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Date : 20150422


Dossier : IMM-2686-14

Référence : 2015 CF 518

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 22 avril 2015

En présence de monsieur le juge Hughes

ENTRE :

KIRISANTHAN SELVACHANTHIRAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision par laquelle un commissaire de la Section de la protection des réfugiés a rejeté, le 19 mars 2014, la demande d’asile du demandeur.

[2]               Le demandeur est un Tamoul adulte qui vient de la partie nord du Sri Lanka. Il est citoyen de ce pays. Il a été pris dans la guerre civile qui y sévissait. Son frère a été tué pendant le conflit. Le demandeur a quitté le Sri Lanka le 22 mars 2010 et a transité par plusieurs pays avant d’entrer aux États‑Unis le 10 mai 2010. Il n’y a pas demandé l’asile, bien qu’il ait été détenu par les autorités américaines. Le demandeur s’est rendu à la frontière canado‑américaine le 7 août 2010 et a présenté une demande d’asile à son arrivée au Canada à ce moment‑là.

[3]               La question à trancher porte sur les contradictions entre ce que le demandeur a dit dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) initial, qui a été préparé avec l’aide d’un conseil et reçu le 1er septembre 2010, et son FRP modifié subséquent, reçu au milieu de 2013. Ces contradictions et d’autres facteurs ont amené le commissaire à conclure qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s’il retournait au Sri Lanka aujourd’hui.

[4]               Dans l’exposé circonstancié accompagnant son FRP initial, le demandeur a dit que son frère avait été tué par un obus, le 16 janvier 2009, au cours d’une attaque contre l’abri fortifié dans lequel sa famille avait trouvé refuge. Il a dit que le corps de son frère avait été retiré des lieux le lendemain. Il a dit qu’en mars 2009, alors qu’il s’enfuyait dans la jungle avec des membres de sa famille, un de ses cousins et d’autres membres de sa famille avaient été tués.

[5]               Dans l’exposé circonstancié accompagnant son FRP modifié de 2013, le demandeur a dit que les TLET avaient demandé à sa famille de leur livrer une personne et qu’ils avaient, par conséquent, capturé son frère. Il a dit que les TLET avaient dit que son frère était mort au combat et que son corps n’avait pas été retrouvé. Le certificat de décès de son frère était daté du 15 mars 2009, soit le jour où les TLET ont dit à sa famille que son frère était décédé. La famille a supposé qu’il était décédé dans une bataille qui avait eu lieu le 16 janvier 2009.

[6]               Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas mentionné, dans son FRP initial, que son frère avait été conscrit par les TLET et était mort au combat, le demandeur a reconnu qu’il avait menti. Il a dit qu’il craignait que sa demande d’asile soit refusée et qu’il soit expulsé s’il révélait les liens de son frère avec les TLET à l’époque.

[7]               Compte tenu des divergences contenues dans les FRP, le commissaire a conclu que le demandeur n’était pas crédible. J’estime que cette conclusion est raisonnable.

[8]               Le commissaire s’est demandé si le demandeur serait persécuté par les autorités sri‑lankaises s’il devait être renvoyé aujourd’hui. Le commissaire a pris note du fait que le demandeur avait été détenu par les autorités pendant plusieurs jours en septembre 2010 et avait alors été battu et interrogé sur son affiliation aux TLET. Le commissaire a pris note du fait que le demandeur avait été libéré à la suite du paiement d’un pot‑de‑vin par son père. Le demandeur a ensuite quitté le Sri Lanka par l’aéroport en utilisant son propre passeport apparemment sans difficulté.

[9]               Le commissaire a soupesé les éléments de preuve relatifs à la possibilité de persécution si le demandeur, en tant que jeune Tamoul ayant peut‑être des liens avec les TLET, devait être renvoyé au Sri Lanka, et a conclu qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse de persécution.

[10]           L’avocat du demandeur a fort habilement passé en revue les motifs du commissaire en indiquant où le commissaire avait omis de mentionner d’autres éléments de preuve ou parties de la preuve qui auraient joué en faveur du demandeur. Il a fait état de plusieurs décisions où la Cour a critiqué les motifs qui ne mentionnaient pas tous les éléments de preuve.

[11]           L’avocat du défendeur a tout aussi habilement souligné qu’il y avait de nombreux éléments de preuve étayant les conclusions du commissaire et des décisions indiquant que les motifs ne doivent pas être examinés à la loupe ou faire état de chaque élément de preuve.

[12]           Selon un thème qui revient constamment dans la jurisprudence concernant les affaires comme celle dont je suis saisi en l’espèce, chaque affaire repose sur des faits qui lui sont propres et doit être tranchée en conséquence (p. ex., Sivalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1046, au paragraphe 38).

[13]           En l’espèce, il subsiste un doute dans mon esprit quant à la conclusion du commissaire, mais je n’oublie pas mon rôle en matière de contrôle judiciaire, qui n’est pas de tirer les conclusions que j’aurais tirées, mais de déterminer si les conclusions du tribunal étaient raisonnables. À cet égard, il convient de rappeler les paragraphes 46 et 47 de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 :

46        En quoi consiste cette nouvelle norme de la raisonnabilité? Bien que la raisonnabilité figure parmi les notions juridiques les plus usitées, elle est l’une des plus complexes. La question de ce qui est raisonnable, de la raisonnabilité ou de la rationalité nous interpelle dans tous les domaines du droit. Mais qu’est‑ce qu’une décision raisonnable? Comment la cour de révision reconnaît‑elle une décision déraisonnable dans le contexte du droit administratif et, plus particulièrement, dans celui du contrôle judiciaire?

47        La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement [page 221] à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[14]           J’ajoute à cela les observations du juge Gascon qui, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada dans le récent arrêt Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, a écrit ceci au paragraphe 46 :

46        Lorsque le Tribunal agit à l’intérieur de son champ d’expertise […], la déférence s’impose.

[15]           À la lumière de ces principes, je conclus que la décision faisant l’objet du présent contrôle était raisonnable et ne sera pas annulée.

[16]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La demande est rejetée.

2.      Aucune question n’est certifiée.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Roger T. Hughes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2686-14

 

INTITULÉ :

KIRISANTHAN SELVACHANTHIRAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFs :

LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Robert Israel Blanshay

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mahan Keramati

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Israel Blanshay

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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