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Date : 20150421


Dossier : IMM-6820-13

Référence : 2015 CF 489

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2015

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

MARTA KIDANE HIDAD

BETHEL SEMERE TEKIE

 

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Mme Marta Kidane Hidad et sa fille, des citoyennes de l’Érythrée, ont demandé l’asile au Canada parce qu’elles craignaient d’être persécutées du fait de leur origine ethnique et de leur religion. Elles ont voyagé de l’Érythrée au Soudan, où elles sont restées jusqu’à ce qu’elles puissent prendre des dispositions pour s’enfuir au Canada à l’aide de faux passeports britanniques.

[2]               Leurs demandes d’asile ont d’abord été examinées par un agent d’immigration, qui a conclu que Mme Hidad avait confirmé les détails de sa naissance en Érythrée et sa nationalité. Parce qu’elle avait donné des réponses confuses à certaines questions, l’agent a renvoyé son dossier à un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’il tienne une audience, en recommandant qu’elle subisse une évaluation médicale et psychiatrique. L’évaluation a révélé que Mme Hidad présentait des symptômes de stress post‑traumatique.

[3]               La Commission a conclu que Mme Hidad et sa fille n’avaient pas établi leur identité. Elle a estimé que leurs certificats de naissance étaient irréguliers, parce qu’ils avaient été obtenus d’une manière inappropriée ou frauduleusement. La Commission a également conclu que le témoignage de Mme Hidad était vague et ne concordait pas avec la preuve documentaire relative à la situation en Érythrée. Selon la Commission, les lacunes de son témoignage, et ses symptômes de stress post‑traumatique, n’étaient pas attribuables à sa persécution alléguée. La Commission a donc rejeté leurs demandes d’asile.

[4]               Mme Hidad soutient que la Commission a écarté de façon déraisonnable le contenu de l’évaluation psychiatrique et a commis une erreur en concluant que sa fille et elle n’avaient pas établi leur identité. Elle me demande d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner qu’un autre tribunal procède à un nouvel examen de leurs demandes d’asile.

[5]               Je suis convaincu que la Commission a commis une erreur dans ses conclusions concernant l’importance de l’évaluation psychiatrique et l’identité des demandeures d’asile. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

[6]               Il y a deux questions en litige :

1.      La Commission a‑t‑elle écarté de façon déraisonnable l’évaluation psychiatrique?

2.      La Commission a‑t‑elle conclu de façon déraisonnable que les demanderesses n’avaient pas établi leur identité?

II.                Première question - La Commission a‑t‑elle écarté de façon déraisonnable l’évaluation psychiatrique?

[7]               Le ministre soutient que la Commission a raisonnablement minimisé l’importance de l’évaluation selon laquelle le psychiatre a conclu que Mme Hidad souffrait de troubles déficitaires de l’attention et de la concentration. Devant la Commission, Mme Hidad a eu de la difficulté à se souvenir de certains renseignements de base sur sa vie en Érythrée, et sur son arrivée au Canada, mais le rapport du psychiatre n’abordait pas ces questions.

[8]               Je ne suis pas d’accord.

[9]               Le psychiatre a souligné que Mme Hidad présentait des [traduction] « symptômes complexes de stress post‑traumatique » en raison d’un risque de persécution, et qu’elle aurait de la difficulté à témoigner devant la Commission. Le médecin a recommandé la prise de mesures d’accommodement lors de son témoignage. Cependant, la Commission a accordé peu de poids au rapport du psychiatre parce qu’elle ne croyait pas que Mme Hidad avait été victime de persécution en Érythrée.

[10]           De façon générale, lorsqu’un rapport de psychiatre n’explique pas le témoignage d’un demandeur d’asile, il est loisible à la Commission de lui accorder un poids minime, voire nul. Par contre, lorsque le rapport traite d’éléments devant être pris en compte dans l’appréciation de la crédibilité du demandeur d’asile, il faut le prendre en considération (Min c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1676, aux paragraphes 5 et 6).

[11]           En l’espèce, il me semble que la Commission a mal apprécié la pertinence et l’importance de la preuve psychiatrique (comme ce fut le cas dans la décision Mico c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 964, aux paragraphes 45 et 49), qui ne visait pas à corroborer les allégations de persécution de Mme Hidad, mais plutôt à expliquer la difficulté que celle‑ci pourrait avoir à témoigner devant la Commission.

[12]           En tirant des conclusions sur la crédibilité défavorables à Mme Hidad, la Commission ne semble pas avoir saisi la véritable importance du rapport psychiatrique. Elle a souligné à juste titre que le récit cohérent des faits que Mme Hidad avait donné au psychiatre ne pouvait aider à établir sa crédibilité devant la Commission, mais n’a pas reconnu que l’évaluation devait être prise en considération pour décider si le témoignage de Mme Hidad était crédible, une toute autre question. Il était loisible à la Commission de mettre en doute la source des symptômes, mais elle ne pouvait faire abstraction des symptômes eux‑mêmes.

[13]           L’appréciation de la crédibilité faite par la Commission était donc déraisonnable parce qu’elle n’a pas tenu compte de l’évaluation psychiatrique concernant la capacité de témoigner de Mme Hidad.

III.             Deuxième question – La Commission a‑t‑elle conclu de façon déraisonnable que les demanderesses n’avaient pas établi leur identité?

[14]           Le ministre soutient que la Commission a raisonnablement conclu que Mme Hidad et sa fille n’avaient pas établi leur identité. Leurs certificats de naissance soulevaient plusieurs problèmes. Premièrement, ils étaient rédigés en anglais seulement, et non dans l’une ou l’autre des langues officielles de l’Érythrée (le tigrinya et l’arabe). Deuxièmement, les documents ne contenaient aucun espace où inscrire le nom du père. Troisièmement, l’adresse de Mme Hidad était incorrectement inscrite comme étant située à Assab, plutôt qu’à Asmara. Quatrièmement, Mme Hidad n’a pas déclaré avoir présenté un certificat d’hôpital lorsqu’elle a enregistré la naissance de sa fille, ce qui était nécessaire selon la preuve documentaire.

[15]           Je ne suis pas d’accord. La Commission disposait d’éléments de preuve remédiant à chacun de ces problèmes, mais elle n’en a pas tenu suffisamment compte.

[16]           La preuve démontrait que les documents officiels pouvaient être obtenus en anglais, et que Mme Hidad les avait demandés en anglais. Elle a également expliqué que la ville d’Assab figurait sur son certificat de naissance parce qu’il s’agissait du lieu de sa naissance, et non du lieu de sa résidence de l’époque. Elle était incorrectement désignée comme étant le lieu de naissance de sa fille. La Commission n’a pas abordé le témoignage de Mme Hidad sur cette question.

[17]           Quant à l’absence du nom du père, Mme Hidad a expliqué que le nom du père était compris dans le nom complet de sa fille, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de l’inscrire dans un espace distinct. La Commission n’a pas abordé cette explication.

[18]           Enfin, Mme Hidad a expliqué qu’elle n’avait pas eu à fournir quelque document que ce soit pour obtenir les certificats de naissance. La preuve documentaire démontre que le certificat d’hôpital est nécessaire pour enregistrer la naissance d’un enfant dans les trois mois suivant l’accouchement. Par la suite, il peut être obtenu en personne sans certificat.

[19]           Compte tenu de cette preuve, la conclusion de la Commission selon laquelle les documents relatifs à l’identité présentés par Mme Hidad et sa fille étaient irréguliers, parce qu’ils avaient été obtenus d’une manière inappropriée ou frauduleusement, était déraisonnable.

IV.             Conclusion et dispositif

[20]           La Commission n’a pas compris la mesure dans laquelle l’évaluation psychiatrique de Mme Hidad pouvait influer sur ses conclusions en matière de crédibilité, y compris sa conclusion voulant que Mme Hidad et sa fille n’aient pas établi leur identité, ce qui a entraîné le rejet déraisonnable de leurs demandes d’asile. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner qu’un autre tribunal de la Commission procède à un nouvel examen de leurs demandes d’asile. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      L’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’une nouvelle audience soit tenue devant un tribunal différemment constitué.

3.      Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6820-13

 

INTITULÉ :

MARTA KIDANE HIDAD, BETHEL SEMERE TEKIE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 JANVIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Benjamin Liston

Aviva Basman

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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