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Date : 20150415


Dossier : IMM‑2626‑14

Référence : 2015 CF 465

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 15 avril 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

NINO PATARAIA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par Nino Pataraia (la demanderesse) en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’encontre de la décision du 26 février 2014 rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle la demanderesse n’a ni qualité de réfugiée au sens de l’article 96 de la LIPR, ni celle de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[2]               La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs ci‑dessous.

II.                Contexte

[3]               La demanderesse est citoyenne de la Géorgie, dans la région du Caucase en Eurasie. Elle dit craindre d’être persécutée à la suite de violence conjugale. Lors de l’audience devant la SPR, la demanderesse a affirmé qu’elle s’était mariée en janvier 2003; elle aurait commencé à être victime de violence physique et psychologique de la part de son époux peu après. La violence a atteint un tel niveau qu’en 2005 la demanderesse a quitté son domicile à Tblisi pour vivre avec sa tante. Après un certain temps, elle est retournée vivre avec son mari.

[4]               La demanderesse soutient aussi que son beau‑père est influent auprès des autorités locales et elle croit que son époux a usé de cette influence pour faire arrêter son frère sous de fausses accusations.

[5]               Selon la demanderesse, en décembre 2005 elle a été traitée dans un hôpital pour une coupure à la main qui lui avait été infligée par son époux. Elle est de nouveau partie vivre chez sa tante, puis en juin 2006 elle a déménagé à Batumi, qui se trouve à environ quatre heures de voiture de Tblisi. Selon la demanderesse, son époux l’a trouvée à Batumi en juin 2010 et l’a agressée dans la rue. Malgré la présence de témoins, la police a refusé d’intervenir. L’époux de la demanderesse aurait continué de la menacer et de menacer sa famille, même après qu’elle ait déménagé en Italie en août 2010. Elle est restée en Italie jusqu’en juillet 2013, lorsqu’elle est brièvement retournée en Géorgie avant de se rendre au Canada et d’y présenter une demande d’asile.

[6]               Le 7 novembre 2013, la SPR a débouté la demande d’asile de la demanderesse au motif que cette dernière n’était pas crédible. La SPR n’a pas remis en cause que la demanderesse ait été victime de violence conjugale avant décembre 2005, mais a jugé que son récit des évènements après cette période n’était pas crédible. La SPR a conclu que le comportement de la demanderesse après qu’elle ait quitté son époux pour la première fois n’était pas conforme à celui d’une personne souffrant de violence continue, et elle a relevé plusieurs incohérences dans son témoignage. La SPR mentionne aussi une contradiction entre la déclaration de la demanderesse au point d’entrée, ce qu’elle a inscrit dans son formulaire de fondement de la demande d’asile et le témoignage qu’elle a livré à la SPR au sujet de son lieu de résidence après qu’elle ait quitté son époux. En outre, la SPR a estimé que la demanderesse aurait dû demander l’asile à la première occasion, plus particulièrement quand elle habitait en Italie.

[7]               En appel, la SAR a examiné les conclusions de la SPR en matière de crédibilité selon la norme de la décision raisonnable. Devant la SAR, la demanderesse a fait valoir que la SPR avait tiré des conclusions contradictoires au sujet de la crédibilité de sa déclaration au point d’entrée sur ses adresses précédentes, étant donné que la SPR reconnaissait qu’elle avait été victime de violence avant décembre 2005. La SAR a rejeté l’argument de la demanderesse et jugé qu’il était raisonnable pour la SPR de tirer des conclusions défavorables de la preuve contradictoire concernant ses adresses antérieures. En outre, la SAR a souligné que la demanderesse n’a contesté aucune des autres conclusions défavorables en matière de crédibilité, y compris l’omission de présenter une demande d’asile en Italie, le fait de se réclamer de nouveau de la protection de l’État en Géorgie et sa décision de rester dans sa famille à Batumi pendant quatre ans après avoir quitté son mari. La SAR a souligné que la SPR avait fondé sa décision sur des conclusions cumulatives et des inférences défavorables et elle a conclu que la décision de la SPR était raisonnable.

III.             Question en litige

[8]               L’unique question soulevée par la demanderesse devant la Cour est celle de déterminer si la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a appliqué la norme de la décision raisonnable aux conclusions de la SPR en matière de crédibilité.

IV.             Analyse

[9]               Dans la décision Ngandu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 423, j’ai passé en revue la jurisprudence de la Cour portant sur la norme de contrôle que doit appliquer la SAR lorsqu’elle examine les conclusions en matière de crédibilité tirées par la SPR. Je reproduis les portions pertinentes de mon analyse ci‑dessous.

[10]           La Cour a constamment statué que la SAR commet une erreur lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable à l’examen des conclusions de fait de la SPR (Djossou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1080 [Djossou], aux paragraphes 6 et 7). Quoi qu’il en soit, la SAR doit faire montre de retenue à l’égard des évaluations de la crédibilité de la SPR qui se fondent sur les témoignages (R c NS, 2012 CSC 72, au paragraphe 25).

[11]           La plupart des juges de la Cour ont statué que, étant donné que la SAR est un tribunal spécialisé qui instruit des [traduction« appels fondés sur les faits », elle n’est tenue de faire preuve de retenue à l’égard de la SPR que lorsque la crédibilité d’un témoin est cruciale ou déterminante, ou lorsque la SPR jouit d’un avantage particulier (Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799 [Huruglica], aux paragraphes 54 et 55; Yetna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 858, au paragraphe 17; Akuffo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1063 [Akuffo], au paragraphe 39; Bahta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1245 [Bahta], au paragraphe 16; Sow c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 295, au paragraphe 13; pour l’opinion contraire, voir Spasoja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 913, au paragraphe 40 [Spasoja]).

[12]           Même s’il n’y a pas unanimité sur cette question (voir Spasoja, au paragraphe 39), la plupart des juges de la Cour estiment que la SAR doit procéder à sa propre évaluation indépendante de la preuve (Iyamuremye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 494, au paragraphe 41; Huruglica, au paragraphe 47; Njeukam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 859 [Njeukam], au paragraphe 15; Akuffo, au paragraphe 45; Djossou, au paragraphe 53). L’obligation qu’a la SAR de procéder à une évaluation indépendante de la preuve s’applique aux questions de crédibilité.

[13]           Dans certaines décisions de la Cour, les auteurs ont statué que la SAR ne commet pas une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable à des conclusions reposant purement sur la crédibilité (Njeukam; Akuffo, Allalou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1084; Yin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1209 [Yin]). Cependant, comme l’explique le juge Simon Noël dans la décision Khachatourian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 182, au paragraphe 32, la Cour ne confirme l’application de la norme de la décision raisonnable par la SAR aux conclusions de la SPR fondées sur la crédibilité que lorsque la SAR a manifestement procédé à sa propre évaluation de la preuve.

[14]           C’est également la teneur de la décision du juge Shore dans l’affaire Youkap c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 249, aux paragraphes 36 et 37, lorsqu’il souligne que dans les affaires où il est question de conclusions fondées purement sur la crédibilité, l’important n’est pas quelle norme a été appliquée, mais plutôt [traduction« si la SAR a procédé à une évaluation indépendante de l’ensemble de la preuve ». Le juge Shore a aussi expliqué que « l’idée selon laquelle la SAR pourrait substituer une décision attaquée pour celle qui aurait dû être rendue sans d’abord évaluer la preuve est incompatible avec l’objet de la LIPR » (Triastcin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 975, au paragraphe 25 [Triastcin]).

[15]           En l’espèce, les conclusions en matière de crédibilité de la SPR reposaient entièrement sur le témoignage de la demanderesse, et la SPR avait donc un avantage considérable sur la SAR pour procéder à cette évaluation. Par ailleurs, la SAR a clairement procédé à une évaluation indépendante de la preuve, comme le montrent son analyse du témoignage de la demanderesse et sa conclusion que l’incohérence relevée par la SPR n’était pas sans importance (voir les paragraphes 30 et 31 de la décision de la SAR).

[16]           La demanderesse n’a contesté aucune autre conclusion de la SPR en matière de crédibilité devant la SAR. Même si la SAR avait commis une erreur dans son évaluation du seul aspect des conclusions de la SPR en matière de crédibilité porté en appel, le reste des conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité seraient suffisantes pour que la Cour confirme la décision de la SAR (Siliya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 120, aux paragraphes 24 et 25).

[17]           Par conséquent, l’application par la SAR de la norme de la décision raisonnable à son examen des conclusions en matière de crédibilité de la SPR n’est pas déterminante pour la présente demande de contrôle judiciaire. La SAR a appliqué la norme de la décision raisonnable aux conclusions de la SPR reposant purement sur la crédibilité, et elle a par la suite effectué sa propre évaluation de la preuve. La SAR n’a donc commis aucune erreur susceptible de contrôle en l’espèce.

[18]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

V.                Question certifiée

[19]           La demanderesse demande que la question suivante soit certifiée aux fins d’appel :

[traduction]

Quelle est la portée de l’examen effectué par la Section d’appel des réfugiés lorsqu’elle se penche sur un appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés?

[20]           Dans la décision Huruglica, le juge Phelan a certifié la question suivante :

Quelle est la portée de l’examen de la Section d’appel des réfugiés lors d’un appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés?

[21]            Des questions semblables ont aussi été certifiées entre autres par le juge Locke dans la décision Njeukam, le juge Roy dans la décision Spasoja, le juge Shore dans la décision Triastcin, la juge Gagné dans la décision Akuffo, et le juge Zinn dans la décision Nnah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 77.

[22]           Le défendeur s’oppose à la certification de la question en l’espèce au motif qu’elle ne permettrait pas de statuer sur un appel. Cette thèse est soutenue par certains éléments de la jurisprudence de la Cour, par exemple la décision Bahta ,aux paragraphes 19 et 20, et la décision Yin, aux paragraphes 41 et 42.

[23]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la question ne devrait pas être certifiée en l’espèce. L’alinéa 74d) de la LIPR prévoit ce qui suit :

d) le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle‑ci.

 

(d) an appeal to the Federal Court of Appeal may be made only if, in rendering judgment, the judge certifies that a serious question of general importance is involved and states the question.

 

[24]           Comme l’a expliqué le juge Martineau dans la décision Alyafi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 952, au paragraphe 57, la certification d’une même question dans plusieurs causes ne permet pas que les interventions aient lieu en temps opportun, ce qui est l’un des objectifs de l’alinéa 74d) de la LIPR (Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145). La décision Huruglica a été portée en appel et la question sera donc examinée en détail dans cette affaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Loïc Haméon‑Morrissette


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2626‑14

INTITULÉ :

NINO PATARAIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 mars 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge FOTHERGILL

DATE DES MOTIFS :

le 15 avril 2015

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

POUR LA DEMANDERESSE

Manuel Mendelzon

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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