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Date : 20150424


Dossier : T-1431-14

Référence : 2015 CF 532

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

KEITH MULLIGAN

demandeur

et

COMPAGNIE DE CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]                        La présente demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, vise une décision, datée du 7 mai 2014 [la décision], par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a refusé de statuer sur la plainte du demandeur, en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [la Loi].

II.                LE CONTEXTE

[2]                        Le demandeur a commencé à travailler comme opérateur de machines lourdes pour la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada [le CN] en août 1981. Il faisait partie de l’unité de négociation représentée par le Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA‑Canada) [le syndicat].

[3]                        Le 19 décembre 2012, il a été mis fin à l’emploi du demandeur parce qu’il a refusé de se présenter à une évaluation médicale qui visait à déterminer s’il était apte à travailler. CN avait exigé cette évaluation parce que le demandeur occupait un poste critique pour la sécurité et que son comportement était préoccupant. Le demandeur dit qu’il a refusé de subir l’évaluation médicale parce qu’il était traité pour toxicomanie et qu’il croyait que cela était suffisant pour dissiper les préoccupations du CN.

[4]                        Le 8 janvier 2013, le syndicat a déposé un grief pour contester la cessation d’emploi du demandeur.

[5]                        Le 14 février 2013, le syndicat a fermé le dossier du demandeur. Il a affirmé que le demandeur n’avait pas répondu à ses demandes de renseignements et qu’il [traduction] « n’était pas en mesure de faire progresser le dossier compte tenu du peu de renseignements dont il disposait »

[6]                        En mars 2013, le demandeur a déposé une plainte auprès de la Commission. Il a allégué que le CN avait fait preuve de discrimination à son endroit en raison de sa déficience, en mettant fin à son emploi contrairement à l’article 7 de la Loi. La Commission a décidé de ne pas statuer sur la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)a) parce que le demandeur n’avait pas épuisé la procédure de règlement des griefs de la défenderesse.

[7]                        Le 19 avril 2013, CN a rejeté le grief du syndicat, et ce dernier ne l’a pas soumis à l’arbitrage.

[8]                        Le 1er octobre 2013, le demandeur a présenté une autre plainte à la Commission. Il a allégué encore une fois que le CN avait fait preuve de discrimination à son endroit en raison de sa déficience, en mettant fin à son emploi contrairement à l’article 7 de la Loi.

[9]                        Le 29 octobre 2013, le demandeur a été informé que la Commission préparerait un rapport relatif aux articles 40 et 41 pour déterminer si elle devait statuer sur la plainte. Le demandeur a été invité à rédiger une lettre pour affirmer sa position sur la question de savoir s’il n’y avait pas lieu pour la Commission d’examiner l’affaire parce que [traduction] « les questions relatives aux droits de la personne dans la présente plainte ont peut‑être déjà été examinées dans une autre procédure ». L’avocat du demandeur a présenté des observations à la Commission avant la préparation du rapport et après avoir reçu une copie du rapport relatif aux articles  40 et 41 [le rapport].

III.             LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[10]                    Le 7 mai 2014, la Commission a décidé de ne pas statuer sur la plainte du demandeur en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi. La Commission a adopté les conclusions du rapport et décidé que la plainte était vexatoire en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi (dossier du demandeur, à la page 48) :

[traduction]

Les allégations du plaignant relatives aux droits de la personne ont été examinées par un autre décideur compétent pour trancher des questions liées aux droits de la personne. Les allégations soulevées dans la plainte déposée auprès de la Commission sont les mêmes que celles qui ont été examinées dans la réponse définitive au grief. Compte tenu du fait que l’autre décideur a tranché les questions relatives aux droits de la personne soulevées dans la plainte et que la procédure était équitable, la Commission doit respecter le caractère définitif de cette décision et doit s’abstenir de statuer sur la plainte. Il est donc clair et évident que la plainte est vexatoire au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi.

IV.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]                    Le demandeur soulève les questions suivantes dans la présente demande :

1.      La décision de la Commission de refuser d’exercer sa compétence était-elle déraisonnable?

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit :

a)      en concluant à tort que la plainte du demandeur était vexatoire?

b)     après avoir tiré la conclusion que la plainte était vexatoire, en écartant à tort le fait que la justice lui imposait l’obligation de statuer sur la plainte de toute façon?

3.      La Commission a-t-elle indûment fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées sans tenir compte des documents dont elle disposait.

V.                LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[12]                    La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] a affirmé qu’il n’y a pas lieu de procéder à une analyse de la norme de contrôle dans chaque cas : lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière soumise au tribunal a déjà été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence antérieure, la cour de révision peut adopter cette même norme. Ce n’est que lorsque cette première démarche se révèle infructueuse ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit entreprendre un examen des quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle judiciaire : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[13]                    Le demandeur soutient que les décisions rendues en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne commandent l’application de la norme du caractère raisonnable de la décision : Chan c Canada (Procureur général), 2010 CF 1232 [Chan]. Le défendeur soutient que la décision de la Commission de ne pas statuer sur une plainte en vertu de l’article 41 de la Loi canadienne des droits de la personne est une décision discrétionnaire susceptible de révision suivant la norme du caractère raisonnable : Exeter c Canada (Procureur général), 2011 CF 86, au paragraphe 19, confirmé à 2012 CAF 119, au paragraphe 6 [Exeter]; Morin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1355, au paragraphe 25, confirmé à 2008 CAF 269.

[14]                    Toutes les questions en litige mettent en doute le caractère raisonnable de la décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte. La Cour convient que ces décisions sont susceptibles de révision suivant la norme de la décision raisonnable Chan, précité, au paragraphe 15; Exeter, précité, au paragraphe 6.

[15]                    Dans le contrôle d’une décision selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse se rapportera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable parce qu’elle n’appartenait pas aux « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             LES DISPOSITIONS LÉGALES

[16]                    Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Irrecevabilité

Commission to deal with complaint

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

[…]

[…]

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

[…]

[…]

VII.          LES ARGUMENTS

A.                Le demandeur

[17]                    Le demandeur soutient que la décision de la Commission de refuser d’exercer sa compétence était déraisonnable. Il convient que la Commission peut adopter le rapport pour ses motifs : Chan, précité, aux paragraphes 39 et 40. Toutefois, le demandeur établit une distinction entre la présente instance et l’affaire Chan pour deux motifs. Premièrement, l’adoption du rapport par la Commission était inappropriée parce qu’elle ne montre pas qu’elle a examiné les observations dont elle disposait et qu’elle ne reconnaît pas que les questions relatives aux droits de la personne n’ont pas été examinées dans la procédure de grief : Administration de l’aéroport international de Vancouver c Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158. Deuxièmement, la procédure interne de règlement des griefs ne constitue pas un décideur approprié. La procédure de règlement des griefs ne constitue pas un arbitrage indépendant, et la décision portant sur les questions relatives aux droits de la personne n’est pas motivée.

[18]                    Selon le demandeur, la procédure de règlement des griefs est une négociation interne entre le syndicat et le CN. Si la Commission n’examine pas la plainte, la décision du syndicat de ne pas soumettre le grief à l’arbitrage l’aura alors privé, affirme‑t‑il, de la possibilité de voir la question relative aux droits de la personne examinée par un décideur. La décision du syndicat de ne pas recourir à l’arbitrage se fondait en partie sur le refus du demandeur de collaborer, mais celui-ci affirme que la nature de sa déficience exige davantage de souplesse en ce qui a trait aux délais et aux attentes. La décision du syndicat se fondait également sur d’autres facteurs, notamment le temps, l’argent et les ressources.

[19]                    Subsidiairement, si la procédure interne de règlement des griefs constitue un décideur, la décision est déraisonnable parce que le grief ne tranche pas les questions relatives aux droits de la personne. La décision fait état de la [traduction] « toxicomanie » et conclut que la preuve était insuffisante.

[20]                    Si la plainte était à bon droit considérée comme étant vexatoire, le demandeur soutient alors que la Commission a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du fait que la justice exigeait qu’elle statue sur la plainte de toute façon. Il est mentionné dans la décision que la procédure interne de règlement des griefs était juste, mais elle ne prend pas en considération les observations présentées en réponse par le demandeur.

[21]                    Enfin, la décision était déraisonnable parce qu’elle s’appuie sur la conclusion erronée selon laquelle les questions relatives aux droits de la personne avaient déjà été examinées par un décideur.

B.                 La défenderesse

[22]                    La défenderesse soutient qu’il était raisonnable pour la Commission de refuser de statuer sur la plainte. Le rapport constitue les motifs de la décision : Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, au paragraphe 37 [Sketchley]; Bergeron c Canada (Procureur général), 2013 CF 301, aux paragraphes 28 et 29 [Bergeron]. Le demandeur avait la possibilité d’aborder les questions relatives aux droits de la personne par l’intermédiaire du syndicat, mais il n’a pas collaboré à la recherche de mesures d’accommodement. La Commission peut refuser de statuer sur une plainte s’il est évident qu’il ne pourra y être fait droit. Un plaignant qui refuse de collaborer à la recherche de mesures d’accommodement verra sa plainte rejetée : Central Okanogan School District No. 23 c Renaud, [1992] 2 RCS 970.

[23]                    La décision de la Commission de refuser de statuer sur la plainte est également compatible avec la jurisprudence de la Cour suprême du Canada concernant l’importance de permettre aux tribunaux administratifs de réduire les abus de procédure : Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52. Il y aurait abus de procédure si l’on faisait progresser une plainte où le plaignant n’a pas collaboré avec le syndicat pour faire en sorte que les questions relatives aux droits de la personne soient examinées.

[24]                    Contrairement à ce que le demandeur affirme dans ses observations, l’alinéa 41(1)d) n’exige pas qu’une décision soit prise par un arbitre. La Commission s’est vu conférer une grande marge de manœuvre pour exercer son pouvoir discrétionnaire et apprécier les facteurs pertinents en exécutant sa fonction d’examen préalable : Sketchley, précité, au paragraphe 38; Bergeron, précité, au paragraphe 39. De plus, la Cour fédérale a affirmé que l’alinéa 41(1)d) peut s’appliquer dans des situations où un syndicat a décidé de ne pas soumettre un grief à l’arbitrage : Bergeron, précité, au paragraphe 38. Qui plus est, rien dans la preuve ne démontre que ceux qui ont tranché les griefs du demandeur manquaient d’impartialité : Bergeron, précité, au paragraphe 43.

[25]                    Le rapport révèle que l’enquêteuse s’est intéressée au résultat de la procédure de règlement du grief, aux allégations du demandeur concernant sa toxicomanie et à la question des mesures d’accommodement raisonnable. La Commission a conclu à juste titre que les allégations soulevées dans la plainte avaient déjà été examinées dans la procédure de règlement des griefs et que cette procédure était équitable.

VIII.       ANALYSE

[26]                    Le demandeur soulève trois motifs d’erreur susceptible de révision mais, au bout du compte, ces motifs nous ramènent à son défaut de collaborer à la procédure de règlement du grief. Pour l’essentiel, la Commission est parvenue à la conclusion que la plainte du demandeur était vexatoire en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi, parce que les allégations du demandeur relatives aux droits de la personne avaient déjà été examinées dans la procédure de règlement du grief.

[27]                    Comme le révèle le rapport, le représentant syndical a déposé au nom du demandeur un grief qui soulevait les mêmes questions relatives aux droits de la personne que celles qui étaient contenues dans la plainte déposée auprès de la Commission. Le syndicat a été contraint de fermer le dossier du grief parce que le demandeur ne voulait pas collaborer à ses tentatives d’obtenir des mesures d’accommodement pour lui. Le syndicat a conclu qu’il ne pouvait pas soumettre le grief à l’arbitrage puisque, comme le demandeur avait refusé de collaborer en fournissant les renseignements demandés et nécessaires pour la procédure de règlement du grief, il ne disposait pas de suffisamment de renseignements pour faire progresser l’affaire. Au bout du compte, la procédure de règlement du grief a été épuisée sans recours à l’arbitrage, parce que le demandeur n’a pas collaboré. Cette décision était définitive dans le processus de règlement du grief.

[28]                    Tout comme il l’avait fait devant la Commission, le demandeur a tenté de convaincre la Cour que sa déficience l’avait empêché de fournir les documents requis pour la procédure de règlement du grief et d’y collaborer. Dans les observations qu’il a présentées à la Commission, il a allégué ce qui suit (dossier certifié du tribunal, à la page 14) :

[traduction]

Compte tenu de la nature de la déficience [du demandeur], il s’ensuit qu’il était logique pour le CN d’établir un contact plus étroit avec le syndicat pour déterminer quelle était la situation exacte [du demandeur] et quel était le pronostic. Il est compréhensible qu’une personne ayant une déficience éprouve des difficultés à respecter les délais sans une assistance suffisante et il était aussi compréhensible que [le demandeur] croit à tort que son syndicat et son médecin s’occupaient de l’affaire.

[29]                    Tout comme c’était le cas devant la Commission, il n’y a aucune preuve devant la Cour démontrant que la déficience du demandeur lui avait posé des difficultés pour respecter les délais et l’avait amené à tort à croire certaines choses. Le demandeur s’attendait tout simplement à ce que la Commission, et maintenant la Cour, tire de la nature de sa déficience, à savoir la toxicomanie, une conclusion en ce sens. Il apparaît, dans l’affidavit qu’il a déposé avec la présente demande, que le demandeur ne dit rien au sujet des difficultés qu’il a éprouvées pour respecter les délais et au sujet des choses qu’il a cru à tort. De plus, la preuve qu’il a présentée à la Cour indique clairement que le syndicat s’est donné beaucoup de mal pour bien lui faire comprendre ce qu’on attendait de lui et l’encourager à se conformer. La lettre que M. Robert Fitzgerald, représentant national du syndicat, a envoyée au demandeur en date du 4 avril 2013 donne une description complète de la situation :

[traduction]

Jusqu’à maintenant, aucun de ces renseignements n’a été fourni. Le syndicat ne dispose que deux documents médicaux. Dans le premier, daté du 24 janvier 2013, il était affirmé que vous consulteriez un conseiller en toxicomanie, mais rien ne confirme que vous l’avez fait. Le second confirmait que vous n’avez aucune déficience sur le plan psychiatrique. Votre médecin nous a invités à faire le suivi avec lui à la condition d’obtenir l’autorisation nécessaire pour le faire, mais vous avez omis de retourner le formulaire prévu à cet effet que le représentant régional avait joint à la lettre qu’il vous a envoyée en date du 1er février 2013.

Il y a eu presque une centaine de communications téléphoniques entre vous et le syndicat à différents niveaux. Toutefois, vous n’avez pas répondu à la demande de renseignements du syndicat. Vous avez refusé de répondre à la demande du syndicat de la même manière que vous avez refusé de collaborer avec le CN. À notre avis, cet aspect négatif de votre comportement ne serait pas écarté en arbitrage.

À un moment donné, vous avez d’ailleurs informé le CN que vous aviez un problème de toxicomanie et que vous aviez demandé de l’aide. Toutefois, rien n’indique que vous avez reçu un diagnostic de toxicomanie, et aucun élément de preuve ne démontre non plus que vous êtes traité pour ce problème. Comme nous vous l’avons mentionné précédemment, le dossier ne comporte que deux documents médicaux, et ni l’un ni l’autre n’établit un diagnostic ou n’aborde la question du traitement.

Si un véritable diagnostic clinique de toxicomanie avait été posé avec des indications sur le traitement et la réadaptation, il se peut bien que le CN aurait été obligé de prendre des mesures d’accommodement. Toutefois, en contrepartie de cette obligation, il incombe aux employés de collaborer aux efforts d’accommodement. C’est ce qu’a mentionné l’arbitre dans le dossier 3354 du Bureau d’arbitrage et de médiation des chemins de fer du Canada :

[traduction]

L’arbitre doit être d’accord. Comme l’a confirmé la Cour suprême du Canada dans Central Okanogan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, l’obligation d’accommodement suppose la collaboration de l’employeur, de l’organisation syndicale et de l’employé. C’est ce qui ressort de la décision du Bureau dans le dossier BACF 3173 :

L’arbitre est convaincu que l’approche adoptée par la compagnie vise à lui permettre de s’acquitter de ses obligations prévues dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il semble maintenant bien établi que, lorsqu’un employé demande des mesures d’accommodement en raison d’une situation protégée par la Loi canadienne sur les droits de la personne, il incombe à l’employé concerné de contribuer positivement au processus et d’accepter une mesure d’accommodement raisonnable, même si ce n’est peut‑être pas la mesure d’accommodement qu’il privilégiait.

C’est ce qui ressort en partie la décision de la Cour suprême du Canada dans Central Okanogan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970.

Dans cette décision, rendue à l’unanimité, le juge Sopinka a écrit ce qui suit :

Pour faciliter la recherche d’un compromis, le plaignant doit lui aussi faire sa part. À la recherche d’un compromis raisonnable s’ajoute l’obligation de faciliter la recherche d’un tel compromis. Ainsi, pour déterminer si l’obligation d’accommodement a été remplie, il faut examiner la conduite du plaignant.

[Non souligné dans l’original.]

[30]                    À partir du dossier dont disposait la Commission et de celui dont dispose la Cour, la seule conclusion pouvant être tirée est que le syndicat a déployé tous les efforts nécessaires pour faire progresser le grief du demandeur, mais qu’il a dû abandonner la procédure au troisième palier en raison de son refus de fournir les renseignements nécessaires, refus qui n’a pas été lié à la déficience alléguée. La Commission traite amplement de cette question dans la décision, en parlant de la lettre de M. Fitzgerald et de la réponse au grief, datée du 19 avril 2013, au troisième palier. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve pour contester les renseignements concernant son absence de collaboration. Il ne faut pas oublier que, comme c’est le demandeur qui a fourni la lettre de M. Fitzgerald, il était bien au courant de ce qu’il y était dit à son sujet, et il faut tenir compte du fait que son absence de collaboration est confirmée par son propre syndicat, qui l’avait soutenu dans le processus de règlement du grief. Rien ne laissait croire que l’absence de collaboration du demandeur était liée à sa déficience.

[31]                    Il convient de noter que le Conseil canadien des relations industrielles est parvenu à une conclusion semblable lorsque le demandeur a allégué une violation de l’article 37 du Code canadien du travail, et a fait valoir que le syndicat avait manqué à son devoir de bien le représenter en décidant de ne pas faire progresser davantage son grief (Mulligan c National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers Union of Canada (CAW-Canada) (31 juillet 2013), 29997-C (CCRI) :

III – Analyse et décision

Dans la présente affaire, le plaignant a demandé au Conseil de tenir une audience. Aux termes de l’article 16.1 du Code, le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher l’affaire sans tenir d’audience.

Comme on l’a mentionné précédemment, le plaignant allègue que le syndicat a agi de manière arbitraire et de mauvaise foi en ne faisant pas enquête adéquatement sur son grief, en ne communiquant pas avec lui et en ne cherchant pas à obtenir les renseignements nécessaires auprès de ses médecins et de son conseiller. Le plaignant allègue également que le syndicat a porté atteinte à ses droits en vertu de l’article 23.2 de la convention collective.

L’article 37 du Code se lit comme suit :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

Le rôle du Conseil dans le contexte d’une plainte de manquement au devoir de représentation juste est d’examiner la manière dont le syndicat a traité le grief de l’employé (voir Bugay, 1999 CCRI 45). L’objet d’une plainte fondée sur l’article 37 n’est pas d’en appeler de la décision du syndicat de ne pas renvoyer un grief à l’arbitrage ou d’évaluer le bien-fondé d’un grief, mais de faire en sorte que le Conseil se penche sur la manière dont le syndicat a traité le grief (voir Presseault, 2001 CCRI 138).

Dans une plainte fondée sur l’article 37, il incombe au plaignant de présenter des faits suffisants pour créer une présomption que le syndicat a manqué à son devoir de représentation juste. Le Conseil juge normalement que le syndicat s’est acquitté de son devoir de représentation juste s’il a fait enquête sur les circonstances et obtenu tous les détails relatifs à l’affaire, s’il a examiné le bien‑fondé du grief, s’il a posé un jugement éclairé sur la pertinence de donner suite au grief et s’il a informé l’employé des raisons motivant sa décision définitive de ne pas y donner suite.

L’obligation qui incombe à un membre de coopérer avec son syndicat est décrite dans le passage suivant de McRaeJackson, 2004 CCRI 290 :

[15] Le devoir de représentation juste du syndicat suppose que les employés fassent le nécessaire pour protéger leurs propres intérêts. Ils doivent informer le syndicat des possibilités de griefs et lui demander d’agir en leur nom dans les délais prévus par la convention collective. Ils doivent coopérer avec le syndicat durant toute la procédure de règlement des griefs, par exemple en lui fournissant les renseignements nécessaires à son enquête sur le grief ainsi qu’en se soumettant à tous les examens médicaux ou autres qu’il leur demande de subir.

Selon les éléments de preuve au dossier, le syndicat a présenté un grief au nom du plaignant, a porté le grief jusqu’au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, a envoyé plusieurs lettres au plaignant afin d’obtenir des renseignements médicaux et a eu de nombreux entretiens téléphoniques avec lui, mais n’a obtenu que dans une mesure limitée les renseignements dont il avait besoin pour faire progresser le dossier.

Selon le Conseil, le plaignant n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que le syndicat avait mal agi. Les documents présentés indiquent que le plaignant a lui-même provoqué son congédiement en ne fournissant pas les renseignements demandés par le syndicat. Le fait que le plaignant n’a pris aucune mesure à cet égard, de même que son refus de coopérer avec le syndicat, porte le Conseil à conclure que le syndicat n’a pas agi de manière arbitraire ni de mauvaise foi.

Après avoir analysé les faits présentés, le Conseil conclut que le plaignant n’a pas avancé suffisamment de faits pour établir que le syndicat a manqué à son devoir de représentation juste.

Pour ces motifs, la plainte est rejetée.

[32]                    Cette décision du Conseil canadien des relations industrielles, qui n’a pas été déposée auprès de la Commission, confirme les conclusions de cette dernière selon lesquelles le demandeur est celui qui, sans raison apparente, a contrecarré le processus de règlement du grief qui, comme le lui avait déjà dit la Commission, devait être utilisé avant de porter plainte auprès d’elle.

[33]                    Il ressort clairement du rapport qu’ont été prises en considération toutes les observations du demandeur, y compris la [traduction] « question du consentement et de la consommation constante de drogue », qui, allègue-t-il, n’a pas été abordée par la défenderesse, ainsi que la correspondance de son médecin et du personnel du programme d’aide aux employés de la défenderesse.

[34]                    Je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans la décision de la Commission (incluant le rapport), qui établit habilement les faits pertinents et la jurisprudence applicable. Il s’agit simplement d’une affaire où le demandeur a refusé, sans raison apparente, de collaborer à la procédure de règlement du grief, qui aurait pu résoudre les questions relatives aux droits de la personne, et où le syndicat n’avait pas d’autres choix que de fermer le dossier.

[35]                    La Commission a fourni des motifs complets expliquant en quoi la plainte était vexatoire et pourquoi la justice n’exigeait pas qu’elle statue sur la plainte.

[36]                    L’alinéa 41(1)d) de la Loi ne prescrit pas qu’une décision doit être rendue par un arbitre de grief. Comme le juge Zinn l’a souligné dans Bergeron, précité :

[39]      Il ressort clairement de la jurisprudence qu’il faut accorder à la Commission une grande marge de manœuvre dans l’exercice de son jugement et dans l’appréciation des facteurs pertinents lorsqu’elle doit se prononcer sur l’application de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP et qu’elle exécute cette « fonction d’examen préalable » : voir, par exemple, l’arrêt Sketchley, au paragraphe 38.

[37]                    La décision Bergeron, précitée, établit clairement que l’alinéa 41(1)d) de la Loi peut s’appliquer dans des situations où un syndicat a décidé de ne pas soumettre un grief à l’arbitrage. En l’espèce, comme l’indique clairement la lettre du syndicat, le demandeur a refusé, sans motif établi, de s’engager dans une procédure de règlement du grief qui aurait pu lui procurer un accommodement et amener sa cause à l’arbitrage et qui aurait pu résoudre les questions relatives aux droits de la personne. Le syndicat a clairement dit que son absence de collaboration avait pour conséquence qu’il ne valait pas la peine de soumettre le grief à l’arbitrage. Après avoir fait défaut d’utiliser la procédure de règlement du grief, qui aurait pu lui procurer la réparation qu’il a demandée à la Commission, le demandeur a ensuite déposé sa plainte auprès de la Commission. Le demandeur a fait défaut de démontrer que sa plainte ne pouvait raisonnablement être résolue au moyen de la procédure de règlement du grief. La décision de la Commission ne devrait pas être modifiée.

[38]                    La décision de la Commission possède les attributs de la transparence, de l’intelligibilité et de la justification. Je ne vois aucune erreur susceptible de révision. Elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.   La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1431-14

 

INTITULÉ :

KEITH MULLIGAN c COMPAGNIE DE CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 FÉVRIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Andrew Heinrichs

 

POUR LE DEMANDEUR

Jacynthe Girard

 

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Koskie Helms

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

Jacynthe Girard

Avocate

Montréal (Québec)

 

pour la défenderesse

 

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