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Date : 20150417


Dossier : IMM-6801-13

Référence : 2015 CF 474

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

FRANTISEK BANDA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Banda conteste la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la Commission] a conclu qu’il n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]               Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est accueillie.

Contexte

[3]               M. Banda est un citoyen de la République slovaque d’origine ethnique rom. Il est arrivé au Canada avec son partenaire homosexuel, et la Commission a examiné leurs demandes d’asile conjointement. La présente demande ne porte pas sur la demande d’asile de M. Dome.

[4]               M. Banda allègue qu’il a fait l’objet de discrimination et de harcèlement verbal lorsqu’il fréquentait l’école en raison de son origine ethnique rom. Il affirme avoir parlé à ses enseignants du traitement dont il faisait l’objet, mais que rien n’a été fait. À l’école de métiers, sa vie est devenue encore plus difficile, car ses camarades de classe savaient qu’il était homosexuel. Dans son formulaire de renseignements personnels [FRP], il a déclaré qu’il avait « souvent été battu » par ses camarades de classe et qu’il n’avait pas le droit d’utiliser les toilettes. Lors de l’audience devant la Commission, il a déclaré qu’il avait été battu à deux reprises à l’école et il a décrit ces incidents plus en détail. Il a expliqué à la Commission qu’il « était nerveux et que cela le gênait » de donner davantage de détails dans son FRP et que son témoignage apportait des précisions sur l’exposé circonstancié fourni dans le FRP.

[5]               Le 3 juillet 2010, M. Banda s’est rendu dans une boîte de nuit autorisant l’entrée aux Roms. Alors qu’il rentrait chez lui à pied, il a été poursuivi et agressé physiquement par un groupe de cinq ou six skinheads. Ses agresseurs l’ont lâché lorsque des passants sont apparus dans la rue. Il n’a pas cherché à obtenir des soins médicaux parce que ses blessures n’étaient pas graves, mais il a tout de même signalé l’incident à la police et présenté un rapport de police à la Commission.

[6]               Dans son FRP, il a déclaré qu’il avait « souvent été battu dans la rue sans raison » et que lorsqu’il s’adressait à la police, les agents se contentaient de rédiger un rapport.

[7]               M. Banda affirme qu’il lui était interdit d’entrer dans les bars ou les restaurants, et que lorsque l’entrée lui était permise, il ne se faisait pas servir. Il déclare en outre qu’il est [traduction« très difficile d’être rom et homosexuel », de sorte qu’il ne sortait pas souvent en public avec son partenaire parce qu’ils faisaient « toujours l’objet d’agressions verbales et physiques ».

[8]               Craignant pour leur vie, M. Banda et son partenaire ont quitté la République slovaque pour venir au Canada le 15 mars 2011 et ils ont présenté une demande d’asile le même jour.

[9]               Selon la Commission, les questions déterminantes étaient celles de la crédibilité et de la protection de l’État.

A.                Crédibilité

[10]           La Commission a affirmé que M. Banda a « beaucoup de difficulté à dire la vérité », soulignant ce qui suit :

           il a déclaré qu’il avait été agressé une fois en juillet 2010, mais avait mentionné dans son FRP qu’il avait « souvent été battu dans la rue sans raison »;

           il « a indiqué qu’il a été agressé dans la rue en raison de son origine ethnique rom et qu’il a été agressé à l’école en raison de son orientation sexuelle »;

           il n’a signalé les incidents à l’école qu’une seule fois parce que rien n’avait été fait la première fois;

           il a témoigné qu’il avait été agressé physiquement deux fois à l’école, alors qu’il avait déclaré dans son FRP qu’il « [s]e faisai[t] souvent battre par [s]es camarades de classe »;

           aucun détail sur les deux agressions subies à l’école ne figurait dans son FRP.

[11]           La Commission a rejeté l’explication selon laquelle il n’avait pas mentionné ces incidents survenus à l’école dans son FRP parce « [qu’]il était nerveux et [qu’]il avait honte », car, lors d’une entrevue avec un responsable de l’immigration, M. Banda avait informé celui‑ci qu’il était homosexuel.

[12]           La Commission a affirmé que le mot « souvent » utilisé dans le FRP au sujet de la fréquence des agressions physiques qui auraient eu lieu à l’école était différent de son témoignage selon lequel il aurait été battu à deux reprises. La Commission a conclu que M. Banda avait enjolivé son récit pour étayer sa demande d’asile.

[13]           En ce qui concerne l’agression survenue en juillet 2010, la Commission a souligné que M. Banda ne pouvait pas identifier ni décrire ses agresseurs. La Commission a tenu compte de la jurisprudence de notre Cour selon laquelle il est extrêmement difficile d’enquêter efficacement sur des agressions commises au hasard par des agresseurs non identifiés, et de protéger efficacement la victime contre ses agresseurs, de sorte qu’il n’est pas raisonnable pour un demandeur d’asile de s’attendre à ce que la police recherche et arrête les agents de persécution dans de telles circonstances. La Commission a également affirmé qu’elle ne disposait pas d’éléments de preuve établissant que la police n’avait pas pris de mesures après que les incidents lui avaient été rapportés et qu’aucun rapport médical n’avait été présenté, malgré les allégations selon lesquelles M. Banda et son partenaire avaient été agressés physiquement.

B.                 Protection de l’État

[14]           La Commission a conclu que la République slovaque est une démocratie fonctionnelle et elle a donc affirmé que M. Banda doit chercher à épuiser tous les recours qui s’offrent à lui, et souligné que le fardeau d’établir le contraire est lourd.

[15]           La Commission a examiné la preuve documentaire objective et tiré la conclusion suivante :

La prépondérance de la preuve objective en ce qui concerne les conditions actuelles dans le pays indique que, bien qu’elle ne soit pas parfaite, les victimes de la criminalité bénéficient d’une protection de l’État adéquate en République slovaque, que cette dernière fait de sérieux efforts pour remédier au problème de criminalité, et que la police est disposée et apte à protéger les victimes. La corruption et les lacunes de la police, bien qu’elles existent et qu’elles aient été soulignées par la Commission, ne sont pas généralisées. Après avoir examiné soigneusement la preuve documentaire, le tribunal est d’avis que, dans l’ensemble, la République slovaque prend des mesures pour régler les problèmes de corruption et les irrégularités.

[16]           En ce qui concerne les allégations de harcèlement en raison de l’orientation sexuelle, la Commission a reconnu que M. Banda et son partenaire avaient déclaré qu’ils sortaient rarement en public ensemble « afin d’éviter les représailles homophobes ». La Commission a cependant comparé cette déclaration avec l’allégation du demandeur selon laquelle il avait été agressé physiquement à deux reprises à l’école de métiers en raison de son homosexualité, mais que tous deux avaient seulement été victimes d’agressions verbales. Il avait déclaré dans son FRP : « nous faisions toujours l’objet d’agressions verbales et physiques ». Si la Commission a souligné que la preuve documentaire donnait à penser que « les attitudes envers l’homosexualité sont défavorables et [que] la situation est particulièrement difficile pour les Roms qui sont homosexuels », elle a toutefois conclu que des recours s’offraient à M. Banda et à son partenaire pour s’occuper des problèmes liés à l’homophobie, car l’État prenait des mesures pour régler ces problèmes.

Questions en litige

[17]           M. Banda soulève deux questions :

1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la crédibilité?

2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État?

Analyse

A.        Crédibilité

[18]           Selon M. Banda, la SPR a conclu qu’il n’était pas crédible [traduction] « en se fondant uniquement sur une analyse trop minutieuse et axée sur des questions de sémantique accessoires ». Ayant examiné le dossier dans son ensemble, je suis d’accord. Je constate que la décision se rapporte principalement à la demande d’asile du partenaire de M. Banda, et non à la sienne propre, aux événements qu’il relate ou à son témoignage.

[19]           Le commissaire fait observer que M. Banda avait écrit dans son FRP que lorsqu’il fréquentait l’école de métiers, il « [s]e faisai[t] souvent battre » par ses camarades de classe, tandis qu’il avait déclaré dans son témoignage n’avoir été agressé physiquement qu’à deux reprises à l’école, n’avoir signalé que l’une des agressions, en vain, et n’avoir pas signalé la seconde agression physique puisqu’aucune mesure n’avait été prise la première fois. Le commissaire compare les mots « souvent » et l’expression « à deux reprises » et conclut que M. Banda « a enjolivé son récit pour étayer sa demande d’asile ».

[20]           Cette conclusion comporte deux incongruités. Premièrement, il est impossible de comprendre en quoi le fait de réduire le nombre d’agressions dans un témoignage sous serment peut contribuer à « étayer » une demande d’asile. Il n’est pas rare qu’un commissaire conclue qu’un demandeur d’asile a cherché à embellir sa demande lorsque celui‑ci a relaté dans son témoignage des épisodes de persécution qui ne figuraient pas dans l’exposé écrit. Je ne connais aucun cas où l’inverse aurait été décrit comme une tentative d’étayer une demande d’asile. Deuxièmement, le commissaire n’a pas tenu compte du fait que M. Banda avait répondu par l’affirmative lorsqu’il lui avait demandé s’il considérait qu’une agression verbale équivalait à une agression physique. Selon son témoignage fondé sur cette interprétation, il s’était « souvent [fait] battre » – lors de deux agressions physiques et de nombreuses agressions verbales. Il n’y avait donc pas d’enjolivement visant à étayer la demande d’asile.

[21]           Le commissaire s’appuie sur le fait que les agressions ne sont pas décrites en détail dans le FRP pour mettre en doute la crédibilité du demandeur; toutefois, il est fait mention des agressions, et la Cour a maintes fois affirmé que le FRP doit constituer un résumé du témoignage et que ce n’est donc pas grave s’il ne contient pas tous les détails.

[22]           Le commissaire fait également ressortir le manque d’éléments de preuve documentaire corroborants – qui consistent en un seul document pour chacun des demandeurs d’asile. Il conclut en disant que « même si les demandeurs d’asile ont affirmé qu’ils ont été battus, ils n’ont jamais cherché à obtenir des soins médicaux, même lorsqu’ils ont été agressés par plusieurs skinheads ». Je conviens avec le conseil que cette affirmation équivaut à une conclusion déguisée selon laquelle les agressions n’auraient pas eu lieu. Elle montre à tout le moins que le commissaire doute que les agressions aient eu lieu. Néanmoins, M. Banda a fourni un rapport de police sur l’agression du 3 juillet 2010 commise par les skinheads qui étaye solidement son témoignage. Le commissaire n’en tient aucunement compte. Ce rapport et le scepticisme du commissaire sont inconciliables. Le commissaire devait tenir compte de cet élément de preuve et expliquer comment il est parvenu à ces conclusions au vu du rapport.

[23]           En bref, le fondement sur lequel le commissaire s’est appuyé pour conclure que M. Banda avait « beaucoup de difficulté à dire la vérité » ne lui permettait pas de tirer raisonnablement une telle conclusion.

B.        Protection de l’État

[24]           L’analyse effectuée par le commissaire est déficiente parce que celui‑ci examine les efforts et non les résultats. Le commissaire mentionne à plusieurs reprises les « sérieux efforts » entrepris, mais ne répond pas à la question de savoir si la protection de l’État est réellement offerte sur le terrain aux Roms homosexuels. Comme la Cour l’a fait remarquer à de nombreuses reprises, il s’agit d’une erreur : voir Henguva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 912, et les décisions qui y sont citées.

Conclusion

[25]           La décision est déraisonnable et la demande de M. Banda doit être examinée à nouveau par un autre commissaire.

[26]           Aucune des parties n’a formulé de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, que la décision est annulée, que la demande d’asile doit être réexaminée par un tribunal différemment constitué de la Commission et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-6801-13

 

INTITULÉ :

FRANTISEK BANDA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 JANVIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 aVril 2015

 

COMPARUTIONS :

Aurina Chatterji

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Erdei Ildiko

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger Professional

Law Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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