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Date : 20150417


Dossier : IMM‑6951‑13

Référence : 2015 CF 495

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 17 avril 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

CLIFFORD MICHAEL ANDERSON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’égard de la décision du 21 mai 2013 par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a rejeté la demande de dispense présentée par le demandeur quant à l’examen médical de son fils à charge dans le cadre de sa demande de résidence permanente (RP) faite au Canada au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Cette décision a finalement mené au rejet de la demande de RP du demandeur.

II.                Les faits

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Jamaïque parrainé par un citoyen canadien dans le but de venir vivre au Canada. Bien que le demandeur ait deux enfants issus de ses relations antérieures en Jamaïque, il semble qu’il n’a pas la garde de ceux-ci.

[3]               Le demandeur a commencé à avoir des problèmes avec sa demande de RP lorsqu’il n’a pas pu faire passer un examen médical à son fils, Onique, étant donné que la mère de ce dernier n’avait pas voulu participer à cette partie du processus. Le demandeur n’a eu aucun problème en ce qui touche son deuxième enfant, car la mère de ce dernier (une personne autre que la mère du premier enfant) a accepté de qu’il subisse un examen médical.

[4]               Tout au long des échanges qu’il a eus avec CIC, le demandeur a toujours affirmé, y compris dans les déclarations assermentées qu’il a déposées dans le cadre du parrainage, qu’il ne pourrait probablement pas faire subir à Onique un examen médical en raison des relations tendues qu’il entretenait avec la mère de ce garçon.

III.             La décision

[5]               Le 6 août 2013, CIC a envoyé une lettre au demandeur pour l’informer sur les conséquences qu’aurait le défaut de faire examiner Onique ou de fournir des preuves documentaires sur l’entente conclue concernant la garde. La partie pertinente de cette lettre se lit comme suit :

[Traduction]

Afin de poursuivre le traitement de votre demande, nous avons besoin des renseignements demandés ci‑dessous. Veuillez fournir les renseignements suivants au Centre de traitement des demandes :

[X] Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoit une exception concernant les exigences d’admissibilité relatives aux enfants qui sont confiés à la garde exclusive d’un époux ou d’un conjoint de fait séparé. Toutefois, le demandeur doit fournir une preuve documentaire quant à l’entente relative à la garde de l’enfant.

Vous avez mentionné que le membre de la famille suivant :

ONIQUE ANDERSON 20 JUL 2001

ne peut pas être examiné, car la mère d’Onique ne l’autorise pas à subir un examen médical complet.

Veuillez prendre note que l’enfant qui ne subit pas d’examen médical ne peut pas être par la suite parrainé au titre de la catégorie du regroupement familial, peu importe les changements qui pourraient survenir dans l’entente de garde et qu’il serait dans l’intérêt de votre enfant de subir un examen.

Si votre enfant ne peut pas subir un examen médical et que vous pouvez fournir la preuve que celui-ci est sous la garde exclusive d’une autre personne, veuillez nous transmettre cette preuve accompagnée d’une déclaration solennelle confirmant ce fait. De plus, vous devez déclarer que vous ne pourrez pas parrainer ultérieurement cet enfant au titre de la catégorie du regroupement familial. La déclaration solennelle doit être assermentée par un commissaire à l’assermentation ou un notaire public.

Si votre enfant n’est pas sous la garde exclusive d’une autre personne, celui-ci doit subir l’examen médical de l’Immigration.

[En caractère gras dans l’original.]

[6]               Le 9 octobre 2013, un agent du bureau de CIC à Vegreville (Alberta) a rejeté la demande de résidence permanente de M. Anderson au motif qu’il n’avait pas soumis la documentation concernant son fils :

[Traduction]

Aux termes du paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’auteur d’une demande doit répondre véridiquement à toutes les questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis. Vous n’avez pas satisfait à cette exigence, car vous n’avez pas soumis les preuves documentaires (document sur l’entente relative à la garde) requises confirmant que votre enfant Onique est sous la garde exclusive de votre ex-conjointe.

Étant donné que vous n’avez pas soumis tous les éléments de preuve et les documents exigés en vertu du paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, nous ne pouvons pas confirmer que vous répondez aux exigences de la résidence permanente énoncées au paragraphe 72(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Votre demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada est donc refusée.

[En caractère gras dans l’original.]

IV.             Les positions des parties

[7]               Le demandeur fait valoir que le défendeur a mal interprété des éléments de preuve ou n’a pas tenu compte d’éléments de preuve lorsqu’il a conclu qu’il n’avait pas répondu à la demande de documents faite par CIC. Au contraire, le demandeur a toujours clairement dit qu’il ne pouvait pas produire les documents demandés concernant la garde parce que ceux-ci n’existaient pas.

[8]               En réponse à la lettre du 6 août 2013 dans laquelle CIC demande qu’Onique se présente à un examen médical, l’avocat du demandeur a soumis une lettre dans laquelle il mentionne qu’il n’existe aucune ordonnance de garde et qu’il n’y en a jamais eu. Il a précisé que lui et la mère de l’enfant n’étaient pas en bons termes et qu’il ne croyait pas qu’elle accepterait que leur fils subisse un examen médical. De plus, le demandeur fait valoir qu’il avait déjà fourni ce renseignement dans sa demande de RP en 2011, et que CIC avait été informé au tout début que l’examen médical de son fils aîné poserait probablement problème en raison de l’absence de collaboration de la part de la mère.

[9]               Le demandeur prétend que le paragraphe 16 (1) de la LIPR qui exige que tous les éléments de preuve pertinents soient soumis, ne peut pas être utilisé d’une manière qui lui soit préjudiciable en l’espèce, puisqu’il n’existe aucun document relatif à la garde et qu’il n’a aucune façon d’obtenir un tel document.

[10]           De son côté, le défendeur soutient que la déclaration solennelle de M. Anderson, dans laquelle il affirme qu’il ne peut pas obtenir les documents requis, n’est pas suffisante pour soustraire le demandeur à l’obligation que lui impose la LIPR de produire des documents relatifs à la garde. À la lumière de la LIPR et du dossier, la décision de l’agent de rejeter la demande de résidence permanente était raisonnable et ne devrait pas être modifiée.

[11]           Une grande partie de l’audience a été consacrée à une discussion portant sur deux décisions clés dans lesquels des conclusions différentes ont été tirées : Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1191 [Nguyen] et Rarama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 60 [Rarama].

[12]           Dans la décision Nguyen, le refus d’un agent des visas d’exempter le fils à charge de la demanderesse de subir l’examen médical exigé dans le cadre de sa demande de résidence permanente au Canada a été jugée raisonnable. Le demandeur a fait une distinction entre la présente affaire et l’affaire Nguyen en affirmant que Mme Nguyen partageait la garde avec son mari (Nguyen, au paragraphe 18) alors que, en l’espèce, il n’y a aucune entente ou ordonnance portant sur la garde et que selon la déclaration assermentée non contestée de M. Anderson, c’est la mère d’Onique qui a toujours eu la garde exclusive. En fait, le demandeur a tenté de faire subir à l’enfant un examen médical à l’étranger, mais la mère s’y est opposée. En outre, contrairement à la situation dans l’affaire Nguyen, le demandeur a prétendu qu’il n’avait pas l’intention de faire venir Onique au Canada à une date ultérieure. Les raisons pour lesquelles l’examen médical est requis sont donc éliminées.

[13]           Le demandeur a prétendu que les faits en l’espèce ressemblent beaucoup plus à ceux de l’affaire Rarara, dans laquelle :

(i)                 il y avait une renonciation au droit de parrainer l’enfant à une date ultérieure (Rarama, au paragraphe 29);

(ii)               il n’existait aucune entente relative à la garde, mais le parent responsable de l’enfant refusait de soumettre celui-ci à un examen médical (Rarama, au paragraphe 16);

(iii)             la demanderesse avait commencé une nouvelle relation (Rarama, au paragraphe 31);

(iv)             l’agent des visas avait rejeté à tort la demande de résidence permanente parce que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle n’était pas en mesure d’assurer ses droits parentaux (Rarama, au paragraphe 32).

[14]           Le défendeur soutient que la décision Rarama n’aide en rien le demandeur, car, dans celle‑ci, la Cour a conclu qu’un agent n’est pas tenu d’accepter le contenu de la déclaration solennelle d’un demandeur (Rarama, au paragraphe 26). Le défendeur a invité la Cour à plutôt s’appuyer sur la décision Nguyen, parce que selon celle-ci, un demandeur ne peut pas décider qu’un membre de sa famille ne subira pas d’examen médical; il doit d’abord épuiser tous les moyens raisonnables pour faire subir un examen médical à l’enfant à charge (Nguyen, au paragraphe 33).

[15]           En bref, le défendeur a soutenu que l’agent n’était pas satisfait des efforts faits par le demandeur pour faire subir à son fils un examen médical. L’agent a accepté la déclaration solennelle de M. Anderson, mais, en fin de compte, il ne fut pas convaincu que le demandeur n’exercerait pas son droit parental de faire venir son fils au Canada. Le défendeur fait valoir que la garde ne se limite pas à la garde physique de l’enfant, mais qu’s’agit plutôt d’un ensemble de droits et d’obligations accordés aux parents (Alexander c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1147, au paragraphe 40).

[16]           Autrement dit, bien que le demandeur n’ait pas la garde physique de l’enfant, il a la possibilité d’exercer d’autres droits parentaux, y compris celui de demander aux tribunaux d’accorder une exemption. Le demandeur a implicitement admis ce fait dans sa déclaration assermentée lorsqu’il a déclaré qu’il ne croyait pas qu’il était dans son intérêt de faire appel aux tribunaux jamaïcains pour régler un litige en matière de garde.

[17]           En outre, le défendeur a soutenu que les lignes directrices fournies dans le Guide  IP 8 de CIC exigent que le demandeur présente la personne à charge, sauf si l’exemption prévue à l’article 23 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) s’applique. Le demandeur peut obtenir une exemption uniquement s’il présente une ordonnance ou une entente portant sur la garde sous certaines formes. L’article 5.26 du Guide IP 8 de CIC se lit comme suit :

L’agent ne devrait cependant procéder de la sorte qu’en dernier recours et uniquement s’il est convaincu que le demandeur n’est pas en mesure de faire en sorte que le membre de sa famille se soumette à un contrôle.

V.                Analyse

[18]           Les parties conviennent, et il a été établi par la Cour que les demandes de RP refusées par les agents en raison du défaut de fournir une preuve à l’égard des tentatives faites pour faire subir un examen médical ou pour fournir des documents relatifs à la garde sont contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Rarama, au paragraphe 15; Ahumada Rojas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1303, au paragraphe 8 [Rojas]).

[19]           Je vais commencer par énoncer brièvement les articles de la LIPR qui s’appliquent en l’espèce. Le paragraphe 16(1) de la LIPR exige que les demandeurs produisent les documents et les éléments de preuve pertinents requis. Le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du RIPR stipule que le demandeur et les membres sa famille – qu’ils l’accompagnent ou non, ne doivent pas être interdits de territoire. Le sous‑alinéa 30(1)a)(i) du RIPR précise que les membres de la famille d’un étranger, qu’ils l’accompagnent ou non, doivent se soumettre à la visite médicale. Une exception à cette exigence est prévue à l’alinéa 23b)(iii) du RIPR, lorsque des enfants à charge sont sous la garde exclusive de l’ex‑époux ou du conjoint de fait séparé. Le Guide IP8 de CIC énonce qu’on ne doit accorder une exemption qu’en dernier recours et que le demandeur ne peut pas choisir de ne pas soumettre un membre de sa famille à un contrôle.

[20]           À la lumière de ces dispositions, je suis d’avis que la décision de l’agent est raisonnable. La loi énonce clairement que les membres de la famille ne doivent pas être interdits de territoire pour qu’un demandeur obtienne la résidence permanente. L’article 23 du RIPR prévoit une exception lorsque les enfants sont sous la garde exclusive d’un conjoint séparé ou d’un ex‑époux. Toutefois, pour que l’exception prévue à l’article 23 s’applique, le demandeur doit présenter une preuve relative à la garde des enfants qui ne l’accompagnent pas.

[21]           En l’espèce, le demandeur a affirmé dès le début qu’il n’avait pas la garde de ses enfants. Cependant, je ne suis pas convaincu que l’agent a tiré une conclusion déraisonnable, car je suis d’avis que le demandeur n’a pas fait suffisamment d’efforts en vue de prouver qu’il était impossible de faire subir l’examen médical. Par exemple, le demandeur ne s’est pas adressé aux tribunaux de la Jamaïque pour obtenir une approbation judiciaire et il n’a fait aucun effort pour se rendre en Jamaïque et faciliter la tenue d’une visite médicale en personne.

[22]           Les faits en l’espèce sont différents de ceux de l’affaire Rarama. Dans celle-ci, juge Strickland a conclu que la décision était déraisonnable parce que le Guide de CIC précise qu’il peut être difficile d’obtenir des ententes officielles relatives à la garde aux Philippines :

[27]      De plus, comme il est énoncé à la page 24 du Manuel de traitement des demandes IP 4, dans « un pays où la séparation légale ou le divorce sont impossibles, par exemple, les Philippines », il se peut fort bien que les ententes formelles relatives à la garde ne soient pas faciles à obtenir étant donné qu’elles se négocient dans la foulée d’une séparation ou d’un divorce.

[28]      Dans ces circonstances, le refus sans explication de l’agent d’accepter la déclaration solennelle comme preuve de la garde de la fille de la demanderesse était déraisonnable.

[23]           De plus, dans la décision Rarama, la demanderesse a été capable de fournir à CIC des preuves que « [son] avocat […] aux Philippines [l’]avait informé[e] […] qu’elle n’avait pas le droit, en vertu des lois philippines, d’exiger la tenue d’une visite médicale » (Rarama, au paragraphe 8).

[24]           En l’espèce, au contraire, le demandeur n’a présenté aucune preuve à la Cour (par exemple, un avis juridique, de la documentation sur le pays ou des documents attestant que des démarches ont été faites dans le système judiciaire de la Jamaïque) montrant qu’en raison des conditions en Jamaïque, malgré des efforts raisonnables, il serait impossible d’obtenir de la documentation relative à la garde.

[25]           Par conséquent, comme je l’ai conclu dans la décision Nguyen, je suis d’avis que la conclusion de l’agent selon laquelle le parent n’avait pas épuisé toutes les voies de recours possibles pour faire subir à son enfant un examen médical est raisonnable (Nguyen, au paragraphe 34; voir également Rojas, au paragraphe 18).

VI.             Conclusion

[26]           La décision de l’agent était raisonnable, car elle appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question n’est certifiée.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

 Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6951‑13

 

INTITULÉ :

CLIFFORD MICHAEL ANDERSON c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 MARS 2015

 

JUgeMENT et motifs du JUgeMENT :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 17 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

Wayne A. Bingham

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Tamrat Gebeyehu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wayne A. Bingham

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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