraphes 47, 54 et 55 (Huruglica), et Allalou au paragraphe 17. Le demandeur cite également la décision que j’ai rendue dans Yetna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 858, dans laquelle j’ai déclaré que la SAR n’a pas à faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR, sauf dans « les cas où la crédibilité d’un témoin est critique ou déterminante, ou lorsque la SPR jouit d’un avantage particulier vis‑à‑vis la SAR afin de tirer une conclusion spécifique » (paragraphe 17).

[7]  Le défendeur soutient que la SAR est un tribunal spécialisé qui interprète sa loi habilitante, que la Cour devrait appliquer l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, et faire preuve de retenue à l’égard du choix du tribunal d’appliquer la norme de la décision raisonnable comme norme de contrôle de la décision rendue dans le cadre d’un appel devant la SAR. Le défendeur affirme également que les conclusions de la SPR concernant les incohérences entre le témoignage du demandeur et ses déclarations antérieures sont étroitement liées à un témoignage, et constituaient un élément essentiel de la décision de la SPR; il était donc approprié que la SAR fasse preuve de retenue à l’égard de ces conclusions de la SPR.

[8]  À mon avis, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur la question de la norme de contrôle parce que je suis convaincu à la fois i) que l’analyse de la SAR est raisonnable et ii) qu’elle respecte les normes que le demandeur prétend être applicables. À mon avis, la SAR a effectué une analyse indépendante et approfondie des éléments de preuve étant donné qu’elle les a examinés avec soin et les a pris en compte. Il est vrai que la SAR a retenu plusieurs conclusions de la SPR concernant la crédibilité du demandeur et la fiabilité de divers documents et déclarations sur lesquels il s’est fondé. Cela est toutefois approprié dans la plupart des cas parce que les conclusions en question étaient principalement fondées sur le témoignage du demandeur. Malgré certaines divergences dans la jurisprudence au sujet de la norme applicable par la SAR, il semble qu’il y a consensus pour dire que la SAR doit faire preuve de déférence envers la SPR en ce qui a trait aux questions de crédibilité lorsque la SAR ne tient pas d’audience : Akuffo au paragraphe 34.

[9]  Le demandeur cite certaines conclusions de la SPR qui n’étaient pas fondées sur le témoignage d’un témoin et à l’égard desquelles la SAR n’a pas effectué une analyse indépendante. On pourrait débattre de l’ampleur de l’analyse que doit effectuer la SAR pour respecter son obligation d’apprécier de façon indépendante les documents présentés en preuve. Cependant, en fin de compte et à la lumière des nombreuses et importantes incohérences entre le témoignage du demandeur et ses déclarations antérieures rapportées par la SAR, je suis d’avis que rien ne permet de conclure que la décision de la SAR aurait été autre, même si elle avait appliqué une norme de contrôle différente et effectué une analyse indépendante plus approfondie des preuves documentaires. Voici quelques‑unes des importantes incohérences relevées par la SAR :

  1. À son arrivée au Canada, le demandeur a déclaré qu’il était en vacance pour visiter des amis et qu’il n’éprouvait aucune crainte qui justifierait une demande d’asile;

  2. Lorsqu’on a trouvé des vêtements de femme dans ses bagages, le demandeur a admis qu’il était venu voir sa femme, mais il a déclaré qu’il ne voulait pas demeurer au Canada. Le demandeur a déclaré qu’il a décidé de présenter une demande d’asile seulement lorsqu’il a appris qu’il ne serait pas autorisé à entrer au Canada;

  3. Dans une entrevue passée le lendemain de son arrivée au Canada, le demandeur a déclaré qu’un prêtre musulman résident au Pakistan qui avait entendu dire qu’on avait vu la femme du demandeur quitter un hôtel avec un autre homme (suggérant ainsi une relation illicite) lui avait ordonné de quitter sa femme, mais par la suite, le demandeur a allégué que le prêtre lui avait ordonné de tuer sa femme;

  4. Au cours de la même entrevue du lendemain de son arrivée au Canada, le défendeur a déclaré que le prêtre était la seule personne qu’il craignait, mais il a déclaré par la suite qu’il était également recherché par la police au Pakistan et qu’il était au courant de cette situation avant de venir au Canada.

[10]  Pour tous ces motifs, je conclus qu’il y a lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[11]  Le demandeur demande que soit certifiée une question grave de portée générale concernant la norme de contrôle applicable par la SAR dans le cadre de l’appel d’une décision de la SPR. Cependant, compte tenu de ma conclusion selon laquelle la norme de contrôle appliquée par la SAR n’est pas déterminante, je n’estime pas opportun de le faire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE ce qui suit :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6277-14

 

INTITULÉ :

AHMED ALI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 17 MARS 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Michael Dorey

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Thi My Dung Tran

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Dorey

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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