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Date : 20150410


Dossier : IMM‑4285‑13

Référence : 2015 CF 441

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

JAFFAR ALI CHEEMA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS ET ORDONNANCE

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur (M. Cheema) est citoyen du Pakistan. C’est un musulman chiite et un membre actif d’une organisation chiite; c’est pourquoi il craint d’être persécuté par les extrémistes musulmans sunnites pour avoir écrit une série de quatre articles dans lesquels il critiquait l’extrémisme religieux dans un journal local. C’est cette crainte qui a amené le demandeur à quitter le Pakistan. Il est arrivé à Toronto en décembre 2011 et il a demandé l’asile peu de temps après.

[2]               En particulier, il soutient que plusieurs événements se sont succédé de mars à décembre 2011, à la suite de la publication de ces articles :

  1. des inconnus ont demandé qu’il imprime une rétractation;
  2. le bureau de l’organisation chiite dont il est membre a été incendié;
  3. des extrémistes sunnites ont lancé des pierres contre sa maison, ce qui a incité sa famille à déménager dans une nouvelle résidence;
  4. des hommes armés ayant déclaré qu’ils étaient à sa recherche se sont introduits dans la maison de sa sœur, l’ont dévalisée et au cours de cette attaque, ils ont frappé certains occupants et en ont enfermé d’autres dans une pièce;
  5. deux hommes sur des motocyclettes l’ont suivi et ont commencé à lui tirer dessus, ce qui encore une fois l’a amené à déménager sa famille, d’abord à Daska, où habitent ses beaux‑parents, et ensuite à Islamabad, où il a fait des démarches pour quitter le Pakistan.

[3]               Le 23 mai 2013, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la SPR) a jugé que M. Cheema n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La SPR a fondé sa décision sur le manque de crédibilité de l’histoire de M. Cheema sur son omission de faire des efforts raisonnables pour demander la protection de l’État et sur l’existence de possibilités de refuge intérieur à Lahore et à Islamabad. La SPR a conclu que les incidents que M. Cheema aurait vécus étaient des actes criminels dépourvus de tout lien avec les motifs prévus par la Convention.

[4]               M. Cheema sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Pour les motifs qui suivent, sa demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Question en litige et norme de contrôle

[5]               La question à trancher en l’espèce est de savoir s’il y a lieu d’annuler la décision de la SPR compte tenu du fait que sa conclusion selon laquelle M. Cheema n’est ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger est fondée, comme le soutient M. Cheema, sur une conclusion que la SPR a tirée de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

[6]               Les conclusions en matière de crédibilité ainsi que les conclusions concernant l’existence d’un lien avec un motif prévu par la Convention ou la protection de l’État sont assujetties à la norme de contrôle de la raisonnabilité. Il est bien établi que cette norme de contrôle signifie que la Cour ne peut modifier la décision de la SPR que s’il manque à celle‑ci la justification, la transparence et l’intelligibilité requises et si elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47; Francis c MCI, 2011 CF 1078, au paragraphe 7; Cato c MCI, 2010 CF 1313, au paragraphe 27; Sabogal Riveros c MCI, 2012 CF 547, au paragraphe 27; Flores Jacobo c MCI, 2012 CF 345, au paragraphe 50; Giovani Ipina Ipina c MCI, 2011 CF 733, au paragraphe 5; Hinzman c MCI, 2007 CAF 171, au paragraphe 38). Il est également bien établi que les conclusions relatives à une possibilité de refuge intérieur sont assujetties à la norme de la raisonnabilité et appellent la retenue parce qu’elles sont fondées non seulement sur l’appréciation de la situation du demandeur d’asile, mais également sur une connaissance spécialisée des conditions dans le pays concerné (Gandarilla Martinez c MCI, 2011 CF 1464, aux paragraphes 1 et 17; Lebedeva c MCI, 2011 CF 1165, au paragraphe 32).

III.             Analyse

[7]               Comme cela a été mentionné auparavant, la demande d’asile de M. Cheema a été rejetée pour les trois principaux motifs suivants : absence de crédibilité de la crainte alléguée, existence de possibilités de refuge intérieur et protection de l’État.

A.                Manque de crédibilité

[8]               La SPR a constaté qu’il y avait plusieurs contradictions entre le témoignage qu’a livré M. Cheema à l’audience relative à sa demande d’asile et les notes au point d’entrée, le formulaire de renseignements personnels (le FRP) qu’il a signé à l’appui de sa demande ainsi que les modifications qu’il a apportées à son FRP :

  1. Dans son témoignage, M. Cheema a déclaré qu’il avait reçu des menaces de mort en mars 2011. Son FRP initial et son premier FRP modifié ne faisaient pas état de menaces de mort à cette époque. Dans la deuxième modification de son FRP initial, il a parlé d’un incident qui se serait produit en avril 2011 au cours duquel des pierres avaient été lancées et des menaces de mort, proférées. M. Cheema a justifié ces contradictions en disant qu’il était [traduction] « troublé et qu’il avait peut‑être oublié »;
  2. Dans son FRP, M. Cheema a déclaré que la police n’était pas venue faire enquête sur l’incendie du bureau de l’organisation chiite dont il était membre. Il a toutefois déclaré dans son témoignage que la police était venue, mais avait déclaré aux membres de l’organisation qu’ils feraient mieux de ne pas se plaindre à la police parce qu’ils risquaient de mettre ainsi leur vie gravement en danger. Il n’y avait aucune mention de tout cela dans le FRP. En outre, M. Cheema n’a pu établir que les extrémistes étaient à l’origine de l’incendie;
  3. Pour ce qui est de l’incident concernant des jets de pierres chez lui et les coups de feu tirés par des motocyclistes, M. Cheema a déclaré dans son FRP qu’il n’avait pas communiqué avec la police parce que les policiers ne protégeaient pas sa famille. La SPR a mentionné que la famille de M. Cheema avait effectivement signalé le vol qui avait été commis dans maison et que la police avait réagi. Elle a également noté qu’il n’existait aucune preuve d’incidents antérieurs touchant sa famille dont la police aurait été avisée, mais à l’égard desquels elle n’aurait pas réagi;
  4. M. Cheema a présenté en preuve un affidavit de son beau‑frère, qui attestait que des intrus étaient venus chez lui dans l’intention d’assassiner M. Cheema. Cependant, d’après le FRP, les intrus auraient déclaré que cette violence était due aux actes de M. Cheema et qu’il serait traité de façon plus sévère. Il n’y avait aucune mention de menaces de mort;
  5. Interrogé au sujet de l’intérêt qu’il susciterait encore chez les extrémistes, M. Cheema a déclaré qu’ils le rechercheraient toujours. Il a affirmé qu’ils avaient récemment communiqué avec son frère pour demander où il se trouvait. Il a également mentionné que les extrémistes obtenaient des renseignements auprès d’autres personnes parce qu’ils ne parlaient pas à sa famille, étant donné que celle-ci était chiite. Cela contredit le fait qu’ils avaient communiqué avec son frère. En outre, M. Cheema a déclaré que Daska est un petit village dans lequel les habitants savent tout ce qui se passe, y compris le fait qu’il est allé au Canada, ce qui veut dire que les extrémistes savent également où il se trouve. Cependant, si c’était le cas, les extrémistes n’auraient pas demandé à son frère où il se trouvait. Lorsqu’on lui a fait part de cette contradiction, M. Cheema a affirmé qu’ils voulaient savoir quand il reviendrait, ce qui a amené la SPR à conclure que son témoignage était imprécis et contradictoire;
  6. M. Cheema a déclaré qu’il ne pouvait emménager nulle part au Pakistan parce que la police informerait les extrémistes dès qu’il utiliserait sa carte d’identité. Il n’existe toutefois aucune preuve au dossier établissant que les autorités appuient activement les extrémistes de cette façon.

[9]               Il est évident que l’accumulation de contradictions entre le témoignage d’un demandeur d’asile et son FRP peut légitimement servir de fondement à une conclusion négative quant à sa crédibilité (Shatirishvili, précitée, au paragraphe 34; Cienfuegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1262, au paragraphe 1; Kaleja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 668, au paragraphe 18).

[10]           Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Sellan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 381, une conclusion défavorable en matière de crédibilité entraîne normalement le rejet de la demande d’asile, à moins que le dossier ne contienne une preuve documentaire indépendante et fiable permettant de réfuter cette conclusion (Sellan, au paragraphe 3).

[11]           En l’espèce, la SPR a constaté plusieurs contradictions qui n’étaient pas liées à des éléments secondaires, mais qui faisaient partie intégrante de la demande d’asile de M. Cheema, notamment les menaces de mort, les raisons pour lesquelles il n’avait pas communiqué avec la police au sujet des jets de pierres ou des coups de feu tirés par des motocyclistes, et le fait que les extrémistes s’intéresseraient toujours à lui.

[12]           M. Cheema soutient que les contradictions entre son FRP et son témoignage concernant les menaces de mort étaient dues au fait que, lorsqu’il a rempli son FRP, il était troublé et il avait oublié certains détails de son histoire. La SPR a rejeté cette explication étant donné que le fait que M. Cheema craignait pour sa vie était au cœur de sa demande. J’estime qu’il était raisonnablement loisible à la SPR de tirer cette conclusion. Comme le fait remarquer le défendeur, M. Cheema n’a présenté aucune preuve mentionnant qu’il a reçu un diagnostic ou été traité à l’époque parce qu’il souffrait d’un trouble psychologique touchant la mémoire.

[13]           La SPR a également rejeté l’explication de M. Cheema au sujet de la divergence entre l’affidavit de son beau‑frère et son FRP au sujet de la nature des menaces qui auraient été faites par les intrus pendant leur incursion dans la maison de sa sœur. Son explication était que son beau‑frère n’avait pas voulu l’inquiéter en lui mentionnant les menaces de mort dont il avait fait l’objet. Encore une fois, la SPR n’était pas tenue d’accepter cette explication pour le simple fait que M. Cheema l’avait fournie (Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1087, au paragraphe 19; Soto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1521, au paragraphe 6; Akhtar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 955). Si l’on met en parallèle cet élément et les autres préoccupations en matière de crédibilité soulevée par la SPR, j’estime que le rejet de cette explication faisait partie des issues acceptables.

[14]           Dans son exposé des arguments supplémentaires, le défendeur fait remarquer qu’après avoir énuméré les contradictions contenues dans l’affidavit fourni par le beau‑frère de M. Cheema au sujet du vol survenu dans la maison de sa sœur, la SPR avait déclaré à tort qu’il n’existait pas au dossier de documents policiers corroborant cet incident. Il semble en fait que, à l’étape de la demande d’autorisation, M. Cheema et le défendeur n’aient pas remarqué qu’un rapport de police concernant cet incident avait été produit. Je conviens toutefois avec le défendeur que cette erreur n’a pas eu une grande influence sur la conclusion générale en matière de crédibilité à laquelle en est arrivée la SPR, étant donné que celle‑ci disposait de nombreux autres motifs pour mettre en doute la crédibilité de M. Cheema. De plus, le rapport de police ne corrobore pas les détails de l’incident allégué par M. Cheema, puisqu’il ne mentionne aucunement les menaces faites contre lui, ni les agressions ni les mauvais traitements infligés aux occupants de la maison. Le rapport mentionne uniquement que des bijoux et des effets personnels ont été volés à certaines personnes. Il n’établit aucun lien entre le vol et la situation personnelle de M. Cheema.

[15]           Dans ce genre d’instance, le rôle de la Cour ne consiste pas à apprécier à nouveau les preuves, ni à substituer son propre point de vue sur l’affaire à celui de la SPR (Dunsmuir, précité; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59; Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1511, aux paragraphes 28 à 31; Chekroun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 737, 436 FTR 1, au paragraphe 36; Negm c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 272, au paragraphe 34). Comme je l’ai déjà mentionné, elle peut uniquement intervenir si la décision de la SPR n’appartient pas aux issues possibles acceptables, pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

[16]           Compte tenu de l’ensemble des circonstances, je conclus que la conclusion défavorable en matière de crédibilité qu’a tirée la SPR appartient à ces issues et que, par conséquent, la Cour n’est pas justifiée d’intervenir. Autrement dit, il était raisonnable que la SPR ne croie pas la version des faits fournie par M. Cheema en raison des contradictions qui ressortaient de son témoignage, en particulier à propos de l’aspect clé de sa demande d’asile qui était les menaces de mort, ainsi qu’à propos des liens existants entre les extrémistes et l’incendie au bureau de l’organisation chiite.

B.                 Protection de l’État et possibilités de refuge intérieur

[17]           Le demandeur soutient que la conclusion de la SPR au sujet de la protection de l’État et des possibilités de refuge intérieur est irrémédiablement viciée parce qu’elle n’est pas fondée sur un examen approprié des documents relatifs aux conditions dans le pays qui révèlent que les organisations extrémistes sunnites ont infiltré les autorités pakistanaises à divers niveaux, créant ainsi une situation où les personnes visées par ces organisations, du fait qu’elles ne partagent pas leurs croyances, ne peuvent s’attendre à obtenir la protection de l’État ou à trouver un refuge sûr dans quelque lieu du pays que ce soit.

[18]           Il soutient également que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il était invraisemblable et déraisonnable qu’il ne s’adresse pas à la police pour demander une protection, étant donné qu’il savait qu’elle était inefficace et corrompue, notamment par expérience personnelle.

[19]           Je ne retiens pas cet argument. Le SPR a effectué sa propre analyse des documents relatifs aux conditions dans le pays et elle a ainsi examiné la vraisemblance de l’affirmation selon laquelle, dans une grande ville, les autorités informeraient les groupes extrémistes de la présence de M. Cheema. Elle a également noté qu’un nombre considérable de membres de la communauté chiite au Pakistan, qui représentent 25 % de la population totale de ce pays, se sont établis dans des grandes régions urbaines, comme Lahore et Islamabad. Elle a estimé que M. Cheema n’avait fourni aucune preuve fiable ou satisfaisante établissant que, dans ces régions, la police serait disposée à collaborer avec les extrémistes locaux de son village d’origine et qu’elle fournirait éventuellement à ces extrémistes des renseignements concernant l’endroit où il se trouvait. La SPR a également noté que les affirmations de M. Cheema à ce sujet étaient fondées sur son opinion personnelle et sur ce que lui avaient dit certaines personnes non identifiées.

[20]           La SPR a en particulier examiné les éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays concernant la protection des chiites et conclu que, bien que ces éléments de preuve ne fussent pas concluants, ils montraient que le gouvernement avait pris des mesures contre les militants et les groupes terroristes, dont les extrémistes sunnites, ce qui avait entraîné une diminution du militantisme et des agressions commises contre les chiites ces dernières années. Elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la police craignait tellement les groupes extrémistes qu’elle était incapable de fournir une protection adéquate, en particulier dans les grands centres urbains comme Islamabad ou Lahore.

[21]           Comme le défendeur l’a fait remarquer à juste titre, l’argument de M. Cheema reflète simplement un désaccord au sujet de la façon dont la SPR a apprécié les éléments de preuve documentaire relatifs aux conditions dans le pays. L’appréciation des conditions dans le pays fait partie de l’expertise de la SPR et, par conséquent, elle appelle une grande retenue lorsqu’elle est contestée dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Cela veut dire que la Cour ne peut intervenir que lorsque la conclusion de la SPR à ce sujet ne repose sur aucune preuve crédible (Khosa c MCI, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 à 62; Yang c MCI, 2006 CF 1013, au paragraphe 5; Hernandez Perez c MCI, 2009 CF 1065, aux paragraphes 12 à 14; Horvath c MCI, 2012 CF 1132, au paragraphe 59).

[22]           En l’espèce, j’estime que M. Cheema n’a pas satisfait à ce critère et que, par conséquent, la conclusion de la SPR selon laquelle il pouvait bénéficier de la protection de l’État dans les grands centres urbains était raisonnable.

[23]           Je ne vois également non plus aucune raison de modifier la conclusion de la SPR selon laquelle M. Cheema n’a pas déployé suffisamment d’efforts pour vérifier la protection offerte par l’État et que, par conséquent, il n’a pas réfuté la présomption selon laquelle la protection de l’État est offerte aux demandeurs d’asile. Sur les trois incidents qui touchaient directement M. Cheema – la menace de rétractation, les jets de pierres et les tirs des motocyclistes – aucun n’a été rapporté à la police. M. Cheema a expliqué qu’il ne pensait pas que la police le protégerait en raison de ses [traduction] « expériences antérieures » avec la police, qui n’était pas intervenue pour protéger sa famille. La SPR a constaté que M. Cheema n’avait fourni aucune preuve concernant ces expériences antérieures. Elle a également noté que la police était intervenue au sujet des deux incidents qui lui avaient été signalés, l’un d’eux étant l’intrusion dans le domicile d’un membre de la famille, celui de sa sœur.

[24]           Il est bien établi qu’il incombe au demandeur d’asile d’établir, en apportant une preuve claire et convaincante, que l’État est incapable de fournir une protection adéquate ou refuse de le faire (Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1283, 420 FTR 256, aux paragraphes 50 et 51; Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, 440 FTR 106). Il est également bien établi qu’il n’est pas nécessaire que la protection soit parfaite (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 52; Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, aux paragraphes 43 et 44; Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 FCR 636, au paragraphe 19; Salamon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 582, au paragraphe 5; Ruzso, précitée, au paragraphe 29).

[25]           Pour s’acquitter de ce fardeau, il ne suffit pas de démontrer qu’il y a eu certaines défaillances de la police locale en matière de protection de l’État, ni de simplement faire valoir une réticence subjective à faire intervenir l’État ou de mettre en doute l’efficacité de la protection de l’État sans vraiment l’avoir mis à l’épreuve (Ruzso, précitée, aux paragraphes 31 et 33).

[26]           Pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État, le demandeur doit démontrer qu’il n’a ménagé aucun effort objectivement raisonnable afin d’épuiser tous les recours auxquels il avait raisonnablement accès avant de demander l’asile (Ruzso, précitée, au paragraphe 32).

[27]           En l’absence d’une explication déterminante ou convaincante, l’omission de déployer de tels efforts avant de demander l’asile fournit habituellement à la SPR un fondement raisonnable pour conclure que la présomption relative à la protection de l’État n’a pas été réfutée (Ruzso, précitée, au paragraphe 33).

[28]           En l’espèce, étant donné l’inaction de M. Cheema à l’égard des incidents qui le visaient personnellement, je suis convaincu qu’il était tout à fait loisible à la SPR de conclure qu’il n’avait pas de motifs suffisants pour ne pas demander la protection de l’État.

[29]           Ayant décidé que les conclusions de la SPR en matière de protection de l’État et de possibilités de refuge intérieur étaient raisonnables, il n’est pas nécessaire que j’examine la question de savoir si la conclusion de la SPR selon laquelle la demande d’asile de M. Cheema n’avait aucun lien avec les motifs prévus par la Convention est raisonnable parce que, même si je concluais que cette conclusion était erronée, cela ne changerait pas l’issue de la présente affaire. Pour que la protection internationale puisse être sollicitée, « l’État du pays d’origine doit ne pas vouloir ou ne pas pouvoir protéger ses propres citoyens » (Jimenez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1523, au paragraphe 33; Mares c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 297, au paragraphe 41; Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689). Par conséquent, une conclusion relative à la protection de l’État est déterminante lorsqu’il s’agit d’examiner une demande d’asile aux termes des articles 96 ou 97 de la Loi (Racz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 436, au paragraphe 7; Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 670, au paragraphe 25; Acevedo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 480, aux paragraphes 76 et 77).

[30]           La demande de contrôle judiciaire de M. Cheema est rejetée.

[31]           Aucune partie n’a proposé une question de portée générale. Aucune ne sera certifiée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

M.-C. Gervais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4285-13

INTITULÉ CAUSE:

JAFFAR ALI CHEEMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 OCTOBRE 2014

MOTIFS ET ORDONNANCE :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS ET DE L’ORDONNANCE :

LE 10 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

Lani Gozlan

POUR LE DEMANDEUR

Nicole Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lani Gozlan

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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